334 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE les oppositions du citoyen Mangenot, d’obéir aux deux premiers ordres, ayant entraîné un retard de trois heures : alors comme dit est, à trois heures du matin seulement, ledit Mangenot nous a remis le nommé Reynier détenu, à qui il a dit au moment où il sortait de la maison d’arrest, et monté dans la voiture qui devoit le conduire : sois tranquile tu es un bon patriote, il n’ y a pas de danger. Alors il a embrassé ledit Reynier, qui l’a été aussi par un citoyen de grande taille, qui était dans la maison d’arrest, et qui parraissoit y être attaché. De la nous nous sommes mis en route et nous sommes sortis de la commune de Marseille : étant arrivés au lieu appellé la petite Grotte, des hommes cachés dans des fossés, au nombre de cent cinquante ou de deux cents, se sont tout-à-coup montrés armés de fusils, de sabres et de pistolets, tous déguisés et sans uniformes, en chapeaux rabatus ; et se sont portés à la voiture en disant : Arrête, coquin, nous le voulons. Dans ce moment Jean Bouttet a tiré de sa poche deux pistolets qu’il a armés, et a voulu faire feu ; le citoyen Josset a dit : il faut de la prudence. Le citoyen Catelin, hussard, s’est porté à une des portières de la voiture et a mis en joue ceux qui vouloient y entrer de force. Le citoyen Lefevre, aussi hussard s’est porté à l’autre portière, où avec son sabre, il a employé des moyens de défense. Tous les citoyens escortant ledit Reynier, ont sommé cette troupe rebelle, au nom de la loi de se retirer. Le citoyen Josset est descendu de la voiture et a représenté qu’il avoit une mission importante à remplir, et que ceux qui y mettaient entrave commettaient les plus grands crimes. Les rebelles lui ont dit qu’il était un aristocrate, un gueux : enfin, il n’y a pas d’horreurs qu’ils n’ayent proférées. Le citoyen Bouttet ayant dit qu’il obéissait à la loy, ils lui ont dit que ceux qui les commandaient, étaient des gueux, qu’il était mort assez de patriotes, qu’ils ne vouloient pas que celui-là montât sur l’échaffaud; et pendant que le citoyen Josset persistait et refusait de leur lâcher le détenu, un homme, ayant à peine la taille de cinq pieds, vêtu en gris-brun, avec un chapeau ra-batu, l’a mis en joue, en disant : Tron de diou, laisse moi faire, je vais le foutre à bas. Le citoyen Bouttet ayant dit à un hussard d’aller en ordonnance au plus vite avertir de ce qui se passait, et l’hussard partant de suite pour obéir, les rebelles ont crié : Tire, il faut faire feu dessus. Quelques-uns ont dit ensuite : Laisse-le aller, que fera-t-il? Alors ils se sont portés les uns à la tête des chevaux qu’ils ont dételés, et ont fait descendre le postillon; les autres, aux portières de la voiture se sont emparés, par une force à laquelle on ne pouvoit opposer aucune résistance, du nommé Reynier; et le citoyen Catelin, et son camarade Gauthier, hussards, ont entendu qu’ils se disaient que la contre-révolution était ouverte, qu’ils voulaient la finir; ils ont entendu que plusieurs qui les avaient couchés en joue leur ont demandé si c’était un de leurs officiers qui était dans la voiture : ils leur ont répondu également que non; ils ont ensuite mis en joue le citoyen Bouttet qui tenait ses deux pistolets armés contre eux, et ont demandé si c’étoit un gendarme qui les tenait ainsi en joue ; Catelin a également dit que non. Alors toute résistance paroissait vaine, il a fallu céder; les rebelles ont dit aux citoyens Josset et Bouttet, aux hussards et au postillon : Nous le tenons, allez actuellement verbaliser ; à l’instant ils ont suivi avec le détenu la route qui conduit à Aix. Etant arrivés à une maison qui n’était pas éloignée du lieu où était arrivé le délit, ils sont descendus dans le vallon ou on les a perdu de vue. Fait lesdits jour, mois et an que dessus, et ont signé les ci-dessous dénommés, les autres ne sachant pas signer. Signé, Catelin, hussard, Langlade, chargé de la conduite de la voiture jusqu’à la première poste, Josset, lieutenant. Pour copie conforme, signé Magnin, secrétaire. I Le rapporteur continue ainsi : les deux comités m’avoient chargé de vous lire ces pièces, pour vous convaincre de l’existence de la conspiration. Il résulte de la lettre de Reynier, de celle des représentans du peuple, de la facilité avec laquelle on a ramassé 150 hommes pendant la nuit, pour arrêter l’exécution d’un arrêté ; il résulte, dis-je, de toutes ces choses, que la conspiration est réelle. La correspondance de nos collègues, les vociférations qui se sont élevées à Marseille lorsqu’on par-loit de la Convention, ne laissent aucun doute sur son existence. Nous devons vous annoncer que la majorité du peuple de Marseille est pure et excellente, et il n’y a que quelques coupables à punir. Représentans, vous êtes comptables à la nation de sa tranquillité et de son bonheur ; vous avez pris hier l’engagement solennel de tenir fermement les rênes du gouvernement; sans doute vous tiendrez votre serment, (oui, oui, s’écrie toute la Convention.) Vous avez juré de vous élever à la hauteur de votre caractère et d’écraser tous les crimes et toutes les factions. C’est ce qui a engagé vos comités à vous proposer le projet de décret suivant (39) : A la suite du rapport, le décret suivant est rendu. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Treilhard, au nom de] ses comités, réunis, de Sûreté générale et de Salut public, décrète : Article premier. - Reynier, qui étoit détenu dans la maison d’arrêt de Marseille, et devoit être transféré à Paris par ordre des représentans du peuple en mission dans le département des Bouches-du-Rhône, est mis hors de la loi. (39) Ann. Pa.tr, n° 630. J. Fr, n° 727 ; J. Mont., n° 146 ; C. Eg., n° 765 ; J. Fr, n° 727 ; M.U., XLIV, 8-9 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 729. SÉANCE DU 5e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (DIMANCHE 21 SEPTEMBRE 1794) - N° 3 335 Art. II. - Mangenot, concierge de la maison d’arrêt de Marseille, et Voulland, commandant temporaire dans cette place, seront mis sur le champ en état d’arrestation. Art. III. - L’accusateur public au tribunal révolutionnaire instruira sans délai sur la conspiration qui vient d’éclater à Marseille contre la sûreté générale de la République et la représentation nationale. Art. IV. - Les représentans du peuple en mission dans le département des Bouches-du-Rhône développeront la force nécessaire pour faire exécuter les lois et respecter la représentation nationale. Art. V. - Ils feront les diligences nécessaires pour faire arrêter dans toute l’étendue de la République, et traduire au tribunal révolutionnaire les auteurs et complices de la conspiration. Art. VI. - Les scellés seront apposés sur les papiers de la société populaire de Marseille, et les représentans du peuple feront procéder sur-le-champ à l’examen des papiers, à l’épuration de la société, ainsi qu’à celle des autorités constituées de cette commune. Art. VII. - La Convention approuve la conduite et les mesures prises par les représentans du peuple dans le département des Bouches-du-Rhône (40). Art. VIII. - Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance, et porté à Marseille par un courrier extraordinaire (41). Aux voix, s’écrient plusieurs membres (42). VOULLAND : J’aurois lieu d’être douloureusement affecté de cette espèce d’improbation qui semble vouloir me repousser de cette tribune ; vous ne refuserez pas de m’entendre, quand je vous aurai dit que la piété filiale seule m’y conduit : la piété filiale est une vertu, et vous les avez toutes mises à l’ordre du jour. Le général Voulland, dont le nom vient d’être prononcé plusieurs fois dans le cours de ce rapport, est mon oncle ; mais il m’a tenu lieu de père, du moment que j’ai eu perdu celui dont j’avois reçu le jour. (40) C 318, pl. 1288, p. 26 et la majeure partie de la presse indiquent que cet article a été rajouté à la suite de la motion de Barras, lors de la discussion de l’ensemble du décret : Ann. Patr., n° 630 ; Ann. R. F., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; F. de la Républ., n° 2 ; Débats, n° 730 bis, 597 ; J. Perlet, n° 729 ; Moniteur, XXII, 34 ; Gazette Fr., n° 995. (41) P.-V., XLV, 366-367. C 318, pl. 1288, p. 26. Minute de la main de Treilhard, rapporteur. Décret n° 10 977. Débats, n° 730 bis, 594-595 ; Moniteur, XXII, 33 ; Ann. Patr., n° 630 ; J. Fr., n° 727 ; J. Mont., n° 146 ; C. Eg., n° 765 ; J. Paris, n° 2 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; Gazette Fr., n° 995 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 729 ; Bull., 1er vend. (42) Mess. Soir, n° 764, indique ici que « quelques mé-contens s’agitoient cependant sur le sommet de la Montagne et avoient l’air de douter de la réalité de cette conjuration » Non, j’ose le dire avec confiance, mon oncle n’est pas un conspirateur; il aime la liberté, il l’a toujours voulue, toujours servie ; il respecte l’humanité ; il abhorre le sang : il ne peut pas être un complice, un souteneur du cannibale Reynier. Je ne crains pas de le présumer, de l’assurer d’avance, les recherches que vous avez ordonnées pour découvrir toutes les ramifications de ce complot sanguinaire conçu à Marseille, ne donneront aucun résultat fâcheux contre mon oncle ; il est connu dans le département du Gard et dans tous les dépar-temens qui l’environnent, pour un homme qui a toujours fait aimer la révolution par sa douceur et son humanité ; il n’a pas attendu les événemens postérieurs au 14 juillet 1789 pour se déclarer, et dans aucune crise embarrassante il ne s’est jamais démenti. Domicilié dans le département du Gard, il a toujours été à la tête de la garde nationale d’Uzès, jusqu’au moment où il fut envoyé à la tête d’un bataillon de grenadiers, pour concourir à la conquête de la Savoie; il n’a cessé d’être employé dans l’armée des Pyrénées orientales ; il a conservé le Mont-Libre, dont le commandement lui avoit été confié. Permettez que je vous donne lecture d’une pièce tirée du dossier de celles que j’étois chargé de produire à la commission du mouvement, pour demander et obtenir sa retraite : cette lettre n’est pas suspecte ni mendiée par la circonstance : elle a été expédiée en janvier 1792. VOULLAND lit ces pièces : Nous, maire, ofïïciers-municipaux et notables de la ville d’Uzès, assemblés en conseil-général de la commune, certifions que M. Alexandre Voulland, ancien capitaine de grenadiers, fut nommé par les citoyens de la ville d’Uzès, au mois de juillet 1789, colonel commandant de la garde nationale qui fut formée à cette époque dans ladite ville d’Uzès ; qu’il a exercé les fonctions de cette place dans des temps orageux et difficiles, avec toute la prudence, le zèle, le courage et les lumières qu’on pouvoit attendre d’un militaire expérimenté et d’un citoyen ami de l’ordre et de la paix; qu’il a dans les momens de crise et de division dont notre ville a été le théâtre, bravé tous les périls ; que notamment, lors des troubles qui éclatèrent à Uzès le 14 février dernier, plusieurs coups de fusil furent tirés sur M. Voulland ; qu’il n’échappa à la mort dans cette circonstance que par une espèce de miracle ; les dangers auxquels il a été exposé n’ont jamais pu le décourager. Nous attestons qu’il a su obtenir et conserver, par la droiture de ses intentions, sa bravoure, ses talens et sur-tout son amour pour la constitution, la confiance de ses concitoyens, qui n’ont jamais voulu permettre qu’il abandonnât le poste auquel leurs suffrages l’avoient élevé; que dans toutes les occasions où la paix publique a été troublée dans cette ville, les sages mesures qu’a prises ce commandant, lorsqu’il a été requis par les autorités constituées, ont bientôt rétabli la tranquillité et le bon ordre, et lui ont assuré des droits à la reconnoissance de tous les bons citoyens.