SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 645 Quant à Catherine Théos, elle n’a point changé de principes; elle a passé la moitié de sa vie à la Bastille ou à la Salpêtrière. Rien n’a pu la désabuser de l’idée de la maternité divine; elle se croit immortelle et invulnérable; elle dit avoir pris du poison et de l’eau de chaux sans que ces corrosifs aient pu altérer sa santé. Il ne faut donc plus espérer de corriger le fanatisme qui est comme incrusté dans son âme. La femme Amblard, veuve Godefroy, est, après la mère de Dieu, la plus illuminée de la troupe; c’est elle qui fait les lectures mystiques, qui instruit les catéchumènes, qui les prépare à l’inoculation des sept dons; enfin, elle semble honorée du vicariat de la prophé-tesse; elle s’enorgueillit dans son interrogatoire d’avoir été detenue à la mairie, de compagnie avec la mère Catherine, à cause de leurs fanatiques prouesses; celle-ci lui rend mot à mot ses conversations avec Dieu, et cette confiance est si intime que, si la mère du Verbe pouvait être mortelle, la femme Amblard aurait le dévolu de la maternité. Quant à la femme Chastenois, incidemment enveloppée dans cette cause, il existe tant de pièces de conviction qu’il serait superflu de les analyser de nouveau. Voilà, citoyens, les 5 personnages qui servent de noyau à cette dangeureuse conspiration; il est impossible de méconnaître qu’ils jouent des rôles distribués, et qu’ils s’en acquittent au gré des ennemis de la liberté qui les font agir. La gloire et la puissance du peuple français sont à un si haut degré qu’il ne sera plus possible d’altérer son bonheur autrement que par des mouvements intestins; ceux-ci ne peuvent être durables que lorsque le fanatisme les alimente; c’est donc ce dernier monstre qu’il importe de terrasser, et il faut le poursuivre jusque dans ces derniers replis où il enveloppe sa tête hideuse. Nous ne connaîtrions pas l’infernal génie des Anglais si nous ne rapportions à leurs inventions et à leurs manœuvres à Paris l’établissement de ce commerce, de fanatisme et de spéculations de bigoterie, ouvert dans la rue Contrescarpe. Il me semble voir l’Anglais spéculant dans son comptoir politique sur les folies religieuses à Paris, comme sur les achats de noirs dans la Guinée; il a vu dans cette cité les deux écoles de Jansénius et de Molina, il y a dénombré les héritiers des imbéciles du cimetière Saint-Médard; c’est dans les esprits faibles, dans les âmes crédules, c’est dans les fanatiques pervers, qu’il a recruté un nouveau genre de contre-révolutionnaires plus dangereux, parce qu’ils sont plus imperceptibles à la police publique. C’est là que l’Anglais a cherché des auxiliaires, des perturbateurs, des chefs de mécontents, de recruteurs de Vendée et des assassins. C’est là qu’il a espéré d’altérer l’esprit public révolutionnaire, de détourner vers les idées supersticieuses les esprits portés aux opinions politiques, et de faire un jour à Paris une Vendée plus nombreuse et plus horrible que celle qui a fait tant de maux sur les bords de la Loire (1). (1) Mon., XX, 736, 737 et 742. C. Eg., n° 666; J. S.-Culottes, n° 486; J. Perlet, n° 631; J. Univ., n° 1665, 1667, 1668 et 1669; Ann. patr., DXXXI; Audit, nat., n° 630. A la suite de ce rapport, la Convention nationale a rendu le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de sûreté générale et de salut public, décrète ce qui suit : « Dom Gerle, ex-chartreux, ex-député à l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu; Etienne-Louis Quesvre-mont, surnommé Lamotte, médecin en titre du ci-devant duc d’Orléans; Marie-Magdeleine Amblard, veuve Godefroy, et la femme ci-devant marquise de Chatenois, seront traduits au tribunal révolutionnaire pour y être jugés sur les faits de conspiration dont ils sont prévenus : « Charge l’accusateur public près ledit tribunal de rechercher et poursuivre tous autres auteurs ou instigateurs de ladite conspiration. « L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication » (1) . Un membre demande que le rapport fait au nom des comités de sûreté générale et de salut public, soit disséminé avec profusion, pour éclairer tous les esprits sur les dangers du fanatisme, et leur faire concevoir une juste horreur de ce monstre qui ne cesse d’aiguiser des poignards. Cette proposition, amendée par un autre membre, est décrétée ainsi qu’il suit : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le rapport fait au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la conspiration dont sont prévenus dom Gerle, ex-chartreux, ex-député de l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu, et autres, sera imprimé et distribué à chaque membre de la Convention, au nombre de dix exemplaires; qu’il sera, en outre, envoyé aux armées, aux sociétés populaires, aux autorités constituées et à toutes les communes de la République » (2) . La séance est levée à trois heures et demie (3) . Signé, P.A. Laloi, ex-président; Francastel, Carrier, Lesage-Senault, Michaud, Cambacérès, Briez, secrétaires. (1) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Vadier. Décret n° 9520. Reproduit dans Bin, 27 prair. et 2 mess.; Débats, nos 633, p. 414 et 636, p. 445; M.U., XL, 423 et XLI, 112. Mention dans C. Univ., 28 prair.; Rép., n° 178; J. Sablier, n° 1380; Ann. R.F., nos 197 et 199; J. Lois, n° 625; J. Mont., n° 50; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n°“ 629 et 630; C. Eg., n° 666; J. Perlet, n° 631. (2) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Francastel. Décret n° 9523. B™, 2 mess. (1er et 2e suppl4) . (3) P.V., XXXIX, 319. SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 645 Quant à Catherine Théos, elle n’a point changé de principes; elle a passé la moitié de sa vie à la Bastille ou à la Salpêtrière. Rien n’a pu la désabuser de l’idée de la maternité divine; elle se croit immortelle et invulnérable; elle dit avoir pris du poison et de l’eau de chaux sans que ces corrosifs aient pu altérer sa santé. Il ne faut donc plus espérer de corriger le fanatisme qui est comme incrusté dans son âme. La femme Amblard, veuve Godefroy, est, après la mère de Dieu, la plus illuminée de la troupe; c’est elle qui fait les lectures mystiques, qui instruit les catéchumènes, qui les prépare à l’inoculation des sept dons; enfin, elle semble honorée du vicariat de la prophé-tesse; elle s’enorgueillit dans son interrogatoire d’avoir été detenue à la mairie, de compagnie avec la mère Catherine, à cause de leurs fanatiques prouesses; celle-ci lui rend mot à mot ses conversations avec Dieu, et cette confiance est si intime que, si la mère du Verbe pouvait être mortelle, la femme Amblard aurait le dévolu de la maternité. Quant à la femme Chastenois, incidemment enveloppée dans cette cause, il existe tant de pièces de conviction qu’il serait superflu de les analyser de nouveau. Voilà, citoyens, les 5 personnages qui servent de noyau à cette dangeureuse conspiration; il est impossible de méconnaître qu’ils jouent des rôles distribués, et qu’ils s’en acquittent au gré des ennemis de la liberté qui les font agir. La gloire et la puissance du peuple français sont à un si haut degré qu’il ne sera plus possible d’altérer son bonheur autrement que par des mouvements intestins; ceux-ci ne peuvent être durables que lorsque le fanatisme les alimente; c’est donc ce dernier monstre qu’il importe de terrasser, et il faut le poursuivre jusque dans ces derniers replis où il enveloppe sa tête hideuse. Nous ne connaîtrions pas l’infernal génie des Anglais si nous ne rapportions à leurs inventions et à leurs manœuvres à Paris l’établissement de ce commerce, de fanatisme et de spéculations de bigoterie, ouvert dans la rue Contrescarpe. Il me semble voir l’Anglais spéculant dans son comptoir politique sur les folies religieuses à Paris, comme sur les achats de noirs dans la Guinée; il a vu dans cette cité les deux écoles de Jansénius et de Molina, il y a dénombré les héritiers des imbéciles du cimetière Saint-Médard; c’est dans les esprits faibles, dans les âmes crédules, c’est dans les fanatiques pervers, qu’il a recruté un nouveau genre de contre-révolutionnaires plus dangereux, parce qu’ils sont plus imperceptibles à la police publique. C’est là que l’Anglais a cherché des auxiliaires, des perturbateurs, des chefs de mécontents, de recruteurs de Vendée et des assassins. C’est là qu’il a espéré d’altérer l’esprit public révolutionnaire, de détourner vers les idées supersticieuses les esprits portés aux opinions politiques, et de faire un jour à Paris une Vendée plus nombreuse et plus horrible que celle qui a fait tant de maux sur les bords de la Loire (1). (1) Mon., XX, 736, 737 et 742. C. Eg., n° 666; J. S.-Culottes, n° 486; J. Perlet, n° 631; J. Univ., n° 1665, 1667, 1668 et 1669; Ann. patr., DXXXI; Audit, nat., n° 630. A la suite de ce rapport, la Convention nationale a rendu le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de sûreté générale et de salut public, décrète ce qui suit : « Dom Gerle, ex-chartreux, ex-député à l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu; Etienne-Louis Quesvre-mont, surnommé Lamotte, médecin en titre du ci-devant duc d’Orléans; Marie-Magdeleine Amblard, veuve Godefroy, et la femme ci-devant marquise de Chatenois, seront traduits au tribunal révolutionnaire pour y être jugés sur les faits de conspiration dont ils sont prévenus : « Charge l’accusateur public près ledit tribunal de rechercher et poursuivre tous autres auteurs ou instigateurs de ladite conspiration. « L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication » (1) . Un membre demande que le rapport fait au nom des comités de sûreté générale et de salut public, soit disséminé avec profusion, pour éclairer tous les esprits sur les dangers du fanatisme, et leur faire concevoir une juste horreur de ce monstre qui ne cesse d’aiguiser des poignards. Cette proposition, amendée par un autre membre, est décrétée ainsi qu’il suit : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le rapport fait au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la conspiration dont sont prévenus dom Gerle, ex-chartreux, ex-député de l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu, et autres, sera imprimé et distribué à chaque membre de la Convention, au nombre de dix exemplaires; qu’il sera, en outre, envoyé aux armées, aux sociétés populaires, aux autorités constituées et à toutes les communes de la République » (2) . La séance est levée à trois heures et demie (3) . Signé, P.A. Laloi, ex-président; Francastel, Carrier, Lesage-Senault, Michaud, Cambacérès, Briez, secrétaires. (1) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Vadier. Décret n° 9520. Reproduit dans Bin, 27 prair. et 2 mess.; Débats, nos 633, p. 414 et 636, p. 445; M.U., XL, 423 et XLI, 112. Mention dans C. Univ., 28 prair.; Rép., n° 178; J. Sablier, n° 1380; Ann. R.F., nos 197 et 199; J. Lois, n° 625; J. Mont., n° 50; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n°“ 629 et 630; C. Eg., n° 666; J. Perlet, n° 631. (2) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Francastel. Décret n° 9523. B™, 2 mess. (1er et 2e suppl4) . (3) P.V., XXXIX, 319.