ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juin 1789.] 73 [États généraux.] vive reconnaissance, les ouvertures que Sa Majesté a bien voulu lui faire communiquer par ses minisires. En conséquence, sans adopter quelques principes du préambule, il a chargé les commissaires de rappeler à la prochaine conférence l’arrêté de la noblesse, de statuer sur les difficultés qui surviendront sur la validité du pouvoir de ses membres, lorsqu’elles n’intéresseront que les députés particuliers de son ordre, et en donner une communication officielle aux deux autres ordres : quant aux difficultés survenues ou à survenir sur les députations entières pendant la présente tenue des Etats généraux, chaque ordre chargera, conformément au vœu du Roi, ses commissaires de les discuter avec ceux des autres ordres, pour que, sur ce rapport, il puisse être statué d’une manière uniforme dans les chambres séparés; et dans le cas qu’on ne pût y parvenir, le Roi sera supplié d’être leur arbitre. » L’Assemblée reçoit deux députations du clergé, l’une pour lui annoncer que l’ordre du clergé a accepté les propositions faites par les commissaires du Roi, et l’autre pour faire part de la délibération relative à la misère des peuples. M. le comte de Lally-Tollendal s’exprime dans les termes suivants au sujet du premier arrêté: M. le comte Lally-Tollendal (1). Messieurs, amais peut-être démarche n’a été faite sous des auspices moins heureux que l’arrêté du clergé qui nous occupe dans cet instant. Cet arrêté intéresse, sous différents rapports, la noblesse à qui on le communique, le peuple qu’on parle de secourir, le ministère qu’on paraît vouloir soulager dans un des soins les plus pénibles de l’administration actuelle. Or, plusieurs membres delà noblesse y ont vu un piège qui pourrait les engager insensiblement à tolérer des emprunts furtifs et inconstitutionnels. Presque tous les représentants du peuple y ont vu un piège pour les entraîner dans la nécessité de se constituer autrement qu’ils ne voulaient se constituer. Enfin, les amis du ministère y ont vu un piège pour le faire tomber dans le discrédit, soit en accusant sa vigilance, soit en faisant naître l’idée que ce plan aurait été concerté avec lui. Personne n’est plus éloigné que moi de juger les intentions. Je ne fais toutes ces remarques que pour avoir une occasion de plus de gémir sur l’esprit de méfiance qui nous environne et qui nous perdra si nous ne parvenons à nous en délivrer. Il est connu aujourd’hui que la proposition du clergé a eu pour principe un sentiment de patriotisme et d’humanité, qu’elle a été faite, accueillie et consacrée par les curés, qui, frappés de la misère du peuple, ont mieux connu le vœu de leur cœur que les règles de l’administration. Après avoir rendu hommage au motif, il est impossible de ne pas reconnaître que Je projet présenté était tout à fait inconstitutionnel, inutile et dangereux. Inconstitutionnel. Plusieurs decesMessieurs l’ont dit avec raison, ces détails sont absolument du ressort du pouvoir exécutif ; le pouvoir législatif ne peut y influer que par les lois générales, d’où, le bon ordre doit résulter dans toutes les (1) Le discours de M. de Lally-Tollendal n’a pas été inséré au Moniteur. parties, et c’est le cas de rappeler ce mot si vrai, imprimé l’année dernière, que les bonnes lois portent le pain à la bouche de V affamé. Inutile. Quel remède apporteront à la cherté actuelle, des commissions, des bureaux, des mémoires. Ce sont des sommes qu’il faudrait et des sommes énormes. Dangereux. Parce que répandre partout l’effroi sans pouvoir le calmer à l’instant, c’est ajouter le malheur au malheur, aggraver l’un par l’autre, joindre à la souffrance réelle celle de l’imagination et s’exposer peut-être à des troubles, à des désordres dont plusieurs provinces ont déjà offert le tableau. Et cependant, Messieurs, telle est quelquefois la suite d’une démarche imprudente, que la prudence même n’a plus que le choix du danger. Et telles sont aujourd’hui les circonstances, telle est est la disposition des esprits, que le plus grand de tous les dangers serait peut-être de repousser ouvertement cette proposition, actuellement qu’elle est faite, qu’elle est consignée dans tous les papiers publics, qu’elle est connue du peuple à qui il faut pardonner de ne pas raisonner quand il souffre. Le Roi, qui s’épuise en sollicitude et en dépenses pour assurer la subsistance de ses sujets, le Roi, sur qui l’on pouvait et l’on devait se reposer, et qui peut-être eût pu se trouver offensé de cette démarche, a cru qu’il était de sa sagesse de l’accueillir avec quelque bonté. Peut-être sa délicatesse lui a-t-elle fait une loi de ne pas négliger un seul moyen possible. Quoi qu’il en soit, peut-on, dans ce moment, s’exposer à entendre dire, même par la mauvaise foi, que le clergé a proposé un plan pour procurer au peuple des moyens de subsistance, que ce plan a été accueilli par le Roi et que la noblesse l’a rejeté? On vient de nous dire que le clergé avait reconnu son erreur, mais il avait fait la démarche; qu’il n’y pensait plus, mais le peuple y pense, et beaucoup. Ainsi, Messieurs, en même temps que je rends hommage à l’arrêté proposé par M. le comte de Clermont-Tonnerre, qui me paraît fondé en principe, et ce qu’on a opposé à ces principes ne me paraît pas les avoir ébranlés ; cependant, d’après les circonstances, je ne puis me rendre à son avis, et je suis frappé, ainsi que M. le chevalier de Boufflers, de la nécessité d’une démarche ostensible quoique inutile. J’ajouterai encore une autre considération, c’est que si nous nommons des commissaires, le tiers ne pourra jamais se refuser à en nommer, et qu’il existera encore un point de réunion et l’espoir peut-être d’en voir naître encore un comité de conciliation, en un mot, un moyen de concert, de correspondance, de rapprochement quelconque entre les ordres. Enfin, Messieurs, si nous ne pouvons avoir pour le peuple une volonté active, témoignons-lui du moins une volonté bienveillante ; qu’il ne nous croie pas indifférents à ses malheurs. Soula-geons-les si nous le pouvons ; plaignons*les si nous ne pouvons les soulager. Rallions-nous le peuple. Après ces deux députations, on en reçoit une des communes : elle annonce que les communes ont délibéré de ne s’occuper du plan proposé par les commissaires du Roi qu’après la clôture des conférences, auxquelles les commissaires des communes se rendront exactement. M. d’Eprémesnil renouvelle ses réclamations ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 74 [États généraux] sur le mot communes , et se réserve d’en parler en temps et lieu. COMMUNES. M. Bailly fait lecture d’une lettre de Mm® de Chimav, ainsi conçue : « M“e de Chimay reçoit dans l’instant la réponse de la Reine. Sa Majesté lui donne ordre d’annoncer à M. Bailly qu’elle recevra avec bonté et sensibilité l’hommage et les respects de l’ordre du tiers-état , mais que la juste douleur où la Reine est plongée ne lui permet pas d’en fixer le moment. » M. Bailly lit ensuite le billet suivant de M. le garde des sceaux : « M. le garde des sceaux prévient M. Bailly qu’il sort de chez le Roi, où il était monté pour prendre ses ordres sur la députation. Quoique Sa Majesté soit dans la plus profonde affliction, et que jusqu’ici elle n’ait voulu voir personne, le Roi recevra cependant demain (le billet est daté du 5) la députation du tiers-état, entre onze heures et midi : son intention est que la députation soit au nombre de vingt. » L’Assemblée avait décidé, dans l’une des dernières séances, que les commissaires conciliateurs et les adjoints du bureau composeraient la députation. Comme ce nombre excède celui de la députation fixée par le Roi, MM. les commissaires et les adjoints se retirent dans une salle voisine pour procéder à la réduction. Les scrutateurs rentrent, et lisent la liste des députés élus. MM. Bailly, Redon, Thouret, Bouillotte, Chapelier, de Volney, Target, d’Ambezieux, Rabaud de Saint-Etienne, de Luze, Milscent, Tronchet, Ducellier, Prévôt, Mounier, Mirabeau, Lebrun, Legrand, Aucler, Descottes, Mathieu de Rondeville, Pelisson. Pendant qu’ils se préparent à partir, l’Assemblée décide que la séance tiendra jusqu’à ce qu’ils soient de retour. M. d’Ailly, remplissant les fonctions de doyen en l’absence de M. Bailly, propose à l’Assemblée la lecture du règlement. (Adopté.) L’un des adjoints prend la parole. 11 annonce que le règlement se divise en deux parties, dont la première concerne la police intérieure; et la seconde, la manière de présenter les motions, de les discuter, et de recueillir les voix. Il est interrompu par l’arrivée d’une députation du clergé, composée de deux évêques, celui de Nîmes et celui d’Autun, et de six curés. M. l’évêque de Nîmes, portant la parole, lit l’arrêté suivant : « Les membres du clergé assemblés, délibérant sur le plan qui a été proposé au nom de Sa Majesté, relativement à la vérification et au jugement des pouvoirs, et voulant donner à Sa Majesté un nouveau témoignage de la respectueuse reconnaissance dont ils sont pénétrés pour ses sollicitudes paternelles, sont convenus d’accéder à ce projet provisoire de conciliation, et de manifester aux deux autres ordres le. vœu qu’ils forment d’en suivre les dispositions. » M. d’Ailly répond aux députés du clergé que, lorsque les communes auront délibéré sur cet objet, elles feront part à l’ordre de l’église du résultat de leur délibération. M. Biauzat dit qu’il est essentiel de prendre une délibération. [6 juin 1789.] M. Populus appuie la motion. 11 observe qu’il résulte de l’adhésion pure et simple des membres du clergé au plan de conciliation proposé, qu’ils regardent dès ce moment les conférences comme terminées. Il fait sentir l’importance d’envoyer des commissaires au clergé et à la noblesse pour leur notifier l’arrêté pris hier relativement à l’ouverture faite par MM. les commissaires du Roi; il observe que c’est un moyen d’éviter le refus que pourraient alléguer les deux ordres pour la continuation des conférences. Cet avis étant adopté, on décide qu’une députation donnera communication au clergé et à la noblesse de l’arrêté suivant : « Les députés des communes ont pris la résolution de surseoir à toute délibération sur l’ouverture faite par MM. les commissaires du Roi, jusqu’après la clôture du procès-verbal des conférences qui doivent se continuer ce soir à six heures, suivant l’ajournement de M. le garde des sceaux et le désir du Roi. MM. les commissaires des communes s’y rendront exactement. » MM. Viguier, Le Bois-Desguais, Dusers, Mou-tier, Viellart , Grelet de Beauregard , Lavenue et Simon, sont choisis pour la députation; ils sortent. Les membres qui étaient allés chez le Roi et la Reine rentrent. M. Bailly. Nous avons été reçus dans le cabinet du Roi, et j’ai lu le discours approuvé par l'Assemblée, auquel j’ai ajouté une phrase sur la mort de Mgr le dauphin. « Sire, « Depuis longtemps les députés de vos fidèles communes auraient présenté solennellement à Votre Majesté le respectueux témoignage de leur reconnaissance pour la convocation des Etats généraux, si leurs pouvoirs avaient été vérifiés. Ils le seraient, si la noblesse avait cessé d’élever des obstacles. Dans la plus vive impatience, ils attendent l’instant de cette vérification pour vous offrir un hommage plus éclatant de leur amour pour votre personne sacrée, pour son auguste famille, et de leur dévouement aux intérêts du monarque, inséparables de ceux de la nation. « La sollicitude qu’inspire à Votre Majesté l’inaction des Etats généraux est une nouvelle preuve du désir qui l’anime de faire le bonheur de la France. « Affligés de cette funeste inaction, les députés dps communes ont tenté tous les moyens de déterminer ceux du clergé et de la noblesse à se réunir à eux pour constituer l’Assemblée nationale; mais la noblesse ayant exprimé de nouveau sa résolution de maintenir la vérification de ses pouvoirs faite séparément, les conférences conciliatrices entamées sur cette importante' question se trouvaient terminées ; Votre Majesté a désiré qu’elles fussent reprises en présence de M. le garde des sceaux et des commissaires que vous avez nommés. Les députés des communes, certains que, sous un prince qui veut être le restaurateur de la France, la liberté de l’Assemblée nationale ne peut être en danger, se sont empressés de déférer au désir qu’elle leur a fait connaître. Ils sont bien convaincus que le compte exact de ces conférences, mis sous ses yeux, ne lui laissera voir, dans les motifs qui nous dirigent, que les principes de la justice et de la raison. « Sire, vos fidèles communes n’oublieront jamais