30 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le présent décret sera imprimé au bulletin de correspondance, et envoyé, sans délai, à l’agent national du département de Paris (84). 52 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Sûreté générale, décrète que le représentant du peuple Genissieu se rendra dans les départemens de l’Orne et de la Sarthe, et le représentant du peuple Calés dans celui de la Côte-d’Or, ils sont investis des mêmes pouvoirs que les autres représentons du peuple dans les départemens (85). 53 Ramel présente un projet de décret relatif au Théâtre des Arts : Le Théâtre des Arts, ci-devant Académie de musique, a été mis sous la surveillance du gouvernement; bientôt il sera présenté un projet de décret pour donner à ce théâtre toute l’attitude républicaine qu’il doit avoir pour former l’esprit public et nourrir dans les âmes l’amour de la liberté et du beau. En attendant ce travail, Ramel, organe des comités des Finances et d’instruction publique, présente un projet de décret tendant à régler la partie économique de cet établissement. Ce projet est ajourné (86). Merlin (de Thionville) observe que, si l’organisation des théâtres est utile, parce qu’elle tient essentiellement à la morale publique, il n’est pas moins utile d’asseoir l’opinion publique par la déclaration solennelle de principes qui dirigent la Convention nationale. En conséquence, Merlin demande que Cambacérès monte à la tribune et donne lecture à la Convention de l’Adresse dont la rédaction a été confiée aux trois comités (On applaudit) (87). [Harmand demandoit la parole pour présenter ses vues sur le commerce, lorsque Merlin (de Thionville) la réclame pour la lecture de l’adresse aux François.] (88) (84) P.V., XL VII, 71. C 321, pl. 1332, p. 37, minute de la main de Merlino. Décret anonyme selon C*II 21, p. 8. Bull., 18 vend (suppl.); M.U., XLIV, 297. (85) P.-V., XL VII, 71. C 321, pl. 1332, p. 38, minute de la main de Clauzel, rapporteur. Ann. R.F., n 19; F. de la Républ., n“ 19; Gazette Fr., n° 1012; J. Fr., n° 744; J. Perlet, n 746. (86) F. de la Républ., n" 19; J. Fr., n° 744; J. Paris, n” 19; Mess. Soir, n" 782; M.U., XLIV, 283; Rép., n“ 19. (87) Moniteur, XXII, 200 ; Débats, n° 748, 286. (88) J. Paris, n” 19. Un membre demande, par motion d’ordre, que le rapporteur des trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, soit entendu sur la rédaction du projet d’adresse aux Français, décrétée par la Convention. Cambacérès en fait la lecture qui est souvent interrompue par les plus vifs applaudis-semens, et la rédaction est adoptée en ces termes (89). CAMBACÉRÈS : Citoyens, par votre décret du 11, vous avez ordonné à vos trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, de vous présenter une Adresse aux Français, qui contiendrait des principes autour desquels doivent se réunir les amis de la liberté. Je viens, en leur nom, vous présenter le résultat de leurs méditation. Cambacérès fait lecture de l’Adresse suivante ; elle est souvent interrompue par les plus vifs applaudissements, et adoptée unanimement par un mouvement simultané. La voici : La Convention nationale au peuple français (90). Français, Au milieu de vos triomphes, l'on médite votre perte. Quelques hommes pervers voudroient creuser au sein de la France le tombeau de la liberté. Nous taire, seroit vous trahir; et le plus saint de nos devoirs est de vous éclairer sur les périls qui vous entourent. Vos ennemis les plus dangereux ne sont pas ces satellites du despotisme que vous êtes accoutumés à vaincre; ce sont leurs perfides émissaires qui, mêlés avec vous, combattent votre indépendance par l'imposture et par la calomnie. Les héritiers des crimes de Robespierre et de tous les conspirateurs que vous avez terrassés, s'agitent en tous sens pour ébranler la République, et, couverts de masques différens, cherchent à vous conduire à la contre-révolution à travers les désordres et l’anarchie. Tel est le caractère de ceux que l’ambition pousse à la tyrannie ; ils proclament des principes; ils se parent des sentimens qu’ils n’ont pas; ils se disent les amis du peuple, et ils n'aiment que la domination; ils parlent des droits du peuple, et ils ne cherchent qu’à les lui ravir. (89) P.-V., XLVII, 71. (90) Moniteur, XXII, 200; Bull., 18 vend.; Débats, n° 748, 286-290; Ann. R.F., n° 18, 21, 23; Ann. Patr., n° 647; C. Eg., n” 782, 784, 785; F. de la Républ., n° 20; Gazette Fr., n° 1012, 1014; J. Fr., n° 744, 745; J. Mont., n” 163, 164; J. Paris, n° 19; J. Perlet, n” 746, 749; Mess. Soir, n” 783; M.U., XLIV, 284, 290-293; Rép., n° 19. SÉANCE DU 18 VENDÉMIAIRE AN III (9 OCTOBRE 1794) - N° 53 31 Français, vous ne vous laisserez plus surprendre à ces insinuations mensongères. Instruits par l’expérience, vous ne pouvez plus être trompés. Le mal vous a conseillé le remède; vous étiez près de tomber dans les pièges des méchans; la République alloit périr, vous n’avez fait qu’un cri, vive la Convention, et les méchans ont été confondus, et la République a été sauvée. Souvenez-vous que tant que le Peuple et la Convention ne feront qu’un, les efforts des ennemis de la liberté viendront expirer à vos pieds comme des vagues écu-mantes viennent se briser contre les rochers. Rendus à votre première énergie, vous ne souffrirez plus que quelques individus en imposent à votre raison, et vous n’oublierez pas que le plus grand malheur d’un peuple est celui d'une tourmente continuelle. C’est ce que savent trop bien ceux qui voudraient vous pousser au sommeil de la mort dans les bras de la tyrannie. Ralliés à la voix de vos représentons, vous ne perdrez jamais de vue que la garantie de la liberté est tout-à-la-fois, et dans la force du peuple, et dans la réunion au gouvernement qui a mérité sa confiance. De son côté, la Convention nationale, constante dans sa marche, appuyée sur la volonté du peuple, maintiendra, en le régularisant, le gouvernement qui a sauvé la République. Elle le maintiendra, dégagé des vexations, des mesures cruelles, des iniquités dont il a été le prétexte, et avec lesquelles nos ennemis affectent de le confondre ; elle le maintiendra dans toute sa pureté et dans toute son énergie, malgré les tentatives de ceux qui veulent altérer l’une ou exagérer l’autre. Elle le maintiendra, jusqu’à l’entière destruction de tous les ennemis de la révolution, malgré l’hypocrite patriotisme de ceux qui demandent le gouvernement constitutionnel dans des espérances perfides. Oui, nous le jurons, nous demeurerons à notre poste jusqu’au moment où la révolution sera consommée, jusqu’au moment où la République triomphante, donnant la loi à tous ses ennemis, pourra jouir, sous la garantie de ses victoires, des fruits d’une constitution aussi solide que la paix qu’elle aura dictée. Nous saurons épargner l’erreur et frapper le crime ; soyez inexorables pour l’immoralité. L’homme immoral doit être rejeté de la société comme un élément dangereux, corruptible par sa nature, et toujours prêt à se rallier au parti des conspirateurs. Ne confondez pas avec ceux qui ont constamment soutenu la cause de la liberté, ceux pour qui l’agitation est un besoin, et le désordre un moyen de fortune : écoutez les premiers, fuyez les autres. Vos représentons ne souffriront pas que les fonctions publiques soient exercées par d’autres que par de véritables amis du peuple : ils en éloigneront ces hommes perfides qui ne parlent sans cesse des droits du peuple que pour s’en réserver exclusivement l’exercice. Après avoir exprimé ses sollicitudes, manifesté ses pensées et ses intentions, la Convention nationale rappelle au peuple français des principes sacrés, des vérités éternelles, qui doivent rallier tous les citoyens. Une nation ne peut point se régir par les décisions d’une volonté passagère qui cède à toutes les passions; c’est par la seule autorité des lois qu’elle doit être conduite. Les lois ne sont destinées qu’à garantir l’exercice des droits : c’est cette précieuse garantie que l’homme est venu chercher dans les associations politiques ; et elles la lui assurent à l’aide du gouvernement qui contient le citoyen dans le cercle de ses devoirs. Tout ce qui porte atteinte à l’exercice de ses droits est un délit contre l’organisation sociale. Il faut que la liberté individuelle ne trouve de limites qu’au point où elle commence à blesser la liberté d’autrui : c’est la loi qui doit reconnoître et marquer ces limites. Les propriétés doivent être sacrées : loin de nous ces systèmes dictés par l’immoralité et la paresse, qui atténuent l’horreur du larcin et l’érigent en doctrine! que l’action de la loi assure donc le droit de propriété, comme elle assure tous les autres droits du citoyen. Mais qui doit établir la loi? le peuple seul, par l'organe des représentans auxquels il a délégué ce pouvoir. Aucune autorité particulière, aucune réunion n’est le peuple, aucune ne doit parler, ne doit agir en son nom. Si une main téméraire s’avançoit pour saisir les droits du peuple sur l’autel de la patrie, la Convention se montrerait d’autant plus jalouse de développer contre l’usurpateur le pouvoir dont elle est revêtue, qu’elle doit compte au peuple des attentats commis contre sa souveraineté. Dans sa fermeté, la Convention nationale ne se départira jamais de la sagesse ; elle écoutera avec attention les réclamations qui lui seront adressées ; mais elle ne souffrira point que le droit d’éclairer et d’avertir devienne un moyen d’oppression et d'avilissement, et qu’il s’élève jamais des voix qui parlent plus haut que la représentation nationale. Elle prendra contre les intrigans, contre ceux qui peuvent encore regretter la royauté, l’attitude la plus vigoureuse : elle 32 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE maintiendra les mesures de sûreté que le salut public commande ; mais elle ne consentira point qu’elles soient arbitrairement étendues, et que la suspicion soit une source de calamités. Enfin, tous les actes du gouvernement porteront le caractère de la justice : mais cette justice ne sera plus présentée à la France sortant des cachots, toute couverte de sang, comme l'avoient figurée de vils et hypocrites conspirateurs. Français, considérez comme vos ennemis tous ceux qui voudraient attaquer obliquement, ou d’une manière directe, la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République. Fuyez ceux qui parlent sans cesse de sang et d’échafauds, ces patriotes exclusifs, ces hommes outrés, ces hommes enrichis par la révolution, qui redoutent l’action de la justice, et qui comptent trouver leur salut dans la confusion et dans l’anarchie. Estimez, recherchez ces hommes laborieux et modestes, ces êtres bons et purs, qui fuient les places, et qui pratiquent sans ostentation les vertus républicaines. Ne perdez jamais de vue que, si le mouvement rapide et violent est nécessaire pour faire une révolution, c’est au calme et à la prudence de la terminer. Unissez-vous donc dans un centre commun, l’amour et le respect des lois. Voyez vos braves frères d’armes vous donner l’exemple de cette obéissance sublime, dans leur soumission et leur dévouement : leur gloire est de recon-noître la voix de leurs chefs. Ils bénissent sans cesse les décrets de la Convention nationale; s’ils souffrent, ils en rejettent le malheur sur les circonstances; s’ils meurent, leur dernier cri est pour la République. Et vous, dans le sein des villes et des campagnes, vous vous laisseriez agiter par de vaines querelles; vous jetteriez dans vos assemblées des obstacles qui retarderoient la marche triomphale de la révolution! O Français! quelle douleur pour nous, quelle satisfaction pour nos ennemis, de voir la France victorieuse au-dehors, et déchirée au-dedans! Non, ils ne l’auront pas ce cruel plaisir; et ce que la Convention a fait dans les armées, elle le fera dans le sein de la République. Les vertus guerrières enfantent le héros, les vertus domestiques forment le citoyen; et ce sont ces vertus, soutenues et fortifiées d’un invincible attachement aux principes républicains, qui perpétuent dans une nation généreuse ce feu sacré, ce grand caractère qui a fait du peuple français le premier peuple de l’univers. C’est alors que tous les agitateurs étant déconcertés, on verra tous les partis tomber et s’éteindre d’eux-mêmes; car, dans tous les partis, il y a des gens qui font du bruit pour en faire, et du mal sans y rien gagner; ce sont comme autant de vents opposés qui, sans rendre aucun service au pilote, ne servent qu’à troubler la manoeuvre. Citoyens, toutes les vertus doivent concourir à l’établissement d’une République : vous avez déployé tour-à-tour la force pour renverser la Bastille et le trône ; la patience, pour supporter les maux inséparables d’une grande révolution; le courage, pour repousser les barbares qui vouloient forcer vos frontières. Le temps est venu de vaincre encore vos ennemis par la fermeté et par la sagesse : il faut que le calme succède enfin à tant d’orages ; le vaisseau de la République, tant de fois battu par la tempête, touche déjà le rivage : gardez-vous de le repousser au milieu des écueils; laissez-le s’avancer dans le port, en fendant d’un cours heureux une mer obéissante au milieu des transports d’un peuple libre, heureux et triomphant. La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de l’adresse qui lui a été présentée par les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis, en exécution du décret du 11 de ce mois, et l’avoir approuvée à l’unanimité, décrète : Qu’elle sera imprimée, envoyée à toutes les administrations de département et de district, aux municipalités, aux comités de sections, aux armées et aux sociétés populaires ; Qu’elle sera publiée par les municipalités, affichée dans les salles décadaires, et lue dans les assemblées de communes et de sections; Qu’elle sera distribuée à chacun de ses membres au nombre de six exemplaires, et traduite dans toutes les langues; Que les administrations de district la feront réimprimer, et que les agens nationaux l’enverront aux instituteurs pour en faire lecture à leurs élèves (91). MERLIN (de Thionville) : J’annonce à la Convention, afin que le peuple le sache, que le comité de Sûreté générale a fait arrêter hier un ci-devant commissaire exécutif, arrivé tout exprès des Pyrénées pour nier à la Convention le droit qu’elle a d’épurer les sociétés populaires. Cet homme, nommé Giot, a emporté, en partant, la caisse de nos collègues aux Pyrénées. CAVAIGNAC : L’arrestation de cet homme n’a rien qui m’étonne : je l’ai bien connu, tandis que j’étais à l’armée, et je sais que c’est un de ceux qui observaient les opérations et les principes des représentants du peuple, pour en rendre compte ensuite aux divers partis qui agi-(91) P.-V., XLVII, 71-78. C 321, pl. 1332, p. 39, imprimé de 8 p., signé de Cambacérès; p. 40, minute du décret de la main de Cambacérès, rapporteur. Bull., 18 vend.; Débats, n” 748, 290.