180 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE En attendant, je crois qu’elle ferait une chose salutaire à la République, si elle voulait adopter le décret que je vais lui proposer. «La Convention nationale décrète que l’acte d’accusation porté contre Carrier sera imprimé en placard et affiché dans tous les lieux environnant ceux qui sont encore infestés par des rebelles de la Vendée et des Chouans. Les représentants du peuple en mission dans ces départements informeront directement la Convention de l’exécution du présent décret. » LEGENDRE (de Paris) : Il ne faut rien préjuger sur la décision du Tribunal révolutionnaire. Je demande l’ajournement jusqu’après le jugement de Carrier. L’ajournement est décrété (131). LEGENDRE (de Paris): Je demande aussi que l’acte d’accusation ne soit pas inséré au Bulletin ; car comme le Bulletin est placardé partout, cela produirait l’effet que nous voulons éviter. PIERRET: L’acte d’accusation ne préjuge rien; c’est un acte émané de la Convention, et qui doit, comme tous les autres, être inséré au Bulletin. THIBAULT : Il faut que le peuple sache que la Convention à le courage d’accuser ses membres lorsqu’ils lui paraissent coupables ; il faut qu’il connaisse les motifs de l’accusation, et pour cela il n’y a pas d’autre moyen que d’insérer l’acte d’accusation au Bulletin. L’insertion est ordonnée (132). Un membre [BOUDIN] propose le décret suivant : La Convention nationale décrète que l’acte d’accusation porté contre Carrier sera imprimé en placard et affiché dans tous les lieux environnant ceux qui seront encore infectés par des rebelles de la Vendée et de Chouans. Les représentants du peuple en mission dans ces départemens, informeront directement la Convention de l’exécution du présent décret. Il observe que la Convention doit tirer parti d’un grand acte de justice, en essayant de faire rentrer dans le giron de la République des frères que les fureurs de Carrier en ont pu faire sortir ou tenir éloignés. Un autre membre [LEGENDRE (de Paris)], demande l’ajournement jusqu’après le jugement du Tribunal révolutionnaire. L’amendement est adopté. Un membre [THIBAULT] demande l’insertion au bulletin de l’acte d’accusation contre Carrier. Il observe qu’il faut que le peuple sache que la Convention a le courage d’accuser ses membres lorsqu’ils (131) Moniteur, XXII, 604. (132) Moniteur, XXII, 604. paroissent coupables; il faut pour cela qu’il commisse les motifs de l’accusation. L’insertion est décrétée (133). 47 Un membre [RICHARD] au nom du comité de Salut public, annonce de nouveaux succès remportés par les armées de la République sur les esclaves des despotes coalisés. L’armée des Pyrénées-Orientales, en remportant une victoire signalée sur les Espagnols, a perdu le brave Dugommier, général en chef de cette armée, frappé d’une obuse [sic] à la tête, qui lui a enlevé la vie sur le champ de bataille. Le comité propose le décret suivant, qui est adopté (134). RICHARD (au nom du comité de Salut pubbc) : Citoyens, l’armée des Pyrénées-Orientales a remporté de nouveaux succès, et la République a perdu un bon général. Voici les lettres officielles : [Le représentant du peuple près de l’armée des Pyrénées-Orientales à la Convention nationale, à Lagullana, le 28 brumaire, l’an 3 de la République une et indivisible ] (135) Citoyens collègues, l’armée espagnole fut attaquée hier à sa droite et à sa gauche, tandis que le centre était menacé par une réserve proportionnée à nos forces. Partout les républicains ont combattu avec le plus grand acharnement. Notre colonne de droite, commandée par le général de division Augereau, a exterminé toute la gauche de l’ennemi; l’artillerie, les camps qu’il avait sur ce point sont en notre pouvoir; nous ne connaissons pas encore le nombre des bouches à feu qui ont été prises, mais il doit être considérable. Les tentes et les effets de campement suffiraient pour dix à douze mille hommes. Le camp des émigrés se trouvait précisément dans cette partie de l’armée ennemie; nos braves frères d’armes les ont traités suivant l’indignation et l’horreur qu’ils inspirent; mais, fatigués sans doute de carnage, ils ont accordé la vie à mille Espagnols ou Portugais qui ont posé les armes, et qu’on a conduits à Perpignan. Les efforts de notre gauche sur la droite des ennemis ont été vigoureux; mais les ennemis ayant singulièrement renforcé ce point par plusieurs lignes de redoutes, et la colonne qui les y attaquait n’ayant pu être bien nombreuse, nous n’avons pas pénétré de ce côté-là. Le général de division Sauret, qui commandait notre gauche, s’est conduit, dans ces (133) P. -V, L, 109-113. (134) P.-V., L, 113. (135) Moniteur, XXII, 605-606. Rép., n° 66 (suppl.), n° 67 ; Débats, n° 793, 929-930 ; Ann. Patr., n° 695 ; C. Eg., n° 830 ; F. de la Républ., n° 66 ; J. Fr., n° 791 ; M. U., n° 1353, 1354 ; J. Univ., n° 1825 ; Mess. Soir, n° 830 ; Ann. R.F., n° 65 ; J. Perlet, n° 793. SÉANCE DU 5 FRIMAIRE AN III (25 NOVEMBRE 1794) - N° 47 181 attaques, avec toute la valeur et la prudence d’un guerrier républicain expérimenté. La colonne du centre n’a été occupée qu’à des diversions: les généraux, commandants, officiers, soldats, tous se sont conduits avec valeur ; notre artillerie à cheval, commandée par le général Guillaume, et notre cavalerie, commandée par le général Dogua, qui étaient en réserve sur le centre, n’ont pas eu l’occasion de satisfaire à l’impatience qu’elles avaient de se mesurer à leur fantaisie avec l’ennemi. Le général Victor, chargé d’une fausse attaque sur Spouilles, par le col de Bagnols, l’a très bien dirigée ; enfin tous nos frères d’armes ont combattu de manière à mériter la reconnaissance publique. L’attaque fut vive et meurtrière, la défense fut opiniâtre ; nous ignorons le nombre des morts et des blessés ennemis, mais il doit être considérable, notamment vers notre droite. Nous avons a regretter la mort du général en chef Dugommier ; nous étions sur la Montagne Noire, où il était monté pour être mieux à même de voir et diriger les opérations ; les ennemis jetaient sur cette montagne une quantité considérable d’obus; un de ces obus tomba sur le tête du général, qui mourut sur-le-coup. Je le fais enterrer sur le fort de Sud-Libre ; je laisse à la Convention nationale le soin d’honorer sa mémoire et de secourir ses enfants. Ce n’est ici qu’un premier aperçu de l’expédition d’hier; nous vous ferons parvenir de plus grands détails aussitôt que nous les aurons recueillis. Salut et fraternité. Signé, Delbrel. RICHARD: Le comité [de Salut public] me charge aussi de vous annoncer les nouveaux triomphes de l’armée de la Moselle; elle s’est emparée d’un poste important, et a repoussé tout ce qui s’opposait à sa marche victorieuse. [Le général Moreau, commandant l’armée de la Moselle, aux représentants du peuple composant le comité de Salut public, à Saulveiller, le 2 frimaire, l’an 3 de la République française une et indivisible ] (136) Sitôt, citoyens représentants, que la forteresse de Reinsfeld fut au pouvoir de la République, je fis marcher la division sous les ordres du général Debrun sur Luxembourg, pour, avec les forces qui étaient déjà dans cette partie, en faire le blocus. Le 29 brumaire, le général Debrun arriva, avec les troupes qu’il commande, à la hauteur d’Yeuglester, et le 30, il poussa, avec son avant-garde, une reconnaissance du côté de la route de Luxembourg à Liège. Il a rencontré l’ennemi près de Blascheidt et Lorenteweiller, au nombre d’environ douze cents hommes d’infanterie et huit cents de cavalerie. Cette cavalerie a chargé la nôtre, qui n’était composée que de deux compa-(136) Moniteur, XXII, 606. Rép., n° 66 (suppl.), n° 67 ; Débats, n° 793, 931-932 ; Ann. Patr., n° 695 ; C. Eg., n° 830 ; F. de la Républ., n° 66; J. Fr., n° 791; M.U., n° 1353, 1354; J. Univ., n° 1825 ; Mess. Soir, n° 830 ; Ann. R.F., n° 65. gnies de dragons du 5e régiment, qui ont soutenu valeureusement ce choc, ont rechargé à leur tour, et ont culbuté l’ennemi, qui a eu douze hommes tués, une trentaine de blessés et six prisonniers, ainsi que seize chevaux pris. Les deux compagnies de dragons, capitaines Rovillais et Fortier, se sont conduites avec la plus grande bravoure, ainsi que les grenadiers du 38e régiment du 1er bataillon des Vosges ; et, en général, toute la troupe a montré le plus grand courage dans cette action, qui ne nous a coûté qu’un dragon et un grenadier blessés, avec quatre chevaux aussi blessés. L’adjoint Dobres s’est parfaitement comporté; il a eu son cheval blessé d’un coup de feu. Le capitaine Fortier a été blessé à la main et au pied. Le 1er frimaire, toutes les troupes se mirent en marche pour prendre position devant cette forteresse. La division du général Debrun balaya la forêt de Grûneswald, où l’ennemi était fort d’environ quatre mille hommes d’infanterie, deux cents hussards, de l’artillerie et des abattis considérables. Le feu fut vif de part et d’autre, mais l’ennemi a été forcé de céder, malgré tous ses avantages, à la valeur républicaine, et de nous abandonner trois pièces de canon, dont deux de 7, et quatre caissons; on croit même qu’il a été obligé de laisser d’autres objets dans la forêt de Strassen ; on en est à la recherche. L’action a duré depuis onze heures du matin jusqu’à la nuit; l’ardeur emporta tellement nos frères d’armes qu’ils ont été fusiller jusqu’aux palissades des ouvrages avancés. Les brigades sous les ordres des généraux Huet et Loduchelle ont poussé l’ennemi avec la plus grande valeur, et avec une telle précipitation qu’il n’a pu se rallier que sous le canon de la place, où il a fait résistance, mais avec beaucoup de perte ; elles leur ont pris vingt-quatre hommes d’infanterie, et tué un plus grand nombre. Partout la troupe s’est conduite avec la plus grande bravoure. Toute la garnison de Luxembourg était sortie, à l’exception d’un bataillon et deux compagnies d’un autre; partout elle a été repoussée avec beaucoup de perte. Nous occupons toutes les positions avantageuses autour de la place, et éloignées d’une demie à trois quarts de lieue. Salut et fraternité. Signé, Moreau. RICHARD: Le comité de Salut public me charge de vous proposer le décret suivant : «La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Salut public, décrète : Que le nom du général Dugommier, commandant en chef de l’armée des Pyrénées-Orientales, tué à la bataille du 27 brumaire, sur la Montagne Noire, d’un coup d’obus, sera inscrit sur la colonne élevée au Panthéon à la mémoire des défenseurs de la patrie. La Convention charge son comité de Salut public de prendre des renseignements sur la famille de Dugommier, et de lui en rendre compte. »