[Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[26 septembre 1790.] toute l'influence que fait espérer le préopinant. M. Camus. Le 11 de ce mois, quand l’Assemblée a décrété qu’il serait versé 20 millions au Trésor publie, elle a renvoyé au comité des finan-ces trois motions ayant pour objets : Tune de faire imprimer les états des recettes et des dépenses; l’autre de contraindre les receveurs des impositions à justifier de leurs recettes; la troisième de ne plus accorder de somme que sur une ordonnance dq roj, contresignée du ministre. Je suis surpris que le comité des finances n’en ait pas rendu compte ainsi qu’il en avait été chargé. Je demande donc que l'on veuille bien adopter le décret que je vais présenter : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des finances, décrète que la caisse d’escompte remettra au Trésor public la somme de 1U millions; « Que les motions faites le 11 de ce mois et renvoyées au comité des finances, ensemble la motion faite ce jour sur l’impression des bordereaux des hôtels des monnaies, seront remises à l’instant au rapporteur du comité des finances, pour que, dans trois jours au plus tard, le comité présente un projet de décret sur lesdites motions; « Que les 10 millions dont la remise est ordonnée par le présent décret seront remis au Trésor pùblic sur la signature de l’ordonnateur dudit Trésor. » (Ge projet de décret est mis aux voix et adopté.) M* le Président, L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquider la dette publique. M. Iæ CoiUeulx de Cantelen (1). Messieurs, il n’est sans doute aucun bon citoyen qui ne désire concourir au succès du projet vaste et simple de libérer l’Etat d’une grande partie de sa dette par la vente des biens nationaux. Cette idée à peine conçue, on a désiré d’en précipiter l’exécution ; ces premiers mouvements tiennent à notre caractère. Au moment où nous saisissons une grande et belle idée, les délais et les moyens tempérants de la prudence nous irritent et nous importunent. La facilité qu'on a eue de remplir le vide du Trésor public en versant une certaine quotité de délégations sur les biens nationaux et en leur donnant le caractère de papier-monnaie, le succès avec lequel on a ainsi remédié au défaut des recettes, et remboursé 200 millions de capitaux, a persuadé même de très bons esprits que ces délégations ou assignats pouvaient également acquitter la totalité de la dette exigible. On s’est flatté en même temps, et c’est l’illusion la plus générale, que des sommes énormes ainsi rendues aux créanciers, et reversées dans le public, allaient y faire l’effet d’un remboursement réel, et auraient les heureuses influences d’un accroissement de richesses. Le caractère qu’un souverain imprime sur une monnaie ne peut en dénaturer l’essence; ainsi, ce qui paraît le plus important dans la grande question qui nous occupe actuellement, c’est de bien examiner ce qu’est en réalité un assignat. Je renfermerai ma discussion sous ce point de vue principal, et j’éviterai de traiter cet objet (1) Le Moniteur s’est borné à reproduire le projet de.décret proposé par M. Le Gouteulx. 243 sous les mêmes rapports qui ont été déjà présentés à l’Assemblée avec tant de talents et de succès.. L’assignat sur les domaines nationaux est une délégation, non sur des revenus, mais sur des biens-fonds; on ne peut ni on ne doit donc considérer, cette délégation comme un remboursement réel, mais seulement comme un échange contre un bien-fonds. L’assignat, même avec le caractère de monnaie, est purement et simplement la conversion d’un capital dont l’intérêt était payé par une portion des contributions publiques, en un capital en fonds de terre, dont l’intérêt sera payé par les produits de cette terre. Il est donc évident que. cette conversion ne présente en elle-même aucun accroissement dans la richesse publique, qu’il pourra en résulter un emploi plus utile; mais nous n’y observons d’abord qu’un département dans les revenus et les dépenses particulières : ce sont les ci-devant usufruitiers des domaines nationaux, qui, par la conversion et la réduction de leur usufruit, fournissent aujourd’hui ce que payaient ou auraient payé d’autres contribuables. D’ailleurs, le numéraire ne s’obtient et ne s’accroît réellement dans un royaume que par l’accroissement des revenus. La richesse d’un Etat dépend moins de la masse de ce numéraire que de la rapidité avec laquelle il circule, parce que larichesse réelle d’un peuple dépend uniquement de la quantité des productions de la terre et de la quantité du travail des habitants ; en sorte que ce n’est pas autant la somme gagnée qui a été utile à l’Etat, que la manière dont elle a été gagnée, et l’émulation qu’elle occasionne : ce qui conduit à conclure que la quantité positive des marcs d’argent ou du numéraire n’est point en soi Le principe de la culture, de l’industrie et de la population, et, nous le disons de nouveau, il n’y a dans cette opération aucun accroissement de richesses publiques : il n’en résulte dans le royaume aucune quantité positive de marcs d’argent, ou d’arpents de terre au delà de ce qui y était auparavant. Oq peut me dire, il est vrai, que les lettres de change, ou les bons papiers de commerce qui multiplient le travail et vivifient l’industrie, sont des assignats-monnaie à un plus court terme, qu’elles triplent ou quadruplent le numéraire en Europe. En effet, les lettres de change et les papiers de commerce représentent la prodigieuse quantité de denrées des quatre parties du monde, qui sont successivement consommées par ses habitants; mais c’est sur celte consommation successive (qui n’est que l’échange mutuel des productions) que sont délégués en réalité les papiers de commerce. Ainsi, ce ne sont point des assignats sur des capitaux, mais sur des revenus; et, en ce sens, on a dit avec raison que les lettres de change étaient le meilleur et le premier de tous les papiers-monnaie, lorsqu’il est d’ailleurs appuyé sur la bonne foi et l’opinion publique. Mais il ne faut pas perdre de vue que les lettres de change sont, en même temps, une obligation précise et sévère de payer telle somme dans un temps déterminé ; que le numéraire, avec lequel elle doit être acquittée, existe en métal, ou ia monnaie est en chemin, si je peux me servir de cette expression, pour être présentée à son échéance; que ce papier circulant n’est donc qu’une avance sur la mounaie effective qui doit inévitablement être mise successivement en circulation ; que les mêmes valeurs ne peuvent être 244 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.) remises en émission que par la confiance libre et volontaire du prêteur ; qu’ainsi ce serait par erreur, ou de mauvaise foi, qu'on croirait pouvoir entreprendre, au moyen des assignats sur des biens-fonds, d’accroître notre numéraire d’une somme de deux milliards, avec autant de succès qu’il peut l’être fictivement par les papiers de commerce. Ce serait encore de mauvaise foi qu’on voudrait s’appuyer sur l’accroissement que produisent dans le numéraire en Angleterre les billets de banque; l’échange qui s’en fait contre de l’argent à tous les instants et à la volonté du prêteur, ainsi que l’engagement impérieux de payer une lettre de change à l’échéance déterminée, écarte et dissipe bientôt les inquiétudes que la méfiance ou la malveillance répandent sur la confiance publique ou particulière de ces papiers circulants. Ces considérations si importantes et si décisives n’échapperont pas à l’Assemblée. Je reprends ma discussion sur l’assignat : nous avons dit que l’assignat-monnaie ou la délégation sur les biens nationaux, c’est-à-dire sur des biens-fonds, ne peut être assimilé à un papier de commerce qui est en réalité une délégation sur les revenus des consommateurs, et non sur leurs capitaux ou propriétés foncières. Cette différence bien établie, il faut examiner si une délégation qui porte sur un fonds de terre, qui ne peut être remboursée que par l’échange de ce fonds contre cette même délégation, peut être créée monnaie, et en faire l’usage, si on ne saisit pas une mesure proportionnée aux extinctions probables, c’est-à-dire sur la quotité progressive des rentrées, par les revenus et les ventes de ces biens-fonds, je dis hardiment que non. S’il en était autrement, cette monnaie porterait avec elle l’évidence qu’elle ne peut rester dans aucun coffre ni portefeuille, comme un objet liquide, comme une valeur de tous les temps et de tous les pays; qu’il est donc indispensable de s’en défaire pour réaliser sa fortune, ou se résigner à la convertir forcément en un bien-fonds. Si on veut réfléchir que, jusque dans la dernière classe du peuple, l’homme est naturellement porté à mettre un petit pécule à l’abri des inconvénients, à être matériellement convaincu qu’il a sous sa main le moyen de se procurer pour une ou plusieurs années sa subsistance, on peut se faire une idée de la sollicitude etdu désespoir effrayant des citoyens de toutes les classes, s’ils ne pouvaient satisfaire leur prévoyance, s’ils étaient poussés et forcés de convertir leurs assignats en biens-fonds, sans pouvoir éviter, faute de moyens additionnels pour mettre en valeur de pareils placements, de voir réduire à moitié leurs dépenses par la réduction du produit de leurs petits capitaux. L’assignat-monnaie délégué sur un fonds de terre ne peut donc convenir à tout le monde. Il ne peut être d’un usage général, ni un moyen de payement dans l’étranger. Je ne répéterai pas ici, relativement aux pertes énormes que dous éprouverons dans nos relations extérieures, ce qui vous a été si clairement exposé par M. l’évêque d’Autun ; j’observerai seulement que M. Anson, qui a prétendu que la plus value en assignats que nous serions obligés de donner pour acquitter dans l’étranger les objets importés en France, serait compensée par la plus forte quotité des mêmes assignats que les étrangers seraient obligés de se procurer en France pour y payer nos denrées, a fait, dans cette assertion, un aveu bien solennel et bien important à saisir : c’est que le désavantage de nos assignats dans les payements intérieurs ou extérieurs, sera toujours en définitive au préjudice de ceux qui les convertiront en denrées, et alors, Messieurs, je vous conjure de vous pénétrer des conséquences funestes du surhaussement du prix de vos productions, dans le moment où à peine elles peuvent soutenir la concurrence de vos rivaux dans les marchés étrangers, lorsqu’en même temps les matières premières, importées en France, et qui sont l’aliment de l’industrie nationale (je citerai les laines d’Espagne pour exemple), par le même effet de vos assignats, reviendront aux Français à 15 ou 20 0/0 plus cher qu’aux fabricants anglais ou allemands. On veut cependant se dissimuler un résultat si effrayant, et on reprend le raisonnement de M. Anson, en disant qu’en définitive la balance du commerce doit toujours être à notre avantage, et qu’en solde de compte général, les pertes que les provinces qui font de grandes importations dans le royaume, en matières premières, éprouveront sur le change, seront compensées par le bénéfice de celles qui font de grandes exportations. Je répondrai d’abord, que si les matières premières importées en France, telles que les laines, les soies, les cotons du Levant, les huiles d’Espagne et d’Italie, les bois de teinture, la cochenille, l’indigo, les fers, les cuivres et la prodigieuse quantité de pareils objets qui entretiennent notre industrie, et la partie immense de notre population qui vit de son travail ; si, dis-je, ces denrées de première nécessité pour nos manufactures nous coûtent 10 et 15 0/0 plus cher qu’aux Anglais, et autres nations étrangères, rivales de notre industrie, il est évident que nous lutterons encore avec plus de désavantage dans la concurrence ruineuse que nous éprouvons jusque dans nos foyers, et nous ne pourrons nous présenter dans aucuns marchés étrangers ; que par ce seul résultat évident, incontestable, la balance de notre commerce est perdue, et si en même temps vous considérez que, dans ce moment, vos colonies sont ouvertes aux étrangers, les côtes de toutes vos provinces livrées aux contrebandiers, vous ne pouvez ni ne devez espérer qu’en réalité la balance du commerce soit à notre avantage ; et alors, on voudra encore, ainsi que cela a été fait lors du désastreux traité de commerce avec l’Angleterre, nous consoler par la vente espérée de nos vins. Mais observez, Messieurs, que l’effet du traité de commerce était de les établir en Angleterre à meilleur marché, et que le principe sur lequel M. Anson s’appuie aujourd’hui, les fait payer plus cher aux étrangers. Dans tous les cas, les provinces purement agricoles nese chargeront pas de nourrir les provinces dont lapo-pulatmn s’est augmentée, non en raison du sol, mais de leur industrie. Pénétré decette effrayante vérité, je doisannoncer solennellement à cette tribune, en acquit de mes devoirs et des hautes fonctions qui me sont confiées, comme représentant de la nation française, que si nous ne protégeons pas son commerce et son industrie ; si nous croyons cette nation uniquement appelée à être une nation agricole ; si nous la livrons aux étrangers pour ses propres consommations ; si son immense population n’est pas entretenue par un échange de productions; si l’homme qui n’a pas de terres n’est pas maintenu dans le droit de donner un habit, fruit de son industrie, à celui qui lui donne du blé, son agriculture sera perdue, ainsi que son commerce, et son sol réduit à un vil prix. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] 243 Sous ce nouveau rapport, vous ne serez pas indifférents, Messieurs, à la perte de notre crédit dans l’étranger, de nos meilleures maisons de banque et de commerce, par l’éloignement naturel que les étrangers auront d’avoir des débiteurs qui ne pourront les payer qu’en un papier dont l’émission exagérée pourrait éprouver un engorgement, et exigerait forcément dans leurs mains l’échange en un domaine national, avec lequel on ne peut en réalité acquitter une lettre de change, expédier un vaisseau, faire un armement ou continuer son commerce. On ne peut donc espérer, si l’émission des assignats n’est pas mesurée avec prudence et sagesse, qu’ils conservent dans leur circulation, et dans leur durée, l’évaluation ou le titre qu’ils auront reçu dans leur émission (1). Je sais bien qu’en me répliquant parles mêmes distinctions que j’ai établies entre le papier de commerce et l’assignat sur un fonds de terre, on ne conviendra pas que la masse entière de ce papier qui circule en Europe, et que nous considérons volontiers comme un papier-monnaie, soit dans la seule proportion des consommateurs, ou des dépenses annuelles : on m’observera qu’il y en a de fortes sommes qui sont mises en circulation, et données en avance, et par anticipation sur des productions espérées; que depuis plusieurs années les acquéreurs des effets royaux ont successivement emprunté sur ces effets : que ces emprunts ont été effectués par une émission considérable de lettres de change bien évidemment données sur des capitaux. Je réponds que la circulation de lettres de change de cette nature, nonobstant le terme de leur payement, est exposée à beaucoup de vicissitudes par la seule incertitude de la valeur et de la vente des objets qui sont affectés au payement, définitif de pareils emprunts, et cependant leur émission est en général calculée sur la probabilité de la vente successive des fonds publics. Mais admettons que la délégation sur un bien-fonds mis en vente puisse être considérée comme un papier de commerce à longue échéance, et que, sous ce point de vue, il n’y eut pas d’inconvénient d’en faire un papier-monnaie; alors il est indispensable d’observer, pour ces délégations, la même mesure à laquelle doivent être assujetties les délégations particulières, pour ne pas en décréditer l’usage ni la circulation. J’admettrai même qu’il peut y avoir une partie du papier de commerce mis en circulation, qui ne peut être acquittée que par des productions espérées, mais éloignées, ou par la vente progressive des effets publics qui en représentent la valeur. Ce n’est pas être très rigoureux dans les principes sur les assignats-monnaie et ce n’est pas une excessive prudence que d’invoquer, sur leur émission, la même sagesse et la même proportion qui est généralement observée dans toutes les avances et anticipations faites sur des valeurs disponibles. Je vous proposerai donc, Messieurs, de poser les bases sur lesquelles peut s’opérer la libéra-(1) M. Clavière, dans la seconde partie de sa réponse au mémoire de M. Necker, page 80, dit qu’il y a deux moyens d’avoir l’argent nécessaire pour les échanges à bon marché : l’un c’est d’obliger les riches, les commerçants, les gros manufacturiers, les banquiers, en un mot tous ceux qui sont en grande relation avec l’argent effectif par leurs richesses ou leurs affaires, à entretenir des caisses d’échange : c’est ainsi que le célèbre Ecossais, armé du despotisme du régent, soutenait son système. tion de la dette exigible, d’après les règles et les propositions du crédit public et de celui du commerce. 1° Vous fixerez, dans votre sagesse, la masse des assignats qui pourront être mis en circulation, et celte masse, ainsi fixée, ne pourra être augmentée sous quelque motif ou prétexte que ce soit; elle pèsera plus ou moins dans toutes les transactions de la vie et du commerce, mais si on écarte toute inquiétude sur le nouveau poids qu’on pourrait être tenté de jeter dans la balance, c’est-à-dire dans la circulation ; elle le mettra facilement en équilibre avec les forces qui doivent les soutenir. Un Etat, ainsi qu’une grande maison de commerce, doit fixer une mesure bien combinée dans l’usage de son crédit, parce qu’il est un point qu’on ne peut dépasser sans un danger extrême. 2° Vous vous persuaderez, Messieurs, qu’on ne peut entreprendre aucune grande opération de finance, ni de commerce, aucune liquidation publique ou particulière, sans auparavant porter dans les esprits de ses créanciers, de ses prêteurs et du public, la conviction qu’elle est sagement combinée et proportionnée aux moyens d’exécution, en même temps qu’il faut conserver et maintenir, dans tous les engagements de quelque nature qu’ils soient, une égale confiance et un égal crédit. Sous ce point de vue, Messieurs, vous présenterez dans la vente successive des biens domaniaux, dans ce fonds inappréciable d’amortissement, les moyens progressifs, mais indubitables, de la délibération de tout ce dont vous aurez déterminé le remboursement ; alors il suffira pour satisfaire les plus pressés, les dettes urgentes, que votre caisse de l’extraordinaire, à mesure qu'elle retirera, par le produit des revenus des ventes des domaines nationaux et autres recettes extraordinaires, une certaine quantité d’assignats, soit autorisée de les remettre en circulation en échange des créances et des titres que vous voulez liquider; et cependant, ces créances, ou ces titres, ainsi que les assignats, pourront également concourir dans l’acquisition des domaines nationaux. Ainsi, Messieurs, toute la dette que vous voulez rembourser sera, en même temps, appelée à être convertie en assignats-monnaie et en domaines nationaux. C’est ainsi que vos engagements et vos opérations, combinés sur vos moyens d’extinction, répondront aux espérances du public, et conserveront la confiance. 3° Vous serez convaincus, Messieurs, que ce n’est pas même par un remboursement réel de capitaux qu’on pourrait espérer de ranimer le travail et de revivifier l’industrie nationale. Nos aieliers, nos manufactures ne reprendront leur activité qu’en raison des moyens que chaque individu aura acquis de s’assurer un revenu. Vous vous persuaderez que personne ne veut vivre sur ses capitaux ; que si vous remboursez forcément un capital qui produisait au propriétaire une rente assurée, en une pareille somme d’assignats-monnaie, sans que leur émission soit proportionnée aux ventes, la sollicitude de ce propriétaire le portera d’abord sur les moyens de préserver ce capital d’être entamé. Privé de son revenu, ses premières dispositions seront de diminuer ses dépenses et ses consommations ; il n’élèvera ses dépenses au-dessus du strict nécessaire, qu’après s’être rassuré sur le sort de la fortune publique, et qu’après avoir peut-être parcouru toute la France avant d’avoir obtenu le 246 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] placement de ses capitaux, conservés en tout ou partie, soit en fonds de terre, soit en intérêt. 4° Enfin, vous observerez, Messieurs, qu’il ne faut pas confondre la dette à terme avec la dette exigible; qui à terme ne doit rien ; mais en même temps qui a fait des engagements doit les tenir. Alors ce sont dans ces deux propositions que se renferment les engagements réciproques de la nation envers ses créanciers ; vous examinerez s’il convient à la nation de rembourser immédiatement des emprunts tels que ceux de la ville de Paris et de l’ancienne compagnie des Indes, montant ensemble à 112 millions qui ne coûtent que 4 1/2 0/0 d’intérêt, et dont les remboursements ne sont ordonnés que progressivement jusques en 1814 et 1822. Vous examinerez si l’emprunt national, les emprunts à Gênes et en Hollande, celui de 80 millions, celui de 125 millions, les annuités données à la caisse d’escompte et aux notaires, dont la masse totale s’élève à 356 millions, et n’est remboursable qu’à des échéances successives, jusqu’en 1810, peuvent réellement vous être présentés comme une dette exigible. D’après cet aperçu vous croirez peut-être qu’il serait convenable de diviser la totalité de la dette qu’on appelle exigible en trois classes. Vous satisferez d’abord aux dettes les plus urgentes auxquelles vous vous persuaderez que ces dettes réunies aux besoins du service public n’exigeront qu’une création nouvelle de 400 millions d’assignats-monnaie. Vous déterminerez alors que cette masse ne pourra être augmentée sous aucun prétexte, et à mesure qu’il y aura 10 millions de réalisés dans la caisse de l’extraordinaire, vous ordonnerez qu’ils soient remis en émission pour être distribués successivement par la voie du sort aux créances dont vous aurez déterminé le remboursement, à commencer par les titres placés dans la première classe dont tous les numéros seront mis dans la roue de fortune jusqu’à ce que le tirage en soit épuisé avant de procéder à l’échange des titres de la secondé classe. En ayant égard à ces différentes considérations, vous concilierez, Messieurs, la justice qui est due aux créanciers de l’Etat, et la saiue politique (qui ne vous permet pas de hasarder une interruption forcée dans les revenus) avec la mesure que vous devez observer dans les contributions. C’est dans cet esprit que j’ai rédigé, Messieurs, un projet de décret ; mais comme il est réglementaire et qu’il pourrait prolonger beaucoup la discussion, je crois, Messieurs, qu’il convient, dans les circonstances actuelles, de poser et de décréter préalablement les principes dans les termes suivants : Art. 1er. Il sera fait une création nouvelle de 400 millions d’assignats-monnaie pour assurer le service courant des dépenses publiques, dans le cas où les recettes ordinaires ne pourraient y suffire, et rembourser successivement les dettes exigibles les plus pressantes, lesquels 400 millions, réunis aux 400 millions ci-devant décrétés, élèveront le montant total des assignats-monnaie à 800 millions. Art. 2. L’Assemblée nationale déclare qu’elle veut borner et fixer l’émission des assignats-monnaie à la somme de 800 millions : en conséquence, elle décrète que cette masse de 800 millions ne pourra être augmentée sous aucun prétexte. Art. 3. Les 400 millions d’assignats-monnaie, dont la création sera ainsi effectuée en exécution de l’article 1er, emporteront avec eux, ainsi que les 400 millions çMev&nt décrétés, hypothèque, privilège et délégation spéciales, tant sur le revenu que sur le prix des domaines nationaux, Art. 4. Les créances sur l’Etat, autres que celles constituées en rentes perpétuelles et viagères, seront seules admises ainsi que les 800 millions d’assignats déterminés et fixés dans les précédents articles à concourir dans l’acquisition des domaines nationaux. Art. 5. Les assignats qui sont en émission, ou qui y seront mis en exécution dés articles î, 2, 3 du présent décret, porterbnt 3 0/0 d’intérêt jusqu’au 15 avril prochain: ils n’en porteront plus aucun, passé cette époque. A cet effet, le caissier de l’extraordinaire en acquittant l’intérêt des 400 millions précédemment décrétés, qui écherront le 15 avril 1791, est autorisé de retrancher de l’assignat, les trois coupons qui y sont annexés. Art. 6. Ces différentes créances, autres que lès titres de celles constituées en rentes perpétuelles et viagères seront converties en de nouveaux titres uniformes en sommes rondes et disponibles portant 5 0/0 d’intérêt, la première année, èt 4 0/0 les suivantes. Art. 7. Avant l’échange de ces nouveaux litres contre les créances, autres quë celles constituées en rentes perpétuelles et viagères, lesdites créances serout diviséës en trois classes. L’Assemblée nationale charge Son comité des finances de lui présenter incessamment un tableau de cette division, en observant de placer, dans la première classe et successivement dans la seconde, les créances qui, par leur nature et leur création, seront plus oü moins exigibles. Art. 8. Aussitôt qu’il y aura une somme de 10 millions de réalisés en assignats-monnaie dans la caisse de l’extraordinaire, par le produit des revenus et des ventes des domaines nationaux et autres recettes extraordinaires, il en sera dressé procès-verbal, et ils seront remis dans la circulation en échange des nouveaux titres ou reconnaissances nationales qui auront été délivrés et placés dans la première classe, et successivement dans les deux classes suivantes, en exécution des articles 5 et 6 du présent décret. Art. 9. L’Assembléè nationale charge son Comité des finances de lui présenter Un projet réglementaire sur les dispositions du présent décrel, et les moyens qui concilieront l’intérêt de l’Ètîit et celui des propriétaires des titres nouveaux, pour accélérer l’échange de leurs créances contre des domaines nationaux. Plusieurs membres demandent l'impression du discours de M. Le Gouteulx. L’impression est ordonnée. M. le Président interrompt la discussion pour donner lecture d’une lettre de M. Lambert, qui expose à l’Assemblée qiie, dans plusieurs villes, les tanneurs ont refusé, dès ratifiée dernière, de laisser prendre en charge les cuirs de leur fabrication, et se sont soustraits, par là à l’obligation imposée à tous les tanneurs d’acquitter les droits; H demande qu’en exécution de son décret du 22 mars dernier, i’Assëm-hlée détermine l’estimation moyenne de la valeur des droits dus par les tanneurs en douze payements et en douze mois, conformément audit décret. (L’Assemblée renvoie cette lettre à son comité des finances.) M, le Président annonce que par le résultat