[Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 avril 1790.] 597 L’Assemblée décide qu’il doit le prononcer. Le président de la chambre des vacations étant de nouveau introduit à la barre, M. le Président lui dit : « Monsieur, « Si l’Assemblée nationale n’avait écouté que la rigueur des principes; si, pesant tous les termes de l’arrêt de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, en date du 20 février dernier, elle se fût déterminée par cette seule considération, peut-être eût-elle déployé une sévérité capable de contenir dans la soumission tous ceux qui tenteront inutilement de mettre des obstacles au succès de ses travaux. « Mais l’Assemblée nationale ayant égard aux circonstances, et cherchant à se persuader qu’en croyant faire le bien, oa peut s’égarer sans être coupable d’intention, vous a mandé pourappren-dre de vous-même quels ont été les motifs de la conduite de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. « Punir est pour l’Assemblée nationale le fardeau le plus pesant; persuader et convaincre, yoiU son vœu le plus empressé : elle ne cessera d’être indulgente qu’au moment où on la forcera d’êire sévère. » M. le Président lit ensuite le décret par lequel l’Assemblée nationale a mandé le président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, puis il donne la parole à ce magistrat. M. Augeard, président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. Messieurs, le roi m’a fait notifier votre décret, qui m’enjoint de venir rendre compte des motifs de ma conduite. La dénonciation qui vous a été faite de l’arrêt rendu par la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, le 20 février dernier, a provoqué ce décret. J’obéis aux ordres du roi et me présente devant vous avec la sérénité que doit inspirer à tout magistrat la certitude d’avoir rempli ses devoirs. La chambre des vacations, dont je suis en ce moment l’organe, a pu, a dû rendre cet arrêt : prorogée pour exercer toutes les fonctions et tous les pouvoirs du parlement lui-même, la chambre a cherché inutilement quels reproches légitimes il était possible d’élever contre un arrêté que le ministère public, et bien plus encore les calamités de quatre différentes provinces, sollicitaient hautement de son patriotisme. Elle n’a eu d’autre regret que celui d’avoir été forcée de différer trop longtemps cet acte solennel de justice. Les meurtres, les dévastations, les incendies se propageaient dans les provinces du Limousin, du Périgord, de l’Agenois et du Condomois : des hordes de brigands, pour qui le nom de la liberté n’était devenu que le prétexte de la licence, dévastaient les propriétés, violaient les asiles les plus sacrés, le fer et la flamme à la main. Les temples de la religion n’avaient pas été respectés. Chaque famille, chaque pasteur, chaque citoyen, plongés dans la terreur et le désespoir, se demandaient avec effroi s’il n’existait plus de justice publique. Ce ne sera pas en présence des ministres de la loi qu’on osera dire que ces malheurs sont exagérés ou imaginaires ; la réalité n’en est que trop prouvée : les procès-verbaux que je viens déposer entre vos mains, les pièces remises au comité des rapports par les députés des différentes villes de la Guyenne n’en constatent que trop l’affligeante certitude: vous y trouverez le récit fidèle et juridique des calamités dont je viens de tracer le tableau ; en douter encore, ce serait ajouter l’outrage au malheur des infortunés qui en ont été les victimes. Si ces détails sont vrais, la chambre des vacations pouvait-elle être insensible aux gémissements, aux réclamations de ces familles dont on dévastait les propriétés! Le roi était venu épancher sa douleur au milieu de vous, ce roi si bienfaisant, si digne de l’amour de ses peuples, dont les malheurs présentent à l’Europe étonnée un si étrange contraste avec ses vertus, s’était plaint avec attendrissement des cruels effets de la licence. La loi, l’humanité, vos décrets, tout sollicitait la punition de crimes dénoncés à la justice de la chambre; elle devait donc rendre l'arrêt du 20 lévrier ; son silence eût été une prévarication. Des motifs si pressants auraient-ils égaré le zèle des magistrats qui composent la chambre des vacations? Les lois sont leur garant; la religion du serment fut toujours la règle de leur conduite et le courage du devoir leur unique appui. L’étendue de juridiction, la plénitude du pouvoir judiciaire, les autorisaient à rendre cet arrêt. Le magistrat , selon l'expression d’un philosophe du dernier siècle, est un autel auprès duquel l opprimé doit trouver un asile. Ces mêmes magistrats exercent avec assiduité des fonctions pénibles que vos décrets semblaient limiter à une plus courte durée. Impossible, au milieu des orages, ils n’ont élevé la voix que pour réprimer la licence, rassurer les juges inférieurs, ranimer leur courage, rétablir l’ordre et la tranquillité. Ils ont ordonné la publication et l’affiche de leur arrêt, pour s’acquitter envers les peuples et pour annoncer aux scélérats la plus indissoluble alliance de la force publique avec la loi. J’ai honoré mon nom et mon ministère, en souscrivant cet arrêt si juste, si conforme aux dispositions des ordonnances et au vœu de l’humanité. Voilà, Messieurs, les considérations qui ont déterminé la conduite de la chambre que j’ai l’honneur de présider. Si vous demandez quels ont été nos motifs, vous les découvrirez tous dans l’intérêt du bien public et dans l’amour de nos devoirs. M. Président. Monsieur, l’Assemblée a entendu vos motifs; elle en délibérera: vous pouvez vous retirer. (M. Augeard quitte la barre et sort de la salle.) M. le comte de Croix. Je demande le renvoi au comité des rapports du discours de M. Augeard et des pièces qu’il vient de déposer. M. de Clermont-Tonnerre. J’appuie la motion du préopinant, et je demande, comme lui, le renvoi du discours de M. Augeard, dont il lui e3t peut-être plus difficile de se disculper que de l’arrêt pour lequel il a été mandé. J’avoue que je n’ai point entendu sans surprise parler de la plénitude du pouvoir judiciaire. {Le côté droit recommence ses murmures. — M. Duval d’Eprémesnil est remarqué parmi les perturbateurs, et M. de Lameth demande qu’il soit rappelé à l’ordre, et que son nom soit inséré au procès-verbal.) M. de Clermont-Tonnerre reprend Per sonne n’est plus vivement affecté que moi des malheurs que M. Augeard nous a rappelés; personne n’a plus fortement séparé le bien de la Ré- 598 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] volution d’avec la douleur de voir le roi entouré de perfides courtisans qui n’ont cherché qu’à le tromper; mais doit-on compter pour rien la consolation qu’il a aujourd’hui d’étre entouré d’un peuple libre, et qui le sera toujours, quels que soient les efforts des ennemis de la Révolution? Le renvoi au comité des rapports est prononcé. (On renouvelle la motion de rappeler à l’ordre M. Duval d’Eprémesnil ; tout le côte droit s’oppose à cette motion.) M. de Cazalès. On ne doit pas faire un crime à la partie droile d’être de la minorité; il n’est pas possible qu’un membre de l’Assemblée soit soumis aux individus, ni même à la majorité. M. Defcrmon répond qu’il s’ensuivrait de là que la minorité aurait le droit de faire la loi à la majorité. M. Dtiva! d’Eprémesnil monte à la trihune et demande quels sont les griefs qu’on lui impute. M. Gonpil de Préfeln. Lorsque M. le Président a été i terrompu au milieu du discours qu’il a adressé à M. Augeard, je vous ai entendu dire à l’accusé: «Monsieur, je vous demande bien pardon pour notre Président, il ne sait ce qu’il dit. » (Cinq ou six autres personnes atiestent le même fait. D’autres accusations sont encore faites à M. Duval d'Eprémesnil. La partie droite recommence le bruit, et semble menacer la partie gauche qui reste immobile.) M. Duval d’Eprémesnil entreprend de se justifier. On persiste à demander qu’il soit rappelé à l’ordre. — Cent personnes de la partie droite demandent aussi à être rappelées à l’ordre, et vont au bureau signer leurs noms. M. le Président, à deux reprises différentes, propose de lever la séance parce qu’il est onze heures. Chaque fois l’Assemblée décide que la séance ne sera pas levée avant d’avoir statué sur la motion du rappel à l’ordre. M. le comte de Virieu observe que plus de cent membres sont déjà sortis de la salle dans la persuasion que la séance était levée. M. Charles de Lameth répond que l’Assemblée est encore assez nombreuse poür prononcer. On demande la clôture de la discussion. La discussion est fermée. M. le Président met aux voix la motion en ces termes : M. üuval d’Ëprémesnil sera-t-il rappelé à l’ordre et son nom consigné daus le procès-verbal ? L’Assemblée décrète à une grande majorité : « Que M. üuval d’Eprémesnil sera rappelé à l’ordre et son nom consigné dans le procès-verbal. » M. le Président. La séance de demain commencera à 9 heures du matin. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. Présidence de M. le baron de Menou. Séance du vendredi 9 avril 1790 ( 1 ). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture de différentes adresses dont la teneur suit : Adresse des habitants de la contrée des Vosges, qui, réunis dans la ville d’Epinal, ont formé un pacte fédératif, qui atteste solennellement leur adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, et leur serment d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de défendre la Constitution jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Adresse des nouvelles municipalités des communautés de Pallanne; de Goutansouge, département de Moulins; de Moureuillon, de Saint-Romain-sous-Gourdon en Charollais, de Cravan par Pous, deMaurapt, de Vallongue, du bourg de Chavana�et delà ville du Monastier-Saint-Gbaffre en Vêlai, qui contiennent les expressions des mêmes sentiments. Du bourg et comté deBuquoi en Artois; il sollicite un chef-lieu de canton. De la communautéae Saint-Christophe, viguerie d’Àpt en Provence; elle demande, avec les plus vives instances, d’être comprise dans le district de cette ville. De la communauté de degoin, district de Charolles; elle demande que deux paroisses voisines soient comprises dans son cantonnement. De la ville de Riez en Provence; sa contribution patriotique s’élève à la somme de plus de 20,000 livres; elle réclame la conservatiou du siège épi-copal, du chapitre, collège et séminaire établis dans sou sein. Des communautésde Gentiouxet delà Courtine, du département de la Creuse; elles demandent que la ville de Fellelin soit le tribunal d’uu district. Delà ville de Villefranche eu Roussillon; elle sollicite un chef-lieu de canton. De la ville de Fresnay-le-Vicomte; elle fait des observations importantes sur les inconvénients que présentent les juges de paix. De la communauté de Drulhe en Guyenne; elle solicite un chef-lieu de canton. Des communautés d’Augles, de Cassis et de Montebourg. Cette dernière annonce que tous les citoyens ont prêté avec la plus grande solennité le serment civique. Adresse de la municipalité de Bourbonne, par laquelle, après avoir renouvelé ses protestations de dévouement à l’ Assemblée nationale et d’adhésion à ses décrets, elle fait à l’Assemblée le don patriotique de 600 livres en argent et de 5,000 livres en une lettre de finance des anciens officiers municipaux, avec huit marcs d’argent, le tout par addition d’une offrande de 3,000 livres déjà faite. Adresse des officiers municipaux de Dun-Ie Roi, par laquelle ils annoncent que leurs premières fonctions ont été de faire prêter à leurs concituyens le serment qui les lie à la Constitution; qu’avant de bénir les drapeaux aux pieds des autels, leur pasteur a fait la lecture de la loi, et qu’il a (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.