SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - Nos 37-38 245 probité étaient à l’ordre du jour. Ce décret, qui devait faire le bonheur de tous les patriotes et terrasser tous les scélérats, ne rendit au contraire ces derniers que plus audacieux. Le district de Gex fut en proie, pendant plus d’un an, à cinq ou six fripons qui vinrent s’y réfugier. Ces scélérats, sous le masque sacré du patriotisme, surprirent d’abord l’opinion publique et parvinrent ensuite à accaparer toutes les places. Alors des vexations de tous les genres, des vols chez les particuliers, les dilapidations des deniers publics furent commis par ces monstres. Ils avaient tellement jeté la terreur dans l’esprit du peuple que l’on n’osait plus se regarder, et que chacun fuyait son voisin, dans la crainte de rencontrer son ennemi. Telle était, législateurs, notre situation, lorsque le représentant Boisset, votre digne collègue, arriva dans notre pays. Le peuple sentit alors renaître un rayon d’espoir, et courut au devant de lui. Les hommes, les femmes, les enfants, tous l’entourèrent et lui crièrent : « Justice, représentant ! justice ou la mort ! » Hélas ! Boisset s’aperçut bien vite de l’oppression dans laquelle nous gémissions. Nos cris percèrent son coeur attendri, et nous vîmes des larmes couler sur son visage. « Citoyens, s’écria-t-il, oui, vous aurez justice; telle est la volonté de la Convention nationale; elle m’a envoyé auprès de vous pour vous rendre le bonheur et la liberté, biens précieux que des monstres vous avaient ravis ». Alors les cris redoublés de «vive la république ! vive la Convention ! » retentirent jusqu’aux nues. Quel spectacle ! il fallait en être témoin pour pouvoir en juger. La voix de Boisset écrase les méchants. Les uns fuient; les autres n’osent fixer leurs yeux sur la terre, de crainte d’y lire leurs crimes. Au contraire ceux qui, naguère, n’osaient se regarder, se reconnaissent, s’embrassent, se félicitent, se rembrassent encore, et jurent tous d’être la même famille. Boisset a fait incarcérer ces scélérats indignes d’être admis au contrat social, et nous débarrassa par là du joug trop affreux sous lequel nous gémissions. Vous verrez par toutes les dépositions combien ils étaient fripons. Ne souffrez plus qu’ils renaissent parmi nous. Vous avez frappé les conspirateurs ; faites aussi succomber leurs complices. Oui, représentants, c’est à vous que nous devons ce bienfait; rece-vez-en d’avance notre reconnaissance. Croyez à notre attachement inviolable à la république, à notre dévouement aux volontés de la Convention nationale, et nous jurons de mourir plutôt que de souffrir qu’on y porte atteinte. Vive la république! Vive la Convention! LE PRÉSIDENT : Citoyens, des fripons, sous le masque du patriotisme, ont longtemps asservi vos concitoyens ; leur masque est tombé : un représentant du peuple vous en a débarrassé, et les a livrés à la justice : tel est le sort réservé aux traîtres qui agitent le peuple, pour cacher les crimes qu’ils ont commis. Vous jouissez enfin de cette heureuse liberté, l’idole des français ; jouissez-en avec confiance, et ne craignez plus le retour d’une tyrannie affreuse, anéantie à jamais. Poursuivez l’aristocratie et l’intrigue, reposez-vous sur les soins de vos représentants pour l’affermissement de la république (53). 38 Plusieurs citoyens sont introduits à la barre; ils se plaignent que quelques intri-gans, et entr’autres Chrétien, ex-juré du tribunal révolutionnaire, ont troublé la délibération de l’assemblée générale de la section de Lepeletier, dans la séance de ce mois, en empêchant que cette section ne nommât une députation à l’effet de féliciter la Convention sur la situation politique de la France, détaillée dans le rapport des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation; ils donnent lecture d’une déclaration de Chrétien, qui constate que cet individu a assisté à la séance des Jacobins dans la nuit du 9 au 10 thermidor. La Convention décrète mention honorable à l’adresse de ces citoyens, son insertion au bulletin, ainsi que de la réponse du président, et le renvoi au comité de Sûreté générale (54). Le président annonce que des citoyens qui demandent à dévoiler une conspiration contre la Convention nationale sont à la porte de la barre. L’Assemblée ordonne qu’ils soient admis (55). Citoyens représentans, Nous venons confirmer l’opinion où vous êtes, que des machinateurs apprêtent des pétitions sanguinaires et contre-révolutionnaires, et qu’ils emploient les moyens les plus perfides, pour vous les adresser comme l’expression des sentimens du peuple. Ces mêmes machinateurs se glissent dans les sections de Paris, pour y opprimer le républicanisme et la reconnoissance dont les bons citoyens sont pénétrés pour vos glorieux travaux; et, par une tactique criminelle, ils trouvent le moyen d’intercepter la véritable voix du peuple, et d’y substituer le cri sinistre de l’anarchie et du terrorisme. La déclaration dont nous vous prions de vouloir bien entendre la lecture, en est une preuve convaincante : elle est signée de plusieurs patriotes qui pour dire la vérité, n’ont pas mendié des signatures, et qui, d’ailleurs, ont senti combien ce seroit mettre à la gène des républicains sincères, mais qui, encore effrayés de la puissance odieuse des hommes de sang, craignent le retour des horreurs passées, et trembleroient d’avoir attaqué de front ces abominables suppôts du despotisme (56). (53) Bull., 14 vend, (suppl. 2); Moniteur, XXII, 144; Débats, n 742, 161-162. (54) P.-V., XLVI, 245. (55) Moniteur, XXII, 135. Bull., 12 vend, (suppl.). (56) Nous suivons le texte de Débats, n° 742, 164-166.