356 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE frères égarés au moment où ils abjureront leur erreur ; mais la patrie en deuil réclame la punition des grands coupables; elle demande à grands cris que des hommes dont la France attendait son bonheur, et qui ont été ses bourreaux, regorgent le sang qu’ils ont bu. Ce n’est pas leur mort que nous vous demandons; assez et trop longtemps des flots de sang ont inondé le sol français ; que, pour la durée de leur supplice, ils vivent dans l’opprobre et dans l’ignominie ; que ces lions, ces tigres, ces vautours à face humaine, soient enchaînés comme des bêtes féroces, exposés aux regards des humains comme des phénomènes et des fléaux de la nature ; que leurs figures hideuses, que leurs forfaits, gravés en lettres de sang, fassent reculer le crime épouvanté. Mais c’est peu, législateurs, de prévenir le retour du crime; il vous reste une tâche plus douce à accomplir ; c’est peu d’avoir fait rentrer le torrent dans son lit, et de lui avoir opposé des digues incontournables ; il faut réparer les ravages. Déjà vous avez cicatrisé bien des blessures, déjà vous avez séché bien des larmes ; mais que de maux encore, il vous reste à guérir ! Acquérez de nouveaux droits à la reconnaissance des Français en ranimant toutes les vertus sociales, en préparant par de bonnes lois le retour des mœurs, et en faisant fleurir le commerce, l’agriculture et les arts. La France attend de vous sa félicité : que le bonheur soit votre ouvrage ! LE PRÉSIDENT (59) : Il était déraisonnable de s’imaginer que, parce que la Société des Jacobins de Paris avait rendu de grands services à la Révolution, la République française devait en récompense lui laisser usurper les rênes de son gouvernement, pour les faire passer dans les mains du despotisme ou de l’anarchie. Aussi la Convention nationale s’est-elle empressée de détruire un instrument que faisaient mouvoir à leur gré les ennemis de la patrie au moyen de l’or qui coulait à grands flots de Londres à Paris. Superbe Albion, île orgueilleuse, penses-tu que le trident de Neptune te soit exclusivement confié ? Dans ton délire insensé, ton sénat n’osa-t-il pas s’écrier que l’airain ne devait point retentir sur le vaste empire des mers sans la permission de l’Angleterre ? Sais-tu que ton père Albion eut l’audace d’attaquer Hercule parce qu’il n’avait pas ses flèches, et qu’il voulut l’empêcher de passer le Rhin? Sais-tu que Jupiter, dans son mépris ; l’accabla d’une grêle de pierres ? Ainsi donc ce sang orgueilleux circule encore dans tes veines ! Ainsi donc tu pensais, parce que nos derniers tyrans, ensevelis dans la mollesse et dans la crapule des cours, avaient donné des ailes à ton ambition, que les Gaulois pourraient encore supporter ton insolence ? Français devenus républicains, l’univers attend de vous sa liberté; rendez-là aux habitants de la terre et de l’onde ; ne posez les armes que lorsque vous aurez anéanti la nouvelle Carthage ! Parisiens belliqueux, que dans toutes vos assemblées de section la guerre contre l’Angle-(59) Moniteur, XXII, 643 ; Bull., 11 frim ; Mess. Soir, n° 835. terre soit le sujet de vos méditations; que son gouvernement soit anéanti ! Il est l’auteur, le provocateur et l’instrument des malheurs qui nous ont affligés ! Allez, ne dormons plus jusqu’à ce que la chute du trône de Georges ait averti les peuples qu’il est temps de se réunir, de vivre tous en paix. 40 Les élèves du Musée d’émulation sont admis à la barre; ils félicitent la Convention de la rigueur qu'elle a mise à détruire les factieux et les intrigans qui vouloient rivaliser la représentation nationale. Ils jurent de soutenir la Convention, de ne reconnaître qu’elle pour boussole, de suivre toqjours, à son exemple, la route de la justice et des vertus, en même temps qu’ils s’efforceront d’acquérir des talens, pour les diriger vers l’utilité publique. Mention honorable, insertion au bulletin (60). 41 La section Poissonnière [Paris], en masse, se présente à la Convention. Evitons, dit l’orateur, de retracer les crimes des hypocrites ambitieux, qui ont affecté la popularité pour égorger la patrie ; et qui, sous les formes exagérées d’un patriotisme aussi faux qu’ils cherchoient à la rendre exclusif, étoient parvenus, en dénaturant la morale, à faire croire à des hommes irréfléchis, que l’on ne pouvoit être bon et vrai républicain, s’il l’on n’étoit insensible, ingrat et barbare. Il félicite ensuite la Convention d’avoir fait tomber cet affreux système trop long-temps prêché dans une société devenue dangereuse. Il annonce que la section dont il est l’organe a rétracté, à l’unanimité, l’adhésion que la précipitation et la surprise lui avoient fait donner à l'adresse de Dijon [Côte-d’Or], et à celle de Grenoble [Isère] ; et qu’elle se livre à l’espoir que la Convention mettra une soigneuse vigilance à rendre aux citoyens de la section incarcérés leur liberté, s’ils ne sont pas reconnus coupables. La Convention nationale décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin de l’adresse et de la réponse du président (61). L’ORATEUR (62): Citoyens représentans, que la Révolution ait trouvé des ennemis dans les tyrans coalisés, dans les aristocrates, nous (60) P.-V., L, 224. F. de la Républ., n° 72. (61) P.-V., L, 225. (62) Bull., 11 frim. Moniteur, XXII, 643 ; Rép., n° 72 ; F. de la Républ., n° 72 ; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; M.U., n° 1359 ; Mess. Soir, n° 835 ; J. Paris, n° 72. SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - N° 42 357 nous y sommes tous attendus, l’opposition de leur part à nos principes étoit calculée sur leur intérêts ; mais que la République ait été trahie par ceux-là mêmes que le peuple honoroit singulièrement de sa confiance, et qui parurent ses plus zélés défenseurs, voila une contradiction qui renferme le plus odieux des forfaits. Évitons de retracer ici les crimes épouvantables des hypocrites ambitieux qui ont affecté la popularité pour égorger la patrie, et qui, sous les formes exagérées d’un patriotisme aussi faux qu’ils cher-choient à le rendre exclusif, étoient parvenus, en dénaturant la morale, à faire croire à des hommes irréfléchis qu’on ne pouvoit être bon et vrai républicain, si l’on n’étoit insensible, ingrat et barbare. Cet affreux système, bâti par Robespierre, soutenu par ses partisans, trop longtemps prêché par quelques membres d’une société devenue plus dangereuse encore qu’elle n’a été fameuse, est tombé. Grâces vous en soient rendues, citoyens, les obstacles à la vérité et à la vertu ont disparu à l’aspect de la sagesse de la Convention. L’erreur est enfin dissipée. La section Poissonnière vient en masse vous féliciter, citoyens-représentans, sur vos travaux, vos succès, et vous déclarer qu’elle abhorre tout ce qui peut tendre à rivaliser avec la Convention; tout ce qui peut entraver l’exécution de ses décrets; tout ce qui peut nuire aux mesures du gouvernement, et tout ce qui peut s’écarter des maximes de la douce et touchante humanité, et des notions de justice, donc vous faites une si heureuse application, que la France entière ne suffit pas pour louer et bénir assez la Convention. En reconnoissant la nécessité des principes stables de la justice et d’un centre unique et commun d’où ils partent comme de leur source, nous avons rétracté à 1’unanimité, dans notre assemblée dernière, l’adhésion que la précipitation et la surprise avoient fait donner à l’adresse de Dijon et à celle de Grenoble. Enfin la section Poissonnière reste persuadée que, constans dans vos augustes et pénibles travaux, vous affermirez la République et fonderez sur les bases de la justice, comme les seules solides et invariables, le bonheur de la France, et elle proteste de son dévouement à seconder vos desseins, en même temps qu’elle se livre à l’espoir que la Convention mettra une soigneuse vigilance à rendre aux citoyens de la section incarcérés leur liberté, s’ils ne sont pas reconnus coupables. Vive la République ! Vive la Convention ! Suit 1 page de signatures. LE PRÉSIDENT (63) : Si l’égoïsme ou la pusillanimité n’eussent éloigné pendant trop longtemps les citoyens de leurs sections, des assemblées du peuple, jamais les voleurs, les terroristes, les hommes de sang enfin n’y auroient prêché les maximes qui plongèrent la France dans le deuil et la consternation. (63) Bull., 11 frim. L’adresse que vous présentez confirme cette vérité. Que les bons, les vrais patriotes se prononcent donc toujours ainsi, et la justice et l’ordre maintiendront leur empire. En dispersant les audacieux, les insensés qui osoient rivaliser avec la suprême volonté du peuple, la Convention nationale, remplissant son devoir, a rendu le plus important service à la République. Elle vous invite aux honneurs de la séance. La Convention ordonne la mention honorable de toutes ces Adresses et leur insertion au Bulletin (64). 42 La section de l’Homme-Armé [Paris] est admise à la barre; elle félicite la Convention d’avoir dissout cette association d’in-trigans et de factieux, chez qui le droit d’éclairer l’exercice de la souveraineté, étoit devenu le pouvoir de la contrarier, de la combattre, de l’anéantir; l’usage licite d’adresses, de pétitions paisibles et respectueuses à l'image vivante du peuple, étoit dégénéré en cris de révolte; et qui, enfin, s’étoient habitués à regarder comme un droit et un mérite l’art criminel de confondre les idées, d’abuser du sens et de l’application des mots, de farder le vice, d’honorer la barbarie, de souiller la vertu, de profaner et de corrompre la morale naturelle pour soumettre par la terreur, à une poignée de factieux, la grande majorité du Peuple français. Elle invite ensuite la Convention à triompher en même temps et des complices du despotisme qui ne voudraient pas permettre aux droits de l'homme de résister à leur orgueil, et des perturbateurs de la République, prétendus patriotes par excellence, qui se prévalent des droits de l’homme pour les anéantir autour d’eux; poursuivant de tous côtés, par leurs fureurs hypocrites et intéressées, la liberté, l’industrie, les talens, les vertus, les opinions et les propriétés. La Convention nationale décrète la mention honorable de cette adresse, l’insertion au bulletin, ainsi que la réponse du président (65). L’ORATEUR (66) : Représentants du peuple, un grand désordre affligeoit la République, et menaçoit de la dissoudre. Le droit d’éclairer l’exercice de la souveraineté étoit devenu le pouvoir de la contrarier, de la combattre, disons plus, de l’anéantir. Une force rivale déchiroit l’unité du (64) Moniteur, XXII, 643. Bull., 11 frim. (65) P.-V., L, 225-226. (66) Débats, n° 798, 1018-1019. Moniteur, XXII, 643 ; Bull., 11 frim. (suppl.) ; Rép., n° 72 ; F. de la Républ., n° 72; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; M.U., n° 1359 ; Mess. Soir, n° 835.