581 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1790.] PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 20 NOVEMBRE 1790. M. Charles-F rançols Bouche, député d'Aix. Opinion sur la pétition du peuple avignonais (1). AVERTISSEMENT. Ami lecteur, j’eus, l’année dernière au mois d'août, dans une séance de l’As-emblée nationale, l’occasion de parler de la réunion du comté Venaissin et de la ville d’Avignon à la France; j’en parlai. Dès ce moment voici venir une pluie de lettres anonymes, dans lesquelles on me menaçait de la colère des hommes dans ce monde, et de celle de Dieu dans l’autre, si, fidèle aux lois que mes commettants m’avaient imposées, je faisais la motion de réclamer le comté Venaissin et la ville d’Avignon. Comme la divinité ne s’offense point d’une motion faite dans Je sein du Corps législatif pour le bon ordre des choses temporelles, et que d’ailleurs le courroux ou l’opinion des hommes ne m’ont jamais empêché de m’acquitter de mon devoir, je fis, le 21 novembre 1789, cette motion qui armait tant de plumes obscures et méprisables, ou, pour mieux dire, je la renouvelai d’une manière plus détaillée et plus précise. L’Assemblée nationale sentit qu’il était nécessaire de la bien faire connaître pour la plus grande instruction de ses membres, et par décret elle en autorisa l’impression. Ma motion fut publiée. Au mois de décembre, je la repris et demandai un ajournement fixe ; elle fut ajournée. Ici les aristocrates de toutes les classes et de toutes les couleurs me distribuèrent tout ce qu’il y a de plus recherché en fait d’injures ..... voleur , brigand , homme sans foi et sans loi, etc... furent leurs plus petites douceurs. Je les laissai écumer, parce que j’ai toujours ouï dire que les injures, tant grossières soient-elles, ne sont pas des raisons. Les dévots c ièrent haro sur Vimpie qui voulait donner au monde ce qui appartenait au ciel, et dépouiller le serviteur des serviteurs de Dieu, lequel n’avait que 24 millions de rente pour ses menus plaisirs, pour l’entretien de ses châteaux, de ses forteresses, de ses bâtiments de mer et de ses soldats. Je laissai crier les dévots. Alors ils me menacèrent d’excommunications, qui, comme on le sait, font devenir maigres, blêmes, insomnes, stupides ceux qui en sont frappés. Ils firent plus : ils firent imprimer qu’ils ne prieraient jamais Dieu pour moi... Je me passe de leurs prières, j’ai plus de confiance aux miennes qu’aux leurs. Un autre genre de persécution m’attendait, et il faut couve îr qu’il n’est pas le plus inquiétant. Les folliculaires, les pamphlétiseurs, les écrioas-siers à la douzaine, tous 1rs gagne-petit de la république des lettres, tous les barbouilleurs de papier qui vendent leur encre à tant la page, et leur colère à tant l’i jure, m’affichèrent comme un perturbateur du repos public, me gratifièrent de tous les outrages que pourrait vomir, par exemple, un aristocrate contre un patriote, et ils ne craignirent pas d’affirmer que l’Assemblée nationale avait condamné et rejeté ma motion. Eh ! Messieurs, voilà beaucoup de bruit pour un homme qui sait que vos fureurs ne sont que postiches I Aujourd’hui il ne doit être question que d’A'ignon ; économisez votre colère, gardez-en une petite provision pour le temps auquel on parlera du comté Venaissin, parce qu’alors il faudra que vous vous fâchiez encore. Si vous vous épuisez aujourd’hui, comment ferez-vous alors? On fut d’autant plu� porté à croire que, contre leur ordinaire, ces Messieurs disaient vrai, que jusqu’au 17 juin 1790, je ne dis plus un mot sur la restitution du comté Venaissin et de la ville d’Avignon. Avignon est une ville où je n’ai ni parents, ni alliés, ni amis, ni liaisons, ni correspondances; ami lecteur, ce n’est pas sans raison, que je fais celte observation ; vous allez en juger. Depuis le commencement de l’année 1790, des troubles régnaient dans cette ville; ils éclatèrent les 10 et 11 juin; le 12, les habitants, divisés ea neuf districts, délibérèrent de se donner à la France; depuis quelque temps ils avaient établi chez eux la Constitution française. J’ignorais tout cela. Alors la vermine aristocratique, les reptiles contre-révolutionnaires, les vipères du despotisme, lancèrent leurs dards et divulguèrent eu honneur et conscience (les leurs s’entend) que, pendant mon long silence, j'avais fomenté ces troubles et cette révolte contre le pape, propriétaire du peuple d'Avignon. Le 17 juin dernier, séance du soir, les députés d’Avignon se présentèrent à la barre de l’Assemblée nationale, pour déclarer que cette ville avait reçu la Constitution française, et se donnait à la France. Je rompis alors le silence profond que je gardais depuis si longtemps, et je soutins qu’ils devaient être admis dans l’intérieur de la salle, comme les envoyés d'un peuple; je le soutins, et l’Assemblée nationale le décréta de même. Au mois de juillet (j’ai oublié l’époque) l’affaire d’Avignon fut mise à l’ordre du jour et discutée. Des hommes opposés à la réunion d’Avignon, tordirent le col aux faits, mutilèrent la logique, défigurèrent les époques, me déchirèrent à belles dents, et soutinrent qu’Avignon n’avait jamais appartenu à la Provence , et que, pour la recevoir, il fallait le consentement préalable du pape, propriétaire de ses habitants. J’opinai à mon tour, et je conclus à la réunion d’Avignon. Mais ne voiià-t-il pas qu’un fédéré des bords du Rhône se trouve par hasard dans une tribune, et qu’il va s'imaginer que, dans le cours de mon opinion, j’ai insulté Villeneuve-lès-Avi-gnon dont le nom n’était pas et n’est jamais sorti de ma bou he. Le len temain il vient chez moi me faire des plaintes, dan-> lesquelles je ne me reconnaissais pas. Jusque-là cet honnête homme n’etait que dans l’erreur; mais il termina son séjour à Paris par m’estamper dans un journal in folio, et il partit.... bon voyage. Sur la loi d’un autre papier public, on connaît l’exactitude des papiers publics, et sur le rapport du feuéré, la commune de Villeneuve me dénonça à l’Assemblée nationale et à la France entière comme un calomniateur, et jura que lorsque je ne serais plus revêtu du caractère de représentant de la nation, elle me poursuivrait par devant les tribunaux. C’est là où je l’attends. Ce fut dans cette pièce, et dans quelques (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 582 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. jfo novembre 1790.1 autres de la même force, que l’on soutenait que j’avais un frère ou un beau-frère à Avignon. J’ai fait observer plus haut que je n’avais à Avignon ni parents, ni alliés, ni amis, ni liaisons, ni correspondances; et ici je ferais remarquer que je n’ai jamais eu de frères. Ce n’est pas tout : un sol m’écrivit une lettre - menaçante, pour me signifier qu’il fallait que je retractasse tout ce que j’avais dit sur la commune de Villeneuve. Comme je n’avais rien dit, je n’avais rien à rétracter. J’en fus quitte, non pour la peur, mais pour rire; son auteur ne s’attendait pas certainement à me procurer un régal de ce genre. La dénonciation de la commune de Villeneuve fut adressée à un membre de l’Assemblée nationale, qui en sollicita la lecture publique à l’ouverture de la séance. Hué, conspué, repoussé, il se lassa enfin. J’en fus instruit, je m’approchai de lui, je le consolai de sa disgrâce, et je le priai instamment de me remettre cette pièce curieuse, avec promesse que je la lirais et que je me dénoncerais moi-même. On ne pouvait faire une démarche plus noble ; le commissionnaire s’y refusa. La dénonciation finit par être disséminée dans Paris, in-quarto, in-octavo et in-douze. Malgré cela, je crois qu’elle sera connue aujourd’hui pour la première fois. Je crois de tout mon cœur que la commune de Villeneuve et le membre de l’Assemblée nationale, chargé de l'honorable mission dont je viens de parler, n’eurent aucune part à cette publication. Mais enfin, voilà comment les choses se passèrent par rapport à moi; je n’accuse personne. J’arrive à ce jour 20 novembre 1790, où j’espérais que l’Assemblée nationale prononcerait sur la pétition du peuple avignonais. M. l’abbé Maury demanda que l’Assemblée nationale fît un décret, par lequel il serait dit que la discussion ne serait point fermée qu’il n’eût été entendu. On sait que M. l’abbé Maury est Gomtadin. Sa motion ne fut qu’un enfant mort-né. Après lui, d’autres orateurs parlèrent contre la réunion; et il faut convenir que, dans cette séance, comme dans la précédente, l’histoire et la politique ne servirent guère bien leur système; ils faisaient marcher l’une à reculons; et l’autre, par leurs soins, s’appuyait sur des béquilles. Je monte à la tribune pour dire mon avis et soutenir le projet de décret proposé par M. Pétion de Villeneuve dans la séance du 18. Ce projet tendait à déclarer que la ville d’Avignon et son territoire faisaient partie de l’Empire français, et à décréter que le roi serait prié de donner des ordres pour faire marcher incessamment des troupes vers Avignon, pour y maintenir la paix publique, y protéger les établissements français, etc., etc... Dans ce moment, un honorable membre demande fort obligeamment que le comité diplomatique soit entendu. Je déclare alors m’en rapporter à la sagesse de l’Assemblée nationale; j’adhère au projet de décret proposé par M. Pétion de Villeneuve, et je descends de la tribune. Un membre du comité diplomatique y monte, et propose un décret tendant à ajourner la pétition du peuple avignonais, et cependant à ce que le roi fût prié d’envoyer sous ses ordres des troupes à Avignon, pour y protéger les établissements que la nation y possède, et y maintenir la paix publique. M. l’abbé Maury demande alors que l’Assemblée nationale décrété que, sur la demande du pape, le roi sera prié d’envoyer des troupes à Avignon, pour y être aux ordres du pape, et y rétablir tout dans l’ordre accoutumé sous le pape. Ce nouvel enfant mourut encore en venant au monde; il regardait de travers la justice, la loyaulé, la politique et la sagesse de l'Assemblée nationale; il ne caressait que son père et quelques-uns de ses alliés; il effraya ceux qui le regardaient d’un autre côté. On revint bientôt à l’avis du diplôme. Je m’aperçus qu’il ôtait agréable, et que celui de M. Pétion allait être écarté. J’essayai alors de rendre le projet diplomatique aussi utile, aussi régulier qu’il serait possible. , Prononcer le décret tel qu’il avait été proposé, c’était avoir un sujet de craindre que les troupes demandées ne devinssent un instrument d’oppression contre les Avignonais. Le prononcer tel, sans que les officiers municipaux se fussent concertés, pour le maintien de la paix publique, avec les t chefs des troupes, c’était donner l’empire dans la ville à ceux-ci. Le prononcer tel, sans faire expliquer si l’on enverrait des troupes françaises ou étrangères, c’était exposer les Avignonais à recevoir celles dont peut-être ils n’auraient pas voulu. Je demandai alors qu’on ajoutât le mot fran-çaises après troupes, et les mots de concert avec les officiers municipaux après les mots maintenir. Le décret fut ainsi rédigé et prononcé. J’ai ouï dire que les Avignonais étaient, en attendant, fort contents. Je le suis aussi puisqu’ils le sont. Mais comme je n’ai pas encore fait pour eux tout ce dont mes commettants m’ont spécialement chargé, ils me permettront de travailler à augmenter leur contentement, si cela est possible. Opinion sur la vétition du peuple avignonais (1). Messieurs, la manière dont vous prononcerez sur la question soumise à vos délibérations, apprendra aux peuples, qui ont les yeux fixés sur vous, jusqu’à quel point ils peuvent s’élever, pour votre gloire et leur instruction, vers les grands principes de liberté et de souveraineté, dont, les premiers, vous avez jeté les fondements. Si, après avoir déclaré les droits de l’homme, et fixé d’une main courageuse les bornes du pouvoir des rois et l’étendue des droits des peuples, vous n’osez pas, en ce jour, appliquer l’exercice à l’observation, votre gloire va se flétrir dans vos mains ; et effaçant, pour ainsi dire, vous-mêmes la haute idée que les nations ont conçue de vous, vous ne ferez que grossir l’histoire de tant d’esclaves, qui après avoir eu la force de briser leurs chaînes, n’ont pas eu le courage de se mettre en liberté; ou l’opinion, cette reine du monde qui vous écoute, à la porte de ce temple, ne pourra plus vous comparer qu’à ces captifs, qui, s’étant ouvert les portes de leur prison, négligent de se faire suivre par leurs compagnons malheureux. Eh ! que sait-on ? Peut-être'que de votre décision vont dépendre la durée de l’esclavage ou le commencement de la liberté des peuples qui vous contemplent 1 Peut-être que vous allez avoir, en (1) Celte opinion qui devait être émise devant l’Assemblée nationale, n’a pas été prononcée, M. Bouche ayant cédé son tour de parole à M. de Mirabeau. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES ce jour, ou à vous reprocher la durée des malheurs des peuples esclaves, ou à vous féliciter de leur résurrection à la liberté : c’est vous dire, Messieurs, que leur sort et votre gloire sont dans vos mains. Je ne vous rappellerai point, Messieurs, comment la ville d’Avignon fut démembrée de la Provence et de l’Empire français. Je n’ignore point toutes les objections qu’on peut me faire relativement à cette aliénation. Prêta y répondre, je les dédaigne, j’ai d’autres moyens à employer. Je me bornerai à vous dire que, du côté du droit positif, vos titres sont incontestables; iis ont été mis sous vos yeux. Incapacité et séduction dans la jeune reine qui aliéna Avignon; prix non compté; prohibition d’aliéner établie par une substitution qui remonte jusqu’en 1309, et par un testament sous la date de 1345, âge de minorité; inaliénabilité des domaines, nulle preuve de l’emploi du prix; défaut de liberté de la part de Jeanne qui aliéna, nulle approbation de la part des Provençaux et des Avignonais: nulle investiture, quoi qu’on en dise, de la part de l’empereur, qui se disait seigneur suzerain �serment prêté par la violence, de la part des Avignonais, cinq ans après l’aliénation; révocation faite par Jeanne elle-même de toutes ses aliénations; bulles, du pape qui confirment cette révocation ; protestation célèbre faite par les Etats de Provence, notifiée à l’empereur, au roi de France, au pape et à la reine Jeanne. Un vieillard âgé de cent ans la remit à cette princesse imprudente, en lui disant ces paroles remarquables, et qui semblent être une prophétie qui vous regarde : « Nos enfants seront plus forts « que nous, et ils vengeront leurs pères des folies « des comtes qui régnèrent sur eux ». Du côté du droit positif voilà vos titres ! Pouvant entrer dans de plus grands détails à ce sujet, je me borne à ce bref tableau. Nos rois, depuis Louis Xll jusqu’à Louis XV, ont tellement regarde l’aliénation de la ville d’Avignon comme nulle ou comme un simple engagement, que l’histoire n’a pas dédaigné de nous conserver les anecdotes suivantes : ce ne sont que des anecdotes, mais il est bon de les connaître, parce qu’elles préparent à l’idée que l’on doit avoir de l’aliénation d’Avignon et à la confiance dictée par la justice et la raison, dans les sentiments de laquelle vous devez la prononcer. Louis XII apprend que le pape a déclaré qu’il était capable de se servir contre lui des armes des mahométans : « Le pape, reprit brusquement « Louis XII, appellerait les Turcs contre moi 1 « Eh bienl chemin faisant vers les Alpes, je « chasserai les Italiens de mon pays d’Avignon « et du eomtat. » Henri IV va audevant de Marie de Médicis. On lui conseille de pousser sa route jusqu’à Avignon : « Je n’en ferai rien, répliqua-t-il, M. le légat me « ferait payer l’hospice que je lui prêle. ». Charles VIII allant au delà des monts, couvrit le territoire d’Avignon et le eomtat Venaissin de ses camps et armées. Après lui François 1er, Louis XIII, Louis XIV et Louis XV en ont fait autant; et l’histoire ne nous dit nulle part qu'ils en eussent demandé la permission au pape. François 1er en 1536, Charles IX en 1566 et 1567, manifestèrent dans leurs lettres patentes le droit de propriété de la France sur Avignon et le eomtat Venaissiu : regardant ces pays tout au plus comme engagés, ils les comprirent dans la recherche de leurs domaines. |20 novembre 1790*1 583 Les écrivains, les publicistes français sont tous d’accord sur ce point ; les seuls auteurs ultramontains sont d’un avis contraire; c’est d’après eux qu’ou vous a parlé et qu’on vous parlera peut-être encore. Mais on sait que ce n’est pas là qu’il faut chercher la vérité : mentir et flatter, c’est le destin de leur plume vénale. Vous connaissez, Messieurs, les preuves éclatantes de propriété que Louis XIV et Louis XV donnèrent, l’un en 1662 et 1688, l’autre eu 1769. L’un et l’autre ont, à la vérité, restitué ces pays qu’ils avaient réunis à la France, mais ce n’a jamais été que par une suite des intrigues des ambassadeurs, espèce d’agents du pouvoir exécutif inutile à Rome, si elle n’y est pas dangereuse; et cela a toujours été comme à mise de simple possession, et jamais à titre de propriété. Mais ce que vous ne connaissez pas peut-être, et qu’il est bon que vous sachiez, c’est qu’eu 1774, lorsque Louis XV remit le comté Venaissin et Avignon dans les mains du pape, il fut convenu que celui-ci laisserait dans ces pays tous les établissements que la France y avait faits. Si vos comités des finances et de liquidation veulent s’en donner la peine, ils vous rapporteront que le Trésor public paye, ou payait naguère, à divers officiers de judicature du pape, des émoluments pour l’exercice de leurs charges. Observez, je vous prie, un fait important; c’est que depuis Clément VI jusqu’à Pie VI, il n’a jamais été question, entre la France et Rome, de propriété, mais toujours de simple possession du comté Venaissin et de la ville d’Avignon ; et toujours la réintégration des papes a contenu les réserves de lu France. Les Comtadins et les Avignonais sont régni-coles ! à quel titre ils sont en tout assimilés aux Français : à quel titre ? à titre de Français ; vingt lettres patentes de nos rois sont expresses sur ce point. Les cahiers des députés provençaux aux Etats généraux de 1614 portaient la même injonction que les nôtres. Plus heureux qu’eux, parce que nous sommes plus éclairés et plus libres, nous faisons aujourd’hui ce que nos devanciers ne purent faire ; six cent mille Provençaux nous ont imposé cette tâche. Nous serons fidèles à notre devoir, nous serons fidèles au vœu de la France ; car tous les districts, tous les départements de la France redemandent Avignon : leurs vœux ont été adressés à l’Assemblée nationale. Faut-il, pour établir la nécessité de réunir le comté Venaissin et Avignon à la France, consulter les convenances politiques et sociales ? elles sont infinies ; je ne m’arrêterai qu’à une seule, mais je supplie qu’on m’entende. Quand je parle de convenances , je n’entends pas les convenances pour prendre, ce qui nous plaît, mais pour réclamer avec indemnité, s’il y a lieu, ce qui nous appartient, et accepter librement ce qu’on nous offre de même, quant à la ville d’Avignon. Consultez, je vous prie, vos comités de commerce et d'imposition ; ils vous témoigneront leur embarras au sujet du reculement des barrières du côté du Midi. Tant que les terres de la rive gauche du Rhône auront un seigneur étranger, car le pape n’y est que seigneur et non souverain, il vous sera physiquement impossible de réaliser voire système salutaire de reculement des barrières. Quelle justice y aurait-il, que quand tous les départements du royaume auraient entre eux une communication facile et suivie, ceux du 584 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 120 novembre 1790.) Dauphiné, de la Provence et du Languedoc fussent les seuls séparés les uns des autres par des barrières et des douanes ? où seraient pour ceux-ci l’égalité et le bienfait de vos lois? Ces départements ne veulent point de barrières ni d’étrangers, encore moins d’Italiens, au milieu d’eux : ils ne veulent pas non plus que vous laissiez le comté Yenaissin libre, à l’instar des départements du royaume, parce que, dans moins de cinq ou six ans, ce beau pays, destiné par sa nature et par sa position à la fertilité, à la population, aux arts et au commerce, aurait occupé les ouvriers, les manufactures et les arts de toutes les provinces du Midi. Cette dangereuse expatriation de nos arts et de notre commerce serait d’autant plus aisée et prompte, que le comté Venaissin, libre de toutes charges, profiterait de toute notre liberté. Il n’y a qu’un moyen pour éviter ce malheur, et mettre les départements du Midi d’accord avec eux-mêmes et avec la félicité publique ; c’est que le comté Venaissin soit déclaré, par vous, faire partie de l’Empire français. Ce décret sera conforme à vos principes, à vos titres, à l’histoire et à la vérité. Telles sont mes réflexions sur le comté Venaissin et Avignon. Je vais à présent jeter un coup d’œil très rapide sur la ville d’Avignon seule ; car, dans cette séance, il ne s’agira que d’elle. Cette ville est à vous par vos titres, vous les connaissez. Elle est à vous par le vœu libre du peuple. Ce vœu vous est exprimé par les délibérations unanimes et générales des citoyens, prises dans les mois de mars, avril et juin derniers. Il vous est exprimé par l’adresse qui vous a été présentée le 17 juiu. Il vous est exprimé par l’adoption plénière qu’Avignon a faite de votre Constitution. Si l’on oppose à ce vœu le mensonge grossier et si souvent répété, que le vœu du 12 juin a été arraché par la violence et la crainte ; qu’il a été prononcé au milieu du carnage et du sang : Sans m’attacher à prou ver, ce quime serait facile, que ce vœu a été libre, je répondrai qu’on ne peut pas faire le même reproche à celui du mois de mars et du mois d’avril; je répondrai que ce vœu s’est soutenu, sans se démentir; que les députés d’Avignon ont été constamment, et sont encore auprès de l’Assemblée nationale pour obtenir la réunion désirée en mars, avril et juin. Je répondrai qu’Avignon a offert, postérieurement au mois de juin, à l’Assemblée nationale, trois cents hommes pour aller garder nos frontières; et après cette offre généreuse on a osé vous faire la barbare proposition de leur eulever les gardes nationales françaises qui la protègent et la sauvent. Je répondrai qu’Avignon a dépu lé à la fédération du 14 juillet ; que ses députés ont marché sous nos bannières ; qu’ils ont renouvelé, pour eux et leur ville, le serment civique que leurs compagnons avaient déjà prêtéaux camps d’Orange et de Beaucaire; qu’on leur a donné la médaille de la fédération et des passeports de citoyens français ; que le 14 juillet, lorsque tous les habitants du royaume prêtaient le serment civique dans les mains des officiers municipaux, les habitants d’Avignon le prêtaient dans les mains des administrateurs que la Constitution française leur avait donnés. Je répondrai enfin que pour faire disparaître toutes les calomnies absurdes dont on noircit ce vœu si libre, si constant, si solennel, les districts se sont rassemblés le 26 octobre dernier, et là ils ont juré unanimement de vivre et de mourir français. Cette délibération a été adressée à l’Assemblée nationale. A présent, Messieurs, consultez votre cœur, votre raison et vos lois, et jugez s’il est en votre pouvoir de vous refuser au vœu d’une ville aussi intéressante; si vous pourrez voir de sang-froid que Rome, armée de satellites et de bourreaux, lasse périr dans les derniers supplices, ou dépouille de leurs biens, comme des rebelles, des hommes qui ont osé vous imiter en courage et en magnanimité, et lire leurs droits là où vous lisez tous les jours les vôtres, dans la déclaration des droits de l’homme que vous avez prononcée, pour devenir l’évangile du genre humain? Vous ne pouvez pas méconnaître la ville d’Avignon, parce qu’elle fait partie intégrante de votre antique société. Vous ne devez pas la méconnaître d’après vos principes et vos lois, parce que libre elle vient librement à vous, parce qu’en la recevant vous userez d’un droit que vous avez décrété, le même dont elle se sert pour venir à vous, comme peuple entier et souverain dans le choix de celui qui doit la gouverner. Les grands et les puissants de la terre, dans leurs petits arrangements politiques, avaient placé le peuple au dernier rang; mais vos lois leur ont appris qu'il est écrit le premier dans les archives du monde, par les mains mêmes de la divinité. Qu’étaient b s Français naguère sous le joug du despotisme? Qu’avez-vous fait pour les retirer de l’oppression dans laquelle ils avaient été précipités? Vous avez usé du droit dont jouissent tous les peuples, et vous avez dit ; « Les Français n'appartiennent qu'à eux-mêmes; ils ne sont point la propriété de celui qu'ils ont choisi pour faire observer les lois qu’ils veulent se donner librement. » Vous l’avez dit, et, peuple entier, vous l’avez exécuté. En effet, Messieurs, lorsque les rois destinés à être les pères de leurs sujets ne font que passer sur la scène brillante du monde, les peuples durables comme lui demeurent, d’âge en âge, les créateurs et les pères des rois. Qu’étaient naguère îles Avignonais sous la verge de la cour de Rome? Qu’ont-ils fait pour secouer ce joug? Ce que vous avez fait avec tant de gloire pour secouer le vôtre. Ils veulent changer de manière d’être en politique et en socialité pour être mieux, et ils en ont le droit. Je sais bien qu’on va me répéter ce qui a été si souvent et si éloquemment combattu, que les Avignonais ne sont qu’une partie des Etats du pape, et qu’ils ne peuvent se séparer de l’autre partie sans sa permission. Entre Avignon et les autres Etats du pape, il n’y a jamais eu d’association consentie; les uns et les autres ont toujours été distincts et séparés par les lois, les mœurs et l’administration. Sur cent preuves que j’en pourrais donner, je me contenterai d’une seule. L’assemblée représentative’du comté Venaissin, qu’on ne soupçonnera certainement pas de vouloir flatter les Avignonais, a été obligée de convenir, dans ses adresses, qu’en effet Avignon formait un Etat séparé. Mais, répète-t-on, car ici les objections toujours repoussées sont sans cesse présentées, recevoir Avignon, c’est dire aux autres provinces du royaume qu’elles peuvent se séparer ou se choisir un autre genre de gouvernement. Avignon, avons-nous dit, est un tout entier (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [90 novembre 1790.] ; 588 qui peut disposer de son sort. Les provinces dont on parle, ne pourraient le faire, parce qu’elle ne sont qu’une petite partie d’un grand tout auquel elles appartiennent par un serment solennel, et par une association consentie, autant que dictée par leur intérêt particulier. On ne voit en Europe que des peuples esclaves ; le Français seul est libre sous l’égide du droit naturel, et on craindrait une scission de la part des provinces frontières! Ce serait être ou bien ignorant, ou de bien mauvaise foi que de vouloir vous inspirer une pareille crainte. Qu’avez-vous décrété lors de l’affaire des princes d’Allemagne? Vous avez décrété que nul autre que la nation ne pouvait exercer les droits de seigneurie dans l’enclave des terres de l’Empire français, et vous avez renvoyé les princes d'Aile-masne à de simples indemnités. C’est ici la même question, et vous ne la déciderez pas d’une manière différente. La Corse devait, dit-on, par une convention particulière, retomber dans les mains de la république de Gênes ; vous avez ouï le vœu libre des habitants de cette île, et vous les avez déclarés Français. Ce cas est encore plus fort que celui qui concerne Avignon. Mais quoi, me dit-on, cinq siècles de possession ne suflisent-ils donc pas pour appliquer le sceau de la propriété? Cette objection est un blasphème contre la nature, et un mensonge contre l’histoire. Les droits des peuples sont imprescriptibles et saints comme ceux de la nature, parce que c’est de son sein qu’ils émanent. La France est une preuve mémorable de cette grande vérité. Meurtrie depuis près de quinze cents ans sous une verge de fer, elle s’est relevée avec courage; et comme elle aurait pu se donner un autre chef, s’il lui avait été possible d’en trouver un plus vertueux, comme elle aurait pu se donner un autre genre de gouvernemeut, si elle en avait connu un meilleur que le gouvernement monarchique; elle s’est contentée d’établir un autre genre d’administration. Osera-t-on lui dire qu’elle ne pouvait pas le faire, parce que depuis quinze cents ans elle était administrée différemment? Il en est de même d’Avignon ; car la force ou la faiblesse du peuple sont sans importance là où les droits sont les mêmes, là où le ciel, la nature et le courage parlent à tous les cœurs. Pendant cinq siècles, la possession des papes a été attaquée si souvent, et en tant de manières différentes, qu’opposer la loi de la prescription, c’est prononcer une absurdité. Avignon, ville engagée et soumise à un rachat perpétuel, ne laisse aucune vote à l’établissement de la prescription. Dans la question soumise à. vos délibérations, il n’y a point de terme moyen a prendre ; il faut ou accepter, ou refuser. Si vous acceptez, vous userez de vos droits sur lesquels sont fondés ceux des Avignonais ; vous serez conséquents avec vos lois, et courageux par elles. Si vous refusez, vous allez détruire votre code immortel; et ce code destiné à instruire comme à consoler la terre entière, ne sera plus que le jouet des ennemis couronnés de l’humanité, dès qu’ils verront que vous n’avez pas le courage d’appliquer la pratique aux principes. Des esprits paresseux, des âmes timides, vous conseilleront peut-être de négocier la réintégration, avant de vous expliquer sur la réunion. Mais si vous négociez, vous reconnaîtrez donc que le pape a des droits sur Avignon, et que ses titres sont valides; vous reconnaîtrez donc qu’un homme peut être le propriétaire d’un peuple, et que la souveraineté peut être vendue comme un champ et une vigne. Vous rétablirez donc par vos actions un esclavage que vous avez proscrit par vos lois ; vous solenniserez donc cette maxime atroce qu’un peuple peut être vendu comme un troupeau de moutons 1 Déclarez plutôt, Messieurs, déclarez cette grande idée, cette idée qui fera pâlir les tyrans et les despotes : La nation française se liguera avec tous les peuples qui voudront reconquérir leur liberté; leur bonheur sera sa récompense , elle ne leur en demande pas d'autre. A une pareille déclaration, tous les peuples de la terre vous béniraient; ils vous invoqueraient comme les fondateurs de la liberté du monde et comme les dieux de l’humanité. Mais si vous débutez par refuser le peuple qui est à vous, et qui vient librement à vous, nul peuple De pourra désormais compter sur V03 maximes ni sur les conséquences que vous êtes obligés d’en tirer. On fait une autre objection, et elle est si absurde, qu’à peine j’ose la répéter. On nous dit ï vous allez attirer la guerre sur vous. Eh! Messieurs, qui oserait vous faire la guerre? Vous avez trois millions de héros armés; l’étendard de la liberté les précède, et là où cet étendard brille, la victoire ne tarde pas à paraître. Quelles puissances voudraient ou oseraient vous aitaquer? La nature de la querelle n’est pas digne d’elles; les circonstances les arrêteraient. Le nord et le midi de 1 Europe sont occupés à de plus grands intérêts. D’ailleurs, Messieurs, il est de leur intérêt de ne pas trop s’approcher de vous, dans la crainte que leurs soldats instruits enfin de vos maximes, ne tournassent contre leurs chefs des armes destinées à vous subjuguer. L’amour de la liberté a aussi son épidémie, et c’est cette épidémie dont les puissances de l’Europe sont intéressées à garantir les peuples. Telle armée entrerait en France, votre ennemie et esclave, qui eu sortirait votre alliée et libre. Enfin on vous dit : par votre décret du 22 mai, vous vous êtes interdit toute conquête. Gela est vrai; mais il ne s’agit ici ni de paix, ni de guerre, ni de conquête. Il n’est question que d’une simple reconnaissance entre une mère et sa fille, entre Uûe associée et sa compagne; il n’est question que de tirer de vos principes, une conséquence aussi juste qu’éclatante et nécessaire; il n’est question que de rendre hommage aux droits de l’homme, c’est-à-dire aux droits du ciel d’où l’homme a tiré tous ses droits. Je ne craindrai pas de vous le dire, Messieurs, il ne peut y avoir que de la honte ou du danger à vous refuser à la pétition de la ville d’Aviguon. De la honte, parce qu'alors les peuples de l’Europe diraient : « Voyez, voyez ces Français! « Grands, fiers, sublimes dans leurs lois, le cou-« rage leur manque, lorsqu’il s’agit de prati-« quer ce qu’ils conseillent aux autres peuples. » Eh! quelle idée, Messieurs, donneriez-vous de votre résolution ? Le grand mérite des législateurs-, c’est de donner l’exemple. Vous ne l’êtes pas seulement de la France, vous l’êtes de l’uui-vers entier. Il y aurait du danger, parce que le midi de la France serait exposé aux plus grands troubles, et qu’Avignon, écrasée sous les débris de ses édifices, et ensanglantée par les tragédies qui se $86 [ÂMemblé» Mtiofialej ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 noyembre 1790.] passeraient dans son sein, serait perdue 'pour elle-même, pour le pape et pour vous. Ce serait alors que votre faiblesse donnerait du courage à vos ennemis, qu’ils jugeraient dévaforablement de vos forces et qu’ils pourraient vous attaquer. Ils vous auraient connus d’après la différence que vous auriez mise entre vos préceptes et vos actions. Eh ! que nous importerait la coalition de3 despotes et de leurs esclaves, lorsque nous ne faisons qu’un acte de justice et de nécessité? Des hommes libres doivent-ils éprouver des craintes aussi puériles? Si jamais elles pouvaient, s’emparer de leur âme, ne serait-ce pas être déjà retombé dans le premier deeré de la servitude d’où vous venez de sortir? Que vos ennemis viennent à bout de vous faire trembler un instant, et vous êtes perdus! Alors vacillants dans votre marche, vous n’oserez plus faire un pas, sans examiner si vous plairez ou si vous déplairez aux despotes du nord et du midi. Eh ! quoi I Messieurs, vous avez osé attaquer les préjugés les plus enracinés I vous avez renversé l’idole de la superstition, qui avait mis dans les mains des hommes dont le royaume n’est pas de pe monde, le tiers des biens-fonds de la France ! Vous avez réduit à leur véritable valeur les prétentions des princes étrangers réunis, qui vous menaçaient de la colère du corps germanique 1 Vous avez réuni la Corse, d’après l’expression de son vœu, et malgré les réclamations de la république de Gênes! Vous avez aboli la féodalité menaçante, supprimé des corps qui ont été, tour à tour, la terreur et l’objet de la haine et de l’admiration de la société! Vous avez fait, en un mot, dans moins d’un an, ce que les peuples les plus capables de tenue n’auraient pas fait dans un siècle I Et aujourd’hui, armés du droit naturel et social, forts du vœu libre d’un peuple libre, fondés sur vos lois et sur des titres imprescriptibles, vous craindriez de vous livrer à un acte légitime de justice et de puissance I Je n’ose pas vous demander si des hommes aussi sages, aussi courageux que vous, seraient capables de trembler devant un homme dont le devoir et le caractère sont de ne faire que le bien, un homme que le bon sens plus vigoureux et plus épuré va bientôt réduire à ses véritables fonctions, aux seuls fonctions de l’épiscopat? Je ne saurais le croire : les législateurs de la la France sont trop conséquents pour devenir ainsi différents d’eux-mêmes en si peu de temps. Messieurs, l’Empire français fut dans tous les siècles l’asile des rois malheureux ; votre gloire, votre raison, vos lois vous ordonnent d’en faire aujourd’hui celui des peuples opprimés. Des hommes ennemis de la Constitution, ou assez faibles pour ne pas oser l’aimer à visage découvert, vous tiendront un autre langage; moi, je .vous dois la vérité, et je vous la dis. La vérité dite devant vous, Messieurs, est le plus bel hommage qu’on puis-e, en votre personne, rendre aux bienfaiteurs du genre humain. Je demande que le projet de décret proposé par M. Pétion de Villeneuve soit mis aux voix, et qu’il y soit ajouté : qu’il est rendu sans préjudicier aux droits de La nation française sur le comté Venaissin. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 20 NOVEMBRE 1790- PÉTITION DES MAITRES DE POSTE. Nos seigneurs, les maîtres de poste, établis sur les différentes routes du royaume, où le service des voitures publiques se fait en poste, demandent d’être chargés de ce service. Ils ne se font point illusion sur les difficultés qu’ils rencontreront de la part des différentes compagnies avec lesquelles ils viennent se mettre en concurrence ; ils s’attendent également à tou'es les objections qui leur seront faites; mais ils ont pour juges de la discussion les représentants de la nation et les agents du pouvoir exécutif : il s’agit d’un intérêt public, toute prévention sera anéantie, et le décret qui suivra sera certainement dicté par cette sagesse éclairée, qui ne calcule et ne voit que le bien général. La demande des maîtres de poste conduit naturellement à l’examen des trois questions suivantes : Qu’exige le service des voitures publiques, conduites en poste ou avec relais? Les maîtres de poste réunissent-ils, ou non, tout ce qui est nécessaire pour bien faire ce service ? Qui, des maîtres de poste ou d’une compagnie, procurera au public et au gouvernement un plus grand avantage? La première quesiion présente deux objets à remplir : la conduite des voyageurs et le transport des effets et des marchandises. Il faut, aux voyageurs, des voitures commodes et sûres, dans lesquelles on ait diminué autant qu'il est possible le poids énorme des anciennes, et la gêne où l’on est dans ces dernières, lorsqu’elles sont pleines. La marche de ces voitures doit être prompte, sans que cependant cette célérité puisse nuire à ta sanié et au repos des voyageurs. Le transport, des effets et des marchandises exige une égale activité, une même sûreté, et cette grande exactitude qui est si importante pour le commerce. Des voitures à six places, vastes et suspendues sur des ressorts, qui n’auront jamais par jour plus de quinze heures de marche et moins de douze, suivant les saisons, transporteront les voyageurs. Des fourgons allant au pas allongé des chevaux, et marchant jour et nuit, dont l’arrivée sera aussi prompte que celle des carosses, voi-lureront les effets et marchandises. Calculer ensuite le rapport des routes, la correspondance d’un lieu avec un autre, est un objet de travail et de combinaison ; mais voilà tout l’ouvrage, et dans son ensemble, il est d’autant plus facile, qu’il est puremeut mécanique. Croit-on qu’il ne puisse pas être du fait des maîtres de poste ? Seconde question à examiner. On a affecté de dire et d’écrire que les maîtres de poste, en général, étaient sans talents, et que l’on ne pouvait pas même espérer qu’ils parvinssent jamais à acquérir les lumières et les connaissances nécessaires à un travail dont on a singulièrement exagéré la complication. On a allégué ensuite l’impossibilité de concilier