654 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] de prendre aussi quelques moments pour réfléchir à la nouvelle loi qu’il nous présente. Puisque ce projet est nouveau, il doit être de nouveau discuté avant d’être soumis à la délibération. M. Démeunier. Je demande à l’Assemblée la permission de lui faire trois remarques : d’abord, le comité n’a pas prétendu vous offrir une loi définitive sur les attroupements, mais seulement une loi provisoire; il faut donc examiner sous ce rapport les projets qu’il vous a présentés; l’Assemblée a établi quarante-huit mille municipalités dans ce royaume ; il est probable que les officiers d’un aussi grand nombre de muni cipalités seront quelquefois négligents, et je ne dis rien de plus : vous devez donc chercher les moyens d’arrêter les inconvénients qui peuvent résulter de ce nombre infini d’officiers municipaux. Par un autre de vos décrets, vous avez ordonné que les départements jugeraient la conduite des officiers municipaux, mais les assemblées de département ne sont point encore formées. Ces trois observations justifient ce que j’ai avancé, je veux dire que votre comité n’a dû vous offrir qu’une loi provisoire. L’Assemblée ue doit point oublier quel était le point où nous en étions lorsqu’elle a ordonné la rédaction de cette loi : les insurrections du moment nous ont seules déterminés à nous en occuper. Votre comité a dû chercher un remède à des maux instantanés, et rétablir l’ordre dans la perception des impôts. A-t-il ou n’a-t-il pas rempli cet objet? Avant de prononcer sur cette question, il faut réfléchir aux moyens qu’il a présentés. Je conclus, avec M. de Mirabeau, à ce qu’on ajourne la discussion à lundi. On demande que la discussion sur l’ajournement soit fermée. M. l’abbé llaury. Je demande qu’elle ne le soit ni sur l'ajournement, ni sur le fond de la question. On peut renvoyer à lundi pour prendre une détermination finale ; l’expérience vient de nous prouver que de longues réflexions peuvent amener un heureux résultat. Deux choses sont à observer dans le dernier projet qui nous est présenté : l’esprit du décret et les dispositions du décret. Je demande que la discussion soit continuée sur l’esprit du décret. On demande à aller aux voix. La discussion est fermée sur l’ajournement. L’Assemblée décide qu’elle va ouvrir la discussion sur le nouveau projet de loi. M. E-e Chapelier fait une seconde lecture du nouveau projet de loi. Les orateurs inscrits pour parler sur cet objet sont successivement appelés. M. le marquis de Cafayette. Les troubles qui ont existé et qui existent encore daus les provinces ont alarmé votre patriotisme, votre humanité, votre justice. Vous avez senti que rien n’était plus contraire à la liberté que la licence ; vous avez pensé qu’il fallait non seulement établir une nouvelle constitution, mais qu’il fallait encore la faire aimer et respecter de tous. D’après ce principe immuable, vous avez invité votre comité de constitution à vous présenter un projet de loi qui fût propre à ramener le calme et la tranquillité daus le royaume. Ce projet vous avait été présenté hier, ét je me disposais à y faire quelques observations : vous venez d’adopter un autre plan de travail ; j’avoue qu’après n’en avoir entendu qu’une lecture, je ne puis parler ni des principes, ni de la rédaction. J’observerai qu’il serait utile de décréter que sans délai votre comité féodal vous représentera ses vues relativement aux propriétés incendiées ; et comme la réflexion a apporté de grands changements au projet qui vous a été présenté hier, je me borne à demander que tous ceux qui ont fait des projets de décret à ce sujet les fassent parvenir à Messieurs du comité de constitution, qui seront invités à réfléchir sur tous les moyens qui leur seront indiqués, et à adopter ceux qui leur paraîtront les plus convenables, sauf à l’ Assemblée à les peser ensuite dans sa sagesse, M. l’abbé Maury. J’observe qu’on devra être très sèvère dans la discussion du projet de loi qui vient de vous être présenté ; car, si ce décret n’était pas réprimant, il serait encourageant ; la licence est à son comble, et les effets de la licence sont, pour les provinces, des incendies ; pour le royaume, la banqueroute. Le grand objet dont vous devez vous occuper est donc d’arrêter les effets de la licence. Je vous invite à ne pas oublier que la liberté est un très grand bien, sans doute, mais la sûreté des citoyens est un bien plus précieux encore. M. Briois de Beaumetz. Je trouve dans le second projet de décret un article contre lequel je m’élève autant qu’il est en moi : c’est celui par lequel vous prévoyez le cas où les officiers municipaux seraient atteints et convaincus d’avoir coopéré aux insurrections, d’avoir favorisé les émeutes. Je ne crains pas de le dire, et je crois pouvoir le dire avec vérité, cet article est d’une immoralité révoltante. Quoi 1 Messieurs, vous supposez que les officiers municipaux, que les pères du peuple armeront les mains du peuple 1 Vous supposez que le feu de la sédition partira des mains de ceux qui doivent l’éteindre ! De semblables suppositions dégradent les municipalités naissantes, elles étouffent dans l’âme de plusieurs citoyens le désir d’être appelés aux dignités municipales. Et c’est dans une loi constitutionnelle qu’on vous propose de faire entrer ces suppositions! Ah ! gardez-vous bien d’y consentir ! Que le décret que vous prononcerez à ce sujet soit mis à la tête de votre Gode pénal ; qu’il trouve place à la suite de la loi qui désignera la peine que vous réserverez au parricide. M. Pétlon de Villeneuve. Je n’ai point assez réfléchi sur le nouveau projet de décret pour le discuter à fond ; deux observations à faire se sont présentées à mon esprit, elles m’ont frappé, et j’en fais hommage à l’Assemblée. « Les officiers municipaux qui ne recourront pas à la force armée dans les cas d’émeute seront responsables, etc. ; » mais dans les campagnes il n’y a pas de force armée, il n’y a pas même de milice nationale ; la sédition aura fait ses ravages avant qu’on ait pu requérir les troupes, et je crois qu’il serait injuste de prononcer des peines contre des officiers municipaux qui n’auront pas eu la possibilité de faire ce qu’ils auraient voulu faire. J’observe encore que les châteaux sont éloignés des municipalités ; que ces châteaux sont ravagés par des bandes errantes et nombreuses : si la force armée est repoussée par les séditieux, parce qu’elle sera plus faible en nombre, les mu* lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]20 février 1790.] 655 nicipaux, qui n’auront encore pu ce qu’ils auront voulu, ne peuvent pas être enveloppés dans la proscription générale, ni condamnés à payer des dommages qu’il ne leur aura pas été possible de prévenir ni d’arrêter. Les deux cas que je viens d’énoncer doivent, ce me semble, être prévus par la loi. M. de Cazalès. Il faut protéger, assurer les propriétés et la vie des citoyens : si la société négligeait ou était impuissante à remplir ce devoir sacré, les hommes se trouveraient bientôt ramenés à leur état primitif ; il n’y aurait plus de patrie. Depuis six mois un grand nombre de citoyens ont été attaqués; les propriétés ont été violées; elles le sont aujourd’hui, elles le seront peut-être encore. Pensez-vous que les propriétaires puissent le supporter plus longtemps? Non, sans doute; ils s’armeront pour leur défense, et de là la guerre la plus destructive de toutes les sociétés civiles, la guerre de ceux qui n’ont rien contre ceux qui ont quelque chose. Sans doute il est instant de parer à tous ces maux, et le projet de loi qui vient de vous être présenté par votre comité est peut-être propre à défendre les villes; mais il est sans force pour la sûreté des campagnes ; en général même, je ne pense pas que l’effet qu’il peut avoir soit assez prompt pour le moment dans lequel nous nous trouvons. Profitons des exemples de nos voisins ; voyons si la constitution anglaise ne nous offre pas des remèdes plus surs contre les insurrections et les émeutes. Voyons quelle est la conduite de cette nation qui a le plus opposé de barrières au despotisme du trône; de cette nation qui a le mieux assuré la tranquillité civile. En Angleterre, on a établi contre les séditieux le bill de mutinerie, qui, à très peu de chose près, est notre loi martiale. Mais quand les provinces sont ravagées, quand l’insurrection est générale, le Corps législatif emploie de plus grands moyens: alors il a recours au pouvoir exécutif; il lui donne, par un acte parlementaire, et pour un temps limité, le droit d’employer tous les moyens qui lui paraîtront convenables pour ramener le calme et la paix; et, dans ce cas, les ministres ne sont responsables que de l’exécution des ordres du Roi. Tel est le moyen que je veux proposer en France. Je sais bien qu’on me dira que c’est s’exposer au risque de donner trop de force au pouvoir exécutif. Je ne répondrai à cette objection qu’en interrogeant la bonne foi de l’Assemblée. Je demanderai si elle ne croit pas que la bonté du Roi, que l’opinion générale, que les forces citoyennes ne puissent et ne doivent faire évanouir ces alarmes, surtout lorsqu’on voudra bien observer que ce pouvoir ne sera accordé au Roi que Sour un temps limité, pour un temps court. Non, Messieurs, la constitution n’a plus rien à craindre que de nous-mêmes ; il n’y a que l’exagération des principes, il n’y a que la ligue de la folie et de la mauvaise foi qui puissent y porter quelque atteinte. Hâtons-nous d’affermir le grand œuvre de la liberté ; que les ennemis de la con-titution, qui, n’en doutez pas, sont les instigateurs des désordres, soient forcés à perdre l’espérance de détruire notre ouvrage. Je me résume, et j’ai l’honneur de vous proposer de charger le Roi de prendre les mesures qu’il croira les plus propres à assurer la tranquillité publique. Je vous propose enfin d’investir le Roi, pour trois mois seulement, de toute la plénitude de la puissance exécutive. Le resté de la loi qui vous a été proposée par votre comité me paraît parfaitement bon; mais je répète que la loi, dans son ensemble, ne suffit point pour les circonstances malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons. M. le comte de Mirabeau. J’observe que M. de Cazalès est hors de la question ; car, en effet, il propose celle de savoir si on accordera ou si on n’accordera point au Roi la dictature ; si la France a besoin ou n’a pas besoin de dictature. Si l’Assemblée permet que cette question soit discutée, je reprends mon tour et je demande la parole. M. de Cazalès. On n’est point hors de la question quand on traite le fond de la question. Je désire fort que M. le comte de Mirabeau ait la parole sur cet objet. M. l’abbé Maury. Quel est l’objet de notre discussion? les dévastations, les incendies et le mémoire du Roi, qui appelle notre sollicitude sur ces objets. Nous ne sommes point hors de la question quand nous proposons de nouveaux remèdes à ces maux; car assurément il n’est pas un membre de l’Assemblée qui n’ait le droit de payer le tribut de ses vues sur la question qui nous occupe. M. le comte de Mirabeau. J’ai prétendu, non pas que le préopinant fût hors de ses droits, j’ai dit seulement qu’il était hors de la question. Je répète qu’il a proposé d’établir la dictature en France, et je l’invite à en faire une motion spéciale. M. Duval d’JEprémesnil. Il est échappé à l’attention de M. de Mirabeau de confondre une seule émeute, un seul attroupement, avec un esprit général d’insurrection. Je commencerai par établir les faits; c’est toujours la méthode de ceux qui veulent aller de bonne foi à une détermination utile. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un attroupement passager, nous n’aurions besoin que de la loi martiale ; il s’agit d’un esprit de révolte et de sédition répandu généralement dans tout le royaume, et je défie qu’on me cite dans la loi martiale un seul article qui puisse parer à ce mal universel. Pour y parer, il faut donc nous armer de toute la force qui est dans nos mains, et si cette force est insuffisante, il faut en chercher une autre ailleurs. M. de Mirabeau vous a dit que M. de Cazalès était hors de la question, et non pas hors de ses droits; cette distinction est si subtile que j’avoue l’impuissance où je suis de la concevoir. Quel est l’objet qui nous occupe? L’insurrection générale, l’esprit de brigandage dans plusieurs provinces, la dévastation des propriétés, la sollicitude du Roi, le mémoire du Roi sur tous ces objets. Le Roi s’est plaint de ce que les officiers municipaux n’avaient pas le courage ou la volonté de recourir à la loi martiale. 11 faut donc nous armer contre les malheurs décrits dans le mémoire du Roi; il faut chercher les moyens de faire cesser ces malheurs. Nous avons donné à notre comité de constitution le droit de nous présenter ses vues sur tous ces objets, mais nous ne l’avons pas investi de la dictature des propositions: chaque membre de cette Assemblée a le droit d’imaginer et de présenter le remède. Maintenant, le moyen proposé par M. de Cazalès est-il le seul bon? Je le crois. Il faut en imposer aux brigands par une grande 56 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] terreur. Les Anglais ont recours à ces moyens violents, et on ne soupçonnera pas les Anglais de ne pas chérir la liberté civile. Ils ont pensé que le bill de mutinerie n'était pas suffisant; moi je pense que la loi martiale est insuffisante; je dis plus, la loi martiale est dangereuse, elle est inutile. Les craintes des officiers municipaux sont un obstacle à l’exécution de cette loi. Quel moyen prendrons-nous donc? Un seul, et c’est le seul raisonnable: il faut investir le Roi de la plénitude du pouvoir réprimant ; il faut laisser aux provinces, victimes des insurrections, le droit de fixer le terme de ce pouvoir. Voilà mon opinion; je désire qu’elle soit discutée. M. Malouet (1). Je ne vous propose point, comme les derniers préopinants, de conférer au Roi la dictature, mais bien d’établir le pouvoir exécutif sur sa véritable base, qui est, dans une monarchie, l’autorité royale. — Il n’en est point fait mention , ni dans le premier, ni dans le second projet de décret qui vient de vous être lu; ainsi, avant d’en discuter les détails, qu’une lecture rapide ne me permet pas de bien saisir, j’en examinerai les principes ; car c’est des principes de cette loi que dépend absolument la forme de gouvernement sous laquelle nous allons vivre. La Constitution, par cette loi, sera ou cessera d’être monarchique. — Le pouvoir exécutif va être mis en dedans ou en dehors de sa sphère d’activité. — Lors donc que des circonstances graves nous pressent de toutes parts, lorsque le poids des événements va se placer sur nos têtes et nous livrer incessamment au jugement de la génération présente et de la postérité, quelles que soient les opinions dominantes, les inqiuétudes, les passions , ou les préventions qui nous environnent, chacun de nous doit déployer ici sa conscience et ses efforts pour établir des principes qui survivent à J 'agitation et aux intérêts du moment. Le projet de loi qu’on vous propose est provoqué par des désordres précédés de tant d’autres excès, que nous avons tous eu le temps et l’obligation de nous occuper des remèdes. Ils doivent sans doute se trouver dans la Constitution, et les dispositions insuffisantes gne vous avez décrétées n’excluent point celles qui vous restent à adopter pour rétablir l’ordre et en assurer la stabilité, pour mettre en harmonie la loi et ses moyens , qui sont sous les ressorts du pouvoir exécutif. Le second décret proposé remplit-il complètement cette lin ? je ne le crois pas : et sans en rejeter les articles, je vais essayer de vous démontrer ce qu’il est indispensable d’v ajouter. Comment doit se mouvoir, et jus'qu’où peut s’étendre, dans un grand empire , le pouvoir exécutif? Comment le concilier avec la liberté? Comment servira-t-il à sa défense et point à sa destruction ? Voilà le problème politique que nous avons à résoudre. Je n’en trouve la solution dans aucun des deux projets. Je vois bien ce qui est prescrit, en cas de sédition ou de violence, aux officiers municipaux, aux chefs militaires d’une ville ou d’un bourg ; mais hors de l’enceinte des municipalités , je ne vois point de direction supérieure qui rallie, contienne, ordonne toutes ces forces et ces volontés éparses. IL semble que le décret ne consi-(1' Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Malouet. dère qu’une ville, fasse abstraction de toutes les autres et des campagnes ; il semble que les désordres, dans un grand royaume, ne puissent s’y déployer que partiellement et dans une juste proportion avec les forces locales ..... Si les officiers municipaux ou la milice ne font pas leur devoir, le projet de loi dit bien qu’ils sont responsables, mais en attendant qu’ils soient punis et que l’ordre se rétablisse, la loi se tait, et je ne trouve point la place ni la fonction de l’ordonnateur suprême du pouvoir exécutif. C’est cependant ce qu’il faut nettement exprimer, et voici le moment de le dire. Ce n’est point en jetant un voile sur le trône, que nous en serons protégés; et si son influence n’a une activité protectrice, ou elle s’effacera tout à fait et réduira la royauté à un vain simulacre, ou les premiers mécontentements du peuple rappelleront le despotisme sous des formes nouvelles. J’observerai d’abord que c’est une erreur aujourd’hui familière que de donner le même nom à l’autorité royale et au pouvoir exécutif: l’une représente l’empire et la souveraineté, l’autre en est rinstrument. Tout ce qui est nécessaire à la sûreté, à la protection de tous, à l’exécution inviolable des lois, compose le pouvoir exécutif distribué en plusieurs magistratures dans les républiques. La réunion de toutes ces forces sous la direction d’un seul, distinge le gouvernemeut monarchique. Le pouvoir d’empêcher l’emploi illégal de ces forces appartient à une nation libre exerçant par ses représentants de l’autorité législative. Ainsi la liberté nationale ne consiste pas à atténuer ou à transposer le pouvoir exécutif sans l’unité duquel elle ne peut exister ou se maintenir; mais à prévenir sa direction arbitraire; ce qui est éminemment le droit et le devoir du Corps législatif. Or, lorsqu’une nation a investi ses représentants de ce droit, elle ne peut plus le perdre qu’en renonçant à la volonté de le conserver. Et lorsque la responsabilité des agents du pouvoir exécutif est devenue une loi constitutionnelle, leurs écarts peuvent être des délits plus ou moins graves; mais ils ne pourraient devenir des conquêtes sur la liberté que par la faute du pouvoir législatif qui est toujours en état de prononcer que la loi est violée et la peine encourue. Cette surveillance active des représentants de la nation est l’unique contre-poids légal et efficace de la force publique et de la puissance qui la dirige. Que tout autre corps ou individu participe à l’exercice de ce droit souverain, les différentes parties de la société politique doivent alors se trouver fréquemment dans un état de guerre ou d’anarchie, et il n’y a plus de gouvernement; car le pouvoir de gouverner doit être actif et irrésistible dans les routes qui lui sont tracées, puisqu'il n’est autre que la loi agissante. Je n’appliquerai pas ces principes à l’état actuel de nos provinces, qui ne représente aucune forme de gouvernement, mais au moyen consti-tionnel de faire cesser d’aussi grands maux. Vous avez reconnu, Messieurs, que le gouvernement français est monarchique, et que le pouvoir exécutif suprême réside dans les mains du Roi. C’est aussi un principe constitutionnel de toutes les sociétés du monde que la violence doit être réprimée par la force. Examinons maintenant dans le plan proposé [Assemblée nationale.] . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] quelle est l’intervention et l’influence du chef suprême du pouvoir exécutif, et comment il l’em-)loie à maintenir l’ordre et la réparation des vio-ences. La loi, qui les réprouve, réclame son appui, voilà le principe! La conséquence ne peut être que les corps intermédiaires agissent, disposent, arrêtent le pouvoir exécutif par leur volonté propre et absolue; car alors je ne vois plus le chef suprême; et la force publique, subdivisée en autant de parties qu’il y a de municipalités, se trouve en effet dans leurs mains. Ce n’est pas que j’improuve la loi qui leur donne le droit de requérir les troupes réglées et met celles-ci aux ordres du magistrat civil : dans les cas ordinaires, cette mesure est sage et nécessaire ; mais lorsqu’elle devient insuffisante, le pouvoir exécutif suprême doit-il être inactif, et son emploi n’est-il pas légal, lorsqu’il répare ou qu’il empêche les désordres réprouvés parla loi ? Le nouveau décret proposé ne statue rien sur ces cas extraordinaires, et il n’indique point celui où le recours au monarque devient nécessaire, où la désobéissance à ses ordres serait une forfaiture. Ce décret s’adresse à chaque municipalité séparée ; on n’y voit point le lien commun qui les unit à la puissance publique et à sa direction supérieure : le pouvoir exécutif se trouve séparé du monarque, et agit sans son intervention directe ni indirecte, de telle sorte que s’il n’y avait point de roi, mais seulement des troupes soldées et des capitaines dans les provinces, les municipalités n’auraient à faire ni plus ni moins que ce qu’on leur prescrit, et les capitaines pourraient aussi, sans autre supérieur que les assemblées administratives, remplir la mission de confiance qui leur est imposée. Cependant si le gouvernement français cessait d’être monarchique, qui de nous pourrait croire que nous serions libres longtemps, et que l’empire se maintiendrait dans son intégrité ? — Mais nous perdrions, Messieurs, tous les avantages de ce gouvernement, nous n’en aurions que les charges, si l’autorité royale ne ralliait, en les dirigeant, toutes les branches du pouvoir exécutif, et si elle n'avait, pour l’exécution des lois, toute l’activité qui résulte du commandement d’un seul. Je vous rappellerai ici que la surveillance continuelle du Gorps législatif suffira toujours pour prévenir ou arrêter les formes arbitraires et oppressives, et que le pouvoir exécutif ne s’exerçant que par des agents intermédiaires, leur responsabilité satisfait aux exigences de la loi et aux réclamations des opprimés. J’ajouterai qu’il serait plus raisonnable que le Corps législatif se réservât, dans certains cas, le droit d’ordonner une désobéissance formelle au gouvernement que de transporter toute sa puissance aux corps intermédiaires. C’est, Messieurs, n’en doutez pas, entre l’unité de direction et la responsabilité des agents du pouvoir exécutif que résident la sûreté et la liberté des citoyens. Les Romains et tous les peuples modernes nous ont donné successivement l’exemple des tristes résultats de la confusion des pouvoirs, i Mais nous, peuple immense, placé sur un vaste territoire, ni cette multitude de rayons n’aboutit à un centre, nous avons tout à craindre de la divergence des intérêts et des volontés. Vous êtes, Messieurs, les organes de la volonté générale ; mais son action tutélaire doit se développer par un mouvement central, qui se communique dans une même direction à toutes les lre Série. T. XI. 657 parties de l’empire: et lorsque notre position, notre population, nous soumettent nécessairement aux formes monarchiques, nous devons bien en effacer les abus, mais non les avantages : or, il n’y a plus que trouble et péril dans cette forme de gouvernement, si toutes les subdivisions du pouvoir exécutif ne sont pas dans une dépendance immédiate du chef suprême, si un corps militaire ou civil, autre que le Corps légistatif, peut s’élever à la hauteur du gouvernement, suspendre sa marche et rompre son unité : ses ordres assurent l’exécution des lois, ou les violent, ou suppléent à' ce qu’elles n’ont pas prévu, et à ce qu’exige l’urgence du besoin. C’est au Gorps législatif seul à déterminer ces différents cas . car la nation suspend pour elle-même l’exercice des pouvoirs qu’elle confie à ses représentants. J’ose dire que tout autre principe nous égare, qu’une plus grande latitude dans la liberté la restreint et nous soumet à une multitude de volontés et de pouvoirs redoutables pour chaque citoyen, mais insuffisants pour en protéger un contre plusieurs. D’après ces observations, il me semble que l’unité et l’activité du pouvoir exécutif ne peuvent être solidement établies qu’en statuant préalablement à toute autre disposition que tous les corps administratifs et militaires sont tenus d’obéir ponctuellement aux ordres du monarque. C’est au Corps législatif à faire en sorte que ces ordres ne puissent ni contrarier, ni renverser les lois ; mais si les corps intermédiaires participent, dans tous les cas, au droit de suspendre et de résister, il s’élève alors dans le sein de la nation autant de gouvernements qu’il y a de cités. Alors, une municipalité disposera exclusivement, dans son territoire, de la circulation des grains et du numéraire ; favorisera une insurrection ; relâchera à son gré la discipline mili - taire; retardera la perception des impôts ; une ville pourra en affamer une autre; des réquisitions contradictoires, par diverses municipalités pourraient armer différentes troupes les unes contre les autres. L’autorité des magistrats, celle des officiers militaires, sans bases fixes, sans point d’appui, serait incertaine et précaire ; il n’y aurait de puissant, de redoutable, dans la capitale et dans les provinces, que les passions et les erreurs de la multitude ; le Corps législatif même perdrait bientôt son autorité, et nous verrions reparaître les horreurs de l’anarchie. Ce n’est pas sur ce qui se passe maintenant dans plusieurs parties du royaume que se fondent mes conjectures : c’est sur l’ordre naturel des choses qu’elles s’appuient, sur l’expérience, sur les principes et les conditions nécessaires de la liberté, qui ne peut jamais exister dans un état de stagnation vis-à-vis du gouvernement: il faut qu’elle en soit incessamment protégée, s’il est fort, ou qu’elle périsse avec lui s’il est faible. Ainsi, tout ce qui ne concourt pas à l’ordre dans un système politique, l’altère et finit par le désorganiser. Encore une réflexion, Messieurs, c’est la dernière, je la recommande à votre attention. Lorsqu’une nation reconnaît un chef suprême, qu’elle fasse révérer sa puissance, qu’elle se garde bien de travailler à le rendre inutile ! S’il cessait d’être nécessaire à son bonheur, il deviendrait redoutable à sa liberté. Si, au contraire, le monarque, dans ses augustes fonctions, est environné d’un grand pouvoir pour faire le bien ; s’il ne rencontre de barrières que 42 658 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.J celles qui le séparent du mal, quel prince alors serait tenté de regarder en arrière, de regretter le despotisme, de rappeler sur son trône resplendissant de gloire et de félicité les sombres terreurs de la tyrannie ? Je conclus, Messieurs, par vous proposer les bases fondamentales du pouvoir exécutif dans une monarchie, et je demande que ces articles précèdent ceux du nouveau décret, que je me réserve particulièrement de discuter. Articles proposés en addition au décret présenté par le comité de constitution : I. Tous les corps administratifs et militaires spnt dans la dépendance immédiate du monarque et doivent exécuter ponctuellement ses ordres. II. Toute désobéissance aux ordres du Roi non motivée sur une violation constatée des lois constitutionnelles sera punie comme forfaiture. III. Tout acte d’insubordination dans l’armée de terre et de mer sera jugé et puni conformément aux ordonnances militaires. IV. Il appartient au Roi de pouvoir prévenir et empêcher, par l’emploi de la force publique, que la sûreté et la propriété des citoyens ne soient violées : tous les ordres que Sa Majesté donnera à cet effet seront contresignés par un secrétaire d’Etat qui en sera responsable, ainsi que les autres agents du pouvoir exécutif qui abuseraient desdits ordres. V. Si dans une sédition violente, le salut des citoyens menacé et le rétablissement de la paix publique exigent des mesures contraires aux formes légales, et qu elles aient été prises par les agents du pouvoir exécutif sans la réquisition des ma-istrats, ils seront tenus d’en rendre compte au orps législatif qui, dans ce cas seulement, prononcera en leur faveur un décret d’absolution. VI. Si, dans une sédition, les ofliciers municipaux et magistrats civils sont arrêtés, mis en fuite, ou empêchés par la multitude, l’ofticier, commandant la force militaire, sera tenu de promulguer la loi martiale et de la faire exécuter. M. le Président. La suite de la discussion est renvoyée à lundi prochain. L’Assemblée se réunira ce soir, à six heures, pour sa seconde séance. La séance est levée à 3 heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du samedi 20 février 1790, au soir (1). M. Gaultier de Biauzat, secrétaire , fait lecture des adresses ainsi qu’il suit : Adresse d’adhésion donnée par la commune de Dijon aux décrets de l’Assemblée nationale, le 11 de ce mois. « Nosseigneurs, la commune de Dijon, convoquée dans le régime nouveau qui lui rend sa liberté, s’empresse de déposer à vos pieds le tribut de respect et de reconnaissance qu’elle doit à vos travaux . (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. « Jusqu’à présent, tranquille au milieu des troubles inséparables d’une grande Révolution, cette ville, que la suppression subite de l’ancien ordre des c hoses pouvait affecter plus subitement qu’aucune autre, a tout attendu du temps; elle espère tout de la sagesse de vos décrets. « Privée d’établissements utiles, dénuée des ressources du commerce, la ville de Dijon n’a que celle des tribunaux placés dans son sein ; eux seuls alimentent sa population. « Assemblée maintenant pour la formation de sa municipalité, elle jouit, par un de vos bienfaits, des droits précieux d’élire librement ses représentants; une constitution aussi sage lui promet des jours de paix et de bonheur. Elle voit déjà dans ses assemblées tous ses citoyens, devenus frères, n’être plus animés que de l’intérêt commun qui les lie. Calmes et pleins de confiance dans la sagesse éclairée des législateurs de la nation et dans la bonté de leur Roi, l’obéissance qu’ils ont jurée sera toujours le plus saint de leurs devoirs. Nous sommes avec respect vos très humbles et très obéissants serviteurs, les citoyens actifs des six sections de la commune de Dijon. » « Signé : Fijan de Talmay, Richard de Ruffet, Bouillet d’Arlot, Frécot de Saint-Edme, Jacquinot puîné, Petit, présidents des six sections de la commune de Dijon; THIBAUT, BOUCHÉ, CHAR-LOT, Ladey, Menelon et Chardon, secrétaires. » Adresse de la légion de Montpellier à V Assemblée nationale. Nosseigneurs, armés pour la défense de nos foyers, le prix de nos travaux est la paix dont nous jouissons ; défenseurs de la cause du patriotisme et de la liberté, nous avons éloigné de nos murs les désordres de la licence et les troubles de l’anarchie; rangés sous l’étendard sacré de la patrie, nous avons confondu les complots odieux des ennemis du bien public, qui semaient partout leurs insinuations perfides : les difficultés ont accru notre constance ; pleins de confiance dans la sagesse de vos décrets, nous avons senti que la régénération si nécessaire de l’Etat ne pouvait s’opérer cju’au milieu de la tranquillité générale, et que notre premier devoir était de la maintenir dans notre sein ; nous avons porté plus loin nos vues, Nosseigneurs; nous avons cherché à pénétrer du même esprit les différentes villes qui nous environnent; nous les avons invitées à une fédération d’ordre et de bien public, à laquelle elles se sont empressées d’adhérer. Plus de trente mille citoyens armés en sont les garants, nous avons l’heureuse certitude que, quels que puissent être les efforts des détracteurs de la nation, ils ne sauraient obtenir aucun succès dans le vaste arrondissement que nos soins ont formé. Occupés de ces grands objets, Nosseigneurs, nous nous sommes reposés sur notre commune du soin de vous exprimer les sentiments que nous professions par notre conduite; mais aujourd’hui que la paix, que nous avons eu la satisfaction de maintenir, repose à l’on 'lire de vos décrets sur des bases solides, noi** ne pouvons résister à l’attrait impérieux du sentiment. De tous les points de ce vaste empire, un concert de bénéditions et de vœux s’élève vers vous; daignez permettre que nous joignions nos voix à cette acclamation générale ; que l’hommage des