592 [Assemblée nationale.] Or, comme l’intérêt de la nation n’est pas ici compromis, je demande la question préalable pur l’ajournement, et que le projet de décret soit mis aux voix. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement et adopte le projet de décret des comités.) M. Bonnegens, au nom du comité des domaines , propose à l’Assemblée de faire un rapport sur l’échange de la forêt de Biix, en Normandie. (L’Assemblée décrète que ce rapport sera mis à l’ordre du jour au commencement de la séance de mardi prochain, au soir.) M. Achard de Bonvouloir demande la parole pour soumettre à l’Assemblée quelques observations relativement à l'état de l’armée. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour et demandent qu’on passe à la discussion sur les domaines congéables. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) V Assemblée passe à la suite de la discussion sur les domaines congéables. M. Lanjuinais lit une opinion sur celte matière et propose uu projet de décret. M. Tronchet combat le projet de décret présenté par M. Lanjuinais. La suite de la discussion est renvoyée à la séance de lundi soir. M. le Président lève la séance à 10 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 28 MAI 1791, AU SOIR. Observations sur l’état de l’armée, par M. Achard de Bonvouloir, député du département de la Manche, ci-devant Cotentin. J’ai demandé plusieurs fois la parole sans pouvoir l’obtenir, pour réveiller la sollicitude de l’Assemblée sur l'état de l’armée; elle me fut cependant accordée par M. de Puzy, président, dans la séance du 28 mai au soir ; mais, au moment où j’étais à la tribune pour en profiter, un opinant réclama l’ordre du jour. "Ur les domaines congéables, et quoique j’insistasse pour conserver la parole, en annonçant l’objet important et urgent de ma motion, elle me fut ôtée. Ne pouvant prévoir quand j’obtiendrai la faculté de parler pour remplir un devoir que je regarde comme très pressant, je me détermine à faire imprimer ce que j’eusse dit, et à le distribuer aux membres de l’Assemblée. Je crois devoir à mes collègues cet avertissement; à ma pairie, à mes commettants, au militaire dont je me glorifie d’avoir longtemps fait partie, à moi-même, cette exposition publique de mes sentiments. Dans un moment où tout annonce que nous allons avoir besoin de l’armée pour défendre les 128 mai 1791.] limites de l’Empire, tout nous invite à prendre, dans une sérieuse considération, le maintien de la discipline et la position affreuse où se trouvent les officiers qui en sont le nerf. Jamais peut-être la France n’a eu plus de besoin d’avoir de bonnes armées; et jamais ses armées, tant de terre que de mer, n’ont été dans un état plus critique. Une armée sans discipline n’est qu’un ramassis d'hommes incapables de résistance. Occupons-nous donc de cetie grande considération, afin que nos ennemis, voyant notre contenance, renoncent à des projets qu’ils n’ont p> ui-êire fondés que sur la supposition de notre faiblesse, dans un moment où les liens de la discipline paraissent avoir été brisés exprès pour nous livrer à leur discrétion. Empresson—nous de les rétablir. Si nous tardons, nous n’aurons réellement plus d’armée; nous l’aurons détruite nous-mêmes. Et si quelque partie de ce beau royaume devient la proie de nos voisins, nous devons eu être responsables. Nous pouvons avoir à combattre demain des armées aguerries et disciplinées. Il serait insensé de se flatter qu’il suffit du nombre, du courage des individus et de quelques séductions pour les vaincre. C’est l’ensemble, et non la multitude, c’est l’ordre et la tactique qui gngnent les batailles. Ce sont les batailles qui décident du sort des Empires. C’est la discipline qui conserve les armées. C’est la conduite des officiers et l’obéissance des soldats qui les rend victorieuses. Ceux qui vous diraient le contra re, ceux qui croiraient pouvoir impunément démonter tous les ressorts de la force publique et les rétablir à leur gré, ceux qui vanteraient des ressources justement suspectes, comme si elles étaient éprouvées; ceux qui hasarderaient de vous laisser ainsi à découvert devant un ennemi entreprenant et ne craindraient pas d’exposer d’aussi grands intérêts : ceux-là seraient les véritab es ennemis de la patrie, qu’ils compromettraient par malice ou par ignorance, mais toujours de fait. Ce seraient des traîtres ou des insensés également d’accord avec vos ennemis pour vous livrer sans défense. Cette discipline, qui fait la force des armées, n’est point le fruit d’un moment. Elle a pour base les mœurs; elle se mûrit par l’habitude; elle dépend beaucoup de l’upinion. Ce n’est qu’à la longue qu’un officier acquiert la confiance de sa troupe ; ce n’est qu'à la longue que l’esprit de corps se forme et qu’un régiment devient bon. Tous les jours, nous entendons le récit de nouveaux attentats. Tous les jours, on cite des soldats révoltés, des officiers massacrés. N’est-il pas temps d’arrêter le cours de tant de crimes? Tous ces excès dérivent de la même source et se perpétuent par la même cause. Des factieux les commandent, et notre indifférence les autorise. Les officiers du régiment de Beauvoisis, attaqués, blessés, mis en fuite par leurs soldats: M. de Macnemara, massacré par des grenadiers; Je brave Mauduit, coupé en morceaux par son propre régiment, dont les remords ne peuvent réparer la perte ; et cent autres traits pareils qui nous ont étédénoncés,dem< urent sans vengeance. On dirait que, dans ces temps malheureux, le crime seul trouve des défenseurs; il trouve au moins des apologistes qui savent le pallier ; et personne n’élève la voix pour l’ordre et la justice!... Faut-il le dire enfin? Les jurés militaires ne trouvent pas un coupable, surtout lorsque le crime est capital. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] L’Assemblée nationale fait des lois : mais à ?[Uoi serviront-elles si nous les laissons sans orce? Non seulement on nous reproche cette inexplicable indifférence, mais on va même jusqu’à nous accuser de renfermer dans notre sein les instigateurs qui suscitent les peuples à les violer. C’est, sans doute, une calomnie, mais de grands crimes se commettent sous nos yeux, nous les voyons et nous ne les empêchons pas. Des clubs, sous le faux nom d’amis d’une Constitution qu’ils renverseront par leurs excès, sollicitent publiquement les soldats à l’insubordination, à la révolte contre leurs officiers, à les assassiner. « Chassez vos officiers, dit-on aux sous-officiers, et vous aurez leurs places... » Et c’est à des soldats, à des hommes dont on dit qu’on cherche à relever l’existence, qu’on veut rendre dignes du nom honorable de citoyen, qu’on ose proposer de devenir officiers, eu marchant sur le corps de ceux auxquels la loi leur ordonne d’obéir. On sait que, dans une grande garnison, des soldats français ont été dire à des Suisses : « Si nous renvoyons nos officiers, renverrez-vous les vôtres? » Ces braves Suisses ont répondu avec indignation : « Nous ..... nous serons fidèles aux lois qui nous ordonnent de leur obéir; » et ils ont été aussitôt renouveler à leurs officiers l’assurance de leur attachement et de leur fidélité. Malheureux et trop braves soldats de Château-vieux, qui avez dû expier votre erreur par le supplice...., que je vous plains! On avait osé vous dire qu’eu vous révoltant vous seriez plus honorés : on vous avait peint vos officiers comme des traîtres ; vous vous êtes laissé surprendre par des imposteurs ; vous avez payé votre erreur de la vie ...... Mais, ceux qui vous ont conduits dans cet horrible précipice, à quels tourments ne devraient-ils pas être dévoués. Ils sont responsables de votre sang. C’est à vos compatriotes, s’ils peuvent les connaître un jour, malheureuses victimes de leurs calculs ! Ces conspirateurs qui vous ont séduits, entraînés, ont-ils eu le courage, pendant le cours de la longue procédure qui vous a condamnés, de venir crier aux juges, à la nation : Arrêtez 1 Faites grâce 1 C’est nous qui sommes les vrais coupables ; c’est nous qui avons séduit, trompé leur simplicité. Nous leur avons déguisé le crime; nous le leur avons présenté sous les apparences de l’honneur, du patriotisme ; nous avons eu de la peine à nous faire entendre; ils ont résisté très longtemps: mais, une fois persuadés, ils ont persévéré dans leur erreur avec un courage qui prouve ce qu’ils auraient fait pour uue meilleure cause. L’emploi qu’ils ont fait de ce courage était coupabfe; ils ont mérité la mort ; ils l’ont subie; et cette justice nécessaire a laissé dans tous les cœurs un sentiment profond de pitié et d’horreur ..... peut-être d’estime!.. .. C’estun grand exemple pour leurs compatriotes ! Exemple qui n’était pas nécessaire pour les rendre fidèles, mais qui servira à les rendre moins faciles à persuader. Il servira à prouver aux soldats qui veulent conserver leur honneur, qu’ils ne peuvent s’écarter un instant de l’observation de la loi, sans s’exposer à se voir entraîner dans de plus grands crimes, et à mourir honteusement de la mort des lâches. Eh bien 1 ces crimes se commettent encore tous les jours sous nos yeux, sans mystère comme sans obstacle. in Série. T. XXVI. 593 Nous ne pouvons ignorer que dans toutes les garnisons il y a des cabarets où l’on paye la dépense des soldats; que l’armée est partagée en sou s -officiers et soldats, qu’on tient en fermentation pour les décider à se défaire de leurs officiers et que ces mêmes officiers voient préparer les moyens de se faire chasser par leurs sous-officiers et soldats. Ceux qui ont suscité le crime de Nancy sont les mêmes hommes qui suscitent ceux d’aujourd’hui. Dominateurs dans ces clubs soi-disant amis de la Constitution, c’est de ces foyers que partent les ordres et le venin qui va s’insinuer dans l’esprit et corrompre Je cœur de tous les soldats; et voilà pourquoi on avait tant de cœur à les y faire a '1er. Les barbares 1 ils provoquent les soldats aux crimes qui sont utiles à leurs desseins secrets, pour les abandonner ensuite froidement au châtiment! Car, en dernière analyse... on leur conseille en secret dans les cabarets de violer les lois de la discipline : on les enivre avec du vin préparé, on les excite par des plaisirs, on les suborne avec de l’argent... Mais, en public, on est obligé de les condamner; et ces malheureux instruments qu’on emploie finissent par être victimes abandonnées, comme les Suisses de Châ-teauvieux, par leurs corrupteurs, qui deviennent ainsi leurs véritables bourreaux. On va jusqu’à nous faire l’injure de dire que quelques-uns même de nous font usage de ces moyens coupables, du moins on nous accuse de les autoriser. Repoussons cette odieuse calomnie en faisant enfin jusiiee et en prenant des moyens efficaces pour arrêter le cours de ces attentats. C’est par le ministre de la guerre que nous devions être avertis officiellement de l’état critique où se trouvent les troupes; rendons-le responsable des insurrections qui peuvent résulter de sa négligence. On vous dit que les officiers manquent de patriotisme, qu’ils sont ennemis de la Constitution?... Mais qui tient ce langage? Ceux qui ont besoin de leurs places, qu’ils ont promises en payement des crimes qu’ils ont achetés... Quelle preuve avons-nous de l’incivisme des officiers? En croirons-nous les comptes infidèles que nous avons reçus de l’affaire du régiment de Reauvoi-sis, comptes démentis hautement par le colonel, par les officiers et par les procès-verbaux ? Peut-on croire que, si ces sous-officiers succombent aux tentations qu’on leur offre pour remplacer leurs officiers, la patrie puisse compter davantage sur des hommes qui n’auront obtenu leurs places qu’à force de crimes. Comment ces nouveaux officiers, qui ne seront parvenus qu’eu violant toutes les lois de la discipline, établiront-ils leur autorité sur leurs soldats, hier leurs camarades et toujours leurs égaux? Croit-on que ceux-ci De soient pas empressés de parvenir par la même voie? Etqu’aurons-nous à leur dire, quand ils voudront avoir leur tour dans ce pillage et défaire ce qu’ils auront fait? Quel fond pourrons-nous faire sur une armée corrompue, indisciplinée, dépourvue d’officiers accrédités et ayant l’habitude du commandement? Pourra-t-elle résister à vos ennemis du dehors, dont les armées aguerries sont parfaitement disciplinées? N’aurons-nous pas tout à craindre, pour notre propre liberté, d’une multiiude d’hommes sans frein, sans lien, avertis, par l’essai que nous leur aurions laissé faire de leurs propres forces, qu’ils peuvent tout oser? Si un ambitieux sait s’emparer de leur confiance, et les associant à partager ses 38 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (28 mai 1791.] m {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mai 1791.] conquêtes, rétablir par leurs forces, à son profit et à nos dépens, ce régime féodal que vous vous applaudissez tant d’avoir aboli, quels dangers ne peuvent-ils pas faire courir à ceux mêmes qui les auront dégagés du frein des lois, efr qui se flattent peut-être bien légèrement de les avoir toujours sous leurs étendards?... Mais non... Si quelques iudividus sont gangrenés, le soldat français, en général, est encore pur, l’honneur fait la base de son caractère; qu’on l’abandonne à lui-même, toute son énergie sera en tribut à la gloire et à la vertu. Il est confiant, franc, loyal; il suffit de le préserver de ces nommes dangereux qui l’égarent. La gangrène dont on cherche à vicier l’armée française prend sa source dans les déclamations des clubs, soi-disant amis de la Constitution, dans les calomnies que l’on répand jusque dans cette enceinte; dans les adresses injurieuses aux officiers, dont l’Assemblée souffre la lecture sans improbation, ou au moins sans information légale; dans l’assurance que ces clubs donnent journellement aux sous-officiers de remplacer immédiatement tous les officiers, moyen odieux de rendre ces sous-officiers, jusqu’ici les premiers coopérateurs des officiers dans le maintien de la discipline, leurs plus dangereux ennemis. Ce qui vient de se passer au Mans est une preuve de l’autorité que ces clubs exercent dans les départements, en rivalité, en opposition même, aux corps administratifs, aux municipalités et aux tribunaux, qui sont obligés de céder, je ne dis pas simplement à leur influence, mais à leur volonté absolue, bien plus active et plus forte que le pouvoir exécutif. Le régiment ci-devant de Chartres vivait en paix sous la protection des lois au Mans, généralement aimé et estimé de tous les citoyens, ce qui est attesté par les certificats authentiques des corps administratifs et de la municipalité. Un mai avait été élevé à la porte de l’évêque : il est abattu pendant la nuit. On en accuse les dragons. Il n’y aucune preuve contre eux; toutes les présomptions mêmes les déchargent de cette accusation; mais les dragons n’ont pas voulu chasser leurs officiers; ils concourent ensemble au maintien de la tranquillité publique , à i’exécution des ordres de la municipalité... Le club veut qu’ils partent, malgré le désir de la municipalité et du département, sans avoir demandé l’ordre du pouvoir exécutif. Et le ministre même nous laisse ignorer qu’il a été obligé de déférer à la volonté du club. Ce qui s’est passé au Mans contre le régiment de Chartres arrive à peu près à Limoges. Le ministre a été obligé, sur la demande d’un club, d’en faire partir un régiment ui était toujours demeuré fidèle aux lois et à la iscipline. Souffrirons-nous que ces clubs, ces prétendus amis de la Constitution, empêchent ainsi l’exécution des décrets et méconnaissent les pouvoirs établis pour les faire respecter? Déjà ces clubs instruits, ou présumant que, dans un mois, on enverra les lettres de convocation pour la législature qui doit nous remplacer, déjà ces clubs désignent nos successeurs et menacent, si on en nomme d’autres, de soulever le peuple. Déjà on connaît, dans les départements, les futurs législateurs : c’est ainsi qu’ils y ont envoyé les noms des hommes qui doivent remplir les places ecclésiastiques et celles des tribunaux, de manière que c’est souvent un homme inconnu des électeurs qu’ils sont obligés de nommer, parce qu’il n’y aurait pas de sûreté d’en nommer un autre ; est-ce là le vœu libre du peuple, et peut-ou appeler libre une nation où de pareils actes de despotisme sont commis, et où les lois sont sans force pour les repousser? Cette puissance des clubs a été en quelque sorte consacrée sous nos yeux, puisque pour être admis et accueilli dans une place, il fallait auparavant avoir été initié au club des Jacobins de Paris. C’est là que des évêques, des curés ont été recevoir leurs pouvoirs et leur consécration; c’est là que des généraux vont recevoir le bâton de commandement. Ce nouveau genre de despotisme, qui entreprend d’asservir également l’armée, peut détruire ainsi toute les forces de la nation, et nous rendre la conquête facile de nos voisins. Ou doit peut être tenir quelque compte aux officiers français de leur dévouement, de leur courage, et de la vertu dont ils ont besoin pour résister à tant d’outrages, à tant de corruptions dont on les environne; au torrent épouvantable dont tous les efforts tendent à leur faire perdre la confiance qu’ils ont méritée, et n’a-t-on pas essayé aussi de les corrompre eux-mêmes? de les soulever contre leurs officiers supérieurs et généraux? Ne les a-t-on pas entraînés un moment à faire des pétitions, former des comités afin de s’autoriser de leur imprudence, pour établir ceux qu’on devait faire tenir ensuite à leurs soldats contre eux-mêmes? Si quelques individus, si même quelques régiments en petit nombre ont ce reproche à se faire, s’ils se sont laissé égarer un moment, bientôt ils ont senti et expié par leurs remords cette erreur passagère. Si nous laissons subsister l’état actuel des choses, nous contribuons, par notre silence (car je suis loin de penser qu’aucun membre de l’Assemblée soit complice), nous contribuons à tous les crimes qui se commettent tous les jours. Empressons-nous donc de rétablir l’ordre, en faisant exécuter les lois. Si je ne préférais pas le salut de ma patrie à ce sentiment si naturel, qui m’attache à plusieurs officiers, du nombre de ceux que la vertu seule retient dans un poste qui ne leur présente plus que des dégoûts et des dangers (et certes, c’est bien la presque totalité) ; j’aurais été le premier à dire : On veut conserver dans l'armée les officiers actuels , et alors on leur doit l'appui des lois auxquelles ils obéissent, et qu'ils défendent : ou on n'en veut plus , et alors il faut le dire franchement. Qu'on épargne aux officiers les horreurs de la position où ils sont, et dans laquelle il est barbare de les laisser; et aux sous-officiers et soldats des crimes par lesquels il n'est pas nécessaire de les faire passer pour leur faire prendre la place des officiers. Si c'est là le but qu'on se propose, donnez-leur leur retraite, et pourvoyez à la récompense de leurs services passés. Mais loin de moi la tentation de céder à un mouvement d’intérêt personnel dont ma patrie serait la victime, et dont la générosité de ces braves officiers s’indignerait; iis mettent heureusement pour nous, ils mettent encore de la gloire à servir une patrie qui les abandonne, à tenir un poste périlleux. Profitons de ce sentiment pendant qu’il subsiste, dans un moment où nous avons besoin de toutes nos forces : cueillez encore le fruit d’un arbre dont vous avez voulu couper les racines. Rétablissons l’ordre et la discipline dans l’armée, ou bien, au premier choc des étrangers, 395 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 mai 1791.] nous verrons tout s’écrouler avec rapidité; que nous servira notre Constitution, quand nos provinces seront la conquête des peuples voisins? J’entends dire que l’anarchie est complète. Je pense, moi, qu’il n’est point impossible de rétablir l’ordre et la discipline si les clubs cessaient enfin d’abreuver les soldats de leurs poisons, si au lieu de les égarer par un faux patriotisme, on. ne leur vantait que le véritable, qui est le dévouement aux lois et l’amourde l’honneur; si enfin, ouvrant les yeux sur l’abîme daDS lequel des factieux, des intrigants, des philosophes, des ignorants, des traîtres peut-être peuvent précipiter notre malheureuse patrie, nous songions sérieusement à préparer des défenses de l’espèce de celles qui décident du sort des armées, au lieu de nous amuser à des lieux communs de métaphysique ;si enfin on rappelait seulement le soldat français à des principes naturels, si on rendait sa confiance à ses officiers, nous trouverions encore des armées françaises. Nos grenadiers sont encore de la même trempe que ceux de Denain, de Fontenoy et de Berghen. Mais ces grenadiers, si justes appréciateurs du mérite militaire qui ne consiste pas seulement dans la bravoure, savent si leurs officiers ne leur sont pas nécessaires, et s’il est aisé de les remplacer. Ou parle d’un complot, à peu près général, d’expulser les olficiers par la violence et même d’en massacrer quelques-uns désignés. Ce complot n’est encore que dans la résolution des conspirateurs; il ne circule encore que dans les clubs où on sait qu’il a été agité. Car je suis loin de croire les soldats de l’armée capables d’y avoir adhéré. Plusieurs régiments auxquels on a osé en faire des insinuations ont répondu d’une manière digne de cet honneur qui a toujours caractérisé le soldat français. L’imagination a peine à se prêtera la croyance d’un pareil projet. Mais faut-il le dire? Déjà plusieurs événements trop constatés autorisent toutes les défiances, et accréditent des bruits qui eussent été tout à fait incroyables dans tout autre temps. Les officiers occupent leurs places sous l’autorité de la loi. S’ils ne méritent plus sa protection, elle doit prononcer légalement leur destitution. Tant qu’elle ne l’aura pas prononcée, elle doit les protéger avec énergie. Qui de nous peut dire que . ce n’est pas là notre devoir ? Et ne serait-ce pas méconnaître cette souveraineté de l’Assemblée nationale, dont on nous parle tous les jours, que de douter qu’elle n’en ait la possibilité, comme elle en a le droit? Nous nous rendons donc coupables si nous n’en déployons pas toute la puissance, dans cette grande circonstance, avec la force nécessaire pour faire respecter les lois et y soumettre tous les militaires depuis le premier grade jusqu’au dernier. Je pense donc que l’Assemblée nationale doit mander le ministre de la guerre, pour qu’il rende compte de l’armée et des précautions qu’il a du prendre pour arrêter les désordres qui la détruisent; et qu’elle doit le rendre personnellement responsable des insurrections qui arrivent dans les régiments, toutes les fois qu’il n’aurait point employé les moyens que lui donne la loi pour les prévenir. Car c'est un crime égal contre la sûreté de l’Etat, que de démanteler ses forteresses ou de dissoudre ses armées. Ces observations étaient livrées à l’impression, lorsqu’on a rendu compte à l’Assemblée de ce que les olficiers du régiment de Dauphiné ont été renvoyés par leurs soldats. La conduite que l’Assemblée va tenir dans cette occasion fera connaître si elle a encore la puissance défaire observer les lois. Car, si nous souffrons cet acte séditieux, nous prouvons à l’Europe entière que nous sommes sans force, et nous prononçons nous-mêmes l’état d’anarchie où est réduit l’Empire. Nous dira-t-on encore que l’insurrection est le plus saint des devoirs, lorsqu’elle a lieu pour le renversement des lois que nous-mêmes avons faites ? ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. MERLIN, EX-PRÉSIDENT. Séance du dimanche 29 mai 1791 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier au matin, qui est adopté. M. le Président donne connaissance à l’Assemblée d’une adresse du sieur Domergue, ci-devant receveur des décimes à Narbonne, place qu’il a remplie pendant 46 ans. (Cette adresse est renvoyée au comité des pensions.) Un membre du comité de vérification propose d’accorder un congé d’un mois à M. de Saint-Mars, député du département de Seine-et-Oise, et à M. de Trie, député du département de la Seine-Inférieure. (Ces congés sont accordés.) M. Bouche, au nom du comité de vérification. Messieurs, il y a dans ce moment dans la ville de Colmar, chef-lieu du département du Bas-Rhin, une insurrection très vive; et cette insurrection est dirigée contre tous les pouvoirs. De mauvais citoyens ont égaré le peuple en lui persuadant que la religion est en danger; l s corps administratifs n’ont déployé aucune force; la pluralité des officiers municipaux s’est mise à la tête des factieux ; le tribunal de justice a refusé de faire informer. Dans cet état de choses, les bons citoyens ont écrit à la députation d’Alsace, au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous parler en ce moment, pour empêcher que le mal ne fasse de plus grands progrès. Il y a dans cette ville un régiment de chasseurs commandé parM. Louis deNoailles et qui y tient garnison�; on a tâché de séduire ce régiment et on a voulu l’engager à se réunir aux factieux. Les bons citoyens et la députation dAlsace désireraient comme une chose très nécessaire et tiès instante que M. de Noailles, membre de l’Assemblée nationale, connu par son zèle et son patriotisme, allât se mettre au moins pendant quinze jours à la tête de son régiment pour rétablir l’ordre. C’est pour obtenir cette demande de la députation d'Alsace qne j’ai l’honneur de vous pr er d’ac-curder un congé de quinze jours à M. de Noailles, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.