150 (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |31 juillet 1790.] geuse que je prends la plume; j’étais trop indigné et ce que j’aurais pu dire au milieu des cris et du tumulte, si tant d’agitation permettait quelque ordre dans les idées, si les passions menaçantes, en excitant le courage de l’homme de bien, lui en laissaient un libre emploi, je n’aurais pu l’écrire hier au soir. — Mais je m’arrête aujourd’hui sur cette page de notre histoire avec le même sentiment qu’éprouveront sans doute nos neveux en étudiant les faits, les caractères et les événements de ce temps-ci. Ils ne sauraient être plus embarrassés que moi pour expliquer les causes, non des atrocités que j’ai dénoncées, mais des oppositions que rencontrent dans l’Assemblée tous les efforts, tous les moyens de retour à l’ordre, toutes les vues de justice et de raison qui peuvent seules rétablir la paix publique et assurer la Constitution. Ou la Révolution est consommée, ou elle ne l’est pas: dans le premier cas, on ne peut trop se hâter de faire jouir tous les Français des bienfaits de la liberté dont ils ne connaissent encore que les orages : toutes les mesures devraient tendre à éteindre, à calmer toutes les inimitiés, à rendre supportables toutes les réformes par la douceur et la sécurité de l’état de citoyen. — Si, au contraire, on croit encore à la Révolution de puissants ennemis, quelle insigne folie, quel étrange aveuglement que celui qui fait compter au nombre des appuis de la bonne cause les iibellistes, les insurrections, les violences de toute espèce.. Qu’avez-vous à répondre aux hommes vertueux qui nous diront si ce sont là les éléments de la Révolution : J’en ai horreur; rendez-la pure, je l’aimerai. — Comment est-il possible que les véritables amis de la Constitution ne sentent pas u’ils ne sauraient trop la séparer des crimes ont on veut l’environner, et qu’on ne peut se reposer sur un ordre de choses qui, en promettant de bonnes lois, accrédite et protège de détestables mœurs? — Quoi! il suffira de se dire écrivain patriote, citoyen patriote, pour que le plus épouvantable cynisme, la plus grossière férocité, obtienne des applaudissements ou au moins des défenseurs ! — De pitoyables déclamations sur la liberté, sur le despotisme, ne cessèrent d’avoir le même empire sur la multitude égarée, sur les hommes faibles, qui acceptent le joug de la tyrannie, pourvu qu’on les asservisse avec les enseignes et le langage de la liberté ; et moi qui ai la lâcheté de défendre l’autorité royale, si puissante aujourd'hui ,et de dénoncer les factieux, les assassins, les incendiaires si persécutés, et si peu influents sur la chose publique, il restera démontré que je suis un courtisan, un esclave, un mauvais citoyen l J’avoue que dans l’ordre des passions et des forfaits je conçois tout cela; mais dans un système législatif quelconque, je ne conçois pas que des hommes habiles, qui veulent opérer un grand changement, emploient, dans un instant donné,, tous les moyens et ne repoussent pas même les plus vils instruments du crime ! L’histoire nous en fournit des exemples. Les hommes destinés à changer la face des empires choisissent, selon leur caractère, les moyens de Solon ou ceux de Cromwel; mais soit qu’ils s’illustrent par de grandes vertus ou par des crimes heureux, nous ne connaissons point de législateur qui ne s’empresse à donner à ses nouvelles lois toute l’autorité qu’elles peuvent avoir par leur propre énergie, en les mettant, dans l’instant même de leur promulgation, sous la garde des mœurs. Ici nous voyons tout le contraire. A l’appui des préceptes et des lois de Platon, nous employons le discours de Catilina ; c’est sa coupe galante qu’on nous présente pour le festin de l’union. Les principes constitutifs sont établis ; te forme du gouvernement est prononcée: la morale la plus pure dans scs maximes, la plus sévère contre les préjugés, la plus douce contre les erreurs et les vices de l’humanité, caractérise le nouveau code; un serment fédéral a réuni, par les liens de la fraternité, tous les Français, et avait été proféré, dès le mois de février, dans toutes les parties de l’Empire. Que nous manque-t-il donc pour vivre en paix?... ce qu’il nous manque, grand Dieu! Ah! vous l’avez vu dans la séance d’hier ; il nous manque la pureté, la justice et les mœurs de la liberté. Quoi ! vous laissez corrompre les mœurs du peuple? vous ne punissez pas ses corrupteurs! et vous voudriez être libres! Vous avez des lois, et vous ne regardez pas comme coupables ceux qui excitent la fureur et l’insurrection du peuple contre les personnes, les fonctions et les droits protégés par ces lois! Ce ne sont point les feuilles de Marat et de Desmoulins et de tant d’autres incendiaires qui excitent vos alarmes, c’est le décret qui les poursuit. On vous dénonce le décret comme attentatoire à la liberté! Celui qui a dénoncé l'insolence du fauteuil exécutif ; qui ne parle du roi et de la royauté qu’avec mépris; qui voudrait la reléguer sur le théâtre de l'Opéra, et entendre, pour quarante-huit sous, chanter une famille royale (n° 29 des Révolutions J ; qui a fait un crime au roi de n’avoir pas été à l’autel prononcer son serment (n° 35) ; qui se qualifie procureur général de la lanterne ; qui n’a cessé, depuis six mois, de désigner ceux qu’il voudrait mettre à la lanterne. Celui qui, au moment où j’allais vous retracer ses attentats, a osé paraître dans la tribune, m’interrompre et s’écrier: Oui, je l’ose!., un tel homme a été applaudi, a trouvé des défenseurs, et on voudrait l’excepter du décret du 31 juillet!... Oui, je l'ose ! Ahl ces paroles seront recueillies par l’histoire comme un signe éclatant de la licence de nos jours et de l’esprit de vertige qui la favorise. Ce scandale était peut-être nécessaire pour avertir les Français qu’aux plus doux accents de la philosophie se mêlent les rugissements des tigres et des lions. On nous parle, sans cesse, des contre-révolutions! Et qui pourrait s’étonner qu’à force de multiplier et d’aigrir les ressentiments, de chercher, de signaler des victimes, les factieux ne parviennent à nous créer des ennemis? Des millions d’hommes, en cet instant, tourmentés de notre agitation, incertains, inquiets sur ce qu’ils doivent craindre ou espérer, ne nous demandent que la paix, la sûreté dans leurs foyers, dans leur commerce, dans leurs relations sociales, et nous les livrons, sans défense, à tous les désordres de l’anarchie; c’est aux plus séditieux écrivains que nous abandonnons le repos de la France ! On se dissimule que ces gens-là tendent à opérer effectivement une contre-révolution. Car il est évident qu’ils ne veulent d’autres lois et d’autre autorité que celle de la dernière classe du peuple qu’ils tiennent en mouvement, et qu’ils entendent disposer à volonté de cette force oppressive contre les lois, les magistrats, le monarque et le Corps législatif. Il est évident qu’ils ne veulent ni roi ni gouvernement monarchique, et que, pour déterminer le peuple à ce changement d’opinion, ils lui dénoncent perpétuellement, comme ses ennemis, comme des hommes vendus au despotisme, ceux qui veulent un roi et un gouverne- [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790-] 457 ment monarchique. Le sieur Desmoulins accable d injures M. de Bonnay et M. de La Fayette, pour avoir rendu trop de respects au roi le jour de la fédération. La persécution dirigée contre les ministres, les trames odieuses qu’on leur reproche, les outrages qu’on leur prodigue n’ont pas d’autre but que celui d’annuler complètement les formes et les moyens du gouvernement monarchique et d’épouvanter quiconque voudrait� les défendre. Car il est dérisoire, dans l'impuissance où sont au-jourd!hui Jes ministres, de faire ni bien ni mal, de les piésenter toujours au peuple comme un épouvantail, et de l’effrayer sur leur despotisme, tandis que l’exercice du pouvoir qui doit leur être confié sera toujours suffisamment garanti par leur responsabilité (1). Qu’est-ce donc qu'une contre-révolution, si ce n’est la dissolution de tous les pouvoirs constitués? Or je demande si, dans tous les écrits qu’on ose défendre comme favorables à la liberté, il est une seule autorité respectée, et qu’on ne cherche à désorganiser? Qu’y a-t-il de stable dans un gouvernement où les écrivains patriotes , les amis du peuple sont ceux qui vouent le chef de l’Etat au mépris et au ridicule, qui outragent ceux qui le respectent, qui traitent d’infâmes et dénoncent à la vengeance du peuple les membres du Corps législatif qui n’ont pas les opinions dominantes, les juges qui ne prononcent pas les jugements conformes à la volonté ou aux passions du peuple, les miuistres, lesofficiers municipaux, le commandant général ; qui appellent aux armes ; demandent cinq ou six cents têtes? etc. Je suppose que de tels écrivains arrivassent en troupes dans un pays libre et paisible, habité par des hommes passionnés pour la liberté, mais fidèles aux lois, aux bonnes mœurs, qui doutera qu’ils ne fussent exterminés comme des brigands, s’ils étaient armés, ou jugés comme des criminels, si leur armure ne consistait que dans leur audace et leurs libelles? Nous ne sommes donc ni libres, ni fidèles aux lois et aux bonnes mœurs, puisque de tels écrivains distribuent impunément parmi nous leurs poisons ! L’Assemblée nationale a entendu la pétition du sieur Desmoulins, et son journal était sur le bureau! L’Assemblée a accueilli les réclamations faites contre son décret; elle en a suspendu, l’exécution en exceptant seulement la feuille de Marat 1 Ce décret attaquait, a-t-on dit, la liberté de la presse, et cependant on a dénoncé, par représailles, beaucoup d’autres écrits, parmi lesquels il en est sûrement de très répréhensibles, mais qui ne conseillent point le meurtre, l’insurrection, l'abolition de la royauté (2), et de tous les pouvoirs existants. Les nouvelles dénonciations qui ont été faites m’obligent de rappeler les principes d’après lesquels les écrivains peuvent être plus ou moins coupables aux yeux de la loi : je déclare d’abord n’avoir jamais douté que, dans un gouvernement libre et dans un temps de Révolution, il est iné— (1) On ne manquera pas de répéter que je suis toujours prêt à défendre les ministres; mais quoique je ne sois pas sur tous les points de leur avis, j’estime qu’il y aurait plus de courage à les défendre qu’il n’y en a à les attaquer. (2) N° 29, où il dit que nous n’avons pas besoin de roi. vitable et peut-être nécessaire qu’il se trouve des hommes ardents qui éveillent l’attention publique sur tout ce qui peut porter atteinte à la liberté, sur les caractères et les talents qui peuvent lui nuire ou la servir; alors les exagérations, les soupçons téméraires, Jes faux systèmes, les principes qui forcent ou qui relâchent les ressorts du gouvernement subsistant, peuvent être considérés ou comme des erreurs à attaquer par des écrits contradictoires, ou comme des injures particulières à venger, par des poursuites juridiques. Quels que soient les principes législatifs que l’Assemblée adoptera sur la liberté de la presse, il est bien certain qu’elle ne saurait ni autoriser les outrages et les calomnies, ni les mettre au nombre des crimes de lèse-nation. Chaque particulier aura toujours la garde de son honneur, et la loi lui assurera, comme dans tous les pays policés, les moyens légitimes de le défendre. Il suftit donc à votre sollicitude que l’autorité de la loi et celle de ses ministres soient assez respectées pour qu’ils ne puissent être jamais inutilement invoqués par les parties plaignantes. Mais après avoir donné à la liberté tous les secours qui lui sont nécessaires pour sa défense, en tolérant même, dans cette fin, l’impunité des plus hardis détracteurs du mérite et de la vertu calomniés, il est un terme où l’audace devient sensiblement criminelle et funeste à la liberté par la destruction ou l’ébranlement des forces légales qui la défendent; c’est à ce terme que le coupable doit rencontrer la peine qu’il a encourue; et quels que soient les motifs et les prétextes patriotiques dont il ose s’envelopper, la loi doit Jui arracher cet égide qu'il a souillé, et le présenter à la justice dans toute la nudité du crime qu’il a commis, En s’attachant fidèlement à ces principes, nous en verrons sortir ceux d’une législation équitable sur la liberté de la presse. Nous verrons que tous ceux qui écrivent dans le sens de la Révolution , attaquant bien ou mal à propos ceux qu’ils lui croient contraires, dénonçant les actions, les discours, censurant les opinions, les projets, les liaisons des hommes publics, ces écrivains, naturellement soumis à tous les hasards et aux risques de leur profession, ne doivent être contenus que par l’assurance et la facilité d’une satisfaction légitime aux parties offensées. — C’est un inconvénient, sans doute, que des hommes honnêtes soient exposés à toutes sortes d’outrages ; mais, outre que les tribunaux peuvent leur en procurer la réparation, à côté de ces inconvénients se trouvent les avantages. Les hommes en place, se voyant environnés de délateurs, en sont plus circonspects, et le peuple peut recevoir quelque service, pour le maintien de sa liberté, des hommes les plus vils, qui, pour de l’argent, paraissent sur l’arène comme les gladiateurs, Il n’en est pas de même de ces proclamations sanguinaires qui excitent le peuple au meurtre, qui l’investissent de l’exercice effectif du pouvoir absolu, l’invitent à juger et à exécuter ses jugements contre ses chefs, ses magistrats, ses représentants, ou qui outragent la majesté royale : de tels délits n’ont rien de commun avec la liberté de la presse, ils en sont la violation; car il n’est aucun genre de liberté légitime qui puisse s’allier à un acte de tyrannie : or, ce n’est pas aux potentats seulement qu’est réservé l’exercice de la tyrannie; un écrivain forcené se saisit aussi de ces poignards ; — et je demande quelle espèce 458 [Assemblée nationale.] de Révolution et de Constitution peuvent exiger de pareils appuis? Considérons maintenant quels peuvent être les ouvrages et les écrivains coupables contre la Révolution, Je ne vous proposerai pas deux mesures, et je dirai de ceux-ci comme des autres : ils sont criminels ceux qui , dans leurs écrits , excitent le peuple à l'insurrection contre les lois , à l'effusion du sang et au renversement de la Constitution. Ces paroles sont précises et ne se prêtent à aucune équivoque. L'insurrection contre les lois n’est pas la discussion et l’improbation même des lois. — Mais si, parmi les prétendus patriotes, il se trouve des hommes mécontents d’un décret, qui invitent le peuple à s’attrouper pour le faire révoquer, ils sont coupables ; — et si, dans le système contraire, ceux qui improuvent le nouvel ordre de choses, invitent le peuple à le changer par la force, ils sont coupables; si, dans l’un ou l’autre système, on prêche le meurtre et le massacre, on commet un crime de lèse-nation; si ceux qui n’aiment pas la Constitution, en conseillent le renversement par la force, ils sont coupables, ils doivent être poursuivis. Au delà de ces faits positifs qui, dans les écrits comme dans les actions, prennent le caractère d’un corps de délit, se trouve la tyrannie ou au moins une dangereuse inquisition. Tout écrit qui ne présente qu’une opinion sur les personnes ou sur les choses ne peut être réputé un crime que par le despotisme. — Tout écrit qui conseille un acte coupable ne peut être toléré ou défendu que par des complices. C’est dans cet esprit, et pour répondre à toutes les fausses interprétations du décret du 31 juillet, que je proposai les articles suivants, non comme une loi complète contre la licence de la presse, mais comme une loi provisoire pour en assurer la liberté et en réprimer les abus les plus dangereux. Art. 1er, Nul ne pourra être poursuivi, au nom du roi ou du Corps législatif, à raison de ses opinions prononcées ou imprimées sur les personnes publiques ou privées, sauf à ceux qui seraient injuriés ou calomniés à se procurer, par les voies légales, la réparation qui leur serait due, Nota. — Personne n'ignore que nous n'avons pas de bonnes lois sur les injures et calomnies ; mais en attendant la ré formation du code criminel , celui qui existe est la seule sauvegarde de l'honneur et de la sûreté des citoyens. Art. 2. Si les injures ou calomnies s’adressent à la personne sacrée du roi, la réparation et la punition en seront poursuivies au nom de la nation. — Si les injures ou calomnies s’adressent au Corps législatif, la réparation et la punition en seront poursuivies au nom du roi. Nota. Cette dernière disposition a excité de grands murmures , comme si j'entendais faire dépendre de la volonté du roi la punition des injures faites au Corps législatif ; comme si le ministère des gens du roin’ était point un ministère obligé et provoqué, s'il en était besoin , par les ordres du pouvoir législatif . Il est évident que, dans la forme , le roi ne peut poursuivre , en sa propre cause , e t que hors ce cas seulement , le ministère public agit toujours en son nom. Art. 3. 11 est libre atout citoyen de s’expliquer verbalement, ou par voie de l’impression, sur les actes du Corps législatif et sur les actes du pouvoir exécutif, déqualifier les abus d’autorité, de les publier et de s’en plaindre; mais celui qui aura conseillé ou formellement provoqué ia résis-[31 juillet 1790. J tance aux lois, ou toute espèce de violence, attroupement et voie de fait contre leur exécution, contre les magistrats, administrateurs et représentants de la nation, à raison de leurs fonctions, opinions ou jugements, sera poursuivi comme criminel de lèse-nation. La loi qui nous manque, en cette partie, peut contenir beaucoup d’autres dispositions importantes, mais si elle ne contient pas celle-là, elle sera insuffisante ou tyrannique. — Si les écrivains qui excitent le peuple à exterminer, à mettre à la lanterne , ne sont pas rangés dans la classe des assassins, il n’y a plus ni liberté, ni lois, ni mœurs sociales; laConstilution décrétée n’estplus qu’une formule oratoire, et le droit du plus fort devient la véritable Constitution. — Celui qui calomnie et diffame un citoyen à raison de ses opinions politiques, peut n’être qu’un lâche et un fou ; mais tous ces patriotes exterminateurs qui ont consacré l’usage de la lanterne et des poignards dans toutes les parties du royaume, sont les véritables assassins des ReauffeL des Voisins, des Bel-sunce et deux cents autres; et s'il existait un pays dont la Constitution les protégeât, ils suffiraient pour exterminer cette Constitution. Quant aux écrits satiriques contre les nouvelles lois, et ceux qui y ont le plus concouru, ce n’est pas pour mon compte que j’en défendrais la liberté; j’ai toujours méprisé les libelles, ceux qui se servent de cette arme perfide pour défendre la vérité, la déshonorent ; et, lorsqu’ils l’emploient en faveur du mensonge, ils ajoutent à sa difformité. — Je pense même que tout ce que peut avoir d’utile la liberté de la presse, se concilierait parfaitement avec le respect le plus sévère pour les lois et les mœurs; car les caractères élevés, les seules redoutables à la tyrannie, ne se dégradent jamais par un langage et des formes licencieuses ; jamais un honnête homme ne s’est permis d’en diffamer un autre; et s’il chasse devant lui les brigands, c’est sans se mesurer avec eux. Maison donne généralement plus d’extension aux droits et à l’exercice de la liberté, qui agit alors comme la police d’une grande ville, tolérant leg mauvais lieux pour empêcher de plus grands crimes, *— et empêchant seulement que ces mauvais lieux ne soient aussi le théâtre des vols et deâ assassinats. Tel est le seul frein qu’on doit imposer à cette espèce de prostitués qui, pour constater la liberté de la presse, ne conservent aucune pudeur dans leurs satires et dans leurs délations. Il est un autre genre d’écrits contre lesquels la liberté de ce moment-ci voudrait fort diriger toute sa sévérité de l’ancienne inquisition ; ce sont ceux où l’on s’explique librement sur les inconvénients ou les imperfections de la Constitution. — - Le patriotisme exterminateur n’entend pas que la liberté s’étende sur cette partie de notre horizon politique, mais cette démence ne peut être consacrée par une loi : nous devons tous fidélité et obéissance à celles sanctionnées et promulguées, et nous devonsensuite concourir par nos efforts et nos lumières, à faire corriger, celles qui sont défectueuses; ce qui ne permet pas seulement, mais commande à tout citoyeü instruit, le plus libre examen de la nouvelle Constitution. Ceux qui professent des maximes contraires peuvent avoir sur les lèvres, mais non pas dans Je cœur, le sentiment de la liberté et du patriotisme. Ali I si ces paroles tant répétées se convertissaient en effets! Patriotisme! liberté! si vous étiez au milieu de nous, qui pourrait méconnaître la majesté de vos traits ; les accents fiers, mais sensibles, de votre voix, qui ne se mêla ja-ARCHIVES PARLEMENTAIRES (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [SI juillet 1790.] mais à la voix des Euménides. — Montrez-nous ces vertueux citoyens que votre esprit a formés; et. que les Français abusés rougissent de célébrer la vertu sous l’emblème des furies I — Que dis-je? Les Français! il en est. peu désormaisdont l’ivresse se prolonge; ils se réveillent au bruit de nos débats ; le tumulte de nos séances calme les spectateurs, et bientôt, dans le sein des familles, on nous demandera compte du trouble qui les agite et des maux qui les menacent : on confrontera les écrits odieux que j’ai dénoncés, leur funeste influence, et tout ce qui vient d’ètre allégué pour leur défense; et si quelque Manlius, couvert de crimes, venait nous dire : j'ai sauvé le Capitole, on. se souviendra de la roche tarpéïenne. Ah! qu’on ne se flatie pas de rendre toujours impuissante la voix des gens de bien ; il ne faut peut-être que quelques nouveaux outrages, quelques crimes de plus, dirigés contre eux, pour leur donner un em-ire irrésistible, et pour rallier à eux tous les otnmes honnêtes qui veulent la liberté, mais qui détestent l’anarchie que nous assure, de plus en plus, l’impunité des scélérats. malouet. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JUILLET 1790. Dénonciation par M. de Mirabeau le jeune , député du Limousin, de quelques extraits d'un ouvrage de M. Camille Desmoulins ayant pour titre : Révolutions de France et de Brabaut. On n’entend parler que de dénonciations; la Commune de Paris dénonce, le comité des Recherches dénonce, on dénonce au sein de l’Assemblée nationale. Plusieurs ministres ont été l’objet de dénonciations vagues, et on n’a pas cru pouvoir donner suiteaux plaintes sur lesquelles reposaient ces mêmes dénonciations; j’avoue, en effet, que rien n’est plus encourageant que le refus constant qu’oh a fait de prononcer une peine contre les dénonciateurs injustes : malgré ia demande faite par plusieurs de mes collègues, renouvelée par moi dans la séance du 23 avril, et toujours repoussée, sans avoir même été discutée. J’ai dénoncé moi-même des meurtres, des incendies, des ravages qui ont eu lieu dans plusieurs provinces, et notamment dans celle qui m’a honoré de sa confiance; j’ai déposé sur le bureau mes dénonciations et leurs preuves; je les ai remises au comité des rapports, signées de moi ; on les a accusées de fausseté, d’exagérations; j’ai, demandé qu’on s’inscrivît en faux, j’ai demandé à être entendu et jugé, on n’a voulu ni l’un ni l’autre, et mes dénonciations n’ont pas paru de nature à mériter un moment d’attention de la part de l’Assemblée nationale. J’ai eu lieu même d’être douloureusement affecté lorsque j’ai entendu le rapporteur de l’affaire du parlement de Bordeaux, répondant à M. l’abbé Maury, assurer que le comité des rapports n’avait la connaissance que d’un seul meurtre commis dans le ressort du parlement de Bordeaux, lorsqu’il avait en ire les mains la preuve d’une grande quantité d’assassinats commis dans le Bas-Limousin, et notamment celui de plusieurs soldats citoyens delà milice nationale ae Tulle, morts in ou blessés, en défendant les propriétés et les citoyens menacés, à l'affaire de Favars. Quelque peu de succès qu’aienteumespremières dénonciations, je crois de mon devoir, de celui de tout bon Français, de dénoncer à la nation entière un écrivain audacieux qui ose apposer son nom au libelle le plus infâme qui tend à éteindre dans le cœur des Français (si la chose était possible), l’amour sacré qu’ils doivent et qu’ils ont toujours professé pour leur roi. Cet auteur est criminel de lèse-majesté, au premier chef, et par conséquent de ièse-nation; car j’avoue que je n’ai jamais conçu qu’il pût exister une distinction entre le roi et la nation ; ce libel-liste effréné, qui ose se qualifier d’ami de la Constitution et qui assiste, dit-on, aux séances de l’association qui porte ce nom, a-t-il cru qu’il ne se trouverait pas un Français assez attaché à son roi, assez ami du peuple et de l’ordre, pour le dénoncer à la nation? non assurément, mais il a compté sur le sommeil des lois et sur l’impunité qui en est l’effet. Peut-il se dissimuler qu’il existe un Dieu vengeur, et que tôt au tard il se trouve des ministres de ses éternels et justes décrets? C’est donc à ses remords que je le livre, et s’il en est susceptible, son âme doit être en proie aux serpents des Euménides. Et à qui pourraûje dénoncer aujourd’hui le criminel usage que le sieur Desmoulins fait de sa plume? L’Assemblée nationale interrompt difficilement son ordre du jour, et la question préalable prononcerait, sans doute, qu’il n’y a lieu à délibérer. Le Châtelet est menacé d’une destruction prochaine, et son greffe est sous les torches des incendiaires, parce qu’il poursuit les attentats des 5 et 6 octobre; il ne recevrait assurément pas ma dénonciation, ce serait même abuser de sa position que de la lui présenter. Les autres tribunaux sont sans activité, le pouvoir exécutif est sans moyens. Je dénonce donc Fauteur des Révolutions de France et du Brabant à tout Français sur qui l’honneur rFa pas encore perdu l’empiré qu’il exerçait impérieusement autrefois sur cette nation généreuse, et quelle que soit son opinion sur les principes et les événements actuels, il frémira sans doute. L’extrait que j’ai fait de quelques morceaux criminels d’üh ouvrage dont l’existence seule est un crime, parleront mieux que je ne pourrais le faire en faveur de ma dénonciation. EXTRAITS. Ne serait-ce pas un chef-d’œuvre qu’une Constitution qui aurait concilié la reconnaissance que la nation doit personnellement à Louis XVI, avec l’obligation imposée à lui et à ses successeurs d’être des Trajan et des Marc-Aurèle, à peine de déchéance, et de se voir condamné à rentrer dans la commune, sans que cela cause le moindre trouble, sans que ces découronnernents, qui out fait couler tant de fleuves de sang chez les autres peuples, paraissent sensibles; sans que l’état s’aperçoive de ce déménagement du Louvre? (Extrait d’une note de l’auteur des Révolutions de France et du Brabant, pag. 548 de son n° 12.)