[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] cruauté que par la fuite. ( Rumeurs dans l'Assemblée. Les protestations qui se produisent me rappellent une anecdote curieuse et peu connue, sur Philippe II, roi d’Espagne. Ce prince fut ému de pitié en voyant passer des malheureux que l’on conduisait à la mort par jugement de la sainte inquisition. Il eut la faiblesse de témoigner sa sensibilité; l’inquisition en fut instruite et exigea que le monarque se laissât tirer une palette de sang en expiation de sa faute. Je demande par amendement que les renseignements soient envoyés directement à l’Assemblée nationale. Cette motion est rejetée. M. Arthur Dillon propose de recourir à la clémence du Roi pour obtenir Ja liberté des officiers enfermés en vertu de jugements de conseils de guerre ou condamnés à une détention par le tribunal des maréchaux de France. Cette motion est mise aux voix et ajournée. M. IMonis du Séjour demande qu’on visite les prisons des religieux, appelées les Vade in pace. Qu’il est beau de voir un magistrat sage s’intéresser au sort de l’humanité souffrante! ffîoiu fierle offre de donner l’état des détenus dans l’enclave de sa visite; il assure qu’il n’y en avait que deux dont l’esprit était aliéné, et au surplus déclare qu’il est prêt à adhérer à la motion de M. de Castellane. M. Fréteau parle d’un prisonnier détenu dans une espèce de bastille obscure, à la barrière du Trône, et placé nu dans un donjon où il était depuis trois ans, en 1779. On n’apprit sa détention que par une lettre jetée avec une pierre dans un jardin du voisinage. Le parlement s’intéressa inutilement pour ces détentions illégales; le ministère refusa justice. M. Fréteaii assure qu’il y avait alors à Paris trente-cinq bastilles, grandes ou petites, et contenant plus de prisonniers que les prisons du Châtelet et de la Conciergerie ensemble. M. l’abbé liaury, à ce sujet, rappelle l’horreur de l’Eglise pour ces emprisonnements arbitraires, et surtout le bref d’excommunication fulminé par Benoît XIV, en 1756, et publié par Je clergé de France, qui le fit signifier à toutes les officialités. Il termine par requérir l’ajournement, relativement aux détentions des religieux. Enfin, le décret suivant est adopté : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est de son devoir de prendre les informations les plus exactes pour connaître la totalité des prisonniers qui sont illégalement détenus; « Que, malgré les états qui ont été remis à ses commissaires par les ministres du Roi, plusieurs détentions anciennes peuvent être ignorées des ministres mêmes, surtout si elles ont eu lieu en vertu d’ordres des commandants, intendants, ou autres agents du pouvoir excécutif : « Décrète que huit jours après la réception du présent décret, tous gouverneurs , lieutenants de Roi, commandants de prisons d’Etat, supérieurs de maisons de force, supérieurs de maisons religieuses, et toutes personnes chargées de la garde des prisonniers détenus par lettres de cachet, ou par ordre quelconque des agents du pouvoir exécutif, seront tenus, à peine d’en demeurer responsables, d’envoyer à l’Assemblée na-67 tionale un état certifié véritable, contenant les noms, surnoms et âge des différents prisonniers, avec les causes et la date de leur détention, et l’extrait des ordres en vertu desquels ils ont été emprisonnés. « Le présent décret sera envoyé aux municipalités, avec ordre de le faire exécuter, chacune dans son ressort. L’Assemble nationale charge, en outre, ses commissaires de lui proposer, le plus tôt qu’il sera possible, les moyens les plus prompts de vider successivement toutes les prisons illégales, en prenant cependant les précautions nécessaires pour ne pas compromettre la sûreté publique. « Et sera le présent décret porté par M. le président à la sanction de Sa Majesté. » M. le Président lève la séance et ajourne l’Assemblée à lundi matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du lundi 4 janvier 1790. M. Démeunier, président. J’ai présenté au Roi les quatre décrets qui ont été rendus, et principalement celui qui ordonne l’exécution de celui des municipalités huit jours après la réception, et Sa Majesté a répondu qu’elle y mettrait la plus grande célérité. M. le Président annonce le résultat suivant du scrutin. M. l’abbé de Montesquiou a eu quatre cents voix pour la présidence, et M. de Menou trois cent cinquante-deux. Pour le secrétariat, M. le chevalier de Boufflers, trois cent soixante douze ; M. Barrère de Vieuzac trois cent soixante; et le duc d’Aiguillon, trois cent quarante et une. M. Démeunier termine ses fonctions de président par le discours suivant : « Messieurs, l’importance de vos travaux a toujours été présente à mon esprit, et j’ai fait ce qui dépendait de moi pour les accélérer. Si l’ardeur de mon zèle m’a quelquefois entraîné au delà des bornes, je mérite votre indulgence par la pureté de mes intentions, et, j’ose l’assurer, je n’ai pas de juge plus sévère que moi-même. « Chacun de nous veut être libre; chacun de nous veut réformer les abus et établir les lois constitutionnelles que prescrivent la justice et la raison; mais, dans une circonstance si nouvelle et si difficile, la diversité des moyens ne doit pas étonner; et je ne craindrai pas de le dire : malheur au cœur froid, qui juge avec trop de rigueur des discussions qu’anime l’amour du bien qui nous est commun à tous 1 Ainsi il s’agit du bonheur général et du bonheur individuel de tous les Français. « La destinée de l’Etat repose sur la sagesse et la maturité de vos délibérations; et en terminant les fonctionshonorables dont vous m’avez chargé, permettez-moi, Messieurs, d’exprimer ici des vœux pour la liberté publique, la concorde et la paix. » M. l’abbé de Montesquiou, en prenant la gg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790. fauteuil, prononce un discours dans lequel, après avoir réclamé l’indulgence de l’Assemblée, il fait sentir que pour achever le grand édifice commencé, elle avait besoin de calme dans ses délibérations. Quoi que nous ayons fait jusqu’à présent, a-t-il dit, pour la chose publique, les craintes et les transes ne se dissipent pas encore. La patrie, en quelque façon, est en deuil... Ses ressources sont entre nos mains, il n’y a que l’union la plus parfaite qui puisse la rassurer. J’exhorte tous les membres à la concorde et à la paix dans le sein de l’Assemblée. MM. Bailly, maire de Paris, et le marquis de Lafayette, commandant de la garde nationale, viennent assister à la séance en qualité de membres. Des applaudissements réitérés leur marquent la satisfaction de l’Assemblée nationale de les voir dans son sein. M. Massicu, l’un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance du 2 janvier. M. Le Chapelier. Le procès-verbal relate la motion de M. Duport tendant à fixer les dépenses du Roi dans la liste civile. Cette motion ne devait éprouver aucune difficulté et il est bien étonnant qu’elle n’ait pas été décrétée par acclamation; il n’est pas convenable qu’on puisse supposer que l’Assemblée a hésité pour adopter une mesure si conforme au vœu de toute la France, et qui lui fournissait une occasion d’exprimer son respect et sa reconnaissance pour un monarque qui, par tant de soins et de travaux, a contribué à rendre à la nation sa liberté et ses droits. En conséquence, je propose le décret suivant : « Qu’il soit fait une députation au Roi pour demander à Sa Majesté, quelle somme elle désire que la nation vote pour sa dépense personnelle, celle de son auguste famille et de sa maison, et que M. le Président, chef de la députation, soit chargé de prier Sa Majesté de consulter moins son esprit d’économie que la dignité de la nation, qui exige que le trône d’un grand monarque soit environné d’un grand éclat. » M. le duc de Liancourt. J’appuie la motion, et j’ajoute que, dans tous les cahiers, la nation française a recommandé la plus grande déférence et le plus grand respect pour son chef. M. Delley-d’Agier. Je crois qu’on devrait au préalable connaître l’état des dépenses et des recettes et savoir quelles sont les ressources de la nation. M. Thouret. Je demande que la motion soit mise aux voix tout de suite. (De tous côtés on crie : Aux voix , aux voix.) M. le Président. Je consulte l’Assemblée. Le décret est adopté à l’unanimité moins la voix de M. le marquis de Foucault et d’un ecclésiastique. Les membres nommés pour la députation vers Sa Majesté sont : MM. Garat l’aîné. le marquis de Lafayette. ci’Ailly. Colbert de Seignelay, évêque do Rodez. Le Chapelier. Dufraisse-Duchey. MM. Despatys de Cour teilles. Buzot. de Montlosier. Agier, député du Poitou. Charles de Lameth. le marquis d’Ambly. Maréchal. Bailly, maire de Paris. Goupil de Préfeln. de Prez de Crassier. Germain. Millon de Montherlant. de Bonnal, évêque de Clermont. Enjubault de La Roche. le comte Mathieu de Montmorency, Berthereau. Rewbell. de Menou. Le Grand, député du Berry. Fournier de La Pommeraye. Andurand. le duc de Liancourt. Lanjuinais. Loys. le baron d’Aurillac. Nicodème. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Gillet de Lajacqueminière. le comte de Croix. Hardy de La Largère. de Vismes. le duc Du Châtelet. Fermond des Chapelières. l’abbé Goutlet. Martineau. de Curt. Guillaume. Alquier. l'abbé de Ruallem. le duc de La Rochefoucauld. La Poule. Barnave. Muguet de Nanthou. le comte de Montcalm-Gozon. le marquis de Roslaing. Renaud, député d’Agen. Dom Gerle. le marquis de Fumel-Montségur. le vicomte de Beauharnais. Le Bois-Desguays. Gérard, député de Toul. M. Idémeunïer monte à la tribune et donne lecture d’une lettre qu’il avait été chargé d’écrire, en qualité de Président de l'Assemblée nationale, à tous les régiments de l’armée française; ladite lettre conçue en ces termes : « L’Assemblée nationale m’a chargé par un décret, Messieurs, d’avoir l’honneur de vous assurer, en son nom, qu’elle a vu avec peine plusieurs régiments donner à une phrase isolée de l’opinion de M. Dubois de Crancé une interprétation bien éloignée de l’intention de ce député, et qu’il s’est empressé de développer dès qu’il s’est aperçu que sa pensée était mal entendue. « Ce n’est pas, Messieurs, au milieu des représentants d’une nation dont l’armée a si dignement assuré la gloire dans tous les temps, dont elle vient si récemment encore de soutenir les droits avec tant de patriotisme, que l’hommage dû à la valeur, à la délicatesse et à l’honneur pourrait être un instant méconnu. Ils chérissent trop ces hautes qualités, inhérentes aux oftlciers et aux soldats irançais, pour ne pas saisir avec une véritable satisfaction l’occasion qui se présente de donner à l’armée le témoignage d’estime qu’elle mérite. « L’Assemblée nationale, occupée sans relâche de la régénération de ce grand empire, établira, pour la constitution militaire, des bases qui, as-