288 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’ils ne lui avoient montré aucuns pouvoirs, enfin ces particuliers se retirèrent ; une pareille visite m’a fait frémir lorsque je vois venir des gens armés sans pouvoir les connoitre; si de pareille chose étoient tollérés il pourroit en résulter de grands abus parce que de mauvais sujets pouroient s’introduire dans le domicile des citoyens pour ÿ prendre des connoissances et y comettre des crimes. Je suis bien persuadé que les trois citoyens qui sont venus chez moi sont d’honnêtes gens mais je ne les connois pas et ils ont refusé de se faire connoitre. Je suis d’autant plus inquiet sur les personnes qui pour-roient s’introduire chez moi que ma demeure est dans une maison isolée et dans un bois. Je t’observe citoyen que je n’ai aucune arme chez moi qui ne soit déclarée à la municipalité, que je ne suis ni cy-devant ni prêtre mais bon pa-triotte et en état d’en faire preuve pour mon service fait dans la garde nationale et mes dons en habit et argent pour la République. Je ne suis pas riche je te prie de recevoir dix livres pour emploier aux frais de la guerre contre nos ennemis ou pour soulager un patriote blessé à l’armée ; salut et fraternité. Signé Cailly, capitaine dans la garde nationale. [Copie du reçu des 10 L par le receveur du district de Mortagne, le 25 fructidor an II] Je receveur du district de Mortagne, recon-nois avoir reçu du citoyen Cailly capitaine de la garde nationale demeurant à La Corbière la somme de dix livres en don pour les frais de la guerre. Signé Delangle. 53 Un membre [RICHARD] présente différentes' réflexions; elles se réduisent en analyse : qu’il ne suffît pas d’adopter des mesures partielles, mais qu’il en faut prendre qui assurent la félicité publique par de bonnes lois et un gouvernement vigoureux ; que la Convention a souvent été la dupe des meneurs; qu’il voit des meneurs par-tout où l’action de l’autorité est comprimée par des menaces ou par la crainte, par-tout où l’on établit des tarifs de patriotisme; qu’il voit des meneurs dans ceux qui accusent leurs collègues et qui s’occupent de dénonciations particulières ; dans ceux qui font passer un temps considérable à décréter des mentions honorables et des insertions au bulletin, que c’est perdre un temps précieux, tandis que des milliers de Français volent aux frontières, bravent les périls et les dangers; qu’il faut prendre pour exemple nos bataillons : lorsque la générale est battue, tous les soldats se serrent et se réunissent, tous les coeurs ne sont animés que de l’amour de la patrie ; qu’il ne faut pas souffrir que des hommes viennent impunément dire à la barre des choses qui attaquent les principes et sappent les bases du gouvernement ; que souvent l’on parle du gouvernement révolutionnaire, mais qu’il ne voit que le mot et non la réalité; qu’il ne reconnoît pour patriotes que ceux qui respectent la Convention, et qui veulent le maintien du gouvernement. Il termine par proposer que les trois comités de Salut public, Législation et de Sûreté générale, prennent des mesures qui préviennent la dissolution du corps social; et il invite la Convention à gouverner elle-même, en faisant tourner au profit de la chose publique tous les talens qui sont dans son sein. L’on demande que ces réflexions soient mises par écrit, afin qu’elles soient envoyées aux armées et aux départemens. Cette proposition est décrétée (81). RICHARD : Il ne faut pas, dans les circonstances où nous sommes, nous borner à des mesures partielles. Vous avez chargé les comités réunis de vous présenter une Adresse pour fixer l’opinion pubbque ; c’est là une mesure partielle, une mesure de faiblesse ; car vous allez ouvrir la discussion avec tous les faiseurs d’Adresses de la répubbque. C’est par de bonnes lois, c’est par des mesures salutaires, c’est par un gouvernement vigoureux que la Convention doit fixer l’opinion publique. Trop longtemps on a leurré le peuple par de belles paroles ; il est temps de lui donner le bonheur (. Applaudissements ). Votre faiblesse laisse incertainement flotter les rênes du gouvernement, et toute la Convention a été la dupe des meneurs qui aujourd’hui se disputent les lambeaux du pouvoir qu’ils lui ont arraché. Je vois des meneurs partout où l’action de l’autorité est comprimée par des menaces ou par la crainte, partout où l’on établit des tarifs de patriotisme, d’après lesquels on juge les individus. Je vois des meneurs dans ceux qui accusent leur collègues sur des faits dont ils ont été acquittés ; je vois des meneurs dans ceux qui vous font passer un temps considérable à décréter des mentions honorables et des insertions au Bulletin des Adresses qui sont dans leur sens. J’arrive de l’armée, je ne connais rien de ce qui se passe ici, et je ne partage pas plus une opinion que l’autre ; mais je dis la vérité, je dis ce que je sens. Songez que, d’après l’arrêté d’un de vos comités, des milliers de Français vont affronter la mort avec une sorte de volupté ; et songez aussi que vous souffrez que des hommes viennent impunément vous dire à votre barre des choses pour raisons desquelles ils seraient arrêtés s’ils les avaient dites en présence de quatre ou cinq personnes : jugez d’après cela quelle est votre faiblesse! Citoyens, cet ordre de choses ne peut pas durer, et vous ne pouvez pas souffrir qu’on vienne ainsi dans votre sein attaquer les principes et saper les bases du gouvernement. (81) P.-V., XL VI, 274-275. J. Univ., n” 1775. SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N° 53 289 Je ne reconnais pour patriotes que ceux qui respectent la Convention, que ceux qui veulent le maintien du gouvernement. Ayez dans le particulier les sentiments que vous vous inspirez réciproquement, ceux que tous bons patriotes doivent avoir; mais ici faites comme à l’armée; lorsque la générale est battue, tout est réuni dans le sentiment de l’amour de la patrie. Les querelles particulières sont oubliées; on n’a qu’un esprit, le désir de faire triompher la liberté; qu’une passion, la haine des tyrans et l’anéantissement de leurs esclaves. Voilà pourquoi les ennemis si vantés, qui s’étaient coalisés pour vous perdre, ont été vaincus par nos braves volontaires. Je ne connais rien de plus touchant que le tableau que représentent nos bataillons. Tout est confondu dans l’amour de la patrie, et cependant ces hommes-là se connaissent à peine ; ils meurent souvent sans que leurs noms aient été cités. Où peuvent-ils donc trouver le dédommagement de tant de sacrifices? dans leur coeur. S’ils essuient des fatigues dans des marches pénibles, ils tournent leurs regards vers vous; s’ils éprouvent des privations dans des circonstances difficiles, ils tournent leurs regards vers vous; s’ils sont blessés dans les combats, ils tournent leurs regards vers vous ; enfin, s’ils rendent le dernier soupir au champ de l’honneur, c’est encore vers vous que leurs regards sont tournés, moins pour vous recommander leurs familles que la patrie ( Vifs applaudissements). Ah ! qu’ils sont coupables ceux qui veulent nous empêcher de profiter d’aussi grands sacrifices! Je ne puis voir sans indignation les hommes qui cherchent à exciter des troubles pour nous enlever le prix d’un aussi généreux dévouement. On parle de gouvernement révolutionnaire ; je n’en vois que le mot, et point du tout la réalité. On prétend qu’il existe, parce qu’un certain nombre d’individus de chaque côté se prétendent exclusivement révolutionnaires ; faites cesser cet abus. Longtemps vous avez été menés, parce que vous vous êtes reposés sur ceux qui montraient le plus d’ardeur pour gouverner la chose publique. Prenez les talents qui sont dans votre sein; gouvernez tout, et vous gouvernerez bien ( Vifs applaudissements). Vous avez des comités pour recevoir les dénonciations qui seraient faites par un collègue contre un autre collègue; les comités les examineront, vous en feront un rapport; qu’on prenne donc cette marche, et qu’on ne vienne plus ici nous faire perdre un temps utile, dans des débats qui ne peuvent jamais bien se terminer. Je vous propose donc de charger vos trois comités réunis de prendre des mesures qui préviennent la dissolution du corps social. Et je vous le dis, la meilleure que vous puissiez choisir est de gouverner vous-mêmes, et de faire servir au profit de la chose publique tous les talents qui sont en vous ( On applaudit). ROUX-FAZILLAC : Je demande que Richard, qui vient de nous peindre la conduite généreuse des défenseurs de la patrie, soit invité à la tracer par écrit, afin que le tableau puisse être envoyé aux armées et aux départements. Cette proposition est décrétée (82). Un membre [GOUPILLEAU de Fontenay], après avoir fait plusieurs observations contre les fripons et les intrigans, et contre ceux qui réclament le rétablissement de la commune de Paris, se résume par demander que les trois comités réunis proposent un projet de décret sur les moyens de resserrer les rênes du gouvernement, et de poursuivre les fripons et les intrigans. Un autre membre [BOURDON (de l’Oise)] pense qu’en ayant dans l’Etat une bonne police, l’on aura un bon gouvernement révolutionnaire ; il pense aussi que ni les sociétés populaires, ni le droit de pétition ne doivent assurer l’impunité des coupables : il faut que la Convention manifeste fortement l’intention de n’entendre à sa barre aucune pétition dont les principes ne seraient pas garantis par des signatures. Il ne faut, dit-il, pas souffrir que quelques hommes, réunis dans tel et tel lieu, prononcent des blasphèmes politiques qui tendent à l’avilissement du gouvernement : il demande que les trois comités réunis présentent des mesures de police générale (83). GOUPILLEAU (de Fontenay) : On s’est plaint de la faiblesse du gouvernement ; on a dit que le gouvernement révolutionnaire n’existait que dans le mot, et l’on a dit une chose vraie. Ce n’est pas seulement aux fripons qu’il faut déclarer la guerre, c’est aux intrigants (On applaudit), aux hommes qui, sous le spécieux prétexte de réclamer les droits du peuple, viennent à votre barre vous demander en quelque sorte le rétablissement de la détestable commune de Paris ; aux hommes qui viennent vous dire que c’est à eux à nommer leurs magistrats, et qui par là vous proposent l’anéantissement du gouvernement révolutionnaire. Ils vous demandent, par une suite nécessaire, la convocation des assemblées primaires et la dissolution de la Convention nationale. La nécessité du gouvernement révolutionnaire est sentie par tous ceux qui sont animés par l’amour de la patrie ; mais vous n’en aurez jamais, de gouvernement, s’il n’est pas centralisé dans la Convention, si les intrigants des sections en choisissent les instruments. On s’est plaint de ce que le comité de Sûreté générale ne faisait pas arrêter les intrigants de sections : mais que veut-on que fasse le comité de Sûreté générale, lorsque la Convention entend tranquillement ces hommes à la barre ; lorsque, souvent même, elle leur accorde des mentions honorables? Je demande que les trois comités réunis vous proposent un projet de décret sur les moyens de resserrer le rênes du gouvernement et de poursuivre les fripons et les intrigants (On applaudit). (82) Moniteur, XXII, 153-154; Débats, n° 744, 223-225. (83) P.-V., XLVI, 275. 290 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE BOURDON (de l’Oise) : Puisque le jour des vérités est arrivé, il faut en dire qui retentiront dans les coeurs de tous les amis de la patrie. Savez-vous pourquoi vos armées sont constamment victorieuses ? c’est parce qu’elles observent une stricte discipline. Ayez dans l’Etat une bonne police et vous aurez un bon gouvernement révolutionnaire. Savez-vous d’où viennent les étemelles attaques dirigées contre le gouvernement? c’est de l’abus que font vos ennemis de ce qu’il y a de démocratique dans votre constitution. Ils osent publier le succès des crimes qu’on leur a payés, et dire effrontément : Vous n’aurez pas de gouvernement. Serait-il vrai qu’une nation constamment victorieuse ne pourrait pas se gouverner? Et la Convention, qui sait que cela seul empêche l’achèvement de la révolution, n’y pourvoirait pas ! Non, non, désabusons nos ennemis. C’est par l’exercice impur du droit de pétition, c’est par l’abus des sociétés populaires qu’on veut nous entraver. J’ai dit aux trois comités réunis que les sociétés populaires sont inhérentes au gouvernement; mais j’ai ajouté que ni les sociétés populaires, ni le droit de pétition ne devaient assurer l’impunité des coupables. Dans une république il n’y a pas d’autre asile que le temple de la vertu : voilà des vérités d’après lesquelles, j’espère, on ne m’accusera pas de vouloir ôter de la constitution les sociétés populaires et le droit de pétition. Citoyens, il le faut, manifestez fortement l’intention de n’entendre à votre barre aucune pétition dont les principes ne soient garantis par des signatures. Ne nous jouons pas des garanties ; c’est sur elles qu’est fondé le bonheur social. Croyez-vous qu’ils étaient démocrates, ces gens qui volaient et qui égorgeaient? C’est peut-être l’attaque la plus impie qu’on ait porté à la Liberté. C’est à la Convention, qui a élevé sa statue, à l’assurer sur son piédestal. Armons-nous de justice contre les fripons et les intrigants ; faisons fortement la police des pétitions et des sociétés populaires, et le calme se rétablira, et nous assurerons le bonheur de notre pays. [Armons-nous de force contre les pétitions et les sociétés populaires qui tendroient à altérer le régime républicain] (84) Qu’on ne vienne pas tourner en ridicule ce que je dis ici (Non, non! s’écrie-t-on ). Il n’est pas un coeur pur qui puisse concevoir qu’un homme ait le droit de dire impunément dans une société populaire une chose pour laquelle il serait arrêté dans une place publique. Arrachez les fripons de ces endroits; armez vous d’une juste sévérité; mais soyez impassibles et qu’aucun esprit de parti ne fasse applaudir à telle ou telle pétition. Je vous le demande, est-il une injure pareille à celle que viennent vous faire certains intrigants de Paris! La commune fume encore des conspirations : un mois s’est à peine écoulé depuis qu’une assemblée d’assassins y délibérait sur les moyens d’égorger la Convention; et l’on (84) J. Paris, n° 15. vient vous proposer de rétablir cette commune qui, dans la nuit du 8 au 9 thermidor, a mis le comble aux forfaits et aux brigandages qu’elle exerçait depuis quatre ans! Ce ne sont pas les citoyens de Paris qui nous envoient ces pétitions empoisonnées. Non, les honnêtes citoyens se retirent des assemblées aux heures fixées par la loi, et douze brigands, douze intrigants restent après eux, et prennent des arrêtés sous le nom de la section entière. L’audace de ces hommes est poussée au comble quand ils ne voient plus que des hommes auxquels on n’a d’autres reproches à faire que d’avoir montré de la froideur à quelque époque de la révolution, ou de ne s’être pas prononcés vigoureusement dans telle ou telle circonstance ; ils sont aidés par les gens à moustaches, par ces gens qu’on ne connaît que depuis le 31 mai, et dont l’habitude est d’aller opprimer les sections. Quand on parle d’oppression à la malheureuse classe qui l’a si fort éprouvée, elle n’ose pas respirer. Eh bien, c’est à elle que je m’adresse ; c’est à elle que je conseille d’oublier toutes les querelles, tous les ressentiments, puisqu’elle ne gémit plus sous la verge des dominateurs sanguinaires ; je lui dis : Voulez-vous que l’on croie que l’oppression seule a pesé sur vous? Défaites-vous de cet esprit de modérantisme, de cette espèce de dégoût que vous paraissiez avoir pris pour la république en 1792, car il faut convenir qu’elle a cette faute à se reprocher. Reprenez du courage, et montrez l’énergie qui doit conduire la révolution à sa fin. Faisons ce qu’ont fait nos respectables collègues dans les armées, où régnait l’indiscipline. Ils ont parlé au nom de la loi, et ils ont laissé, en quittant ces armées, les troupes les mieux disciplinées : tant il est vrai qu’on est toujours sûr de se faire écouter des hommes quand on leur parle le langage de la vérité et de la justice. La république est fondée, sa destinée est invariable, et les menées de ses ennemis ne prévaudront pas; mais il ne faut pas souffrir que quelques hommes réunis dans tel et tel tripot y prononcent des blasphèmes politiques qui tendent à l’avilissement du gouvernement. Je demande que la Convention, éclairée par la discussion qui vient d’avoir lieu, charge ses trois comités réunis de lui présenter des mesures de police générale propres à comprimer le crime, l’intrigue et le brigandage. Je demande aussi que l’Adresse que vous avez décrétée soit envoyée dans les départements ; car, il faut le dire, si là il n’y a pas autant de lumières et de connaissances qu’à Paris, il n’y a pas non plus autant d’intrigues et de friponneries. L’Adresse sera très bonne pour les départements ; mais il faut une loi pour la commune de Paris. Les propositions de Bourdon de l’Oise sont adoptées (85). [Le discours de Bourdon est vivement applaudi. L’Assemblée décrète que Bourdon est (85) Moniteur, XXII, 154-155 ; Débats, n° 744, 225-227 ; Ann. Patr., n° 642; Ann. R. F., n° 13; C. Eg., n° 777; F. de la Républ., n° 14; Gazette Fr., n° 1008; J. Mont., n“ 159; J. Paris, n" 14, 15; J. Perlet, n” 741; J. Univ., n 1775; Mess. Soir, n° 777; M. U., XLIV, 204-205; Rép., n” 15. SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N° 54 291 invité à le rédiger, et qu’il sera envoyé à l’année et aux communes de la République] (86) D’après toutes ces propositions, La Convention nationale décrète que les trois comités réunis de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, lui présenteront incessamment un projet de loi de police générale, pour fixer les principes qui doivent réunir tous les citoyens, et les mesures propres à resserrer les liens du gouvernement révolutionnaire, et les moyens de répression contre ceux qui ten-teroient d’y porter atteinte (87). 54 Un membre [PELET] demande que les membres de la Convention nationale ne puissent être d’aucune société, sur le motif que les représentons du peuple ne désirent rien tant que l’union et l'harmonie. Un autre membre appuie cette proposition, en ajoutant que cette disposition ait lieu tant que durera le gouvernement révolutionnaire. Plusieurs membres énoncent leurs opinions pour et contre ces propositions, et le décret suivant est rendu : La Convention nationale, considérant que la société des Jacobins n’a point été épurée des membres qui, avant la nuit du 9 au 10 thermidor, partageaient les principes de Robespierre, décrète que ses trois comités de Salut public, de Législation et de Sûreté générale, réunis, lui feront incessamment un rapport sur les moyens de régénérer cette société, jadis si utile à la République (88). PELET : Les applaudissements que la Convention vient de donner aux excellents discours qui ont été prononcés par nos collègues témoignent que les représentants du peuple ne désirent rien tant que l’union et l’harmonie. Les vérités qui vous ont été dites ne sont pas les seules que l’on puisse vous présenter. Je suis d’avis, avec les préopinants, que ceux qui demandent le rétablissement de la commune sont des hommes égarés ou des conspirateurs ; mais je veux vous faire une autre réflexion. On ne vous a pas fait observer que, tant qu’une partie de l’assemblée serait divisée de l’autre, l’union ne pourrait pas régner. Je crois que nos collègues qui vont aux Jacobins sont bien intentionnés, mais je leur demande si la confiance et l’harmonie pourront jamais s’établir dans l’Assemblée tant qu’il y aura deux par-(86) Débats, n“ 744, 227. (87) P.-V., XLVI, 275-276. Bull., 14 vend, (suppl.). C 320, pi. 1330, p. 33, minute de la main de Richard. Décret attribué à Bourdon (de l’Oise) par C* II 21, p. 5. (88) P.-V., XLVI, 276. Bull., 14 vend, (suppl.). C 320, pl. 1330, p. 34, minute de la main de Dubois-Crancé, rapporteur. tis < [Murmures ). Ils ne peuvent pas donner une plus grande preuve de leur amour pour la paix que de renoncer volontairement à être membres de cette société qui les divise d’opinions avec leurs collègues. Reportez votre pensée sur ce qui se passait après le 10 thermidor; l’Assemblée était unie; elle marchait de concert vers le bonheur de la patrie. Bientôt quelques-uns de nos collègues allèrent aux Jacobins, et aussitôt naquirent la désunion et la discorde. Il en est résulté que ceux qui avaient fait rayer de cette société quelques-uns de leurs collègues ont été rayés à leur tour. Etait-il possible que la Convention n’éprouvât pas le contre-coup de ce qui se passait aux Jacobins? Je demande un décret qui défende aux membres de la Convention d’être d’aucune Société ( Applaudissements ). THIRION : J’appuie la proposition de mon collègue. Et moi aussi je suis Jacobin, mais je suis patriote ; je saurai, quand il le faudra, faire à la chose publique le sacrifice de mon amour-propre et de toutes mes passions. J’ai combattu avec les Jacobins tous les genres d’ennemis publics; mais, après avoir examiné ce qui s’est passé dans les derniers temps, et la manière dont cette société célèbre est dégénérée par les intrigues de quelques membres du gouvernement, je me suis convaincu qu’il était impossible que ceux qui gouvernent soient en même temps membres d’une Société populaire sans y porter un germe de corruption et d’intrigue (On applaudit). La Convention est le centre des pouvoirs, et elle a dû, pour le bonheur du peuple, suspendre pendant la durée du gouvernement révolutionnaire le droit qu’il avait de nommer ses magistrats. Il est arrivé de là que les membres de la Convention, revêtus de grands pouvoirs, pouvant disposer d’un grand nombre de places, se présentèrent aux Jacobins, et qu’aussitôt tous les intrigants de la république se faisaient Jacobins pour avoir des places (On applaudit). Ils ne pouvaient parvenir à faire leur cour aux membres du gouvernement dans les comités ni dans leur domicile : ils ont trouvé le moyen de la leur faire aux Jacobins, où, par leurs discours et leurs applaudissements, ils ont capté leurs faveurs. Lisez les journaux, et vous verrez que les séances de cette Société ont toujours été occupées ou par les membres du gouvernement, ou par des fonctionnaires publics qui, craignant d’être dénoncés, allaient y dénoncer leurs futurs dénonciateurs, ou par des voleurs qui, pour qu’on ne recherchât pas leurs vols, allaient aux Jacobins crier contre les voleurs et les dilapidateurs de la fortune publique. Je pense que les germes de la division qu’on trouve parmi nous viennent de ce que quelques membres de la Convention, qui le sont aussi de sociétés populaires, sont par là même surveillants et surveillés. Les sociétés populaires sont le palladium de la liberté; mais elles ne doivent avoir d’autres fonctions que la surveillance, et n’être composées que de surveillants ; car si, par exemple, le gouvernement abuse de ses pouvoirs, et qu’il fasse partie de la société populaire où il dominera par son opi-