[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] 407 pouvoirs étant expirés. Je demande qu’on insère ma déclaration dans le procès-verbal. M. Muguet de IVanthou. Deux décrets ont décidé qu’il ne serait fait mention d’aucune déclaration contraire aux décrets de l’Assemblée; il faut donc rejeter celle-ci : c’est ainsi qu’on en a usé au sujet de la lettre écrite par MM. de Vrigny et de Ghailloué. M-de Montlosier. Nous detnandçms que la mention demandée par M. de La Queuille Soit insérée dans le procès-verbal. M.Favie. Monsieur le président, vous ne pouvez pas mettre cette proposition aux voix; votre devoir ne vous permet pas de recevoir une mention contraire aux décrets : toute motion de cette nature est inconstitutionnelle. M. de Montlosier. Ces observations sont excellentes, je n’entreprendrai pas de les combattre ; mais je demande que la motion de M. de La Queuille soit au moins rejetée par un décret formel. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide qu’il ne sera pas délibéré sur la motion de M. de La Queuille. V ordre du jour appelle la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire. La question qui est en délibération est celle de l’investiture et de l'institution des juges M. lie Chapelier. La question que vous avez discutée hier était mal posée; je crois qu'elle devrait être ainsi présentée : « Le peuple, auquel appartient le droit d’élire ses juges, nommera-t-il un ou plusieurs candidats pour remplir une place déjugé? » Dans le cas où il serait décidé que le peuple nommera un seul candidat, il restera cette autre question : « Le roi donnera-t-il l’investiture aux juges choisis par le peuple? » M. Briois de Beaumetz. L’irrégularité de la discussion d’hier est uniquement venue de l’obscurité des mots investiture et institution. L’obscurité de ces mêmes mots a coûté deux millions d’hommes à l’Europe; elle vous a fait perdre une matinée, pendant laquelle on a toujours été à côté de la question. Toutes celles que présentent la discussion me paraissent devoir être posées comme il suit : « 1° Le roi aura-t-il le pouvoir de refuser purement et simplement son consentement à l’installation d‘un juge choisi par le peuple? 2° Les électeurs présenteront-ils un ou plusieurs sujets au roi, pour qu’il choisisse entre ceux qui lui seront présentés? 3° Le juge nommé par le peuple recevra-t-il une patente scellée du sceau national? » M. Bufraisse-Duchey. Je propose de commencer par mettre aux voix la seconde question. (Cette proposition est appuyée.) M. Roederer. Les trois questions proposées par M. de Beaumetz n’en forment que deux; la seconde et la première peuvent se réduire en une seule : « Le roi concourra-t-il par son suffrage à l’élection des juges? » M. le comte de Mirepoix. Nous avons appuyé la motion de M. Dufraisse-Duchey; met-tez-la aux voix, Monsieur le président, ou bien... M. le comte de Clermont-Tonnerre. L’incertitude de la délibération d’hier vient de ce qu’un véritable amendement avait été proposé avant là question : il ne faut pas commettre aujourd’hui la même faute. Les questions proposées par M. Briois de Beaumetz ne sont pas dans l’ordre naturel; la seconde question doit être discutée avant la première. M. Briois de Beaumetz. L’ordre que j’ai indiqué est très naturel. Vous avez décidé hier que le peuple élira ses juges; cela ne présente que l’idée d’un homme élu, et non trois. La seconde question est donc bien la seconde dans l’ordre des idées. M. Boutteville-Bumetz. J’ajoute une réflexion qui me paraît très décisive. La seconde question préjugerait la première. En forçant le peuple à présenter trois sujets, vous donneriez au roi une influence qui infirmerait la première volonté du peuple. Si, au contraire, vous décidez la première question, la seconde restera entière. M. de Cazalès. Il n’y a qu’une seule question qui nous divise tous. Les opinants sont convenus que l’institution forcée serait absolument dérisoire; il n’existe donc pour tout homme de bonne foi que cette question : '< Le pouvoir exécutif aura-t-il telle ou telle influence sur les juges ? Choisira-t-il entre plusieurs candidats élus par le peuple? M. Belley d’Agier. Les juges élus par le peuple seront-ils confirmés par le roi? La confirmation sera-t-elle libre ou forcée? Si elle est libre, présentera-t-on plusieurs sujets au roi ? Voilà, je crois, les seules questions. M. Fréteau. Je pense qu’il est conforme à la j ustice de l’Assemblée de laisser la plus grande latitude aux opinions. C’est ainsi que vous en avez usé lors de la discussion sur le veto , et rien n’a été plus utile que cette marche. On pourrait présenter des modifications qui concilieraient peut-être les idées. Par exemple, ne pourrait-on pas dire que le roi, ayant une fois refusé l’installation d’un juge nommé par le peuple, il ne pourrait la refuser si ce même citoyen était l’objet d’une seconde élection? Si cependant l’Assemblée croit devoiradopter un ordre de questions, je préfère celui de M. Le Chapelier. M. Muguet de IVanthou demande la priorité pour celui de M. Briois de Beaumetz. M. Chabroud. Hier, en présentant cette question : « Le roi influera-t-il sur l’élection des juges? » vous avez -dit que, si cette première question était décidée affirmativement, on verrait ensuite si le choix du roi serait éclairé par la présentation de trois candidats; vous avez donc reconnu que cette dernière question est subordonnée à la première; il ne reste donc que celle de savoir si l’investiture est nécessaire. (On demande que la discussion soit fermée.) M. le Président se dispose à mettre cette demande aux voix. MM. le comte de Virieu, le duc du Châtelet, Dufraisse-Duchey, Malouet et Cazalès s’y opposent. M. üarat, l’aîné. Je demande la question préa- 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790. labié sur toute manière nouvelle de poser la question; ne cherchons point à revenir sur des décrets déjà rendus. (On demande la question préalable sur la proposition de fermer la discussion.) L’Assemblée décide qu’il n’y a lieu à délibérer. La discussion est fermée sur la manière de poser la question. On lit les propositions de MM. Briois de Beaumetz et Le Chapelier et une rédaction de la question proposée par M. Malouet, ainsi conçue : « L’élection du peuple suffit-elle pour conférer au candidat le pouvoir judiciaire ? » On réclame la priorité pour les questions proposées par M. Briois de Beaumetz. M. Garat, l'aîné. Les juges seront-ils élus par le peuple? seront-ils institués par le roi? Les électeurs présenteront-ils trois sujets au roi ? Voilà comme hier ces questions ont été proposées; la première a été décidée, les deux autres restent à juger. Je m’oppose à toute autre manière de poser la question, parce que celle-là a déjà été décrétée. M. Charles de Lameth. Ceci rappelle la sanction royale. Nous sommes dans la même position , dans le même embarras, et pour la même cause ; cela vient de ce que les amants ou les amis de la prérogative royale confondent la prérogative avec les fonctions. Les juges seront choisis par le peuple : vous l’avez décidé; donc ils doivent être institués par le peuple. Il reste uniquement la question de savoir si les juges auront l’investiture royale et si le roi pourra les refuser. On n’a pas entendu que le roi aurait un veto sur les personnes, comme il en a un sur les lois. Vous n’avez rien fait, si les juges peuvent être refusés par le roi; vous n’avez rien fait encore, si l’on est obligé de lui présenter trois candidats : la conscience de tout le monde dit que cet homme qui obtiendrait la préférence du ministre serait déjà la créature du ministère. La question du refus est plus difficile encore : si le roi avait le pouvoir de refuser les juges, il aurait au fond le pouvoir judiciaire, car il pourrait refuser la moitié des citoyens du royaume... Je ne doute pas de l’amour de l’Assemblée pour la liberté et de son respect pour les droits du peuple et je pense qu’elle n’adoptera aucune des rédactions présentées. Le procès-verbal de l’élection est une investiture suffisante. Je demande s’il est nécessaire d’avoir une autre espèce de provision ? Si on ne veut pas juger cette question, je demande la division de la proposition de M. de Beaumetz... Je dis que la constitution tout entière tient à cette question ..... ( Les murmures de la partie droite interrompent l'opinant) et peut-être la défaveur que j’éprouve est une preuve de ce que j’avance. Si par vos institutions vous attaquez les mœurs, vous attaquez la liberté. Le peuple est corrompu quand les lois sont corruptrices et jamais un peuple corrompu ne sera un peuple libre. Où trouverez-vous des hommes courageux pour défendre la liberté, quand ils seront jugés par des juges institués par le roi ? M. de Cazalès. Je vais me renfermer dans les bornes étroites de la question de priorité. Changer aujourd’hui l’ordre adopté hier, ce serait perdre le fruit de la discussion de la dernière séance. Je demande que la question soit posée comme elle l’était hier. M. Malouet. Si on adopte les propositions de MM. Garat et de Cazalès, je renonce à ma motion; si le contraire arrive, je la reprends. Les électeurs d’un district ne peuvent déléguer aucune partie du pouvoir exécutif, parce qu’ils n’en ont aucune ; c’est au roi qu’appartient le pouvoir judiciaire dans une monarchie libre. Les électeurs ne peuvent conférer un pouvoir qui appartient exclusivement au monarque. Il est bien dangereux de confondre toujours les droits d’une portion du peuple avec les droits du peuple pris collectivement. Le pouvoir judiciaire émane du pouvoir souverain; il ne peut être confié que par la nation entière ou par son chef. M. Rewbell. Je refuse la priorité à toutes les rédactions proposées. La nation se chargera-t-elle d’un milliard de remboursement pour faire nommer les juges par les ministres? Voilà la question. M. Boutteville-Dumetz. Je me persuade que la discussion ne peut pas durer longtemps. J’ai déjà demandé la priorité pour M. de Beaumetz, et j’y persiste. J’ajouterai seulement que, de la manière dont la discussion s’est faite hier, vous approuvez le danger des expressions obscures : M. de Beaumetz l’a aussi prouvé par ses raisonnements : c’est à cause de cette obscurité qu’on voudrait que la question fût posée aujourd’hui comme hier. Je demande donc encore la priorité pour la proposition de M. de Beaumetz. (On demande à aller aux voix.) M. le Président annonce les différentes demandes de priorité et la marche que doit prendre la délibération. M. de Cazalès, placé à la tribune, l’interrompt. — On rappelle M. de Cazalès à l’ordre. M. Dnval d’Eprémesnil prie M. de Cazalès de continuer. Enfin on met aux voix la priorité pour la question posée hier, et ainsi conçue : « Les juges seront-ils institués par le roi? » La partie droite de l’Assemblée affirme que le résultat de la délibération doit être douteux. — M. Fréteau, M. Martineau et d’autres membres affirment qu’il n’y a pas l’ombre du doute. — Le côté gauche était extrêmement rempli et serré. Le côté droit était très peu rempli. Cette circonstance paraissait pouvoir donner lieu au doute. Quelques personnes passent du côté gauche dans le côté droit ; la réception des émigrants est très tumultueuse, et trouble pendant longtemps l’Assemblée. M. de Polie ville et plusieurs autres membres après lui demandent l’appel nominal. M. de Clermont-Tonnerre. Je sais bien que l’appel nominal est prescrit par le règlement quand il y a du doute; mais je crois que, dans ce moment, il peut compromettre les intérêts de la patrie. Dans mon opinion et dans celle de plusieurs membres dont le sentiment n’a pas obtenu la priorité, il n’y a pas de doute. La partie droite répond en demandant à grands cris : L’appel nominal ! l’appel nominal ! M-le marquis de Foucault. L’opinion du préopinant n’est qu’une opinion comme la mienne, mais elle est différente, car il me reste du doute. Cette question va décider de la forme du gouver- 409 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] nement, sous lequel, par les représentants du peuple, les peuples vivront. On ne saurait prendre une manière trop prononcée pour ceux qui veulent continuer de vivre sous la forme du gouvernement anarchique ou républicain. M. le marquis d’Estourmel. Il est arrivé très souvent de transformer les questions de priorité en questions du fond. Je demande qu’on adopte aujourd’hui cette transformation. M. le comte de Crillon. Cette question d’où dépend, dit-on, la destinée de la France, est une question de priorité. M. d’Estourmel demande qu’elle soit transformée en question du fond; mais la question du fond n’est pas déterminée, mais la discussion n’est pas commencée sur le fond. Les secrétaires et le président n’ont pas vu de doute; une partie de l’Assemblée le réclame et demande l’appel nominal; une autre partie le conteste; il faut donc consulter l’Assemblée sur ce doute. M. de Folle ville. On ne saurait trop multiplier les appels nominaux sur les questions importantes. M. d’André. Quelques membres ne forceront pas l’Assemblée à perdre un temps considérable par l’appel nominal, quand la grande majorité affirme qu’il n’y a pas de doute. Je demande que M. le président consulte l’Assemblée. M. le Président fait des observations sur le vœu de l’Assemblée. La partie droite l’interrompt en criant: L’appel nominal, l’appel nominal! La grande majorité insiste et se lève pour demander qu’on aille aux voix sur le doute. M. de Montlosier. Je pense qu’il n’y a pas de doute, mais on ne peut consulter l’Assemblée; car il est évident que la majorité présumée s’élèverait pour dire qu’il n’y a pas de doute. M. le Président, après avoir été souvent interrompu, pose la question. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas de doute. — La priorité est donc refusée à la question telle qu’elle avait été présentée hier. La partie droite réclame encore l’appel nominal. La priorité demandée pour la suite de questions osées par M. de Beaumetz est mise aux voix. — ette priorité est décrétée. La partie droite demande l’appel nominal sur cette priorité. M. le marquis de Foucault, s'adressant aux membres qui l' environnent. Que ceux qui veulent protester contre la priorité se lèvent. Une partie du côté droit se lève, et nroteste contre cette priorité. — Gette partie réclame, et dit qu’elle n’avait pas entendu pour la question sur la priorité. Gette question, est de nouveau, mise aux voix.— L’Assemblée décrète de nouveau que la priorité est accordée à la série de questions proposées par M. de Beaumetz, savoir: Première question. Le roi aura-t-il le pouvoir de refuser son consentement à l’admission d’un juge choisi par le peuple ? Seconde question. Les électeurs présenteront-ils au roi plusieurs sujets, pour qu’il choisisse entre ceux proposés ? Troisième question. Le juge choisi par le peuple recevra-t-il du roi des lettres-patentes scellées du sceau de l’État? M.Mlalouet. Tout membre de cette Assemblée a le droit de demander qu’on intervertisse les questions, quand les intérêts importants l’exigent: dans cette circonstance, un grand intérêt le demande, puisque les questions proposées influeraient beaucoup sur la nature du gouvernement. En effet, la première question, si elle était décidée négativement, préjugerait les deux autres et introduirait le gouvernement démocratique; elle attribuerait au peuple la plénitude du pouvoir judiciaire, qui est évidemment une branche de la souveraineté. (La partie gauche de T Assemblée applaudit.) Je professe, comme vous, le principe que vous venez d’applaudir ; mais il est certain qu’aucune section de la nation ne peut exercer les droits du pouvoir judiciaire. Si donc vous attribuez ces droits à un district, en même temps qu’il a celui de présenter et de désigner au souverain ..... (On interrompt, en demandant que l’opinant dise : au roi.) Si vous accordez à une ville, à un district, en même temps qu’ils ont le droit de présenter au souverain. . . . ( Plusieurs voix s'élèvent du côté gauche : On vous prie de parler français !) Si le roi n’a pas le droit de refuser, à plus forte raison n’a-t-il pas celui de choisir. Quand je me suis servi du mot souverain, je l’ai entendu dans son véritable sens : la souveraineté réside dans la nation, mais elle a délégué des pouvoirs ; et si un district pouvait exercer le droit d’instituer les juges, vous attribueriez à une partie de la nation les droits qui n’appartiennent qu’à la nation collectivement prise. Si vous prononcez que le roi n’a pas ce pouvoir, ce que vous lui laissez n’est plus qu’uüe fiction dérisoire :vous dépouillez le trône d’une grande dignité, vous anéantissez cette belle institution qui fait participer les tribunaux à l’éclat du trône, sans qu’ils en subissent l’influence. Je demande que l’ordre des questions soit changé et que la seconde soit placée la première. M. Barnave. Le préopinant a appuyé son opinion sur deux motifs. Il a dit que la première question préjuge les deux autres, et que cette question, négativement décidée, convertirait le gouvernement en véritable démocratie. Quant au premier motif, je réponds qu’il n’est pasvrai que la première question préjuge les deux autres ; en effet, celles-ci n’ont aucuD rapport avec la première. Quant au second motif, il s’est fondé sur ce que nulle section ne peut conférer les droits qui appartiennent au pouvoir exécutif. La nation ne fera autre chose que de communiquer à des sections le pouvoir qu’elle a d’élire les juges; elle ne fera que ce qu’elle a fait en donnant à ces sections le droit de nommer des députés pour tout le royaume; et ce droit, assurément, était indépendant du roi, puisque les députés n’avaient pas autre chose à faire pour entrer en fonctions que de soumettre leurs pouvoirs à une vérification. Qu’avez-vous fait autre chose, que de char- 410 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] ger le département de cette commission pour la souveraineté. Vous avez fait la même chose au sujet des corps administratifs ; les juges, comme les administrateurs, sont des officiers publics; ils n’excerceront leurs fonctions que dans les sections par lesquelles ils seront élus. Je vais plus loin, etjedis aux partisans de la prérogative royale, en me servant de leur autorité favorite, de Montesquieu : qu’il est faux, souverainement faux, que le pouvoir judiciaire soit une partie du pouvoir exécutif. (La partie droite murmure.) Je ne pensais pas que l’autorité d’un homme, que beaucoup de membres de cette Assemblée ont pris pour modèle dans leurs opinions, d’un homme qui connaissait le pouvoir judiciaire, parce que longtemps il en avait été avec gloire un des instruments, fût un objet de dérision. La décision d’un juge n’est qu’un jugement particulier, comme les lois sont un jugement général; l’un et l’autre sontl’ouvrage de l’opinion et de la pensée, et non une action ou une exécution. Quelle est donc la position du pouvoir exécutif relativement au pouvoir judiciaire? Elle est la même que relativement au pouvoir législatif. Le roi est à côté du tribunal pour faire exécuter le jugement, comme il est à côté du pouvoir législatif pour faire exécuter la loi. Certainement il y a bien moins de distance entre le pouvoir exécutif et le pouvoir administratif, qu’entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Il est étonnant qu’on n’ait fait aucune difficulté quand on a décrété l’élection et les fonctions des administrateurs sans le concours du roi. Le roi est le chef de l’administration, en ce sens que la supériorité est entre ses mains; il pourra, à quelques égards, avoir de la supériorité, non sur l’élection des juges, non sur les jugements, mais sur la manière dontles lois seraient exécutées: enfin, ce qu’il y a de bien réel, c’est que les deux questions, dans la décision négative desquelles le préopinant nous a fait voir la subversion du gouvernement, sont le palladium nécessaire de la liberté; c’est que vous n’aurez rien fait, si vous donnez au roi le droit de refuser les juges; vous n’aurez que changé le despotisme en despotisme judiciaire, en despotisme de corruption. M. Malouet a dit une chose bien étrange, en avançant que le choix des juges donné au roi n’aurait nul danger. N’est-il pas évident que les ministres seraient chargés de ce choix, qu’il leur donnera les moyens d’attaquer indirectement la liberté? Us chercheront les portes par lesquelles ils pourraient introduire le despotisme dans le corps politique ; ils porteront leur influence jusque dans les élections, jusque dans les racines du pouvoir représentatif; ils n’enlèveront pas seulement au peuple sa liberté, son bonheur, mais encore son moral. Un royaume voisin vous donne déjà l’exemple de cette corruption; mais observez une différence essentielle : en Angleterre, les jurés existent en toutes matières; le roi n’a du moins usurpé que la moitié du pouvoir judiciaire. Il ne s’agit pas ici, comme on voudrait le faire croire, d’une question élevée entre le monarque et le peuple, mais d’un droit précieux que la nation doit retenir et qu’on voudrait abandonner, non au monarque, mais aux ministres, mais aux courtisans. On a cherché à établir une différence entre le droit de nommer les juges, purement et simplement accordé au roi, ou le choix entre trois candidats. Je dis et je soutiens que cette dernière manière est plus immorale et plus dangereuse encore; je dis que lorsque les peuples seront obligés de présenter plusieurs juges au choix du roi, qui laissera faire ce choix par ses serviteurs, vous dégraderez le caractère national; les citoyens qui auront la noble ambition d’être juges seront obligés de se faire deux visages, l’un pour se montrer devant le peuple avec les vertus populaires, avec un caractère loyal, l’autre pour se présenter devant un ministre, devant les subalternes, devant une femme. ... (Il s'élève des murmures dans la patie droite .) Je demande s’il sera possible de voir jamais parmi les juges un homme probe, fier et libre? Quel est l’homme fier et libre qui se mettra sur les rangs, s’il est obligé, après avoir reçu l’honorable distinction de la confiance du peuple, d’aller mendier la distinction vile de la favetir du ministre?. ..(L’opinant est interrompu. M. deGaza-lès et M. l’abbé Maury montent à la tribune, où étaient déjà MM. de Montlosier et le vicomte de Mirabeau derrière M. Barnave.)— Pourrait-on se flatter de voir des hommes dignes de l’estime universelle, se mettre sur Jes rangs pour être rejetés par un ministre à cause de leurs vertus mêmes, ou pour obtenir une préférence qui les humilierait? Je dis donc que ce système détruit la liberté, la morale de tous les principes sans lesquels il n’y a ni liberté civile, ni liberté individuelle; je dis que ce système tend à dépouiller le peuple de son droit le plus précieux, le plus nécessaire, pour le remettre entre les mains, non du roi, mais de la partie la plus corrompue de la nation.... (La partie droite jette de grands cris.) Ce système répugnerait à votre esprit, quand il ne répugnerait pas à votre cœur. Vous avez promis de défendre la liberté, de travailler pour sa gloire, et vous n’attaquerez pas aujourd’hui les principes sacrés qui font son essence, et qui la rendent l’objet le plus digne des vœux et des hommages des nations. Je dis que la proposition de faire nommer ou choisir les juges par le roi est tellement contraire aux principes, qu’on ne peut la soutenir sans avoir le projet de noiis ramener dans l’esclavage. M. le comte de Vlrle». Je demande que M. Barnave soit rappelé à l’ordre : il ne doit pas insulter ceux qui ne sont pas de son avis. M. Barnave. L’ordre des questions ne préjuge donc aucune question : il est donc faux qu’admettre la première question ce serait admettre le gouvernement démocratique. Il est vrai, au contraire, que la réjection de cette question nous entraînerait à sanctionner l’esclavage. Je conclus à cequelamotion proposée par M.Maiouetsoit rejetée. (Une grande partie de l’Assemblée applaudit et appuie cette conclusion.) M de Montlosier. Il ne s’agit pas moins, si l’on décide négativement la première question , que de se déterminer à voir une partie de l’Assemblée se retirer. Il me semble qu’on s’est attaché à calomnier les partisans de la prérogative royale ; le texte sur lequel nous nous appuyons pour défendre cette prérogative, est l’avis du comité de constitution ; ce comité doit donc être regardé comme l’ennemi de la liberté. Je demande si ces membres, dont les vertus populaires sont si connues, ont pu entendre de sang-froid ces calomnies. Après cette observation préalable, j’entre dans le fond de la question. Je n’ai qu’une question à faire, d’où dépend la décision : Qu’est-ce que la liberté? Je réponds sur-le-champ : la liberté est l’obéissance à la loi. Et pourquoi? 411 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] Parce que la loi est la volonté de tous, il y a droit de vouloir et droit d’agir : le droit de vouloir appartient au peuple; le peuple doit doue vouloir : quand il a voulu, il est libre ; hors de là, la liberté n’a aucun sens. Tous les droits émanent du peuple, mais ils ne doivent pas résider dans le peuple de tel ou tel lieu, politiquement parlant. On a comparé le droit individuel d’émettre son vœu par des mandats au droit de nommer les juges, partie évidente de la souveraineté ; on a donc eu tort de vous dire que c’était le même droit; le peuple ne peut être investi de ce droit sans faire violence à tous les principes, à la Constitution, à la liberté, sans que nous soyons conduits à la démocratie. Ainsi le principe est différent, et c’est cette différence de principes que je voulais prouver. M. le vicomte de Mirabeau. Je conviendrai que le préopinant a parfaitement répondu à M. de Malouet, lorsqu’on voudra bien me prouver que sophistiquer et calomnier les intentions sont les éléments dont se compose une réponse. Je demande s’il est un seul membre qui ne convienne pas que le pouvoir administratif, le pouvoir municipal et le pouvoir judiciaire émanent du pouvoir exécutif. Je raisonne d’après ce qu’a dit M. Barnave lui-même; il prétend qu’un jugement est l’application de la loi : personne ne contestera qu’appliquer la loi et exécuter la loi, c’est la même chose. Il n’est pas un seul publiciste qui ait mis le pouvoir judiciaire au nombre des pouvoirs politiques. M. Barnave vous a dit que le roi sera à côté des tribunaux, le roi sera à côté des départements, le roi sera à côté de l’armée, le roi sera à côté de la Constitution; et s’il est à côté, il est dehors. J’emprunte encore les expressions de M. Barnave; il a dit que les deux premières propositions de M. de Beaumetz sont le palladium de la liberté; je demande qu’on définisse les termes; si par liberté on entend anarchie, je suis bien de son avis. M. de Cazalès, placé à la tribune, demande la parole. (On propose de fermer la discussion.) L’Assemblée délibère et ferme la discussion. M. de Cazalès reste à la tribune. MM. de Juigné, de La Qneuille, l’abbé Maury, etc., orienta M. de Cazalès de parler. M. de Cazalès. Je ne veux pas mettre le trouble dans l’Assemblée ; je neveux plus parler. La partie droite dit qu’elle n’a pas entendu poser la question lorsqu’on a délibéré pour fermer la discussion. On procède à une seconde épreuve. — Elle donne le même résultat. On délibère sur la proposition de M. Malouet. L’Assemblée rejette cette proposition et décide que les questions posées par M. de Beaumetz resteront dans l’ordre où elles ont été proposées. (La séance est levée à trois heures et demie.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du jeudi 6 mai 1790, du soit . La séance est ouverte à six heures du soir* Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses et dons patriotiques dont la teneur suit : Adresse des gardes nationales de la fédération faite sur le mont Sainte-Geneviève, près de Nancy, formée par le plus grand nombre des gardes nationales du département de la Meurthe ; plusieurs de celles des départements de la Meuse, de la Moselle et de la Haute-Marne, et toutes celles de la fédération des Vosges ; les régiments en garnison à Nancy se sont joints à cette fédération, et tous au milieu d’un peuple immense, ont prêté, avec transport, le serment auguste et solennel d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. Ils ont ajouté à ce serment sacré celui de se prêter un secours mutuel. Cette fédération supplie l’Assemblée de faire délivrer les armes et munitions nécessaires à la plupart des municipalités qui n’ont pu s’en procurer. Adresse du conseil général de la commune de Saint-Malo, contenant l’adhésion la plus expresse au décret qui porte que l’Assemblée nationale actuelle ne pourra se séparer avant d’avoir achevé la Constitution, et proroge en conséquence les pouvoirs dont le terme est limité. Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de la garde nationale de Saint-Gervais-lès-Ba-gnols. Adresse des admi nistrateurs du district de Grand-pré, département des Ardennes, qui consacrent les premiers moments de leur existence à présenter à l’Assemblée natonale l’hommage du respect le plus profond, et d’uD dévouement absolu pour l’exécution de tous ses décrets. Adresses des nouvelles municipalités des communautés de Monampteuil, d’Orriule en Béarn, de Saint-Cristoly en Mayais, de Gambes en Agenais, de Brocas, de Moussy, près d’Epernay ; des Loges, près deLangres; de Saint-Julien-Dupinet, deTranage, d’Alligny, de Corcellole en Auxois. Toutes ces nouvelles municipalités expriment avec énergie les sentiments d’admiration, de reconnaissance et de dévouement dont elles sont pénétrées pour l’Assemblée nationale. Délibération de la mu nicipalité de Pongy, district d’Orléans, département du Loiret; laquelle reconnaissant qu’aucun domicilié de la paroisse, excepté le curé, dont le bénéfice est à portion congrue, ne jouit du revenu de 400 livfes et qu’un grand nombre est dans l’état de domesticité, voulant néanmoins, comme les bons patriotes, concourir au bien de la patrie, supplie l’Assemblée nationale d’accepter en pur don l’offrandé de 109 livres 10 sous. Délibération des maîtres cordonniers de la ville de Nantes, qui fait don à la nation d’un contrat de 257 livres 17 sols de rente annuelle, sur les tailles, des arrérages qui lui sont dus depuis 1787. M. Grellet de Beatiregàrd fait lecture d’üne adresse de la commune de Neoux, départemeüt