V 736 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1790.] payer au fur et à mesure qu’ils recevront, et par numéros des ordonnances qui seront délivrées par les directoires de département, les sommes qui y seront portées; et, s'il ne se trouvait pas de deniers dans leur caisse, il sera pourvu, par le directoire du département, à ce qu’il soit fait des versements d’une caisse de district à une autre de son ressort, et par l’Assemblée nationale, lorsqu’il s’agira du ressort d’un autre département. Art. 41. Le payement des traitements, pensions ou gratifications sera fait pour l’année 1791 et les suivantes, conformément à l’article 38 du décret du 24 juillet dernier ; et ceux qui changeront de domicile seront tenus d’en faire leur déclaration au secrétariat tant du district qu’ils quitteront, que du district où ils iront demeurer; iis seront tenus, en outre, quand ils ne recevront pas eux-mêmes, de faire présenter, par leur fondé de procuration, un certificat de vie qui leur sera délivré sans frais par les officiers de leur municipalité. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du jeudi 12 août 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures précises du matin. M. Coster, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du mercredi 11 courant au soir. M. Bouttevllle-Dumetz, autre secrétaire , lit le procès-verbal de la séauce du mercredi 11 août au matin. Il ne se produit aucune réclamation. M. le Président lit une lettre de M. de Mon-talembert qui prie l’Assemblée de lui conserver sa pension, prix de soixante ans de services et de quelques travaux qui n’ont pas été infructueux. M. Rewbell, secrétaire , donne lecture : 1° d’une lettre datée de Slenay, le 7 août courant, signée Laignez, officier d’infanterie, directeur des postes à Stemiy, pour son épouse; au bas de la page est écrit à M. le comte d’Ogny. 2° d’u e lettre datée de Paris le 11 août, adressée à M. le Président; signée de Rigoley. L’ohjet de ces lettres est rie prévenir l’Assemblée que le nommé Pascin, messager, portant quatre lettres à la oste de Stenay, a été arrêté par la municipalité e Bilan, que les lettres ont été décachetés et que le messager a été menacé d’être fouillé toutes les fois qu’il passerait. M. Prieur. Je suis loin d’approuver la conduite de la municipalité de Balan. Cependant ii s’en faut de beaucoup que ce soit pour iniervertir l’ordre public que cette municipalité se soit comportée de la sorte. On a jete l’alarme dans le canton en prétendant que les troupes aulri-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. chiennes étaient prêtes à fondre sur la France et qu’elles devaient y pénétrer par leur pays: ce hruit s’est tellement accrédité dans la contrée que tous les habitants se sont mis en état de défense. C’est donc un excès de zèle qui a fait agir la municipalité de Balan. Je demande que M. le Président soit chargé d’écrire à celte municipalité, pour lui témoigner combien l’Assemblée a appris avec peine le fait qui lui a été dénoncé et pour l’éclairer sur les funestes effets de sa conduite. M. de Custine. Je propose de renvoyer cette affaire au directoire du département. M. Georges. L’acte de la municipalité est une simple imprudence. M. Malouet. Je propose de charger le comité de Constitution de présenter, sous huitaine, un projet de décret sur l’inviolabilité des lettres. Un membre. Le décret existe. M. Malouet. Il faut, eu ce cas, appliquer les dispositions du décret à la municipalité de Balan. Comme la violation du secret des lettres serait un crime de la part des agents du pouvoir exécutif, s’en est un aussi de la part des municipalités. On demande le renvoi au comité des recherches. Ce renvoi est prononcé. M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire (1). M. Thouret, rapporteur. J’espérais vous mettre aujourd’hui sous les yeux le titre xm qui concerne les juges pour le contentieux de l’administration et de L’impôt", mais pour cela il nous fallait une conférence avec les membres du comité d’imposition. M. de La Rochefoucauld m’a dit que le comité n’avait point encore arrêté sou opinion, et que l’importance des travaux du comité rendait l’entrevue impossible; je oe puis donc vous présenter que ce qui concerne ie tribunal de cassation. M. Defermon. L’opinion du comité est arrêtée, et on peut actuellement décider qu’il n’y aura pas de tribunal d’imposition. M. Thouret. Cette question présente un véritable intérêt; et comme notre travail n’exige pas que ce soit aujourd’hui que l’on prenne un parti, je persiste à demander que l’ou attende les conférences des comités et que l’on passe en ce moment à la discussion du titre X du tribunal de cassation. Geite proposition est adoptée. M. Thouret, rapporteur. Il y a deux parties principales dans le titre du tribunal de cassation : l’article 1er jusqu’à l’article 8 est relatif à la compétence et à la composition de ce tribunal. Les autres articles concernent le mode de sa formation et la part que le roi doit y avoir; il faut que ces deux parties soient discutées séparément. Je me borne dans ce momeut à la compétence et à la (1) Voyez le nouveau projet sur l’ordre judiciaire, Archives parlementaires, tome X, page 735. 787 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1790.] formation de ce tribunal. Il sera composé d’une chambre sédentaire à Paris et de six chambres sédentaires dans les différentes villes du royaume. La chambre sédentaire, à Paris, prononcera sur l’admission des requêtes en cassation, ainsi que sur le fond de celles qui auront été admises, sans pouvoir jamais prononcer sur le fond même du procès. Les six chambres sédentaires, dans les arrondissements, recevront les requêtes en cassation et les enverront, ainsi que les pièces du procès avec leur avis, à la chambre sédentaire à Paris. L’instruction des demandes en cassation qui auront été admises se fera devant elles, et, après l’instruction finie, elles renverront l’affaire à la chambre sédentaire, à Paris, pour y être jugéé. Le comité s’est déterminé à ce plan après d’amples réflexions ; c’est le seul qui, en conservant la pureté des principes, sauve les inconvénients de l’exécution. Le tribunal de cassation n’est point établi pour les particuliers seulement, mais sur un motif d’intérêt public, qui ne peut être que celui d’arrêter les diverses interprétations de la loi. Pour cet effet, il faut qu’il soit un, car, s’il y en avait plusieurs, les mêmes causes produiraient bientôt les mêmes effets. Il ne doit donc y avoir qu’un seul tribunal revêtu du pouvoir de casser les jugements en dernier ressort. Un seul tribunal, placé dans la capitale, a l’inconvénient d’être inaccessible au grand nombre ; et non seulement il serait inutile aux provinces, mais il pourrait servir à la mauvaise foi des riches pour opprimer le faible; ces inconvénients, si l’on ne parvenait à les faire disparaître, donneraient à cette institution un effet inconstitutionnel; car ce qui, dans la théorie, doit être utile pour tous ne servirait qu’au plus petit nombre. Il ne faut pas cependant chercher une manière qui ne laisse rien à désirer, car je crois qu’on aura toujours à faire de fortes objections. Le bon parti est celui qui concilie le mieux tous les intérêts. Quelles sont les objections? Il pourrait s’établir entropies chambres d’arrondissement une coalition dangereuse. Considérez ce que le comité vous propose, et vous verrez que cette frayeur est vaine. Il n’y aura dans tout le royaume que six chambres d’arrondissement; chaque chambre sera composée de trois juges. Il est impossible qu’ils acquièrent jamais une grande popularité ; la crainte qu’ils ne s'agrandissent étendra sur eux une surveillance perpétuelle: d’ailleurs, ils seront réduits à la fonction d’instruire, sans jàmais pouvoir juger le fond des procès. La connaissance qui leur sera accordée des requêtes civiles contre les jugements en dernier ressort, est un contre-poids pour les autres tribunaux. Peut-être, dira-t-on aussi, qu’au lieu de mettre les tribunaux de cassation à portée des citoyens, on doit les en écarter. En ce cas, vous ne l’auriez établi qu’eu faveur du riche; ce serait une verge dont il se servirait pour frap-er le faible. Il y a de l’inconvénient, dira-t-on, ce que l’instruction se fasse devant d’autres juges que ceux qui prononceront. En la réduisant à ce qu’elle aoit être, je dis que cela n’est pas vrai. Ce n’est point une discussion pour l’intérêt privé, c’est la recherche d’une contravention à la loi ; et si l’on pouvait juger sans que les parties fussent entendues, notre intention n’en serait que mieux remplie. Ce sont là, Messieurs, les motifs qui ont déterminé le comité; c’est à vous à juger du degré de confiance qu’ils méritent. M. Ic Président annonce que deux avocats iro Série. T. XVII. anglais,1 MM. Erskine et Bond, demandent la permission d’assister à la séance pour suivre la discussion qui va avoir lieu. L’Assemblée autorise leur admission. M. le Président les fait placer à la barre. M. Oossin (1). Messieurs, on a reconnu la nécessité de créer une cour suprême pour exercer les fonctions qui ont été attribuées jusqu’à présent au conseil privé du roi. Le comité de Constitution propose d’établir sept chambres de ce même tribunal, dans différentes villes, pour l’instruction des requêtes qui seront admises. Je me propose, Messieurs, de démontrer les inconvénients de ces sections; mais je crois d’abord devoir indiquer les principes généraux sur l’unité d’un tribunal de ce genre. Quand l’Assemblée nationale a décrété que les jugements contraires aux lois pourraient être attaqués par la voie de la cassation, elle a décidé implicitement que la Cour de cassation serait unique et indivisible. Pour s’en convaincre, il ne faut que suivre sa marche dans rétablissement des bases de l’ordre judiciaire; elle n’a point admis l’ambulance des juges et les assises; et elle n’a pas cru devoir réduire l’ordre judiciaire à un seul degré de juridiction, parce qu’elle a pensé que si ces modes eussent été préférables dans une société neuve et dont la législation fut simple, ou pour un peuple agricole, ils ne convenaient pas dans une société vieillie, altérée par le jeu de toutes les passions, dont les liaisons de commerce s’étendaient à tous les objets de l’industrie humaine et engendraient un nombre infini de contestations qui compromettentla fortune et la liberté. L’Assemblée nationale a donc établi deux degrés de juridictions. Mais là est le terme immuable du pouvoir judiciaire et de la faculté de plaider. Les décisions des tribunaux d’appel sont souveraines; les droits et les intérêts y sont fixés d’une manière invariable. Si ce principe est vrai, le tribunal de cassation n’est point tribunal de justice ; le but et l’objet de son établissement ne sont pas d’ouvrir aux plaideurs une voie nouvelle pour remettre en question ce qui a été souverainement et irrévocablement jugé. Cette Cour est donc uniquement instituée pour annuler les actes judiciaires contraires aux lois, c’est-à-dire pour veiller au maintien de la Constitution et des lois de l’Etat, pour réprimer les infractions qui pourraient y être faites; dès lors, ce n’est pas l’intérêt des plaideurs, mais l’intérêt de la loi qui est l’objet de son institution. Une demande en cassation est donc une action étrangère à l’ordre judiciaire; c’est la dénonciation d’une contravention à réprimer. Elle n’a pour objet, dans les vues de la Constitution, que de venger la loi violée par les juges en dernier ressort. Si l’arrêt est cassé, le plaideur en profite pour faire rentrer dans l’ordre judiciaire la question déjà jugée en dernier ressort; mais ce n’est pas pour lui que la Constitution a créé ce moyen/ On ne pourra maintenir cette Constitution et les lois de l’Etat que par des vues uniformes, par des principes invariables et par leur application constante à ce seul objet; tout cela ne se conci-(1) Le Moniteur no donne qu’une courte analyse du discours de M. Gossin. 4/ 738 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1790.] lierait jamais avec plusieurs majorités de suffrages qui n’auraient entre elles aucune communication : la majorité d’un tribunal suprême ne pouvant s’accorder évidemment .avec les majorités de tous les autres. Il faut donc que le tribunal de cassation soit unique. Le prétexte qui a fait imaginer la division du tribunal de cassation en sept sections, est l’éloignement d’une Cour unique et le déplacement des justiciables. Pour prévenir cet inconvénient, l’article 4 du projet du comité dit : « que les chambres séden-« taires, dans les arrondissements, recevront les « requêtes en cassation et les enverront, ainsi