480 J Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 août 1789.1 je dois être libre; si vous pouvez professer votre culte, je dois pouvoir professer le mien ; si vous ne devez pas être inquiétés, je ne dois pas être inquiété ; et si, malgré l’évidence de ces principes, vous nous défendiez de professer notre culte commun, sous prétexte que vous êtes beaucoup et que nous sommes peu, ce ne serait que la loi du plus fort, ce serait une souveraine injustice, et vous pêcheriez contre vos propres principes. Vous ne vous exposerez donc pas, Messieurs, au reproche de vous être contredits dès les premiers moments de votre législature sacrée ; d’avoir déclaré, il y a quelques jours, que les hommes sont égaux en droits, et de déclarer aujourd’hui qu’ils sont inégaux en droits ; d’avoir déclaré qu’ils sont libres de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui, et de déclarer aujourd’hui que deux millions de vos concitoyens ne sont pas libres de célébrer un culte qui ne fait aucun tort à autrui. Vous êtes trop sages, Messieurs, pour faire de la religion un objet d’amour-propre, et pour substituer à l’intolérance d’orgueil et de domination, qui, durant près de quinze siècles, a fait couler des torrents de sang, une intolérance de vanité. Vous ne serez pas 'surpris de ce qu’il est des hommes qui pensent autrement que vous, qui adorent Dieu d’une autre manière que vous; et vous ne regarderez pas la diversité des pensées comme un tort qui vous est fait. Instruits par la longue et sanglante expérience des siècles, instruits par les fautes de vos pères et par leurs malheurs mérités, vous direz sans doute : il est temps de déposer ce glaive féroce qui dégoutte encore du sang de nos concitoyens ; il est temps de leur rendre des droits trop longtemps méconnus; il est temps de briser les barrières injustes qui les séparaient de nous, et de leur faire aimer une patrie qui les proscrivait et les chassait de son sein. Vous êtes trop sages, Messieurs, pour penser qu’il vous était réservé de faire ce que n’ont pu les hommes qui ont existé pendant six mille ans, de réduire tous les hommes à un seul et paême culte. Vous ne croirez pas qu’il était réservé à I’Assemblée nationale, de faire disparaître une variété qui exista toujours, ni que vous ayez un droit dont votre Dieu lui-même ne veut pas faire usage. Je supprime, Messieurs, une foule de motifs qui vous rendraient intéressants et chers deux millions d’infortunés. Ils se présenteraient à vous, teints encore du sang de leurs pères, et ils vous montreraient les empreintes de leurs propres fers. Ma patrie est libre, et je veux oublier comme elle, et les maux que nous avons partagés avec elle, et les maux plus grands encore, dont nous avons été seuls les victimes. Ce que je demande, c’est qu’elle se montre digne de la liberté, en la distribuant également à tous les citoyens, sans distinction de rang, de naissance et de religion ; et que vous donniez aux dissidents tout ce que vous prenez pour vous-mêmes. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu’en attendant que vous statuiez sur l’abolition des lois concernant les non-catholiques, et que vous les assimiliez en tout aux autres français, vous fassiez entrer dans la déclaration des droits cet article • Tout homme est libre dans ses opinions ; tout citoyen a le droit de professer librement son culte , et nulne peut être inquiété à cause desareligion. M. Rabaud de Saint-Etienne ajoute, en terminant son discours, les paroles suivantes ; Messieurs, j’espère de ne m’être pas attiré la défaveur de l’Assemblée, lorsque obligé par mon cahier d’exprimer le vœu de mes commettants, je vous ai demandé la liberté du culte pour une nombreuse partie de vos concitoyens, que vos principes appellent à partager vos droits. J’ai cru même devoir à la dignité touchante de leur cause, de dépouiller un instant le caractère auguste de représentant de la nation, que j’ai l’honneur de partager avec vous, pour prendre en quelque manière celui de suppliant. U me semblait que les maximes que nous avions entendu rappeler dans cette séance, avaient rendu nécessaire ce langage, et que je devais intéresser votre humanité par le sentiment, après avoir essayé de la convaincre par la raison. J’ai cependant une observation importante à ajouter : c’est que le culte libre que je vous demande est un culte commun. Tout culte est nécessairement un culte de plusieurs. Le culte d’un seul est de l’adoration, c’est de la prière. Mais personne de vous n’ignore que nulle religion n’a existé sans culte, et qu’il a toujours consisté dans la réunion de plusieurs. Des chrétiens ne peuvent pas ie refuser à des chrétiens, sans manquer à leurs propres principes, puisque tous croient à la nécessité du culte en commun. J’ai une autre observation non moins importante à faire : c’est que l’idée d’un culte commun est un dogme, un article de foi. C’est donc une opinion religieuse, dans toute la justesse de l’expression. 11 vous est donc impossible de priver les non-catholiques de leur culte; car il vous est impossible de gêner la liberté de leurs opinions. M. Gobel, évêque de Lydda, dit qu’il ne pense pas qu’on puisse refuser aux non-catholiques l’égalité civile, le culte en commun, la participation à tous les avantages civils, mais que ces objets ne peuvent être traités que dans la Constitution. Ils peuvent être libres dans leurs opinions, même les manifester, sous la seule réserve qu’ils ne troublent pas l’ordre public. Ce prélat propose d’ajouter au premier article ces mots : pourvu que leur manifestation ne trou - ble point l'ordre public. On vient aux voix successivement sur les amendements. Ils sont adoptés malgré les vives récla-matiens d’une partie de l’Assemblée. Enfin, la première partie de la motion de M. de Castellane est adoptée; ce qui a formé l’article suivant': « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public-établi par la loi. » M. le Président annonce que la séance est continuée à sept heures du soir. Se an ce du soir. Un de messieurs les secrétaires rend compte de la requête du procureur du roi de Falaise, qui demande à s’expliquer à la barre sur la réclamation relative à l’arrêt décerné contre lui par le parlement de Rouen. M. de Frondeville, qui avait demandé la veille le renvoi, dit que ce n’était pas comme membre du parlement de Rouen qu’il avait parlé, mais comme député ; que le procureur du roi de Falaise ne pouvait le récuser, sans récuser aussi