560 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [Ici Duhem se précipite vers la tribune, le dernier numéro de Fréron à la main. Le tumulte croît.] (127) Un grand nombre de membres demandent la levée de la séance ; d’autres la rupture des débats par un décret d’ordre du jour. CLAUZEL : Goupilleau demande lui-même l’ordre du jour sur sa proposition. L’Assemblée passe à l’ordre du jour sur le tout (128). Après une longue et vive discussion sur les écrits périodiques, un membre fait la proposition de renvoyer aux comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, pour qu’ils présentent à la Convention un projet de décret pour statuer si un représentant du peuple peut aussi être journaliste. La Convention passe à l’ordre du jour sur cette proposition (129). 43 Les citoyens Robylachapelle, Michelin, Brierre, Nuis, Joinville, Lamerliette, Colliat, Ramond, Leduc, Vacher, Perchet et Negardin, informent la Convention qu’ils ont remis à son comité des Finances, section de l’examen des comptes, l’état de ceux présentés au bureau de comptabilité pendant la première quinzaine de brumaire (130). La séance est levée à quatre heures et demie (131). Signé, LEGENDRE, président , MERLINO, GUIMBERTEAU, GOUJON, DUVAL (de l’Aube), THIRION, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, GUILLEMARDET, J.-J. SERRES, BALMAIN, CAA. BLAD, secrétaires (132). (127) Gazette Fr., n° 1042. (128) Moniteur, XXII, 460. Débats, n° 779, 719-721 ; C. Eg„ n° 812; Ann. Patr., n° 677; Mess. Soir, n° 814; Ann. R. F., n° 48; J. Fr., n° 774; J. Perlet, n° 776; M. U., XLV, 301-302; F. de la Républ. n° 49 ; Gazette Fr., n° 1042 ; J. Paris, n° 50 ; Rép., n° 50; J. Mont., n° 27; J. Univ., n° 1808 et 1810. (129) P.-V., XLIX, 70. (130) P.-V., XLIX, 70. C 323, pl. 1377, p. 10, en date du 17 brumaire an III. (131) P.-V., XLIX, 70. Moniteur, XXII, 460. J. Fr., n° 774, J. Perlet, n° 776, M. U., XLV, 302, indiquent 5 h. (132) P.-V., XLIX, 70. AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 44 Rapport sur le Lycée républicain, fait par Boissy d’Anglas, au nom du comité d’instruction publique, dans la séance du 18 brumaire (133). De quelques noms pompeux et mensongers que la tyrannie se décore, sa politique n’en est pas moins la même : c’est de détruire tout ce qui ne coincide pas avec elle, et d’anéantir d’avance tout ce qui pourrait un jour la combattre. Le despotisme des rois et celui des dictateurs ont suivi la même marche; tous ont voulu arrêter l’essor de l’esprit humain, afin de pouvoir mieux enchaîner l’homme. On ne voulait point d’instruction sous les triumvirs que vous avez frappés, comme on n’en voulait point sous les despotes qui ont trop longtemps enchaîné la France. Robespierre avait rétabli la censure, enchaîné la liberté de la presse, comme les Lenoir et les Sartines, et posé des bornes à la pensée. Peut-être même cette commission exécutive dont vous avez mis le chef hors la loi était-elle plus dangereuse encore que les quatre-vingts censeurs royaux qu’elle remplaçait, parce qu’elle avait moins de franchise, et que c’était au nom de la liberté qu’elle conspirait à river nos chaînes. Il est temps aujourd’hui de rendre aux lettres, aux sciences et aux arts leur indépendance et leur énergie; il est temps d’effacer par vos institutions régénératrices le long opprobre où nous avons gémi. Le plus grand besoin de l’homme libre, c’est d’être éclairé, comme la politique des despotes est d’anéantir et de comprimer les lumières. Toujours et dans tous les empires le peuple a acquis quelque degré d’instruction en acquérant quelque degré de liberté. Tout est préparé pour faciliter au peuple français l’acquisition de toutes les lumières et le perfectionnement de toutes les connaissances. La révolution n’a pas seulement renversé toutes les institutions du despotisme, elle a banni de tous les esprits ces vieux préjugés, ces antiques erreurs qui semblaient en défendre l’accès et à la raison et à la vérité. « Les philosophes, qui, depuis Bacon, a dit un écrivain de nos jours, travaillaient à régénérer l’esprit humain, demandaient, comme la condition la plus nécessaire, que toutes les notions que l’on y avait gravées en fussent préalablement effacées. » Ce qu’ils demandaient inutilement, la révolution vient de l’accomplir, et les événements de quelques années ont plus fait que les livres de plusieurs siècles. En s’agitant pour briser ses chaînes, l’homme a secoué tous les préjugés ; en se saisissant du droit de la nature, il a ouvert son esprit à toutes les leçons de la sagesse, et le marbre où vous (133) Moniteur, XXII, 466-468 et 457. M. U., XLV, 298; J. Paris, n° 49; J. Mont., n° 26; J. Fr., n° 774. SÉANCE DU 18 BRUMAIRE AN III (8 NOVEMBRE 1794) - N° 44 561 devrez graver les immortels préceptes de la philosophie et de la justice n’attend plus que votre burin. Mais il ne faut pas que l’instruction ne soit l’apanage que de quelques hommes. Le despotisme, qui ne voulait point de lumières, ou qui dumoins ne voulait pas qu’elles devinssent générales, capitulait avec l’ignorance : il consentait quelquefois à laisser se développer l’instruction, à condition qu’elle ne fût destinée qu’à un petit nombre d’hommes, dont il espérait ne devoir rien craindre. Vous adopterez un système plus conforme à l’égalité et aux principes sacrés dont vos lois sont la conséquence; vous ne voudrez pas que le savoir soit dans les mains d’un petit nombre d’hommes un nouveau moyen d’en asservir d’autres. Il ne peut y avoir de liberté là où les éléments de toutes les sciences ne pourraient pas être la propriété de tous. Celui qui ne sait pas l’arithmétique, a dit, à cette tribune, un de nos prédécesseurs est dans la dépendance de celui qui en connaît les premiers éléments. On disait, dans l’ancien régime, que le peuple français était le plus éclairé de la terre; cela n’était pas exact ; il y avait en France des hommes les plus éclairés de l’univers; mais la masse du peuple n’était pas instruite, et c’est pour cela qu’elle n’a cessé d’être esclave que lorsque le fardeau de la tyrannie est devenu insupportable. Ce n’est pas parce qu’il y a des richesses colossales dans un Etat qu’il est opulent; c’est parce que tous les citoyens y sont dans l’aisance. Les lois civiles bien organisées doivent tendre à diviser les propriétés sans les enfreindre pour multiplier les propriétaires. Il faut donc aussi diviser la science qui est la plus précieuse des propriétés, afin que nul citoyen n’en soit tout à fait dépourvu. Tout homme doit savoir quelque chose chez un peuple qui ne veut reconnaître aucune espèce d’inégalité ; tout homme doit pouvoir tout apprendre chez une nation qui ne veut d’autre grandeur que celle du peuple, ni d’autre puissance que celle de la raison et de l’esprit. La nature crée les dispositions et distribue entre les hommes les premiers germes du talent; mais l’enseignement seul les développe et les fait tourner au bonheur de la société qui les accueille; il ne faut pas que ses bienfaits soient inutiles, et qu’un seul homme puisse être appelé vainement à une carrière plutôt qu’à une autre. Un empire où il se rencontre un seul individu dont le génie puisse être exposé à s’éteindre faute de culture n’est pas sorti de la barbarie, et peut encore offrir un champ où le despotisme peut germer. Un bon système d’enseignement est donc aussi nécessaire au maintien de la liberté et à la prospérité de l’État qu’un bon système de législation, ou plutôt il en fait partie, il en est le véritable complément, parce que les lumières doivent finir par être la seule puissance dominatrice de l’univers. C’est aux législateurs sans doute, non pas à révolutionner la science, je ne sais pas ce que ce mot veut dire, mais à en rendre les résultats usuels et à en fixer les théories. Vous l’avez senti, citoyens représentants, en adoptant avec empressement l’établissement des écoles normales, lesquelles, en donnant à ceux qui professent les véritables éléments de l’enseignement, fixent les produits de toutes les méditations humaines, et empêchent que l’esprit humain ne puisse jamais rétrograder. Vous compléterez ce beau plan en l’étendant à toutes les sciences. Il ne faut rien faire à demi pour un peuple dont la régénération est complète ; et le moyen de ne pas élever l’homme à toute la hauteur où il lui est donné d’atteindre serait d’apercevoir des limites au développement de ses facultés... Mais, en créant un nouveau système d’enseignement et d’instruction, en promulguant un nouveau code pour l’exercice de la raison humaine, vous ne dédaignerez point ce qui existait déjà, quand ce qui existait déjà peut être conservé avec avantage. Paris renfermait dans son sein un établissement d’autant plus précieux qu’il était le seul résultat de l’amour des sciences et des arts, et que, sans patentes, sans privilèges, sans récompenses d’aucune espèce, il rassemblait les plus précieux moyens de propager cette instruction qui n’est pas seulement destinée à la jeunesse, mais qui est propre à tous les âges, et dont l’effet peut, en dirigeant les pensées de ceux qui savent le mieux réfléchir, concourir d’une manière si efficace au perfectionnement du peuple entier. En 1786, c’est-à-dire quelques instants avant l’expiration de l’ancien régime, et au moment où les esprits, tourmentés par les derniers crimes du despotisme et agités par le besoin de la révolution qui devait naître, se dirigeaient naturellement vers tout ce qui pouvait accroître la masse de nos connaissances ; en 1786, des hommes alors considérables, mais qui, remis à leur place, ont paru depuis si petits, conçurent l’idée vraiment louable de réunir dans un même lieu tout ce qui, dans les arts et dans les sciences, pouvait être offert avec quelque succès à ce que l’on appelait alors les gens du monde et intéresser ceux qui pouvaient désirer le perfectionnement de ce qu’ils savaient déjà plutôt que les premières notions de ce qu’il importe à tous d’apprendre ; les hommes les mieux choisis dans les sciences et dans les lettres se chargèrent d’y professer les théories qu’ils avaient pratiquées, et l’on vit, pour la première fois peut-être, les arts enseignés par ceux mêmes qui s’y étaient le plus distingués. Il paraît à peu près certain toutefois que le but des fondateurs du Lycée, car c’est du Lycée républicain dont je parle, n’était pas de propager les lumières, mais de s’emparer de leur direction, pour en faire tourner l’influencé au maintien d’une autorité dont la philosophie et la raison réclamaient déjà si impérieusement l’anéantissement. Quoi qu’il en soit, c’est à cette époque qu’ils instituèrent le Lycée, où l’on admira bientôt la réunion et l’ensemble des cours d’enseignements les plus utiles et des leçons les plus intéressantes sur toutes les parties de l’instruction. Ces leçons, surtout celles qui avaient pour objet l’histoire et la littérature, ne tardèrent pas à déplaire aux despotes d’alors, dont les courti- 562 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sans s’aperçurent bientôt qu’il était plus facile de favoriser les progrès de l’esprit humain que d’en restreindre la direction; leur suppression fut plus d’une fois arrêtée dans les conciliabules de Versailles. D’Espremenil dénonça plus d’une fois au parlement le Lycée où La Harpe, en analysant Monstesquieu, osait combattre ses erreurs sur la monarchie, et où Garat, en traçant l’histoire des républiques anciennes, façonnait déjà nos âmes à l’énergie républicaine. Séguier prépara des réquisitoires, et Breteuil des lettres de cachet; mais l’opinion publique défendit le Lycée. On sentit dès lors la nécessité de le respecter, et l’on n’osa frapper un établissement auquel le public se portait en foule. Les fondateurs du Lycée l’avaient enrichi d’une bibliothèque composée des meilleurs livres, d’un superbe cabinet de physique et de tous les ustensiles nécessaires à l’enseignement de la chimie et le produit des souscriptions payées par ceux qui vouloient suivre les cours suffisait à ses dépenses ; il s’est entretenu ainsi, sans autre secours que lui-même, jusqu’au commencement de cette année, et il a eu les précieux avantages de traverser tous les orages révolutionnaires en conservant au milieu de nous le flambeau d’un enseignement d’autant plus précieux qu’il était presque unique. Mais le nombre des souscripteurs ayant essuyé une diminution progressive, l’administration qui n’a d’autre intérêt que l’amour des lettres, et dont tous les soins sont gratuits, est dans l’impossibilité de continuer à subvenir à des dépenses dont la source est excessivement diminuée; elle s’est adressée à la commission d’instruction publique et celle-ci n’a pas balancé d’exposer à votre comité la détresse où le Lycée se trouve, et de lui demander un secours pour lui. Votre comité a considéré qu’il ne s’agissait point ici de créer un établissement nouveau, mais d’empêcher l’un de ceux qui subsistent encore d’être irrévocablement anéanti, mais d’utiliser des sacrifices déjà faits pour le progrès des sciences et des lettres, mais de conserver pendant quelques instants encore, et pendant l’interrègne de l’enseignement, un asile où les beaux arts puissent rallumer le flambeau qui doit éclairer le reste du monde. Votre comité a donc cru que la munificence nationale devait soutenir le Lycée pendant cette année, puisque cette année ne ressemble à aucune de celles qui lui succéderont. Il s’est fait rendre compte de l’état de situation où cet établissement se trouve, et il en résulte que les dépenses s’élevaient annuellement à 39755 L, tandis que la recette n’est que de 17750 L; il existe donc un déficit d’environ 20 000 L que votre comité vous propose de combler, afin que la nécessité de satisfaire à ses engagements ne force pas l’administration de le dissoudre et d’employer à sa liquidation les valeurs qu’elle possède tant en livres qu’en machine de physique. Ainsi, par une somme de 20000 L, vous laisserez à la République la jouissance de cabinets infiniment précieux, lesquels, sans être sa propriété, n’en sont pas moins consacrés à son utilité journalière. Votre comité ne vous proposera pas même de donner cette somme d’une manière purement gratuite; il sent que vos bienfaits cesseraient d’être une justice si vous ne les appliquiez de la manière la plus utile au peuple que vous représentez; il vous proposera de recevoir en échange un certain nombre de souscriptions qui seront distribuées aux citoyens peu aisés, et qui contribueront par là à étendre l’instruction sur la classe qui peut se la procurer avec le moins de facilité. Voici le projet de décret : La Convention nationale décrète : Article premier. - Il est accordé aux administrateurs du Lycée républicain une somme de 20000 L à titre d’encouragement, et pour subvenir aux frais de cet établissement. La commission nationale de l’Instruction publique est autorisée à faire payer cette somme aux administrateurs. Art. IL - Il sera remis à la disposition de la commission d’instruction publique quatre-vingt-seize billets d’admission aux cours qui doivent être faits par les différents professeurs du Lycée. Art. III. - La commission d’instruction publique prendra les mesures les plus convenables pour en faire une distribution égale dans les quarante-huit sections de Paris, aux jeunes gens qui, par leurs talents, leurs dispositions et leur civisme, se seront rendus dignes de cet encouragement. Art. IV. - Le présent décret ne sera point imprimé. 45 [Les administrateurs du district de Dourdan, Seine-et-Oise, à la Convention nationale, le 3 brumaire an IIT\ (134) Liberté, Egalité. Citoyens Représentans, Votre adresse au peuple français a fixé le but du gouvernement révolutionnaire dont des tigres altérés de sang et des insensés furieux dirigeoient l’action de manière à étouffer au milieu de nous tous les sentimens de la nature, à jetter un voile funèbre sur la patrie, et elle est une nouvelle garantie de votre dévoûment à la cause sacrée de la Révolution, si souvent trahie par les délires féroces de l’aristocratie et de la soif du pouvoir. Anathème aux tyrans et aux aristocrates de toute espece, la Liberté, l’Egalité, la Justice sont dans la nature : quiconque viole ces principes, attaque le principe des choses, est un monstre. (134) C 324, pl. 1394, p. 15. La mention honorable et l’insertion au bulletin sont indiquées en marge.