122 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791.] conduite plus digne dans l’avenir, les fautes du passé, ou plutôt écoutons la nation, dont la vigueur renaît, et qui nous rappelle elle-même à de hautes destinées. Les adresses de Marseille, de Strasbourg, d’Huningue, de Rennes, des Bouches-du-Rhône, de Belley, de Grenoble, prouvent que les Français ressentent vivement le peu d’égards avec lequel les habitants de l’Empire ont été traités en divers lieux. Tout homme digne de partager avec nous le titre de citoyen n’a-t-il pas été indigné de voir celui qui se dit et qui doit être le père commun des hommes faire à votre monarque l’insulte de refuser son ambassadeur? L’Europe aura sans doute observé qu’au lieu des promptes et sévères mesures qu’il vous eût été facile de prendre pour réprimer cette gratuite et éclatante offense, si le roi vous l’eût déférée, vous vous étiez vengés au moment même d’une manière plus digne de vous, en dédaignant, malgré tant de motifs plausibles, de réunir Avignon et le Comtat, et respectant jusqu’au scrupule des droits (quels qu’ils fussent) de celui qui avait cru vous outrager. J’ajoute encore un mot, Messieurs : vos efforts pour un armement maritime considérable ont signalé, l’année dernière, votre vigueur : il importe à la dignité de l’Etat d’armer aujourd’hui sur terre. Vous ne pouvez donc hésiter. La tranquillité et la sûreté du royaume l’exigent également. Les mesures que nous vous indiquons, promptes, faciles et peu coûteuses, contiendront, et les mauvais citoyens, s’il pouvait en exister, et les brigands rassemblés en plusieurs lieux, et même les agressions du dehors; et si l’ambition de quelque ministre étranger vous suscitait des ennemis parmi les rois de l’Europe, s’ils n’étaient pas désarmés tous par l’équité de vos principes et la modération de vos vues, au moins aevraient-ils l’être par la vigueur de vos résolutions, l’activité de vos préparatifs et la fermeté de votre maintien et de votre position militaire. 4 à 500,000 hommes, 4 à 500,000 Français, dont la liberté armera le bras, ne sont pour aucun prince, même pour aucune ligue de princes, un faible obstacle à surmonter. (. Applaudissements répétés à gauche.) M. llichelon (se retournant vers la droite en applaudissant). Applaudissez donc, vous autres! M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur. Avons-nous besoin de l’ajouter, Messieurs ? Des mesures de vigueur importent peut-être à votre propre gloire. Sans doute vous n’en voulez point d’autre que le bien de vos frères et l’avantage de vous offrir une considération qui peut ajouter à celles de l’intérêt public, ou plutôt qui se confond avec elles; car votre honneur, Messieurs, appartient à la patrie. Malgré tous les nuages de l’imposture, la France aime, elle aimera toujours à compter la probité, la fermeté de l’Assemblée nationale parmi les éléments dont se seront composés son bonheur et sa gloire. (Applaudissements.) Eh bien ! Messieurs, considérez votre position : chacun de vous, depuis deux ans, s’est identifié avec la chose publique. Vous lui avez donné tous vos soins, vous l’avez soutenue, secourue dans les crises les plus pénibles, à travers les succès et les obstacles, à travers les clameurs et les bénédictions, sans jamais vous arrêter ni vous détourner de votre but. Vous le savez pourtant, Messieurs : après tant de travaux, on vous a accusés d’avoir éprouvé quelque attiédissement dans votre zèle, et ce sentiment de lassitude qu’une longue tenue de séances et d’application au mêmejobjefamènent souvent. Peut-être même cette opinion a-t-elle contribué à préparer, à amener la crise actuelle. C’est à nous à prouver, dans une occasion si importante, que nous avons voulu aussi persévéramment le bien que nous l’avons entrepris courageusement; que c’est de notre part une résolution sérieuse et immuable que celle de remettre à nos successeurs la direction de la chose publique, et l’Empire français, sinon encore entièrement florissant, du moins délivré de cette anarchie à laquelle concourent tant de causes, et que, par un dernier effort et des mesures décisives pour la paix, vous avez voulu vous assurer le loisir de faire face à de nouveaux travaux, de rendre à la patrie des services de jour en jour plus signalés, et de montrer, en approchant du terme, un renouvellement de vigueur et de générosité patriotique; c’est-à-dire, de cette vertu qui appartient surtout aux fondateurs d’un gouvernement équitable et humain. (Applaudissements à gauche.) Laisseriez-vous à vos adversaires le triste avantage d’avoir embarrassé vos derniers pas, suscité des obstacles insurmontables à votre zèle? Rappelez-vous combien vos motifs ont été purs et vos vues nobles et grandes ; vous n’avez agi que pour le peuple, pour le recouvrement et l’affermissement de ses droits si longtemps méconnus, et en vue de son plus grand avantage. A tous les ressorts usés d’une monarchie dégénérée, vous avez substitué l’antique et sûre morale des droits de l’homme, des principes dictés à la philosophie par l’humanité même, et par l’éternelle vérité, mais qui, sans votre héroïque persévérance, seraient encore peut-être relégués dans les livres, dans les froids monuments de la sagesse des siècles. Vous, au contraire, Messieurs, vous avez mis tout en action; vous avez donné la vie et l’être à ces principes féconds et régénérateurs; votre code constitutionnel est et sera à jamais le trésor du genre humain, la terreur des tyrans, le refuge de tous les opprimés : vos efforts pour le défendre doivent donc être proportionnés au prix inestimable d’un si grand bien. Pensez souvent que s’il a été donné à vos courageux écrivains, à vos philosophes sensibles, de consigner les maximes et les bases de ce code, désormais ineffaçable, dans des écrits immortels qui seront encore l’objet de la méditation des sages, c’est à vous seuls qu’il a été réservé d’en convertir en lois les précieux résultats. G’est à vous que les siècles, que l’univers devront de voir briser encore le joug de l’erreur, du despotisme, de la superstition, de l’ignorance, par tous les hommes qui, las comme nous de cet état de dégradation, d’avilissement où la partie la plus nombreuse et la plus utile du peuple français était tombée, secoueront leurs chaînes, et anéantiront toutes les espèces de tyrannie. Hâtez-vous, Messieurs, d’après tant de motifs, d’entourer de nouveaux remparts, de défendre avec une nouvelle ardeur cette Constitution qui compte peut-être encore parmi ses ennemis une partie des maîtres du monde, mais qui, chaque jour, acquerra, même parmi eux, d’ardents et d’illustres défenseurs. Les comités vous supplient d’entendre et d’agréer les décrets suivants qu’ils jugent instant d’adopter pour le bien et ia tranquillité de l’Etat (Applaudissement à gauche.) : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de Constitution, militaire, diploma- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.] |98 tique, des rapports et des recherches, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Le roi sera prié de faire porter sur-le-champ au pied de guerre tous les régiments destinés à couvrir la frontière du royaume, et de faire approvisionner les arsenaux de munitions suffisantes pour en fournir, même aux gardes nationales, en proportion du besoin. « Art. 2. Il sera fait incessamment, dans chaque département, une conscription libre degardes nationales de bonne volonté, et dans la proportion de 1 sur 20 ; à l’effet de quoi les directoires de chaque district inscriront tous ceux qui se présenteront, et enverront les différents états, avec leurs observations, aux directoires de département, qui, en cas de concurrence, feront un choix parmi ceux qui se feront inscrire. « Art. 3. Les volontaires ne pourront se rassembler ni nommer leurs officiers, que lorsque les besoins de l’Etat l’exigeront, et d’après les ordres du roi envoyés aux directoires en vertu d’un décret du Corps législatif; les volontaires seront payés par l’Etat lorsqu’ils seront employés au service de la patrie. « Art. 4. L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera, dans le jour, par devers le roi, pour le prier de faire notifier, dans le plus court délai possible, à Louis-Joseph de Bourbon-Condé, que sa résidence près des frontières, entouré de personnes dont les intentions sont notoirement suspectes, annonce de3 projets coupables. « Art. 5. Qu’à compter de cette déclaration à lui notifiée, Louis-Joseph de Bourbon-Condé sera tenu de rentrer dans le royaume dans le délai de 15 jours, ou de s’éloigner des frontières, en déclarant formellement, dans ce dernier cas, qu’il n’entreprendra jamais rien contre la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le roi, ni contre la tranquillité de l’Etat. « Art. 6. Et à défaut par Louis-Joseph de Bourbon-Condé de rentrer dans le royaume, ou, en s’en éloignant, de faire la déclaration ci-dessus exprimée dans la quinzaine de la notification, l’Assemblée nationale le déclare rebelle, déchu de tout droit à la couronne; le rend responsable de tous les mouvements hostiles qui pourraient être dirigés contre la France sur la frontière; décrète que ses biens seront séquestrés, et que toute correspondance et communication avec lui, ou avec ses complices et adhérents, demeureront interdites à tout citoyen français, sans distinction, à peine d’être poursuivi qt puni comme traître à la patrie ; et dans le cas où il se présenterait en armes sur le territoire de France, enjoint à tout citoyen de lui courir sus, et de se saisir de sa personne, de celle de ses complices et adhérents. ( Applaudissements à gauche.) « Art. 7. Le roi sera prié d’ordonner aux départements, districts, municipalités et tribunaux de veiller d’une manière spéciale à la conservation des propriétés de Louis-Joseph de Bourbon-Condé. « Art. 8. Le roi sera également prié d’ordonner aux départements et districts, municipalités et tribunaux, de faire informer contre tous em-baucheurs, émissaires et autres qui entreprendraient d’enrôler ou faire déserter aucun soldat français. » Je terminerai, Messieurs, par une courte observation. Il avait été arrêté dans le comité qu’on proposerait à l’Assemblée de décréter une adresse aux Français; mais cette mesure a été jugée susceptible d’un peu plus de délibération : en conséquence nous ne la présentons pas à l’Assemblée. A gauche : L’impression du rapport ! l’impression! (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression du rapport de M. Fréteau-Saint-Just et du projet de décret des comités.) M. de lia Rochefoucauld-Liancourt. Si, d’après ce que vient de dire M. Fréteau dans son rapport, il reste encore à quelqu’un dans l’Assemblée le doute que la proposition de M. Robespierre sur le licenciement des officiers puisse être adoptée, je demande que cette question soit préalablement et avant tout soumise à la discussion et résolue. M. d* André. Messieurs, d’après le rapport que l’on vous a fait hier et celui que vous venez d’entendre, il est évident qu’il y a plusieurs objets qui n'ont point d’analogie entre eux. D’abord, vos comités ont été d’une voix unanime, pour qu’il n’y eût pas lieu à délibérer sur le licenciement des troupes, ensuite les comités vous ont proposé divers autres articles tendant à rétablir l’ordre et l’union dans l'armée. Il vous ont présenté aujourd’hui d’autres objets relatifs aux dispositions extérieures. Vous sentez, Messieurs, que si la discussion était entamée sur tous ces objets, vous ne pourriez point avoir de résultat. Il est un premier point indépendant de tout qui est celui du licenciement des officiers. Sur ce point-là, les comités vous ont proposé de décréter qu’il n’y avait pas lieu à délibérer; avant donc que vous puissiez délibérer sur les autres objets, il faut que vous sachiez si ce point-là sera ou ne sera pas compris dans la délibération, il est évident qu’avant de délibérer sur un projet de décret, il faut savoir si on ne délibérera pas sur un point sur lequel les comités pensent qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Quant à moi, mon avis est qu’il ne peut pas y avoir de licenciement, à moins de vouloir détruire toute l’armée, à moins de vouloir tout mettre en combustion, je dis qu’il ne peut y avoir... ( Bruit prolongé.) (Le côté droit et le centre de la salle se lèvent en demandant avec vivacité qu’on mette aux voix la question préalable sur le licenciement des officiers.) M. de Cazalès. Le rapport que vous venez d’entendre ..... A droite et au centre : Aux voix ! la question préalable ! aux voix ! M. de Cazalés. Il est impossible de délibérer sur la motion indécente et dangereuse qui a été faite de licencier l’armée. A droite et au centre : Aux voix ! aux voix ! la question préalable ! M. d’André. Je ne prétends pas, Messieurs, en faisant une motion d’ordre, enlever la délibération ; et si quelque personne ose soutenir une proposition qui renferme les premiers principes de l’ordre social... M. Rœderer. Moi, Monsieur ! ( Murmures à droite et au centre.)