484 [Convention nationale. | duite et je leur offrirai des preuves convain¬ cantes en ma faveur. Mais j’invoque le témoi¬ gnage du vertueux Couthon qui nous préside en ce moment. Qu’il dise si, lorsque je coopérai avec lui à la rédaction de la Déclaration des droits et de la Constitution, je n’ai pas toujours recherché avec zèle les principes et les idées les plus démocratiques, les plus populaires, les plus convenables à la dignité de l’homme, et les plus propres à assurer le bonheur de la société. Oui, mes plus chères affections, ma vie appartiennent à la Constitution et à la République; et je serais le dernier des hommes, j’en serais le plus stupide, si je pouvais conserver des liaisons criminelles à côté des souvenirs que je viens de rappeler. (Applaudi.) La Convention passe à l’ordre du jour sur l’offre que Hérault a faite de sa démission, et décrète l’impression de son rapport sur la mission qu’il a remplie. II. Compte rendu du Journal de la Montagne (1). Hérault de S échelles obtient la parole. Pendant que les troupes du Rhin vous font part, chaque jour, de leurs nouveaux succès, dit-il, je vous dois un compte détaillé de la mission que j’ai remplie sur cette frontière. Les communications extérieures interrompues, les administrations renouvelées, les Sociétés populaires épurées, le crédit rendu aux assignats, l’esprit public ranimé et élevé à la hauteur révolutionnaire, tels ont été les effets des soins que le comité de Salut public en avait prescrits. J’en déposerai les preuves dans le rapport que je me propose de faire imprimer, pour économiser le temps de la Convention. Après cet aperçu général, qu’il me soit permis de répondre aux inculpations dirigées contre moi, a cette tribune même. On a dénoncé mes liaisons avec Pereyra, Dubuisson et Proly. Je n’ai pas parlé plus de quatre fois aux deux pre¬ miers; à peine les connais-je. J’ai rencontré plus souvent Proly; mais il était difficile de fréquenter les patriotes les moins suspects, sans le trouver avec eux. On leur reproche, dit-on, des mesures ultra-révolutionnaires. Dans ma mission, je me suis conformé d’avance aux maximes du gouver¬ nement révolutionnaire, parce que je connaissais l’esprit dont le comité de Salut public était animé; j’ai dû me faire de nombreux ennemis. J’ignore ce que mes arrêtés peuvent avoir de commun avec la conduite d’hommes, à qui je n’ai pas écrit une seule fois pendant une absence de huit mois. On les accuse de chercher à détruire la Révolution, en exigeant les moyens de la consolider Certes après les preuves d’un patriotisme ardent et qui ne s’est jamais démenti, je dois m’étonner d’avoir à repousser un pareil soupçon ; mes plus chères affections, mon être entier sont attachés au sort de la liberté; mes calomniateurs eux-mêmes n’en doutent pas. Ils me reprochent mes liaisons. Je n’eus qu’un ami, comme moi, occupé avant la Révolution à lutter sans cesse contre le despotisme parle* mentaire : C’est toi, o vertueux Lepeletier ! Dès (1) Journal de la Montagne [n° 47 du 10 nivôse an II (lundi 30 décembre 1793), p. 375, col. 2]. 0 nivôse an II 29 décembre 1793 l’âge de six ans, nos sentiments furent les mêmes. Le même amour de la patrie embrasait nos cœurs. Tu as eu la gloire de mourir pour la Répu¬ blique; mais du moins tu ne fus point en butte au poignard d’un républicain. Citoyens, si mes détracteurs ont réussi à vous inspirer quelques doutes sur la pureté de mes sentiments, si le plus léger nuage ternit, à vos yeux, mon patriotisme, un autre doit me remplacer au comité de Salut public. Acceptez ma démission. Plus assidu au milieu de vous, il ne me sera pas difficile de faire tomber une injuste prévention. Plusieurs membres. Nous n’en avons point. L’orateur insiste pour que la Convention soit consultée. L’ordre du jour est adopté au milieu des plus vifs applaudissements. m. Compte rendu du Journal de P erlet (1). Hérault de Séchelles a la parole. On m’a dé¬ noncé, dit-il, pour mes prétendues liaisons avec Proly, Pereyra et Dubuisson. Quant aux deux derniers, je les ai vus seulement quatre ou cinq fois et je les connais à peine. Pour Proly, je l’ai rencontré pins souvent; mais je n’ai jamais eu aucune liaison intime avec lui. Depuis l’âge de six ans, je n’ai eu qu’un seul ami, et le voilà. (Il montre le tableau de Lepeletier.) Si quelques membres . de la Convention me voient avec une sorte d’inquiétude au comité de Salut public, je dois disparaître devant l’intérêt de tous, et je prie mes collègues de vouloir bien accepter ma démission de membre de ce comité. Alors, rentré dans le sein de l’Assemblée, on me jugera par mes actions. J’appelle le témoignage du vertueux Couthon qui nous préside : mes plus chères affections appartiennent entièrement, irrévocablement à la République. Dans le cours de ma mission dans le Haut-Rhin, j’ai épuré les autorités constituées, fait incarcérer les aristocrates, anéanti les modérés ; j’ai fait triompher les principes révolutionnaires sans les outrepasser. Je n’ignore pas qu’on m’a encore calomnié; mais je suis fort de mon patriotisme invariable et de mon innocence. Que ma conduite soit examinée par tel comité qu’il vous plaira déterminer; ou, si vous l’aimez. mieux, permettez-moi de faire passer sous vos yeux, par la Voie de l’impression, les moindres circonstances de ma conduite pendant tout le temps de ma mission. La Convention décrète cette dernière de¬ mande. Elle passe à l’ordre du jour sur la. démission proposée et ordonne l’insertion au Bulletin de la justification d’Hérault de Sé¬ chelles. IV. Compte rendu du Mercure universel (2). Hérault de Séchelles. Lorsque les despotes coalisés s’efforcent d’attenter aux droits du (1) Journal de Perlel [n° 464 du 10 nivôse an II (lundi 30 décembre 1793), p. 236], (2) Mercure universel [10 nivôse an II (lundi 30 décembre 1793), p. 159, col. 1], ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ® Membre "iSS 485 peuple, ses armes victorieuses leur sont un sûr garant de ce que peut le génie de la liberté. Dans le département du Bas-Rhin, j’ai fait exécuter les mesures révolutionnaires; les gens suspects ont été mis en arrestation; les autorités constituées ont été épurées; l’esprit public régénéré; je suis parvenu à rétablir la confiance dans les assignats. Partout, j’ai rétabli l’ordre, -et Strasbourg est maintenant à la hauteur de la Révolution. Qu’il me soit permis d’ajouter un mot sur ce -qui me concerne en mon absence. J’ai été attaqué dans cette tribune; l’on m’a accusé d’avoir eu des rapports avec des hommes traités comme suspects; l’on a dit que j’avais été lié avec Dubuisson, Pereyra et Proly. Quant à Dubuisson et Pereyra, je les ai vus quatre à ■cinq fois avant qu’ils fussent prévenus d’avoir des vues qui les fît soupçonner d’être liés avec les ennemis de la République; quant à Proly, je l’ai vu plus souvent parmi quantité de patriotes, mais beaucoup moins que d’autres; je n’ai ja¬ mais remarqué en lui de sentiments qui fussent contraires à l’intérêt de ma patrie. Si j’en eusse .aperçu de semblables, certes, je n’aurais pas balancé aie dénoncer. Mais j’observerai que j’ai, durant cette année, à peu près été six mois dans le département du Mont-Blanc et deux dans le département du B as-Rhin. Je n’ai donc pu, durant ces huit mois, avoir des relations avec les individus auxquels on veut que je sois lié. On les accuse par la chaleur ou l’exagération de leurs opinions, d’être ultra-révolutionnaires; mais dans le comité de Salut public et dans tous les lieux où je me suis trouvé je ne me suis jamais écarté de cette chaleur républicaine qui hâte et mûrit la raison, sans la compromettre. O toi, immortel Lepeletier, toi dont je fus l’ami, le compagnon, dès l’âge Je plus tendre; toi, dont je ne me séparai jamais dès l’âge de six ans, et qui fus, comme toi, victime des persécutions parlementaires; toi, qui mourus pour ta patrie, comme toi aussi, je me précipiterai, s’il le faut, à ton exemple; mais fallait-il que je fusse assassiné par le poignard d’un républicain ! J’ai reçu le jour d’une caste privilégiée; voilà mon crime. S’il est quelqu’un de mes collègues qui pense que je ne doive pas rester au comité de Salut public, je demande à être remplacé et que ma conduite, durant ma vie entière, soit examinée. Toutes mes affections, mon existence, ma vie, sont attachées ici; et il faudrait que je fusse le plus lâche et le plus stupide des hommes, si je pouvais avoir une seule idée, un seul sentiment, qui ne fut pas pour ma patrie. (Vifs applaudis¬ sements.) ANNEXE N° ® A la séance de la Convention nationale du 9 nivôse an 11 (Dimanche 39 décembre 4793.(1). 'Rapport de Hérault, député, sur sa mission dans le Haut-Rhin. (Imprimé par ordre de la Convention nationale (2). Des représentants du peuple avaient parcouru (1) Voy. ci-dessus, même séance, p. 464, le rapport verbal fait par Hérault de Séchelles sur sa mission dans le Haut-Rhin. (2) Bibliothèque nationale, 42 pages in-8° Le3” récemment le Haut-Rhin : les principales opé¬ rations de ces estimables montagnards avaient été toutes militaires. L’approvisionnement des places et la défense du pays réclamaient, en effet, leurs premiers soins. Bientôt la guerre les appela dans la contrée inférieure : le Haut-Rhin fut abandonné à lui-même. On y sentit alors la République s’affaiblir. Les symptômes étaient inquiétants : nulle vigueur dans l’exécution des lois; reçues tard, traduites lentement dans l’idiome du pays, distribuées avec négligence, appliquées avec mollesse, peut-être n’existait-il point de dépar¬ tement pour lequel il pressât davantage que le comité de Salut public proposât à la Conven¬ tion ce mode qui va répandre d’un bout de l’empire à l’autre, et vivifier partout les décrets, presqu’au même instant où ils émanent de la représentation nationale. A cette première cause, ajoutez la lutte funeste de la cupidité. Le maximum et la taxe étaient méconnus. Les denrées manquaient, on ne voulait point d’assi¬ gnats, si ce n’est à des conditions exorbitantes ; partout la disette entre les amas du besoin et les accaparements de l’avarice. L’agiotage des Juifs dévorait les campagnes. Le devoir sacré d’entretenir nos braves défenseurs sur les bords du Rhin, la nécessité de tout porter à deux armées, épuisait jusqu’aux départements d’alen¬ tour. Les manœuvres extérieures, la conjuration intérieure minaient sourdement : l’Autriche et Pitt, plus exercés aux perfidies qu’aux victoires, redoublaient d’activité. L’ancien ré¬ gime faisait intriguer par ses valets restés sur lés lieux. Le fanatisme faisait tourmenter les familles par la religion constitutionnelle. La liberté s’éteignait de toutes parts; et, contre tant de maux, quels remèdes? Des adminis¬ trations faibles, inférieures aux dangers; des comités de surveillance manquant dans beau¬ coup d’endroits, illégalement établis dans d’autres, et substituant trop souvent leurs méprises à la volonté de la loi. Enfin, des patriotes en minorité, dans la solitude, déses¬ pérés. Dans cette extrémité, quelques Sociétés populaires élevèrent la voix; une députation partit pour le comité de Salut public. Envoyé pour prendre toutes les mesures de sûreté géné¬ rale dans le département du Haut-Rhin, j’ai senti que si je'n’ étais point, comme les députés en mission dans le Bas-Rhin, appelé au bonheur de repousser avec les volontaires, nos braves frères d’armes, ces hordes ennemies qui infes¬ taient le sol de la liberté depuis Landau jusqu’à Strasbourg, depuis le Fort-Vauban jusqu’à Saverne, je n’avais pas à faire une guerre moins active à la conspiration qui pouvait aliéner le pays, et livrer à l’Autriche le reste de la ci-devant Alsace, de cette belle contrée que la nature et l’art ont fortifiée de concert, et qui, de l’aveu des plus habiles militaires, est capable d’opposer à nos ennemis une telle résistance, qu’il n’y a que les intelligences criminelles et les viles trahisons qui puissent la compromettre. Séparé de la partie militaire, par mon objet qui tenait uniquement à la Révolution et à la sûreté, j’ai cependant vécu sans cesse au milieu des détails de l’administration militaire; n° 52. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 7, n° 12.