42 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE priétés belges. Déjà arrivent les plaintes des principales villes de la Belgique. Elles réclament le respect promis à leurs propriétés par les représentants du peuple envoyés dans cette contrée. Sans doute vous écouterez leurs réclamations, comme vous avez écouté celles des villes hanséatiques, et vous ne vous priverez pas, en prolongeant le séquestre de leurs biens, des ressources immenses que vous présentent le commerce et les ateliers de ce pays manufacturier. Des Belges avaient acquis des biens en France, et ils sont séquestrés. Quels autres individus des nations neutres, après cet exemple, seront tentés d’en acquérir? Votre sagesse n’a pas besoin d’en entendre davantage. Elle voit que les avantages du décret sont tous illusoires, et que les maux qu’il a causés sont réels et profonds. C’est ce décret qui a entraîné les réquisitions de papier sur l’étranger, les arrêtés impolitiques sur les exportations et importations, et tous ceux qui, en entravant les moyens d’échange, nous conduisaient à l’épuisement. Ce sont les mesures nécessitées par ce décret qui ont fait exporter votre numéraire, et qui ont forcé la commission de Commerce et approvisionnements d’employer des ressources ruineuses pour acquitter ce qu’elle tirait de l’étranger. C’est ce décret et toutes les mesures qui en ont été la suite qui vous ont fait travailler vous-mêmes à avilir le change dans l’étranger, à discréditer vos assignats, à détruire la confiance, et à ruiner ainsi le commerce. C’est ce décret enfin qui vous a conduits à faire vous-mêmes tout ce qu’auraient pu faire vos plus cruels ennemis, c’est à dire à augmenter tous nos besoins en diminuant tous les moyens d’y pourvoir. Peut-être répandra-t-on des alarmes nouvelles en faisant retentir le mot d’agiotage. Sans doute il est un agiotage scandaleux que la loi peut et doit réprimer; mais ne tombons pas dans l’excès contraire. Quand la tyrannie paraît, le commerce fuit; il ne prospère que là où l’indépendance et la sûreté l’appellent. Tous les motifs réunis s’élèvent donc contre ce décret. Sans le crédit il n’y a point de commerce, et vous le frappiez ainsi dans ses premières bases. Lorsque, dans un mouvement sublime, vous avez décrété la République, vous avez en quelque sorte promis au monde entier l’exemple de toutes les vertus, essence du gouvernement républicain. Il ne faut pas, en entrant dans la carrière, imiter les calculs de la fausse et coupable politique des rois. Que les peuples qui redoutent le plus vos armes se confient à votre parole, et que votre loyauté fasse des conquêtes dans les lieux où vos forces ne peuvent atteindre. D’ailleurs, nous l’avons prouvé, la France, en maintenant ce décret, attenterait à sa propre dignité en pure perte pour ses intérêts ; et, en cédant à des inspirations plus élevées, elle recueille des avantages certains de la justice. En effet, les 25 millions mis en dépôt à la Trésorerie seront bientôt réduits à 16 par les réclamations des Belges. Quoi ! pour la jouissance momentanée d’une si faible somme, devons-nous exposer aux reproches de toutes les villes commerçantes de l’Europe la renommée de la nation française? Persisterons-nous à détruire tous les moyens de crédit et d’échange que nous offriront les peuples neutres, dès que nous aurons fait renaître leur confiance? N’est-il pas temps enfin de donner au commerce plus que des espérances, et de réaliser les plans de régénération que lui ont fait attendre vos promesses? Quel plus beau moment pour réparer une erreur que celui où l’on ne peut vous taxer de faiblesse ? Vos armes sont victorieuses de toutes parts ; c’est quand vous faites trembler tous les tyrans par votre courage que vous devez rassurer tous les peuples par votre justice. Que rien ne manque à des triomphes si mémorables et si inouïs, et que la plus brave des nations prouve au monde entier qu’elle est aussi la plus équitable et la plus généreuse. Vos comités réunis vous proposent le projet de décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Salut public, de Commerce et des Finances réunis décrète : Article premier. - Il ne sera plus donné de suite aux décrets relatifs au séquestre des biens de sujet des puissances avec lesquelles nous sommes en guerre. Art. II. - Les sommes versées à la Trésorerie nationale en conséquence de ces décrets seront remboursées à ceux qui ont fait le dépôt. On demande l’impression et l’ajournement. Plusieurs membres s’y opposent. Plusieurs membres obtiennent successivement la parole sur cet objet : les uns demandent la question préalable sur le projet de décret, d’autres en demandent l’impression et l’ajournement. Un membre, en combattant le projet, pense néanmoins qu’il seroit de la justice de la nation de lever le séquestre pour les habitans des pays où nos armées sont entrées et qui sont sous notre puissance. Un autre membre est d’avis qu’on pourroit adopter la partie du décret, qui consiste à accorder des primes aux négocians. Après d’assez longs débats, la Convention décrète, la question préalable sur le projet de décret et renvoie aux comités réunis l’examen des autres propositions (112). MONNOT : Je demande aussi l’impression et l’ajournement du projet de décret qui vous est proposé. Au comité des Finances, lorsque ce projet de décret fut soumis à l’examen, on en (112) P.-V., XLIX, 102. Cambon, rapporteur selon C* II 21, p. 25. SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - N° 48 43 demanda d’abord l’ajournement à des temps plus reculés, ensuite qu’il fut soumis aux comités réunis du Commerce et de Salut public; sans doute ces comités étaient peu nombreux lorsqu’ils arrêtèrent de vous le présenter. Citoyens, lorsque le projet de décret relatif au séquestre passa au comité des Finances, plusieurs membres le regardèrent comme impolitique, l’Espagne seule nous ayant donné cet exemple. Je le regardai, moi, comme très nuisible aux Anglais, parce que j’étais persuadé que, si cette nation commerçante avait vu quelque avantage dans cette mesure, elle nous eût prévenus. Ce décret, je le sais, citoyens, a fait un grand tort aux émigrés ( vifs applaudissements)', mais il n’a porté aucun préjudice à la classe qui a cru à la révolution. Les négociants que ce décret frappait ont demandé du temps pour faire le versement au Trésor public des sommes qu’ils devaient à la nation; il leur en a été accordé ; de cette manière le commerce n’a nullement souffert ; d’ailleurs, en temps de guerre, ne doit-on pas employer toutes sortes de moyens pour couper les vivre à ses ennemis? (On applaudit.) Je demande l’ajournement du projet de décret qui vous est présenté. BOURDON (de l’Oise) : Je rends grâce au génie de la liberté qui veille pour écarter les projets de ses ennemis. Il est inconcevable qu’on vienne abuser de tous les principes de justice et de morale pour égorger la nation française alors qu’elle est victorieuse. Comment le rapporteur, abusant encore des mêmes principes, n’a-t’il pas proposé de rendre aux Anglais tous les vaisseaux pris à leur commerce, et de ne garder que ceux de la guerre? Comment n’a-t-il pas proposé de ne donner à nos canons et nos fusils de direction que contre les têtes couronnées, et d’épargner leurs satellites? Il est bien étrange qu’on vienne dans ce moment nous présenter des mesures utiles tout au plus à quelques agioteurs (on applaudit)', qu’on vienne proposer de faire durer la révolution cinq ou six ans de plus, et d’envoyer des fonds aux émigrés. (Nouveaux applaudissements.) Pourquoi ne proposerait-on pas demain de rendre Maëstricht? Ne voit-on pas dans ce projet le contournement le plus astucieux? C’est, dit-on, pour raviver le commerce? Eh quoi ! voulez-vous faire le commerce avec les émigrés ? Mais, si vous voulez vraiment raviver le commerce, prenez une partie du rapport qui me parait très bonne, celle d’accorder des primes aux commerçants les plus industrieux. Ne vous y trompez pas, nos ennemis sentent bien qu’ils ne peuvent plus nous atteindre par les armes ; c’est par l’astuce, par de petites et perfides machinations, qu’ils nous attaquent. Ravivez le commerce, personne de nous ne s’y oppose; ne laissez pas enlever à ce commerce ses matières pour les tenir mortes; mais ce n’est pas aux banquiers anglais et hollandais qu’il faut rendre ces marchandises ; c’est aux négociants français. Le projet de décret qu’on vous propose a été reçu avec une défaveur trop générale pour que je m’arrête plus longtemps à le combattre. Je demande qu’il soit écarté par la question préalable; et à l’égard de la partie du rapport qui concerne les primes, j’en demande le renvoi aux comité de Commerce et des Finances. CAMBON (113) : J’ai combattu dans le tems, le projet de décret qui ordonnoit le séquestre sur les biens des étrangers, et je combats aujourd’hui le projet qui vous est présenté pour l’an-nuller : je dois vous développer mon opinion. Vous vous rappelez sans doute qu’il vous a été proposé plusieurs fois de rompre toutes vos opérations commerciales avec les étrangers : on prétendoit alors que la France pouvoit se suffire à elle-même ; je combattis toujours ces opinions, pensant que quoiqu’il vous fut impossible de commercer directement avec les habitans des pays avec lesquels nous sommes en guerre, nous ne pouvions ni de devions pas nous priver des correspondances, qui nous étoient si nécessaires pour le commerce avec les neutres. L’Espagne commença de saisir les propriétés françaises, et vous décrétâtes qu’il seroit usé de représailles. On vous présenta une pétition pour vous demander que cette mesure fut rendue commune à tous les habitans des pays en guerre avec la République; sur cette pétition, vous décrétâtes le principe; votre commission des Finances vous en preprésenta les dangers ; elle vous dit que l’Angleterre ayant besoin du commerce pour soutenir son crédit, les ministres n’oseroient pas ordonner les premiers le séquestre ; mais qu’il étoit peut-être dans leur projet que nous donnassions l’exemple, et qu’alors ils s’empresseroient de le suivre, pour se procurer des fonds qui pourroient leur fournir leurs besoins pour une campagne. La commission des Finances étoit convaincue que beaucoups de Français n’ayant pas confiance aux assignats, ou mécontens de la révolution, avoient fait passer leur somme en pays étrangers, tandis qu’il étoit vraissemblable que le système des assignats devoit être la cause que les étrangers n’accordoient pas au commerce français un crédit fort étendu ; qu’ainsi nous saisissions peu, tandis que les étrangers nous saisiroient beaucoup; je suis persuadé que l’opinion de la commission des Finances étoit fondée ; puisque nous, nous n’avons séquestré que pour 8 à 10 millions en assignats, et 10 à 20 millions provenant de la dette publique ; et je ne crains pas d’exagérer en disant que les puissances avec lesquelles nous sommes en guerre, ont saisi au moins 100 millions en valeur métallique. Votre commission des Finances vit avec peine, qu’après avoir adopté et rapporté plusieurs fois le principe du séquestre des biens des étrangers, vous l’adoptassiez définitivement; votre comité des Finances crut devoir alors veiller à son exécution. Pénétré des principes de justice qui ont dicté tous vos décrets, il ne dut voir que le désir que vous aviez de ne pas fournir des ressources aux puissances coalisées, et de conserver intactes les propriétés (113) Rép., n°57: Discours du citoyen Cambon, prononcé à la séance du 19 brumaire an III, sur le projet de décret qui étoit proposé pour rapporter le séquestre ordonné sur les biens des habitans des pays qui sont en guerre avec la République. 44 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE des habitans des pays avec lesquels nous sommes en guerre. Considérant que la nation qui avoit arrêté le payement des sommes qui étoient dues, deve-noit garante du débiteur, s’il devenoit insolvable, et ne s’occupant que de l’exécution, ils proposa de décréter que les sommes fussent déposer à la Trésorerie, dans la caisse des Dépôts. Plusieurs négociants avoient contracté leurs engagemens payables en numéraire ou en mon-noie étrangères, tandis que d’autres les avoient stipulé valeur en assignats : votre comité crut que vous deviez ordonner le dépôt dans la même nature portée dans les engagemens ; mais comme il craignait que les négociations ne pussent pas se procurer le numéraire ou les mon-noies étrangères, il vous proposa de faire verser l’équivalent en assignats, d’après le cours des changes à l’époque du séquestre; enfin il vous proposa d’ordonner que la commission des Revenus nationaux veilleroit à l’entretien des biens meublés et immeubles, et au recouvreront de leur produit, qui devoit être versé aussi dans la caisse des dépôts. Par ces mesures, vous annonciez à toute l’Europe quels étoient vos principes, puisqu’en prenant le parti de les séquestrer, vous les mettiez en dépôt, ce qui ne laissoit aucun doute que vous étiez dans l’intention de les rendre à la paix, pourvu qu’on rendit la propriété du citoyen français qu’on auroit pu séquestrer. Votre comité crut aussi que vous deviez admettre la compensation vis-à-vis des négo-cians qui avoient expédié des marchandises de leur commerce habituel, et que vous deviez faire une différence sur le cours du change en faveur des négocians qui dévoient pour des marchandises sujettes au maximum. Il s’empressa aussi de vous proposer de distinguer dans le séquestre certaines villes qui étaient entrées malgré elles dans la coalition; il crut qu’il étoit digne de la générosité française de distinguer les pays qui n’étoient en guerre avec la République que par la crainte et par le droit du plus fort ; en conséquence il vous proposa d’éxcepter du dépôt, les sommes dues aux habitans d’Hambourg, Dantzig, Lubbek et autres villes d’Allemagne. Il est essentiel que j’explique à la Convention la différence du cours du change pour le dépôt des sommes qui ont été séquestrées et celui pour le payement du papier sur l’étranger qui a été mis en réquisition, ces deux opérations n’ont rien de commun entr’elles, ainsi qu’on pourroit le croire, elles ont été toutes deux dirigées d’après les principes de votre législation et de la justice. La loi du maximum étoit décrétée, vous aviez aussi établi le droit de préhension et de réquisition sur toutes les marchandises et denrées; ainsi un cultivateur honnête qui avoit travaillé la terre pour procurer du bled à la République, et qui après avoir sacrifié son tems et ses sueurs, étoit parvenu à récolter cent livres de bled qui lui revenoit quelquefois à 60 L le cent, étoit obligé de la fournir à 14 L. Un négociant qui avoit fait venir à Bordeaux du sucre qui lui revenoit souvent à 500 L le cent, étoit obligé de le livrer à 150 L, prix fixé par le maximum. La loi l’avoit ainsi ordonné, et il n’étoit pas permis de se récrier, sous le prétexte qu’on per-doit une partie de sa propriété. Mais il existoit des citoyens qui ayant moins de confiance dans la révolution, avoient envoyé leur sucre et leurs capitaux à l’étranger : ces citoyens sourioient de la perte qu’éprouvoient ceux qui avoient laissé leur propriété en France ; ils s’en croyoient exempts, et profitoient des avantages résultants du maximum établi sur la propriété de leurs voisins. La République avoit besoin de fonds en pays étrangers pour acquitter les bleds et autres denrées et marchandises qu’elle en faisoit venir. La loi ayant établi le droit de réquisition et de préhension sur toutes les propriétés françaises à un prix déterminé, les créances en pays étrangers dévoient, sans contredit, y être soumises; il y a certainement une grande différence entre ce cultivateur qui avoit mis dans son champ ses sueurs et ses semences pour faire venir du grain que vous preniez au maximum, et ce négociant ou ce particulier qui craignant la révolution, avoit privé la République de ses marchandises et de ses capitaux pour les exporter en pays étrangers. Si la loi devoit excepter quelqu’un du droit de préhension au maximum, ce seroit sans doute le cultivateur qui a été utile à la révolution, tandis que les autres citoyens auraient cherché à discréditer nos assignats. Ainsi, en mettant en réquisition les valeurs que les Français avoient en pays étrangers, on n’a fait qu’appliquer la loi et la maintenir par tout. Il est impossible de disconvenir que les marchandises en France étoient sujettes au maximum [illisible] exepter les propriétés françaises qui avoient été soustraitres aux résultats de la révolution, en les exportant en pays étrangers. Vous aviez cru qu’il étoit juste d’excepter du maximum les marchandises et les denrées que les étrangers vous apportoient, en conséquence, vous traitiez et vous traitez encore de gré à gré avec eux. C’est d’après ces principes que vous dûtes ordonner que les sommes qui seroient dues aux habitans des pays qui sont en guerre avec nous, valeur en numéraire ou en monnoies étrangères, seroient déposées en même valeur ; mais comme vous sentîtes qu’on ne pourroit pas faire ce versement en numéraire, alors, stipulant pour les étrangers, vous dites : vous êtes autorisés de porter des assignats d’après le cours des changes, parce qu’à la paix, si nos ennemis rendent les propriétés françaises qu’ils auront séquestrées, nous leur rendrons, d’après les termes de leur contrat, celles que nous leur avons retenues. Ce système n’attaquoit certainement pas la propriété, et je suis persuadé que vous seriez encore prêts de l’adopter s’il n’étoit pas décrété ; car vous devez espérer qu’à la paix toutes les propriétés seront rendues, et elles doivent l’être en argent ou en monnoies étrangères si le contrat porte cette condition. La nation auroit SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - N° 48 45 pu être exposée à une perte considérable, si lors du dépôt elle n’avoit pas pris des précautions pour éviter la différence qui pourra exister entre le numéraire et les assignats. Ceux qui ont rapproché ces deux opérations pour en faire sentir la différence, n’ont pas pris garde que dans la réquisition nous appliquions la loi du maximum sur la propriété française; et que dans le dépôt, nous ne stipulions pas pour le compte de la République, qui n’est que gardienne des fonds déposés, mais pour les étrangers. Et quel tort faisoit-on à un débiteur qui s’étoit engagé vis à vis de son créancier de le payer en numéraire ou en monnoie étrangère, de dépasser ce qu’il a promis? Encore un coup, vous ne pouviez pas décréter différemment, à moins de ne donner des craintes fondées aux propriétaires des sommes que vous aviez séquestrées. Je dois déclarer la vérité sur la marche de la délibération de vos comités : celui des Finances fut d’avis d’ajourner la question; le même avis fut adopté dans sa réunion avec le comité de Commerce, mais je me rappelle que les trois comités de Commerce, de Salut public et des Finances furent convoqués; je m’y rendis. La grande majorité adopta le projet qui vous a été présenté; à la vérité Monnot ne se trouva pas à cette séance. Il y a eu une deuxième séance convoquée aussi à la tribune ; mais je n’y assistai pas. Mon avis à la première séance fut de ne pas faire un pas que nos ennemis pourroient regarder comme rétrograde, mais que je croyois qu’il seroit juste de ne pas garder en dépôt les sommes qui sont dues aux habitans des pays dans lesquels sont entrées les armées de la République, et que vous deviez les rendre aux propriétaires ; par exemple, nous sommes entrés dans la Belgique et dans quelques villes d’Hollande, nous devons nous empresser de leur dire : le dépôt que nous avions ordonné étoit une mesure de sûreté contre les tyrans, mais dès que vous êtes libres, nous nous empressons de vous rendre les sommes qui vous étoient dues ; venez recevoir en assignats celles qui dévoient vous être payées avec cette monnoie, et celles qui dévoient vous être payées en numéraire ou en monnoies étrangères, nous avons pris des mesures pour que le dépôt en fût fait d’après le cours des changes, nous n’avons rien négligé pendant la guerre pour que vos propriétés qui étoient en France fussent respectées : les biens qui sont en dépôt répondent au cours du change [ illisible ] ; aussi vous ne perdrez rien : voilà ce qui [illisible] la nation française. Je sais que quelques négocians français se plaindront; mais ils sont de mauvaise foi, s’ils ne veulent pas tenir la condition de leur contrat; il y en a qui ayant consenti de payer les étrangers en numéraire, voudroient s’acquitter avec des assignats ; mais ils doivent en founir l’équivalent d’après le cours des changes quelques soient leurs criailleries ; ce parti est juste ; l’intérêt particulier doit se taire vis à vis l’intérêt général. Encore une fois, ne croyez pas que parce que vous les verrez aujourd’hui la saisie des biens des étrangers avec lesquels vous êtes en guerre, l’Angleterre, l’Espagne et les autres coalisés, voulussent imiter votre exemple. Je sais qu’il est quelques négocians qui prétendent que le dépôt qu’ils ont été obligé de faire, les gêne dans leurs opérations commerciales, mais vous pourriez les favoriser sans rapporter votre décret, en leur permettant de retirer les sommes qu’ils ont versées, pourvu qu’ils fournissent une bonne caution, qui s’obligera, à leur défaut, de payer les sommes dues en numéraire, ou en assignats, suivant les conditions du marché, lorsque le séquestre décrété sera levé. Cette mesure est nécessaire ; car la nation, en séquestrant les biens s’est rendue caution; si le paiement n’a pas été fait, c’est la loi qui s’y est opposée, ainsi la nation a intérêt que le débiteur, qui ne se débite pas, étant retenu par la loi, donne une garantie solvable, pour qu’elle ne soit pas exposée à payer. Déjà votre comité des Finances a cru devoir accorder des sursis à ceux qui ont prouvé être dans l’impossibilité de payer dans le délai prescrit par la loi. En me résumant, je vous propose de substituer au projet présenté, le projet de décret suivant ; La Convention nationale décrète : Art. 1er. Les sommes qui ont été déposées dans la caisse des receveurs de district, ou à la Trésorerie nationale, et qui appartiennent aux habitans des pays dans lesquels les armées de la République sont entrés ou entreront, seront remboursées à ceux qui les ont déposées, en rapportant le consentement de leurs créanciers, ou auxdits créanciers en rapportant un certificat de ceux qui les ont déposées. Art. 2. Les marchands, fabriquans et ouvriers qui ayant déposé les sommes qu’ils doivent aux habitans des pays qui sont en guerre avec la République, et qui en auront besoin pour faire valoir leur industrie, pourront les retirer, en soumettant au receveur de district ou à la Trésorerie, une bonne et suffisante caution qui s’engagera de satisfaire aux conditions du marché, au cas où le débiteur ne pût pas y satisfaire. J’ai combattu, dans son temps, la mesure du séquestre sur les biens des étrangers; voici quelles étaient mes raisons. On voulait couper toutes nos relations commerciales. L’Angleterre a besoin du commerce pour soutenir son crédit. Jamais les Anglais n’auraient été assez hardis pour commencer cette mesure. Il était nécessaire pour eux que nous donnassions le premier exemple. La commission des Finances était convaincue que beaucoup de banquiers de France avaient transplanté leur fortune en pays étranger. Elle disait : Si nous saisissons en France nous saisirons peu ; et en saisissant chez les étrangers, on nous saisira beaucoup. Aussi n’avons-nous fait entrer à la Trésorerie nationale que 7 à 8 millions de ces saisies. Le comité des Finances vit avec douleur décréter le principe du séquestre, qui favorisait les dilapidations, qui attentait à la propriété. Il crut qu’il 46 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE était digne de la nation française de veiller à la propriété de tous, pour qu’à la paix tous rentrassent dans leurs droits. Il établit donc ses raisons et proposa le dépôt. Il disait : En temps de guerre, je requiers ; mais jamais la filière de la propriété ne se perdra si vous me rendez ce que vous aurez saisi chez vous. L’Assemblée, avec le maximum , avait décrété le droit de préhension sur toutes les marchandises. Elle pouvait dire aux négociants : Si j’ai besoin de vos capitaux en pays étrangers, le maximum peut les atteindre. En ordonnant le dépôt, vous prouvâtes aux étrangers que vous n’abuseriez jamais de la confiance qu’ils avaient eue dans la loyauté française. Vous sentîtes qu’on ne pouvait porter dans les dépôts du numéraire ; alors, stipulant pour les étrangers, vous dites : il faudra porter les assignats aux taux qu’ils doivent avoir d’après ces valeurs, parce qu’à la paix nous voxilons être justes. Ce système n’attaquait point la propriété. Il y a certainement une grande différence entre le cultivateur qui met dans son champ ses sueurs et ses semences pour faire venir du grain que vous prenez au maximum, et ce négociant qui, craignant la révolution, a placé ses fonds en pays étranger. Alors vous pouvez mettre ses marchandises en réquisition; mais avec les étrangers vous ne pouvez pas suivre la même marche. Vous avez donc voulu un dépôt, et par là vous n’attentiez pas à la propriété. Vous saviez distinguer les commerçants d’avec vos ennemis. Nous devons être justes envers tout le monde. Nous avons donné aux négociants de Hambourg et de l’Allemagne une marque de cette justice ; mais nous ne prendrons pas une mesure qui favoriserait, sans fruit pour nous, les tyrans d’Espagne, de Piémont, d’Angleterre, etc. Je demanderais qu’il fût ordonné que le dépôt des marchandises appartenant aux étrangers des pays où sont entrées les armées de la République sera rendu à ses propriétaires. Par exemple, nous sommes entrés dans la Belgique ; eh bien, nous dirons : « Le dépôt était une mesure de sûreté contre les tyrans ; mais, dès que vous êtes libres, nous vous rendons vos biens. Nous avons pris dans la guerre des précautions pour que vos propriétés fussent respectées ; les assignats ont été portés à la valeur des effets ; vous ne perdrez rien. » Voilà ce qui honorera la nation française. (On applaudit.) Il faut donc vous prononcer. Je sais que quelques négociants se plaindront. Il y en a qui avaient contracté pour valeur en numéraire ; ils se libéreront aux termes de leur contrat. Ce parti est juste, il est digne de vous ; l’intérêt particulier doit céder à l’intérêt général. Mais, encore une fois, ne croyez pas que, parce que vous lèveriez aujourd’hui la saisie des biens des étrangers avec lesquels vous êtes en guerre, l’Angleterre, qui a perçu 100 millions de cette saisie chez elle, voudra imiter votre conduite, après avoir usé de représailles. Je me résume, et je demande que le dépôt, tenant à l’égard des Anglais, des Hollandais, des Espagnols, etc., soit levé pour tous les étrangers des pays où les armées de la République sont entrées. Je demande en outre que, pour ne point porter préjudice aux négociants français, et ne point leur donner des motifs de crier que nous leur pressurons les sommes qu’ils doivent aux habitants des pays avec lesquels nous sommes en guerre, nous nous contentions de recevoir une caution signée d’eux, qui sera, en place, déposée à la Trésorerie nationale. (On applaudit.) BARÈRE dit qu’il va démontrer la nécéssité de rejeter le projet de décret par de courtes réflexions; parce que ceux à qui le projet de décret pourrait être favorable sont : 1° Les émigrés sans ressources dans toute l’Europe, et qui cachent leurs perfides espérances derrière de prétendus avantages du commerce. 2° Les puissances à qui il faut du numéraire pour solder leurs troupes, qui n’en ont plus, et qui pourraient s’en procurer par ce moyen. 3° Enfin, les agioteurs de toute espèce, qui nous ont fait, au moral comme au physique, le plus grand mal, et avili le plus qu’ils ont pu le signe national. Aussi demande-t-il qu’on excepte de la proposition de Cambon, qu’il croit grande et digne d’être mûrie par un comité, les banquiers agioteurs de Bruxelles, qui nous ont fait le même mal. Du reste, Barère demande le renvoi au comité des propositions de Bourdon et de Cambon et la question préalable sur le projet de décret. Ces propositions sont vivement applaudies; elles sont décrétées ; les applaudissements recommencent (114). La séance est levée à quatre heures (115). Signé , LEGENDRE, président, THIRION, GUIMBERTEAU, GOUJON, DUVAL (de l’Aube), MERLINO, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé , GUILLEMARDET, BALMAIN, CAA. BLAD, J.-J. SERRES (116). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 49 [La commission des Administrations civiles, Police et Tribunaux au comité de Correspondu) Moniteur, XXII, 465-466. Débats, n°777, 700-701. (115) P.-V., XLIX, 102. Moniteur, XXII, 466; J. Fr., n°775; J. Perlet, n°777; M.U., XLV, 317. (116) P.-V., XLIX, 102.