ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 427 [Assembles nationale.] neur, où seront inscrits, par les Etals, tous les citoyens qui se seront distingués par des actes do bienfaisance, de vertu, par des services utiles et par des talents supérieurs; ils pourront être, par une délibération des Etats, proclamés très-dignes ou très-illustres citoyens. Art. 3. Les principes de l’éducation publique seront puisés dans la morale, l’histoire et les lois nationales. Art. 4. Il y aura dans tous ies théâtres et spectacles publics un jour, chaque mois, destiné à célébrer la mémoire des grandes actions et des hommes illustres de la nation. Art. 5. Il y aura une fête nationale célébrée annuellement le jour où sera promulguée la Constitution, et des prix seront décernés, dans toutes les classes de citoyens, aux pères et aux mères de famille dont les enfants se seront distingués par leurs talents et leurs bonnes mœurs. Art. 6. Los hommes qui se feront remarquer par une conduite déréglée seront éloignés de toutes les charges et emplois publics. Art. 7. Il ne pourra être fait aucun changement à la Constitution que sur la demande de la moitié des Etats provinciaux du royaume. Projet de déclaration de droits, présenté a l’Assemblée nationale par i\1. Gouges - Carton , député des six sénéchaussées du Quercy (I). avertissement. Encore une déclaration de droits! va-t-on s’écrier en voyant cette brochure. Je m’y attends, et cependant j’ai eu le courage de mettre la main à la plume. Je vais rendre compte des motifs que j’ai eus. Si le lecteur n’en est pas satisfait, il doit cesser de lire. Une déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été jugée par l’Assemblée nationale devoir précéder la Constitution. Il eu a été présenté plusieurs projets; presque tous n’offrent que des principes isolés : tout le monde en reconnaît la justesse, mais ils ne sont que sentis, et il reste à faire apercevoir la chaîne qui les lie à ces vérités fondamentales qui, semblables aux axiomes des géomètres, se présentent à l’esprit dans le dernier degré de l’évidence. M. l’abbé Sieyès est le seul qui a remonté jusqu’à leur source : « s’emparant (2), pour ainsi dire, de la nature de l’homme dans ses premiers éléments, et la suivant sans distraction dans tous ses développements et dans ses combinaisons sociales, il a l’avantage de ne laisser échapper aucune des idées qui enchaînent les résultats, ni des nuances qui lient les idées elles-mêmes ; » mais elles sont si arbitraires, l’esprit a tant de peine à suivre le fil de ses raisonnements, qu’il paraît que le plus grand nombre renonce à faire usage de son plan. Cependant, si l’on considère quel est le but que l’on se propose en faisant une déclaration de droit ; si l’on convient qu’elle doit être plutôt le plus fort boulevard de la liberté que nous venons de recouvrer, que le simple énoncé des principes qui vont nous guider dans le grand ouvrage de la Constitution, on devra convenir que nous ne saurions assez faire apercevoir la relation intime de ces mômes principes avec les vérités élémentaires dont ils émanent; vérités également simples et [12 août 1789.] immuables, et qu’il suffit de montrer pour les reconnaître. Tout ce que l’on peut exiger, c’est qu’on le fasse d’une manière simple, claire, et à portée de tout le monde. Or, c’est précisément ce que j’ai tâché de faire On a pensé généralement, et d’abord je l’ai cru aussi, qu’une déclaration de droits ne saurait être assez courte ; mais mon opinion a changé à cet égard depuis que j’ai fait attention et reconnu que la liberté du citoyen étant exposée à être attaquée de tant de manières différentes, on ne pouvait assez multiplier les moyens de défense. Dans ce sens, une déclaration de droits est un recueil de remèdes qui doit être d’autant plus volumineux qu’il y a plus de maladies à guérir. D’après cette considération, j’ai recueilli ce que j’ai trouvé de plus propre à entrer dans mon plan. J’ai fait principalement usage du recueil des constitutions américaines et des projets de MM. l’abbé Sieyès et Meunier, et de celui qui a été discuté dans le sixième bureau. Semblable à l’abeille qui sait si bien s’approprier les substances qu’elle cueille sur les fleurs, j’aurais pu sans doute m’approprier aussi les productions de ces différents auteurs, en les faisant passer à travers les filières démon faible génie; c’est une charlatanerie assez en usage parmi les écrivains; mais, comme je ne suis pas du métier, j’ai eu le scrupule d’employer, autant que j'ai pu, leurs propres expressions, et leurs articles en entier. D’ailleurs j’ai considéré que j’avais l’honneur d’être appelé conjointement avec eux à élever le grand et magnifique édifice de la liberté; et jamais je rfai vu un maçon, posant une pierre, jaloux de voir son compagnon en poser une autre. On remarquera peut-être dans cet ouvrage que plusieurs articles émanent si facilement de ceux qui les précèdent, qu’il ne valait pas la peine de les énoncer; mais on ne les jugera pas inutiles, si on les considère comme des pierres d’attente propres à fixer d’avance plusieurs points essentiels de la procédure et de la législation. Je dois prévenir cependant qu’aprôs avoir établi les axiomes de la science politique, je ne me suis pas contenté de lier par une chaîne de raisonnements les divers articles insérés dans les différents projets de déclaration que j’ai cités; j’ai cru encore indispensable d’exposer les droits fondamentaux des sociétés : j’ai pensé qu’une constitution ôtant (comme le dit très-bien M. Rabaud de Saint-Etienne) une forme précise adoptée par ie gouvernement d’un peuple, cette forme était déterminée et par des principes qui ne changent jamais, et par des principes qui sont sujets à varier, parce qu’ils émanent des mœurs et des préjugés des siècles, et même du caractère des législateurs. Sous ce point de vue, on doit considérer une déclaration de droits comme la collection des principes inaltérables qui entrent dans la constitution de toute espèce de gouvernement libre ; et on doit reconnaître qu’elle sera d’une utilité inappréciable toutes les fois qu’on entreprendra d’altérer la Constitution, puisque l’on sera forcé de la comparer sans cesse avec les changements qu’on pourrait se proposer, et qui ne sauraient être adoptés toutes les fois qu’ils se trouveront en opposition avec elle. Il est donc essentiel de traiter des droits immuables, non-seulement de l’individu cons'déré successivement dans l’état de nature et de société, mais encore des sociétés elles-mêmes. J’ai recherché dans cette dernière partie ce qui constitue les différents gouvernements, et les molli Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Rapport fait par M. l’archevêque de Bordeaux. 428 [,\s?emblce nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789 ] tifs qui peuvent faire adopter l’un ou l’autre. Mon intention a été d’amener tous les Français à cette conséquence : le gouvernement monarchique est celui qui nous convient le mieux. Je désire que tous y souscrivent avec la inôme sincérité que je le fais. Ce principe, bien mieux que la vaine cérémonie du sacre de nos rois, unira intimement le prince et les sujets, et fera dans tous les temps la principale force de l’Etat. Qu’il me soit également permis de relever une erreur qui s’est propagée et qui peut devenir d’autant plus contagieuse, qu’elle a été adoptée par un écrivain qui a l’art de développer des idées profondes avec autant de clarté que de sagacité. « L’bommede l'état de nature (dit M. Crenière) n’est ni libre, ni esclave; il est indépendant. » Je voudrais bien savoir ce que c’est qu’un être qui n’est ni libre ni esclave. Je voudrais savoir encore s’il peut y avoir entre l’indépendance et la liberté d'autre différence que celle que l’on peut concevoir entre de l’eau bouillante et une plus ou moins chaude. « Il n’a point de droits à exercer, ajoute M. Crenière »; mais, dans ce cas, comment pourrait-il y en avoir dans l’état de citoyen ? Serait-il possible qu’une foule de zéros accumulés donnât une valeur réelle ? Une société de commerce pourrait-elle avoir des capitaux sans les mises des associés ? Telle est la société politique ; elle a des droits parce que chaque citoyen en apporte ; et celui-ci n’en a à son tour que parce qu’il les possédait en sortant des mains de la nature. Et qu’on ne se représente pas l’homme de la nature comme un être isolé. Pourquoi, naturellement bienfaisant et sensible, ne vivrait-il pas avec ses semblables sous les lois de la justice et de la morale? Est-ce que la conscience ne saurait pas lui dire comme à nous, qu’il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait ? Pour moi, jç n’aperçois que cette différence caractéristique entre l’homme de la nature et l’homme vivant sous les lois de la société : le premier n’a d’autre appui que sa propre force, et le second a encore celui de toute la société qui lui a garanti tous ses droits, comme il a garanti à son tour les droits de chacun de ses concitoyens. PROJET DE DÉCLARATION DE DROITS. L’Assemblée nationale considérant qu’elle a été convoquée principalement pour régénérer l’Etat et détruire les abus de toute espèce qui s’opposent à sa félicité, a reconnu qu’elle ne saurait y parvenir sans établir une constitution fixe et permanente. Cette constitution sera le contrat qui unira le Roi et la nation par des engagements réciproques dictés pour le bonheur de tous, par l’amour et la confiance. Mais afin que ces engagements soient à jamais observés, il faut qu’ils soient avoués par la raison ; il faut qu’il n’y ait pas de Français qui n’en reconnaisse toute la justice et la sainteté. Il est donc indispensable de constater les principes sur lesquels ils sont fondés : c’est pourquoi l’Assemblée nationale a jugé convenable de faire précéder ladite constitution par une déclaration des droits de l’homme, du citoyen et des sociétés. Droits de l'homme. Art. 1er. Chaque homme tient de la nature le droit de veiller à sa conservation et celui d’être heureux. Art. 2. Pour assurer sa conservation et son bonheur, elle lui a donné une volonté et des qualités physiques et morales. Art. 3. Ainsi tout homme a le droit essentiel d’user de ses facultés suivant sa volonté. Art. 4. La nature a donc fait les hommes indépendants les uns des autres, c’est-à-dire entièrement libres. Art. 5. Ainsi les hommes sont égaux, non en force et en moyens, mais en droits. Art. 6. Ces droits essentiels et imprescriptibles, puisqu’ils dérivent de la nature de l’homme, sont celui de jouir de l’honneur, de la vie et d’une liberté entière ; celui d’acquérir des propriétés, de les transmettre à qui bon lui semble, tle les posséder et de les défendre en repoussant la force par la force ; en un mot le droit de chercher et d’obtenir par tous les moyens qui sont en son pouvoir la sûreté et le bonheur. Droits du citoyen. Art. 7. Dans l’état de nature, chacun, pour le maintien et la défense de ses droits, n’a pu faire usage que de sa propre force, qui le plus souvent a dû être insuffisante. De là l’intérêt commun qu’ont eu les hommes de se réunir en société, c’est-à-dire de mettre les droits de chaque individu sous la protection et la sauvegarde de tous. Art. 8. Ainsi une société politique est l’effet d’une convention libre entre tous les citoyens, et son objet doit être nécessairement le plus grand bien de tous, et la conservation des droits qui leur sont accordés par la nature. Art. 9. Mais ils ne peuvent exercer des droits opposés entre eux, sans que l’un l’emporte sur l’autre, et qu’il en résulte une altération dans la liberté et l’égalité. Ainsi chaque citoyen doit faire l’abandon de tous les droits qui nuisent à ceux d’un autre. Ce sacrifice est d’autant plus juste, qu’il est le prix des autres droits qui lui restent, dont le libre exercice lui est pleinement garanti par la société. Art. 10. Ainsi tout citoyen est libre dans l’exercice de ses facultés personnelles, à la seule condition de ne pas nuire aux droits d’autrui. Art. 11. Ainsi personne n’est responsable de sa pensée ni de ses sentiments, et nulle manière de les publier ne doit lui être interdite ; chacun est libre d’écrire et de faire imprimer ce que bon lui semble, toujours sous la condition de ne pas donner atteinte aux droits d’autrui. Enfin, tout écrivain peut débiter ou faire débiter ses productions, et il peut les faire circuler librement, tant par la poste, que par toute autre voie, sans avoir jamais à craindre aucun abus de confiance. Les lettres en particulier doivent être sacrées pour tous les intermédiaires qui se trouvent entre celui qui écrit et celui à qui il écrit. Art. 12. Tout citoyen est, sous la même condition, le maître d’aller ou de rester partout, quand et comme bon lui semble ; enfin, de disposer de ses propriétés ainsi qu’il le juge à propos. Art. 13. Tous les droits dont l’exercice est prohibé doivent être clairement énoncés; car il est juste que chaque citoyen puisse bien connaître quels sont ceux qui lui restent. Cette énoncia- (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789] 429 tion s’appelle loi. Ainsi la loi n'est pas faite pour permettre ; elle ne l’est que pour défendre. Art. 14. De là cette conséquence : tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Art. 15. Ainsi tout citoyen est libre d’employer ses bras, son industrie et ses capitaux, comme il le juge bon et utile à lui-même. Nul genre de travail ne peut lui être interdit. 11 peut fabriquer et produire ce qu’il lui plaît, et comme il lui plaît : il peut garder ou transporter à son gré toute espèce de marchandises, et.les vendre en gros ou en détail . Dans ces diverses occupations, nul particulier, nulle association n’a le droit de le gêner, à plus forte raison de l’empêcher.. La loi seule peut marquer les bornes qu’il faut donner à cette liberté comme à toute autre. j Droit des sociétés. Art. 16. Une société quelconque ne peut avoir pour objet que l’intérêt commun. Les destinations sociales doivent être fondées sur Futilité commune. Art. 17. Chaque homme dans l’état de nature jouissant sur lui-même d’un droit absolu et uni; versel, il faut bien que la société possède aussi sur elle-même le même droit, c’est-à-dire que la souveraineté réside dans tous les membres d'une société considérée collectivement. Art. 18. Ainsi une société quelconque possède incontestablement toute espècede pouvoirs. Elle a en tout temps celui de revoir et de réformer sa constitution ; celui de faire des lois, de les faire exécuter, et de prononcer sur leur violation ; c’est-à-dire, qu’en vertu de sa souveraineté, elle possède éminemment les droits législatif, exécutif et judiciaire. Art. 19. Tous les citoyens étant égaux, nul ne peut imposer la loi à un autre; elle ne peut être que l’expression de la volonté générale ; tous doivent donc la respecter et lui obéir. Art. 20. Ainsi tout citoyen appelé ou saisi au nom de la loi se rend coupable par la résistance. Art. 21. Tous devant être égaux aux yeux de la loi, ils ont un droit égal à la justice la plus impartiale, la plus exacte et la plus prompte, tant pour leurs personnesquepourleurspropriétés ; et ils doivent l’obtenir gratuitement. Art. 22. La volonté générale n’est jamais aussi bien exprimée que quand elle est celle de tous les citoyens ; à défaut elle doit être énoncée par la majorité des suffrages. Art. 23. Une minorité, quelle qu’elle soit, ne peut arrêter la promulgation d’une loi ; car il est évident que dans ce cas le petit nombre empêcherait de défendre ce qui est nuisible au plus grand. (Voyez l’article 13). Art. 24. Tous les citoyens devant avoir une portion égale dans les avantages de la société, ils doivent exercer une influence égale dans les délibérations publiques. Art. 25. Ainsi un des principaux points d’une constitution doit être la manière dont un peuple doit s’assembler, pour qu’il puisse, toutes les fois qu’il sera nécessaire, manifester ses volontés librement, clairement, facilement et promptement. Art. 26. Une société a le droit, en vertu de sa souveraineté, de déléguer à qui bon lui semble les pouvoirs qu’elle possède. Ainsi tous ceux qui dans une nation sont revêtus d’une portion quelconque d'autorité ne doivent être considérés que comme ses mandataires. Art. 27. Les officiers publics, dans tous les genres de pouvoirs, sont responsables de leurs prévarications, et comptables de leur conduite. Art. 28. Un gouvernement ne doit exister que pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non pour l’intérêt de ceux qui gouvernent. Art. 29. Les fonctions publiques doivent donc suivre les besoins publics; le nombre des places doit être rigoureusement borné au nécessaire ; il est absurde surtout qu’il y ait des places sans fonctions. Art. 30. Il est également absurde qu’un citoyen puisse être exclu d’une place pour raison de ce qu’un stupide préjugé appelle défaut de naissance. Il faut, pour toute espèce de service public, préférer les plus capables. Art. 31. Des pensions sur le Trésor public ne peuvent être sollicités et obtenues qu’à titre de récompense pour des services rendus par des hommes sans fortune, qui ne peuvent plus être employés utilement. Art. 32. S’il est, dans la société générale, des sociétés particulières, elles doivent lui être subordonnées. Sa souveraineté lui donne incontestablement le droit de les réformer, même de les détruire, et de faire de leurs biens telle application que bon lui semblera, s’ils ne sont transmissibles ni par donation, ni par droit de succession. Art. 33. Si un peuple est trop nombreux, et qu’il occupe un espace trop étendu, il lui est impossible de se réunir, et il est réduit à former des assemblées partielles, et à se choisir des représentants. Ces assemblées doivent être circonscrites de manière que tous ceux qui en feront partie puissent y être appelés commodément, promptement et facilement. Art. 34. Ainsi, si une nation est renfermée dans quinze ou vingt lieues carrées, et s’il y a une ville au centre de cet espace, il est naturel que le peuple se divise en un certain nombre de cantons, dont chacun formerait une corporation, et que chaque canton nomme ses représentants, et les charge de se réunir avec les autres dans cette ville, pour y traiter des affaires publiques. Dans une telle hypothèse, chaque citoyen influerait directement dans le choix des représentants de la nation. Art. 35. Si trente ou même soixante districts semblables se réunissent en corps de nation, il sera également naturel que les représentants de chacun d’eux en nomment d’autres, et que ceux-ci se rendent, de concert, au centre de la province, qui ne peut qu’être ou devenir la ville principale. Dans un tel cas, il serait statué par les représentants des représentants. Art. 36. Enfin, si un certain nombre de provinces sont réunies en corps de nation, il est encore naturel que leurs représentants chargent un certain nombre de délégués de se réunir dans la capitale de l’empire, pour y traiter des intérêts communs. Dans ce dernier cas, la représentation s’éloignerait encore d’un degré. Art. 37. Voilà la marche simple que la raison nous indique pourformer lescorps politiques : ils doivent être les éléments les uns des autres, afin que chaque citoyen puisse, comme membre de la souveraineté, exercer toute l’influence possible. Leur nombre doit dépendre du degré de population et de l’espace qu’une nation occupe, en telle sorte qu’il y ait entre eux et elle le même rapport que celui qui existe entre plusieurs cercles concentriques. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789.] 430 [Assemblée nationale.] Art. 38. Tous les citoyens étant égaux en droits, chacun doit avoir sa voix dans la corporation élémentaire où il est appelé pour voter individuellement; et il en résulte que chacune des autres doit fournira la corporation qui lui est immédiatement supérieure un nombre de représentants proportionné au nombre de ceux qu’elle représente elle-même (1). Art. 39. Si un peuple est trop nombreux, et qu’il occupe trop d’espace, il est encore réduit à déléguer les différents pouvoirs qui constituent la souveraineté. Art. 40. Il peut sans doute les déléguer à qui bon lui semble , mais si la puissance exécutrice a le droit de faire des lois, elle ne promulguera que celles qui serviront à étendre son autorité. Si elle a le droit de juger, elle pourra frapper par le glaive de la loi ceux qui ne voudront pas souscrire à ses volontés particulières. De même le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire si ceux à qui le pouvoir de faire les lois serait confié avaient celui d’en faire l’application à leur gré. Enfin il est visible que la réunion des trois pouvoirs porterait les abus à leur comble. Ainsi la liberté d'un peuple est en danger, tant que les pouvoirs législatif , exécutif et judiciaire, ne sont pas distincts et séparés. Art. 41. Le juge ne doit, dans aucun cas, substituer sa volonté privée à la volonté générale; une impartialité parfaite doit être son caractère; il doit être uniquement l’organe de la loi. Art. 42. Ce n’est donc pas au juge à constater les faits : ce soin doit être réservé à des jurés, choisis librement par les parties, sur une liste dressée antérieurement en vertu de la loi. Art. 43. La loi devant éviter toute espèce d’arbitraire, aucun citoyen ne peut être tenu de répondre pour un délit quelconque, à moins qu’il ne lui soit énoncé pleinement et clairement, substantiellement et formellement; et il ne peut être contraint de s’accuser ou de fournir des preuves contre lui-même. Il a au contraire le droit de produire toutes celles qui peuvent lui être favorables, d’être confronté face à face avec les témoins et d’être entendu pleinement dans sa défense, par lui-même, ou par un conseil à son choix. Art. 44. Si un citoyen a été arrêté et emprisonné hors les cas prévus par la loi, il doit lui être adjugé l’indemnité qu’elle aura dû avoir fixée. Art. 45. Puisque la loi oblige également les citoyens, elle doit punir également les coupables ; (1) Plusieurs pensent que le nombre des représentants doit être proportionné à la contribution, il s’ensuivrait, comme je le démontrerai bientôt, que, dans ce cas, chaque citoyen devrait avoir dans la corporation élé-mentaiie une influence égale à sa contribution; mais celle-ci étant toujours proportionnée aux facultés, il est évident qu’elle n’est autre chose que le juste prix de la protection accordée à chaque citoyen, et qui est toujours proportionnée à sa fortune ; si donc la loi accordait une influence proportionnée à la protection qu’elle accorde, elle altérerait, sans aucune indemnité, l’égalité de droits, qui est le principe fondamental des sociétés. Appelons X l'influence d’un citoyen, C sa contribution, et N le nombre de citoyens ■ qui forment une contribution élémentaire. La contribution de la corporation sera CN, et son influence F sera, d’après la proposition, proportionnée à CN ; mais elle doit être la somme de toutes les influences partielles, c’est-à-dire que F=NX, donc NX doit être proportionné à CN, et X à C, mais nul ne pourra être exilé ou privé de la vie, de la liberté ou de ses biens, qu’en vertu de la loi et après un jugement de ses pairs. Art. 46. Dans les poursuites criminelles, ia vérification des faits dans le voisinage du lieu où ils se sont passés est de la plus grande importance pour la sûreté de la vie, de. la liberté et de la propriété des citoyens. Ainsi les ministres des lois ne sauraient être assez à portée des justiciables. Art. 47. La liberté, la propriété et ia sécurité des citoyens, doivent reposer sous une garantie sociale, supérieure à toutes les atteintes. Ainsi il doit y avoir une force capable de réprimer ceux des simples citoyens qui entreprendraient d’attaquer les droits de quelque autre, et une armée capable de défendre la société contre les attaques des ennemis étrangers. Art. 48- Les impôts sontdoncnécessairespour le soutien d’une société ; il est évident qu’ils ne doivent jamais excéder les besoins. Art. 49. La protection de l’Etat devant s’étendre à toute espèce de propriété, chaque citoyen ne peut être dispensé, sous quelque prétexte que ce soit, de l’obligation de contribuer en proportion de ses biens. Art. 50. La contribution publique étant une portion retranchée de la propriété de chaque citoyen, ils ont tous le droit d’en constater la nécessité, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ; et s’ils ne peuvent pas l’exercer par eux-mêmes, il faut bien qu’ils en confient l’exercice à quelqu’un. Art. 51 . Ils ne sauraient le confier au corps chargé de juger ; car ses membres, par la nature de leurs fonctions, doivent être constamment séparés. Ils ne sauraient non plus le confier au corps exécutif, sans que la liberté en souffrît; car, dès qu’il aurait à sa disposition et l’armée et le Trésor, rien ne pourrait l’empécher d’usurper tous les autres pouvoirs. Art. 52. 11 est donc nécessaire que le peuple, à raison de l’impôt, confie tous ses droits au corps législatif, qui devra y être assujetti comme le reste des citoyens. Art. 53. Le corps législatif devant être le gardien de la liberté par l’établissement des lois sur lesquelles elle doit être fondée, il est nécessaire qu’il s’assemble fréquemment pour surveiller leur exécution. Il convient donc qu’il n’accorde l’impôt que pour un an, afin que les besoins toujours renaissants du corps exécutif le déterminent puissamment à concourir à cette mesure de toutes ses forces. Art. 54. La puissance exécutrice est principalement établie pour diriger toutes les forces de l’Etat, mais elles ne doivent jamais servir à opprimer Je peuple; ainsi les troupes ne doivent prêter serment qu’à la nation entre les mains du corps exécutif, et elles ne devront être employées contre les citoyens qu’à la réquisition du magistrat, à l’exception des cas qui doivent avoir été prévus par la Constitution. Art. 55.11 est donc très-essentiel que la constitution de l’armée soit l’ouvrage de la puissance législative. Art. 56. Le peuple est intéressé à établir une balance entre les corps exécutif et législatif, de manière que l’un ne puisse pas être opprimé par l’autre. 11 faut donc que le corps législatif paisse délibérer avec la plus grande liberté; en conséquence: 1° Aucun de ses membres ne doit être dans le cas de redouter d’être recherché dans (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 17S9.[ 434 aucun temps pour des avis et des opinions qu’il aurait pu manifester dans jes Assemblées, et sa personne doit être déclarée inviolable. 2° Le corps exécutif ne pourra, sous aucun prétexte, se mêler de la police des assemblées du corps législatif. Il n’ordonnera dans aucun temps aux soldats d’approcher du lieu où elles sc tiendront, à moins qu’il n’en soit requis par l’autre, auquel cas lesdits soldats seront uniquement aux ordres du corps législatif. Art. 57. Il faut également que le corps exécutif, non-seulement ait connaissance de toutes les résolutions du corps législatif qu’il doit être chargé de faire exécuter, mais qu’il ait encore le droit de s’opposer efficacement à toutes celles qu’il jugera nuisibles: ainsi aucune résolution du pouvoir législatif ne pourra être érigée en loi que par la sanction du corps exécutif. Art. 58. Le pouvoir exécutif aura encore dans tous les temps le droit de faire au corps législatif les demandes et propositions qu’il croira avantageuses à la chose publique, et s’il éprouve un refus de sa part, il aura celui de s’adresser au peuple en qui réside la plénitude des pouvoirs, de le faire assembler pour qu’il prononce lui-même, qu’il manifeste ses intentions à ses représentants; et même pour qu’il lui en substitue d’autres, s’il le juge nécessaire. Art. 59. Par le même motif, si le corps exécutif s’oppose par un veto à quelque décret du corps législatif, celui-ci aura le droit, sans que le premier puisse s’y opposer, de faire assembler le peuple qui devra manifester son vœu sur ledit décret. Art 60. Le pouvoir exécutif peut être confié (sans que la liberté soit compromise) à un seul individu, ou à plusieurs, ou à une partie considérable du peuple. De là naît la distinction des trois espèces de gouvernement, savoir : Je monarchique, l’aristocratique et le démocratique. Art. 61. Si un peuple est peu nombreux et qu’il occupe peu d’espace, un grand nombre d’individus peut sans inconvénient avoir part au pouvoir exécutif. Ce nombre doit diminuer à mesure que le peuple est plus nombreux et que son territoire est plus vaste ; en telle sorte que ..... Art. 62. L’intérêt d’une grande nation exige que le pouvoir exécutif soit concentré dans une seule personne, afin que son activité, qui doit être toujours proportionnée aux obstacles qui doivent être surmontés, et à la masse qui doit être mise en mouvement, soit la plus grande possible. Art. 63. Il résulte de cet exposé, que si chaque nation a le plus grand intérêt à bien discerner le gouvernement qui lui convient le mieux, son choix ne saurait être fait au hasard, et qu’il doit être principalement déterminé par sa population et l’étendue de son territoire. Art. 64. Quelle que soit l’étendue et la population d’un Etat, le pouvoir législatif ne saurait être confié à un seul, sans compromettre la liberté. 11 y aurait à craindre qu’il ne consultât que son propre intérêt dans l’établissement des lois. Art. 65. Dans toute espèce de gouvernement, les membres du corps législatif et ceux du corps judiciaire doivent être amovibles et révocables à volonté. Le peuple, en les faisant rentrer dans la classe ordinaire des citoyens, évite le danger d’être opprimé par eux. Art, 66. Il doit en être de même dans une république pour les membres du corps exécutif. Mais si dans une monarchie le peuple voulait se réserver le droit de renvoyer le Roi, et même celui d’en nommer un autre à son gré après sa mort, il est aisé de prévoir que le Roi ne manquerait pas de faire usage des grandes forces qui lui auraient été confiées, pour se maintenir sur le trône ou pour le transmettre à sa postérité, et que cette réserve du peuple serait une source perpétuelle de cabales, de factions et de guerres civiles. Art. 67. Le bonheur d’une société, qui ne peut exister au milieu des dissentions, exige donc que dans une monarchie le pouvoir exécutif soit concentré dans une seule famille, et que l’ordre de la succession à la couronne soit déterminé d’avance d’une manière claire et invariable. Alors l'ambition du monarque est satisfaite. Son intérêt et celui du peuple ne font qu’un, et la tranquillité publique ne peut être altérée. Art. 68. Il est de l’intérêt d’une nation que le corps exécutif soit respecté et jouisse de la plus haute considération, sans quoi les lois seront mal exécutées. Ainsi dans une monarchie il doit être érigé en principe que le Roi ne peut mal faire, et sa personne doit être sacrée. Art. 69. Si donc il survient des abus d’autorité dans l’exercice du pouvoir exécutif, ils ne peuvent être imputés qu’à ses ministres, qui doivent� eu demeurer responsables. Art. 70. La loi ne puuvant atteindre les délits secrets, c’est à ta religion et à la morale à la suppléer. Ainsi le bon ordre et la conservation d’une société dépendent essentiellement de la piété, de la religion et des bonnes mœurs, qui ne peuvent se répandre parmi loat un peuple que par des instructions publiques, et par l’exercice d'un culte public. Aussi les corps exécutif et législatif devront-its veiller soigneusement à ce qu’il y ait dans tous les temps des fonds convenables et suffisants pour la construction et l’entretien des églises, �et pour la subsistance de ses ministres. Art. 71. Et néanmoins aucun membre de la société ne pourra sous aucun prétexte être inquiété pour ses opinions religieuses. 11 ne doit point cesser de jouir de tous les droits de citoyen, tant qu’il se conforme aux lois et qu’il ne trouble pas le culte public. PROJET DE DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN, Discuté dans le sixième bureau de l'Assemblée nationale (1). Les représentants du peuple français, réunis et siégeant en Assemblée nationale, *à l’effet de régénérer la Constitution de l’Etat, et de déterminer les droits, l’exercice et les limites du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif; considérant que l’ordre social et toute bonne constitution doivent avoir pour base des principes immuables; que l’homme, né pour être libre, ne s’est soumis au régime d’une société politique, que pour mettre ses droits naturels sous la protection d’une force commune; voulant consacrer et reconnaître solennellement, en présence du suprême législateur de l’univers, les droits de l’homme et du citoyen, déclarent que ces droits reposent essentiellement sur les vérités suivantes. (1) Ce document n’a pas été inséré au Slonücur.