388 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 octobre 1789.1 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE CHAPELIER. Séance du vendredi 9 octobre 1789, au matin (1). M. le vicomte de Mirabeau, secrétaire , lit le procès-yerbal des séances de la veille. M. Périsse du Lue se plaint de l’imprimeur et de ce que l’adresse aux commettants est sans date. M. Démeunier observe qu’il faut décréter que l’imprimeur ne pourra rien imprimer sans l'agrément exprès du bureau, car c’est sans l’agrément des secrétaires qu’il a imprimé l’adresse aux commettants. M. le comte de Mirabeau déclare que c’est lui qui a corrigé les épreuves. M. le vicomte de Mirabeau prétend que l’impression aurait dû être faite conformément à la minute signée par lui en qualité de secrétaire. On discute ensuite sur la date à donner à l’adresse. L’Assemblée ayant été aux voix décrète que l’adresse sera réimprimée à la date du 3 octobre, jour où elle a été lue pour la première fois. M. Target demande si le comité des subsistances s’est occupé de l’instruction populaire et familière destinée à instruire le peuple du danger des moyens c{u'il emploie pour se procurer des subsistances. M. le Président répond que c’est au président à écrire une lettre circulaire, et qu’il n’y a pas d 'instruction populaire à écrire. M. le Président, auquel beaucoup de membres ont demandé des passe-ports, demande à être autorisé, soit à les signer, soit à refuser sa signature. Cette demande occasionne beaucoup de murmures dans l’Assemblée. M. de Montboissier fait la motion expresse que l’Assemblée, à raison de la suprématie de ses pouvoirs, emploie tous ses moyens pour veiller à la conservation individuelle de tous ses membres. M. liavic demande que l’on ait recours à tous les moyens possibles et convenables pour empêcher MM. du clergé d’être insultés. M. Bigot de 'Vernière. La terreur du clergé est une terreur panique. L’honnête homme, quelque robe qu’il porte, est partout respecté, et à Paris plus qu’ailleurs. M. Popiilus dit que l’on doit veiller à la conservation de tous les membres. Cela est prudent, mais il ne peut exiger une garantie ; nous sommes envoyés ici contre les ennemis de l’Etat, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. comme des soldats à l’ennemi : nous ne pouvons pas plus qu’eux demander une garantie ; nous serions aussi coupables d’abandonner l’Assemblée nationale, que des soldats de quitter leur drapeau. M. Regnaud (de Saint-Jean d'Ançjely) appuie cette opinion. Tout membre, dit-il, doit être immobile dans l’Assemblée. (On rit de l’expression ; on applaudit au principe.) M. Lanjuinaig. Je pense que le président ne doit donner aucun passe-port sans des motifs puissants et légitimes. 4 M. de Montlosicr. Quand les membres de l’Assemblée ne sont pas en sûreté, ils reprennent le droit naturel de veiller eux-mêmes à leur conservation ; l’Assemblée doit donc s’occuper des moyens d’assurer le sort de tous ses membres. i M. Populug. Nous avons juré de ne pas nou$, séparer que la Constitution ne soit faite ; sang doute nous devons tous être fidèles à ce serment, nous devons même rester réunis jusqu’à ce que le calme soit rétabli. M. Démeunier. Je demande qu’on renouvelle la déclaration de l’inviolabilité des membres de* l’Assemblée, et je pense qu’on doit exiger une garantie. * M. Popnlug. Lorsque les défenseurs de la patrie vont à l’ennemi, ils ne demandent pas de garantie pour leur vie; ils ne doivent pas quitter leurs drapeaux, nous ne devons pas quitter l’Assemblée. M. Treilhard. On ne s’éloigne de l’Assemblée� quand on n’a pas de raisons légitimes, que par des motifs coupables ; je demande, non-seulement qu’on ne donne point de passe-ports, mais qu’on retire ceux qui ont été donnés. M. le baron de Marguerites. On ne peut refuser dcs.passe-ports sans violer la liberté individuelle. Si l’on retire les passe-ports, je demande que1’ tous ceux qui attenteront à la liberté des députés, ou qui les insulteront, soit par des actions?1 soit par des paroles, soient déclarés coupables du crime de lèse-nation. M. Démeunier. Vous avez décrété l’inviolabilité des députés; si un peuple égaré osait transgresser ce décret, nous mourrions mille fois plutôt que de ne pas demander vengeance. Renouvelons donc ce décret, et prenons ici l’engagement sacr4 de faire punir quiconque osera attenter à la liberté de quelque membre de l’Assemblée. M. de Bougmard. Les considérations qui viennent de vous être exposées suffisent pour fixer et retenir dans votre sein les gens courageux et amis du bien public ; un nouveau décret sur leur inviolabilité annoncerait qu’on les retient par force ; si quelques-uns se retirent, la perte ne sera pas grande. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le comte de Mirabeau. Un de vos décrets a déjà déclaré l’inviolabilité de vos membres ; mais il me semble qu’on ne se fait pas une* % [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 octobre 1789.] 389 idée jusle du mot inviolabilité ; ce mot ne peut s’entendre que pour les poursuites judiciaires ou ministérielles ; toute autre inviolabilité ne peut être prononcée. Quelle différence peut-il exister entre nous et un citoyen quelconque ? on ne peut 'en insulter aucun. Vous voulez défendre les injures; mais jq mourrais de peur si l’on pouvait punir quelqu’un parce qu’il m’appellerait sot ! Si les injures sont vomies dans un écrit anonyme, un honnête homme n’y prend pas garde et les méprise; si cet écrit est signé, il devient alors un délit ordinaire qui doit être puni par les lois. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer >sur la proposition d’un nouveau décret d’inviolabilité, et je crois encore que des hommes qui ont fait serment de ne pas se séparer ne doivent pas délibérer longtemps sur la demande de refuser des passe-ports. Cependant on continue à réclamer les passeports: M. de Gouy-d’Arsy et quelques autres pensent qu’on doit en accorder à oeux qui demandent à s’absenter pour des motifs légitimes. M. le vicomte de Mirabeau. Une lettre adressée à un des secrétaires de l’Assemblée a été ouverte par le district de Saint-Roch : un district a-t-il le droit de violer cette espèce d’inviolabilité ? M. le marquis de Gouy-d’Arsy. Nul passe-ort ne doit être donné sans l’examen de l’Assem-lée : je pense qu’il suffit, pour la sûreté des membres de l’Assemblée, d’une preuve ostensible et évidente que l’on est député, et cette preuve peut être donnée par un signe extérieur ou un certificat écrit. M. l’abbé Duplaquet. Je n’ai pas demandé /le passe-port, mais seulement un certificat de mon titre de député des communes, en déclarant par écrit que mon projet n’a jamais été de m’éloigner de l’Assemblée. M. de Volney. La question que vous agitez est plus délicate à traiter qu’elle ne le paraît. Il est peut-être heureux pour la traiter, d’avoir un caractère qui n’est pas suspect. Nous sommes libres, chacun vis-à-vis les uns des autres ; notre serment n’est pas solidaire, nous ne pouvons �exercer les uns sur les autres une juridiction coactive.Celui qui demande un passe-port est entre deux écueils : sa sûreté et son honneur. Lui refuser la faculté de s’éloigner n’est ni juste ni politique : juste, je l’ai prouvé; politique, ceux qui veulent s’en aller ne sont pas très-avantageux ( à conserver. y M. le Président met aux voix la question 'préalable. On en demande la division, relativement aux passe-ports et au décret à rendre; elle est décrétée. Y a-t-il lieu à délibérer relativement aux passeports? Non. On prétend que la majorité est douteuse. ► M. le curé Dillon demande l’appel nominal. M. Barnave. L’Assemblée ne peut arrêter les députés qui voudraient partir, ni gêner ainsi leur liberté ; mais elle ne peut jamais autoriser la désertion en accordant des passe-ports. (U s’adresse au président.) En votre qualité de président, vous n’avez pas d’autres fonctions que celles qui vous sont confiées par les décrets de l’Assemblée : nul décret ne vous a autorisé e donner des passeports. M. Boutteville-Dumctz prétend que la majorité, pour savoir s’il y a lieu à délibérer, a été douteuse, et réclame l’appel nominal. Il s’appuie sur le récit des faits et sur l’importance d’une question qui tendrait à rendre l’Assemblée entière complice de la violation qu’un membre ferait de son serment. M. Démeunier observe aux préopinants que la question de savoir si le Président pourra donner des passe-ports, reste indécise, et le paraîtra toujours à la volonté des membres qui la feront renaître. M. le comte de Mirabeau. IL existe une décision de l’Assemblée, qui autorise le président à donner des passe-ports : la question se borne à savoir si elle sera réformée. On en a délivré trois cents dans deux jours, tous ceux qui l’ont été sans motifs doivent être regardés comme une authenticité de là violation du serment. L’Assemblée peut-elle, par le moyen de son président, autoriser cette violation? Que ceux qui veulent partir partent, et nous laissent en repos. Il s’agit d’éclairer votre président, qui a provoqué votre délibération, et de confirmer ou de détruire votre décision antérieure. Plusieurs membres doutent de l’existence de cette décision. M. de Mirabeau continue : Si le décret existe, il faut savoir si on le conservera; s’il n’existe pas, le droit de donner des passe-ports n’est pas à vous ; il appartient au pouvoir exécutif. Votre président, effrayé par le nombre des passe-ports qu’on sollicitait, vous a demandé de rassurer sa prudence par la vôtre. Si vous ne délibérez pas, si vous ajournez la question, que fera-t-il aujourd’hui? Vous lui aurez légué des tracasseries et des haines, qui ne doivent pas être le prix de ses travaux. Voici quelle est ma motion : « Aucun passe-port de l’Assemblée nationale ne sera délivré aux députés qui la composent, que sur des motifs dont l’exposé sera fait dans l’Assemblée. » M. le marquis de Bonnay appuie cette motion. On demande la question préalable. M. le baron de Menou. Si le président a le droit de donner des passe-ports, il a celui de dissoudre l’Assemblée. L’Assemblée décide que la question préalable ne sera pas mise aux voix, et décrète la motion de M. le comte de Mirabeau. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de décret relatif à la ré formation provisoire de la procédure criminelle. Les articles 15 et 17 sont décrétés aiasi qu’il suit : Art. 16. Lorsque la déposition sera achevée, l’accusé pourra faire faire au témoin, par l’organe du juge, les observations et interpellations qu’il croira utiles pour l’éclaircissement des faits rapportés, ou pour l’explication de la déposition. La mention tant des observations de l’accusé que