SÉANCE DU 22 FRUCTIDOR AN II (8 SEPTEMBRE 1794) - N° 48 371 bras vigoureux qui fertilisoient vos terres s’étoient un moment paralysés, que seriez-vous devenus ? Sans doute la nécessité vous eût contraints au travail. Eh bien ! tous les bras vont être paralysés pour vous; et si l’amour de la patrie ne peut vous utiliser, vous travaillerez pour l’amour de vous-mêmes. Chez les Romains, les plus grands hommes cultivoient la terre : ils étoient alternativement sénateurs, artisans, généraux et laboureurs. Ainsi, parmi nous, il faut trouver à la charrue et dans les ateliers, des citoyens propres à remplir toutes les fonctions publiques : il faut que le fonctionnaire public, à la fin de sa carrière politique, rentrant sous le chaume ou dans un grenier, puisse encore être utile à la société. Quel beau spectacle doit offrir la République française ! on ne verra plus de ces oisifs inso-lens qui insultoient autrefois l’homme laborieux et modeste. Tous les français, devenus réellement des frères, s’aideront réciproquement dans leurs travaux; ils confondront leurs volontés et leurs talens pour le bonheur de la famille. Ainsi, tandis que sur les frontières une partie du peuple cueille des lauriers qui appartiennent à tous; tandis que les artisans des villes forgent des instruments terribles aux despotes et préparent des vêtements pour tous; tandis que des hommes probes font transporter du Nord au Midi, et du Levant au Couchant des denrées nécessaires à tous, les habitans des campagnes sillonnent et fertilisent la terre, pour les besoins de tous. Que je vous plains, vous qui ne sentez pas d’avance le bonheur que promet la communauté républicaine ! Celui qui n’est point utile à la société, lui est nuisible : l’oisiveté est un crime. La patrie ne reconnoit pour ses enfans que ceux qui viennent à son secours. Dans le projet de distribution des domaines nationaux, j’excepte expressément cette portion déjà si légitimement aliénée, cette portion que vous avez promise aux défenseurs de la patrie; je demanderai même que dès à présent vous les fassiez jouir de la propriété qui leur est due : c’est en attachant les braves qui couvrent nos frontières au sol qu’ils défendent, que vous allez doubler leur énergie, et les rendre invincibles. Je demanderai que ces républicains vertueux, couverts des blessures qu’ils reçurent en combattant pour la liberté, que les veuves et les enfans de ceux qui sont morts pour la République, reçoivent une portion de domaines nationaux. Législateurs, c’est en associant à vos travaux la masse pure des citoyens, que vous devenez plus terribles pour vos ennemis. Jusqu’à ce moment, disons-le avec franchise, le bonheur n’a encore existé que dans l’avenir : hâtons-nous de le mettre à la disposition du peuple. Que pourront les conspirateurs sur l’opinion publique, lorsque chaque citoyen sentira les bienfaits de la révolution ? La liberté et vos intentions ne pourront plus être calomniées : le peuple n’aura plus de doute sur ses amis et sur ses ennemis; il bénira les uns et punira les autres. Les espérances des ennemis de la République seront anéanties le jour où tous les français, occupés du bonheur commun, mettront en pratique la fraternité. Citoyens laborieux et indigens, vous qui cultivâtes sans relâche une terre si longtemps ingrate; vous qui, toujours amis de vos semblables, connoissiez et pratiquiez la fraternité avant même que la philosophie eût dit que les hommes étoient frères; vous, les membres les plus précieux de la société, habitans des campagnes, artisans des villes, la République juste vient récompenser vos vertus; elle vient corriger des hasards dont vous avez si longtemps été les victimes: vous aurez une propriété territoriale. Défenseurs de la patrie, vous dont les facultés sont dévouées à la cause commune; vous dont le sang a coulé pour la République; vous qui, fidèles à vos sermens, n’abandonnerez votre poste qu’après avoir affermi l’égalité et la liberté, achevez votre ouvrage; la patrie recon-noissante vous tresse des couronnes; elle vous prépare des retraites honorables; vous aurez des chaumières, vous serez heureux. Projet du décret. La Convention nationale décrète : ART. I. Les domaines nationaux ne peuvent plus être vendus à l’enchère et par adjudication; ils seront aliénés d’après les dispositions suivantes. II. Une portion des domaines nationaux sera distribuée en témoignage de la reconnoissance publique, à ceux des défenseurs de la patrie, leurs veuves et leurs enfans, qui ont droit à ces secours, conformément à la loi du ........ Le surplus de ces biens sera aliéné aux républicains non propriétaires, ou petits propriétaires, aux conditions suivantes. III. Tout citoyen non propriétaire, ou petit propriétaire qui voudra entrer en possession d’un bien national, contractera l’obligation de payer chaque année, pendant vingt ans, le vingtième du prix principal de la portion dont il devra être propriétaire, d’après l’estimation qui en aura été faite. IV. Les administrations de district feront estimer par arpent tous les biens nationaux non vendus qui se trouvent dans l’étendue de leur territoire. V. Les agens nationaux près les districts adresseront, dans le plus bref délai, aux comités de Salut public et d’Aliénation de la Convention nationale, l’état sommaire des biens non vendus situés dans leurs arrondissements respectifs. VI. Les comités de Salut public et d’Aliénation présenteront incessamment à la Convention nationale un projet de décret, 1) sur le mode de distribution à faire des biens nationaux aux défenseurs de la patrie, à leur veuves et à leurs enfants; 2) sur le mode d’aliénation aux républicains non propriétaires ou petits propriétaires (94). On demande l’impression du discours de Fayau. (94) Débats, n° 723, 452-458. Moniteur, XXI, 746-748. C 318, pl. 1 284, p. 46.