620 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1791.] M. Vermnac-Saint-lIaur... « Vous êtes les amis de la Constitution; à ce titre vous devez de grands exemples; vous devez celui de toutes les vertus. Il ne faut avoir d’ennemis que ceux de la loi. Tout le reste ne mérite pas d’occuper l’âme d’un homme libre. » Telles fureût, Messieurs, les intentions qui m’animèrent lorsque j’acceptai ce dont on me fait un crime aujourd’hui; mais ceux qui m’en font le reproche seraient plus indulgents, je me le persuade, si, au lieu de correspondre avec une société d’amis de la Constitution française, j’avais accepté de conniver avec le conciliabule ultramontain séant à Chambéry, ou avec les bandes fanatiques et contre-révolutionnaires {Applaudissements) de Vebron, de Vante, de la Tour-de-Sabran, que nous avons dissipés une fois par la terreur des supplices et qui ont l’audace de remuer encore, excités par les lettres de gens que je ne nommerai pas et que je n’ai pas besoin de nommer peut-être. A droite: Nommez! nommez! M. l’abbé llaury. Je demande qu’on les nomme. Je ne veux pas qu’on trompe les tribunes. Je prie l’orateur de dire si c’est moi. M. Verninac-Saint-Manr. Je suis accusé; mais quand j’aurai lavé mon accusation, à mon tour je pourrai me rendre accusateur et traduire des contre-révolutionnaires à Orléans. M. l’abbé Maury. De tout mon cœur ; et moi surtout traduisez-moi. ( Bruit à droite.) M. le Président. Monsieur l’abbé Maury, vous êtes intéressé, par l’inculpation que vous avez faite, à en entendre la justification . M. l’abbé llaury. Je demanande seulement que M. le commissaire dise si c’est moi. M. Verninac-Saint-lIaur. Ici, je finis ma justification, et j’espère que l’Assemblée ne la trouvera pas insuffisante. Peut-être aussi, les vrais amis de la vraie Constitution auront pensé qu’elle était superflue. Si le tort qu’on m’a reproché avait pu valoir, suivant le vœu de M. l’abbé Maury, l’affront d’un rappel, je sens que fier de ce stigmate, j'en aurais montréavec orgueil la cicatrice à ces vraisamis de la Constitution, et j’aime à croire u’ils ne l’auraient pas vue sans intérêt. ( Applau - issements.) M. le Président. Voici, Messieurs, la teneur du message que vient de me remettre le ministre de la justice; la pièce est écrite de la main du roi : « Messieurs, « J’ai examiné attentivement l’acte constitutionnel que vous avez présenté à mon accepta-tation. Je l’accepte, et je le ferai exécuter. Cette déclaration eût pu suffire dans un autre temps : aujourd'hui je dois aux intérêts de la nation, je me dois à moi-même de faire connaître mes motifs. « Dès le commencement de mon règne, j’ai désiré la réforme des abus; et dans tous les actes du gouvernement, j’ai' aimé à prendre pour règle l’opinion publique. Diverses causes, au nombre desquelles on doit placer la situation des finances à mon avènement au trône, et les frais immenses d’une guerre honorable soutenue longtemps sans accroissement d’impôts, avaient établi uue disproportion considérable entre les revenus et les dépenses de l’Etat. « Frappé de la grandeur du mal, je n’ai pas cherché seulement les moyens d’y porter remède; j’ai senti la nécessité d’en prévenir le retour. J'ai conçu le projet d’assurer le bonheur du peuple sur des bases constantes, et d’assujettir à des règles invariables l’autorité même dont j’étais dépositaire. J’ai appelé autour de moi la nation pour l’exécuter. « Dans le cours des événements de la Révolution, mes intentions n’ont jamais varié. Lors-qu’après avoir réformé les anciennes institutions, vous avez commencé à mettre à leur place les premiers essais de votre ouvrage, je n’ai point attendu, pour y donner mon assentiment, que la Constitution entière me fût connue; j’ai favorisé l’établissement de ses parties avant même d’avoir pu en juger l’ensemble ; et si les désordres qui ont accompagné presque toutes les époques de la Révolution venaient trop souvent affliger mon cœur, j’espérais que la loi reprendrait de la force entre les mains des nouvelles autorités, et qu’en approchant du terme de vos travaux, chaque jour lui rendrait ce respect sans lequel le peuple ne peut avoir ni liberté ni bonheur. J’ai persisté longtemps dans cette espérance, et ma résolution n’a changé qu’au moment où elle m’a abandonné. Que chacun se rappelle le moment où je me suis éloigné de Paris : la Constitution était près de s’achever ; et cependant l’autorité des lois semblait s’affaiblir chaque jour; l’opinion, loin de se fixer, se subdivisait en une multitude de partis. Les avis les plus exagérés semblaient seuls obtenir de la faveur; la licence des écrits était au comble ; aucun pouvoir n’était respecté. « Je ne pouvais plus reconnaître le caractère de la volonté générale dans des lois que je voyais partout sans force et sans exécution. Alors, je dois le dire, si vous m’eussiez présenté la Constitution, je n’aurais pas cruque l’intérêt du peuple (règle constante et unique de ma conduite) me permît de l’accepter. Je n’avais qu’un sentiment; je ne formai qu’un seul projet; je voulus m’isoler de tous les partis, et savoir quel était véritablement le vœu de la nation. « Les motifs qui me dirigeaient, ne subsistent plus aujourd’hui : depuis lors, les inconvénients et les maux dont je me plaignais vous ont frappés comme moi; vous avez manifesté la volonté de rétablir l’ordre, vous avez porté vos regards sur l’indiscipline de l’armée; vous avez connu la nécessité de supprimer les abus de la presse. La révision de votre travail a mis au nombre des lois réglementaires plusieurs articles qui m’avaient été présentés comme constitutionnels. Vous avez établi des formes légales pour la révision de ceux que vous avez placés dans la Constitution. Enfin le vœu du peuple n’est plus douteux pour moi ; je l’ai vu se manifester à la fois, et par son adhésion à votre ouvrage, et par son attachement au maintien du gouvernement monarchique. « J’accepte donc la Constitution; je prends Rengagement de la maintenir au dedans, de la défendre contre les attaques du dehors, et de la faire exécuter par tous les moyens qu’elle met en mon pouvoir. « Je déclare qu’instruit de l’adhésion que la grande majorité du peuple donne à la Constitution, je renonce au concours que j’avais réclamé dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre -1791.] (J21 ce travail, et que n’étant responsable qu’à la nation, nul autre, lorsque j’y renonce, n’aurail le droit de s’en plaindre. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes et cris : Vive le roi 1 ) « Je manquerais cependant à la vérité, si je disais que j’ai aperçu, dans les moyens d’exécution et d’administration, toute l’énergie qui serait nécessaire pour imprimer le mouvement et pour conserver Funité dans toutes les parties d’un si vaste Empire; mais, puisque les opinions sont aujourd’hui divisées sur ces objets, je consens que l’expérience seule en demeure juge. Lorsque j’aurai fait agir avecloyauté tous les moyens qui m’ont été remis, aucun reproche ne pourra m’être adressé; et la nation dont l’intérêt se 1 doit servir de règle, s’expliquera par les moyens que la Gonstitutiou lui a réservés. (Nouveaux applaudissements à gauche et dans les tribunes.) « Mais, Messieurs, pour l’affermi-sement de la liberté, pour la stabilité de la Constitution, pour le bonheur individuel de tous les Français, il est des intérêlssur lesquels un devoirimpérieux nous prescrit de réunir tous nos efforts : ces intérêts sont le respect des lois, le rétablissement de l’ordre et la réunion de tous les citoyens. Aujourd’hui que la Constitution est définitivement arrêtée, des Français vivant sous les mêmes lois ne doivent connaître d’ennemis que ceux qui les enfreignent : la discorde et l’anarchie, voilà nos ennemis communs. « Je les combattrai de tout mon pouvoir ; il importe que vous et vos successeurs me secondiez avec énergie; que, sans vouloir dominer la pensée, la loi protège également tous ceux qui lui soumettent leurs actions; que ceux que la crainte des persécutions et des troubles aurait éloignés de leur patrie, soient certains de trouver, en y rentrant, la sûreté et la tranquillité ; et pour éteindre les haines, pour adoucir les maux qu’une grande Révolution entraîne toujours à sa suite; pour que la loi puisse, d’aujourd’hui, commencer à recevoir une pleine exécution, consentons à l’oubli du passé (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes } : que les accusations et les poursuites qui n’ont pour principe que les évé-ments de la Révolution, soient éteintes dans une réconciliation générale. Je ne parle pas de ceux qui n’ont été déterminés que par leur attachement pour moi : pourriez-vous y voir des coupables? Quant à ceux qui, par des excès où je pourrais apercevoir des injures personnelles, ont attiré sur eux la poursuite des lois, j’éprouve à leur égard que je suis le roi de tous les Français. (Nouveaux applaudissements.) Signé : LOUIS. 13 septembre 1791. « P.-S. — J’ai pense, Messieurs, que c’était dans le lieu même où la Constitution a été formée, que je devais en prononcer l’acceptation solennelle : je me rendrai, en conséquence, demain à midi à l’Assemblée nationale. »(Fi/s applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes et cris : Vive le roi! ) M.La Fayette. Je croirais, Messieurs, faire tort aux sentiments qui viennent d’associer l’Assemblée au vœu que le roi nous a témoigné, si je ne me bornais, pour la régularité de la délibération, à proposer le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture du message du roi, qui accepte l’acte constitutionnel, s’associant aux sentiments que le roi a témoignés sur, la cessation de toutes poursuites relatives aux événements de la Révolution, décrète ce qui suit : « 1° Toutes personnes constituées en état d’arrestation ou d’accusation, relativement au départ du roi, seront sur-le-champ remises eu liberté, et toute poursuite cessera à leur égard. « 2° Les comités de Constitution et de jurisprudence criminelle présenteront demain, à l’ouverture de la séance, un projet de décret qui abolisse immédiatement toute procédure relative aux événements de la Révolution. » 3° Il sera également présenté demain un projet de décret qui abolisse l’usage des passeports, et anéantisse les gênes momentanées, apportées à la liberté que la Constitution assure à tous les citoyens français d’aller et de venir, tant au dedans qu’au dehors du royaume. (Toute la partie gauche, une partie du côté droit et les tribunes retentissent d'applaudissements.) (L’Assemblée adopte, par acclamation, le projet de décret présenté par M. La Fayette.) M. Goupil-Préfeln. Je demande qu’une députation de 60 membres se rende sur-le-champ chez le roi pour lui exprimer les sentiments de l’Assemblée et lui présenter le décret qui vieot d’être rendu. À gauche : L’Assemblée en corps ! Tous, tous ! (L'Assemblée, consultée, décrète la motion de M. Goupil-Préfeln.) M. Duport-Dutertre, ministre de la justice , sort de la salle au milieu des applaudissements répétés de la partie gauche et des tribunes. M. d’André. Nous demandons que l’on finisse aujourd’hui l 'affaire d'Avignon. Perdrons-nous encore 7 à 8 jours pour cela? M. l’abbé Maury a été entendu; les commissaires et le rapporteur ont été entendus également : tout le monde a été entendu pour et contre et il me semble que l’Assemblée est suffisamment éclairée. Plus de 20 séances ont été déjà sacrifiées à cette affaire; on pourrait enfin la terminer. M. de Liancourt. Il est impossible que nous prononcions aujourd’hui la réunion d’Avignon à ta France. Indépendamment des grandes questions que vous avez à traiter dans cette importante affaire, vous avez d’abord un point capital à examiner; c’est celui de savoir s’il est vrai que le vœu de la réunion... (Murmures.). Je crois, dans ma conscience, qu’il ne vous est pas prouvé que le vœu de réunion ait été libre. M. Gombert. Eh bien! s’ils réclament contre, on les laissera tranquilles. M. de Liancourt. Je crois que vous n’avez pour vous que la raison de la convenance. Je demande donc qu’avant de décider cette question-là, vous l’ajourniez à 2 jours, en faisant déposer au comité diplomatique les pièces sur lesquelles vous allez discuter; car, encore une fois... (Murmures.) M. Muguet de Hanthou. On n’ajourne pas la guerre civile, Monsieur. M. de Liancourt. Ce n’est pas au milieu de l’agitation produite par la lettre du roi qu’on