404 [9 septembre 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Une députation de l’assemblée électorale des Etats-Unis d’Avignon et du Comtat Venaissin est introduite à la barre. M. Duprat, le jeune , un des députés , s’exprime ainsi : Messieurs, L'hommage d’admiration que le peuple vauclusien rend à votre immortelle Constitution, le tri bi t de reconnaissance qu’il vient payer à vos bienfaits signalés, seront sans doute chers à vos cœurs. L’intérêt que vous n’avez cessé de prendre à son sort nous est un sûr garant que les témoignages de sa gratitude et ses justes réclamations seront accueillis par vous avec i’empressi ment et la générosité qui caractérisent la nation dont vous êtes les dignes représentants. En effet, Messieurs, s’il est satisfaisant pour vous de terminer \otre carrière après avoir assuré la prospérité de l’Empire, la liberté nationale, et I éclat de la monarchie ; vous ne devez pas moins être flattés des sentiments que vous nous avez inspirés, et des efforts que nous avons faits dans la lutte effroyable qu’il nous a fallu soutenir contre les ennemis de la Révolution. Vous nous avez appris, vous avez appris à l’univers, que les pouvoirs qui ne sont pas des délégations des peuples ne sont que des usurpations, et que les hommes que l’ignorance ou la force a soumis à de semblables autorités sont privés de l’exercice de leurs droits naturels, et ignominieusement asservis aux volontés des tyrans ou à l’erreur des préjugés. La vérité de ce principe pénétrera tôt ou tard chez toutes les nations, et. l’univers vous devra sa liberté. Placés au sein de l’Empire français, nous avons été frappes les premiers par les accents de la libe té et par la lumière que vous y avez répandue. Nous étions courbés sous le joug avilissant du despotisme sacerdotal ; nous nous sommes levés; et, à votre exemple, nous avons brisé nos chaînes ; nous sommes devenus libres et nous avons voulu redevenir Français. Avant de vous faire connaître les causes et les circonstances de l’étonnante Révolution qui nous a jetés dans les bras de la France, nousallons établir en peu de mots les principe qui ont dirigé notre conduite ; ils sont consacrés tous dans cette loi sublime par laquelle vous avez rendu à l’homme sa dignité et à la nation française ses droits imprescriptibles, dans la déclaration des droits. En effet, Messieurs, soutenir que nos mouvements ont été illégitimes, que nous n’avons pu changer la forme d’un gouvernement vicieux, arbitraire, et que Rome a des droits sur nos individus, sur le sol que nous habitons, ce serait renverser la base de l’édifice que vos travaux ont élevé au bonheur du peuple français, et si ce système destructeur trouvait des défenseurs, ne pourraient-ils pas être accusés d’avoir porté une main sacrilège sur le livre saint de la Constitution, et d’avoir voulu le déchirer sous les yeux mêmes des gardiens que la nation à nommés pour veiller à la conservation de ce dépôt sacré ? 1 Cutte vérité immortelle doit écarter, dans la discussion de notre demande, toutes les in-igni-fiances des considérations diplomatiques, toutes les vieilles impostures des Chartres poudreuses. 11 ne s’agit plus de savoir si le peuple vauclusien a pu vouloir être réuni à la nation française, il faut seulement examiner s’il l’a réellement voulu, et s’il est de la justice et de l’intérêt de la France de la recevoir dans son sein. Le tableau de notre Révolution vous mettra facilement à portée de connaître que ce vœu s’est formé, qu’il a été prononcé librement et que l’oppression, les persécutions, la guerre sourde, la guerre ouverte dont les ennemis de la liberté ont voulu accabler ceux qui le portaient de leurs cœurs, n’ont pu arrêter l’explosion. La ville d’Avignon a obtenu la gloire d’adopter la première de vos lois, et, par une suite inévitable de cet élan vers la liberté, elle a été la première livrée à la trahison d’un gouvernement faible etféioce, et à toutes les fureurs des conspirateurs contre votre Consütution. Ainsi les événements du 10 juin 1790 ont provoqué ceux du 11 et amené celui du 12. L’amour de la liberté, l’exécration des tyrans pénétrèrent alors dans le Comtat ; et les dominateurs qui opprimaient cette belle contrée, commencèrent à employer tous leurs moyens de perfidie et de violence pour étouffer les sentimems qu’allaient détruire, avec leur empire despotique, les abus qui constituaient toute leur force et toute leur existence. Alors éclatèrent les premières agitations. D’un autre côté, le désir de modifier le gou ¬ vernement ; de l’autre, la volonté de conserver Rs anciennes formes s’entre-choquant avec impétuosité, livrèrent l’Etat à des commutions qui durent nécessairement en affaiblir les ressorts. Nous devons dire, à la gloire du peuple comta-din, qu’au milieu de ces ébranlements politiques il demandait à grands cris la Constitution française. La faction romaine avait l’air de la promettre avec des modifications : la faction des novateurs feignit de l’accorder tout entière : mais, mutilant impitoyablement ce corps de lois nationales, elle rie le représenta que par parties déchirées et par lambeaux, au peuple du Comtat. Les zélés sectateurs de lu Consiitution ne l’aiment point à demi. Les patriotes de nos contrées Fadorent; ils la veulent dans toute son intégrité. A peine les vues criminelles des dominateurs qui s’étaient érigés en corps représentatif de la nation furent-elles connues, que plusieurs communes brisèrent tous les jougs à la, fois ; elles al aient arborer les lis protecteurs, lorsqu’elles furent envahies par 6,000 esclaves armés, dont les chefs commencèrent alois à se signaler par la proscription, les emprisonnements et les meurtres. Les villes deCavaillon et du Thor furent Je premier théâtre de leurs fureurs; la liberté naissante y fut étouffée, des victimes furent cruellement immolées à la rage des persécuteurs conspirateurs, et l’infortuné Bressy, dont les mânes crient encore vengeance, périt martyr de la Constitution ; tous moyens de défense furent enlevés aux patriotes, privés de leurs armes pendant longtemps, Us ont eu devant leurs yeux l’image de la mort et de la prison, et se sont vus condamnés pour dernière ressource à la fuite ou à la servitude. Vus départements ont été inondés de ces malheureux expatriés. La ville d’Aix en a reçu à la lois 400 dans son s un. Quel était le crime des communes qu’on opprimait si cruellement! Elles voulaient devenir Françaises, et quelques tyrans comprimaient par la force ce vœu dont ils redoutaient la manifestation et l’accomplissement. Ainsi, les habitants de L’Isle, après avoir arboré, d’un commun accord les armes de la France [Assemblée nationale.] après avoir délibéré librement de solliciter leur réunion à l’Empire français, furent envahis tout à coup par les satellites du despotisme, qui su b-i-tiiuèrent aux lis glorieux, la tiare et les clefs romaines; ainsi les citoyens de Cavaiilon, réunis dans un temple pour émettre leur vœu de réunion, furent assai lis de coups de fusils, et réduits à se transporter en rase campagne pour protester à la face du ciel contre la violence qu’ils é rou-vaient. Ils se virent attaqués de nouveau et pourchassés, eux, leurs femmes et leurs enfants, jusque dans les murs d’Avignon; ainsi les patriotes de Malancène et de Yaison ont été réduits plusieurs fois à se cacher dans les forêts pour se soustraire au glaive des assassins. Tant de persécutions devaient avoir un terme. L’humanité et la justice commandaient impérieusement de secourir ces infortunés. Ils trouvèrent des arums et des amis, et le succès d>‘ leur entreprise dissipa subitement les tyrans ultramontains et les agitateurs du sénat de Garpentras. Cette secousse, en brisant les fers des Com'a-dins, dés ruisait les liens de la société et laissa l’Etat sans lois, sans monarque, sans administrateurs et sans ji ges. Chaque commune de l’agrégation générale avait formé un gouvernement isolé et pari iculier. Le peuple exeiçait lui-même sa souveraineté, ou plutôt, chaque individu en avait envahi les droits. Alors les Avignonais et l s Comtadins, dégagés de toutes les conventions sociales, redevenus, pour ainsi dire, un peuple neuf, délibérèrent. dans une grande majorité d’attacher leur destinée aux lois et à la nation française. Pour parvenir à ce bonheur, une transaction nationale fut proposée et presque généralement acceptée : le peuple se nomma des représentants qui formèrent le corps électoral d"S Etats-Unis d’Avignon et du Comtat. Cette Assemblée avait rempli presque toutes les fonctions; elle touchait au terme de ses travaux; l’empire de la Constitution et de la liberté s’étabdssait sans effort sur une terre que le gouvernement sacerdotal avait vouée à l’ignominie et à la servitude : tout à coup éclate un exécrable projet de destruction. Une armée de 8,000 fanatiques comtadins et français, commandés par des conspirateurs exercés dans l’art de la guerre, s’emparèrent de Yaison, de Malancène, s’y livrèrent aux brigandages les plus effrénés, aux plus cruels assassinats. Vous avez frémi, Messieurs, au récit douloureux des horreurs et des meurtres commis à Vaison. J’éloigne de vos yeux cette scène affreuse de vengeance et de fureur; mais je sens encore dans mon âme toute l’indignation, toute-la rage qu’elle inspira aux patriotes vauclusiens. Dénués de toutes ressources, on ne les vit point calculer leurs moyens d’attaque et de défense, s’armer, voler au combat, et dissiper cette horde d’assassins et de contre-révolutionnaires, fut pour eux l’ouvrage d’un jour : je n 'entrerai pas da is les détails de cette guerre, entreprise et soutenue pour la cause de la liberté et de la Constitution; elle eût dû procurer à ceux qui lui ont sacrifié leur repos, hur fortune et leur vie, d’autres honneurs que celui de la calomnie. Un de mes col ègues se propose de vous en parler après moi : il anéantira sans peine les imputations odieuses dont on a chargé l’armée vauclosienne, qu’il a commandée avec distinction. En réduisant au silence les méchants et les calomniateurs, il obtiendra aux citoyens guerriers qui ont combattu sous ses ordres le prix le plus doux de leurs tra-[9 septembre 1791.] 405 vaux et de leurs dangers, les témoignages de votre estime et de votre bienveillance. L’état déplorable de notre patrie, l’embrasement de la guerre civi'e qui allait s’étendre sur vo3 départements, vous déterminèrent à porter vos regards sur mms. Vos médiateurs sont venus dans nos contrées; ils nous ont par 'é au nom de la nation française, et nous avons déposé nos armes. Religieux observateurs de nos engagements, nous avons porté la déférence au point de rendre sans effet l’indignation et la fureur que nous avons éprouvées, lorsqu’après les préliminaires de paix, après la garantie de la France, nous avons vu massacrer, au mépris de toutes les lois et des conventions les plus sacrées 80 patriotes rentrant paisiblement au sein de leur famille. Ici nous abandonnons aux médiateurs de la France le soin de vous rendre compte des événements qui se sont passés sous leurs yeux; leur rapport ne peut attirer sur le peuple vauclusien la défaveur de voire opinion. Nous devons cependant vous entretenir de l’émission du vœu qui a été prononcé pour la forme d’un gouvernement à adopter dans les Etats-Unis d’Avignon et du Comtat réunis. Tous ceux que la loi appelait à délibérer sur cet objet important ont pu manifester leur opinion, à l’abri de la protection de la France; et ce vœu a été prononcé si librement qu’il n’appartient qu’à l’insigne mauvaise foi de douter de sa légitimité et de sa sincérité. Une faible minorité de communes et d’individus a déclaré vouloir rester sons la domination papale ; et tels ont été les progrès de la philosophie et de la raison, que dans un pays naguère asservi à toutes les erreurs politiques et religieuses, les mécontents du nouvel ordre de choses se sont trouves réduits au cinquième de la population. Tout le reste a renouvelé ou n’a pas voulu révoquer le vœu ci-devant émis p >ur la réunion des Eiats-Unis du Comtat et d’Avignon à Ufimpire français. Les délibérations où cette volonté du peuple est consignée portent l’empreinte de la liberté; et l’on ne peut en révoquer en doute le caractère, lorsqu’on voit dans plusieurs de ces actes quelques individus dire impunément à leurs concitoyens : « Nous ne voulons pas que vous soyez libres, et nous préférons les chaînes du despote de Rome à la liberié française. » Parmi les communes qui ont déclaré vouloir la réunion, il en est peu qui ait délibéré sous l’in-flu< nce des troupes françaises. Il n’en est pas de même de ceux qui ont voté pour la domination du Saint-Siège : elles étaient presque toutes protégées par les garnisons françaises et quelques-unes ont émis leur vœu en présence des médiateurs. Aucun écrit n’aété répandu, aucun émissaire n’a été envoyé pour solliciter, pour provoquer le vœu de réu don ; mais le pape et ses satellites ont, à la nouvelle émission du vœu, inondé nos contrées de brels et d’écrits incendiai tes. Leurs évangélistes couraient les villes et les campagnes pour prêcher et annoncer la contre-Révolution; et le peuple intimidé par leurs déclarations menaçantes ne voyait autour de lui que les foudres du Vatican qui l’écra-aient, que d< s armées étrangères accourant de tous côtés pour envahir la France et les replacer sous le joug des vils Italiens. C’est au milieu de ces mensonges et de ces craintes répandus à propos, que la domination papale a surpris et arraché au peuple ignorant et ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 406 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] intimidé quelques vœux favorables à ses ridicules prétentions. Enfin, Messieurs, en retraçant à votre mémoire les différentes époques de notre Révolution, vous verrez ceux de nous qui voulaient être Français, livrés à des persécutions continuelles, sans cesse menacés, attaqués, obligés à chaque instant de s’armer pour la défense de leur liberté. Vous les verrez, le 10 juin 1790, assaillis par tous les mécontents d’Avignon ; vous les verrez, le 19 avril dernier, surpris à Sarrians par une armée formidable composée de contre-révolutionnaires du Comtat et de Français fanatiques et conspirateurs; vous les verrez toujours vainqueurs. Hé, Messieurs, des hommes libres, repoussant les attaques de leurs tyrans, peuvent-ils obtenir autre chose que la liberté et la mort? {Applaudissements.) Nous a-t-on vus, après la défaite de nos ennemis, envahir les villes et les bourgs qui avaient refusé de voter pour la réunion à la France et enlever la tiare et les ciels romaines que nous détestons pour y substituer les lis que nous chérissons? {Applaudissements.) Et ceux qui crient à la violence, parce que nous ne voulons pas nous laisser égorger, pourront-ils nier qu’ils se soient emparés, à force ouverte et à plusieurs reprises, de Cavaillon, de Lille, du Cheval-Blanc, de Malaucerre,, de Vaison et tant d’autres communes? Pourront-ils nier d’y avoir enlevé les armes de France pour y replacer celles du Saint-Siège? Tous ces détails ont fixé sans doute votre point de vue sur notre Révolution. Les secousses violentes auxquelles elle a livré notre patrie ne nous permettent pas d’attendre plus longtemps la décision de notre sort : la réunion désirée peut seule réparer les maux passés et prévenir les malheurs dont nous sommes menacés. Il est de votre justice et de votre humanité de la prononcer sans délai. La paix dont nous jouissons, sous la médiation et la garantie de la France, n’est qu’une paix éphémère. Vos ennemis entretiennent sourdement le feu de la guerre, ils ont établi au milieu de nous le principal foyer de leurs machinations; et l’observateur le plus impartial pourra-t-il douter de cette assertion s’il compare, s’il rapproche les malheurs de Montauban, d’Avignon et de Nîmes, l’attroupement de Jalès, le conciliabule de Sainte-Cécile, et la horde dissipée à Sarrians? si surtout il jette les yeux sur deux armées, composées de prêtres réfractaires, de mécontents Gomtadins, de contre-révolutionnaires français occupant les deux extrémités du Comtat, et l’époque mémorable du 21 juin dernier? Le désir ardent que tous les patriotes témoignent pour notre réunion à la France, les menées sourdes et ouvertes des ennemis de votre Révolution pour la faire rejeter, l’insuffisance des moyens termes évidemment prouvée par une trop longue expérience, tout doit vous convaincre de la nécessité de prononcer sans délai notre réintégration dans la famille heureuse dont vous êtes les régénérateurs. Une décision favorable peut seule étoulfer les germes de désordre et de dissension semés dans nos contrées et éteindre le foyer où les fanatiques de vos départements viennent allumer des torches qui porteraient bientôt au milieu de vous l’incendie des guerres religieuses. Il dépend de vous d’arrêter le torrent de malheurs qui va inonder votre patrie et dont le débordement se porterait inévitablement sur vos terres. La réunion est la seule digue que vous puissiez lui opposer; toutes les haines seront étouffées si la France nous reçoit dans son sein. Toutes les passions, tous les intérêts céderont au grand intérêt de la réunion. Quel sera au contraire notre sort, quel sera l’état de vos départements méridionaux si notre pétition n’était pas accueillie? Vous verrez renouveler au même instant toutes les horreurs de la gue re : vous verrez bientôt les révolutionnaires d’un côté, et les contre-révolutionnaires de l’autre ; vous verrez des milliers de Français appelés par la voie du sang et de l’amitié, entraînés par l’impulsion de leurs opinions divisées, se jeter dans les deux armées; et dans ce choc affreux, quel que soit le parti qui l’emporte, les armes ne seront déposées qu’après que le parti vaincu aura entièrement disparu de la terre que nous habitons. Vu nom de la patrie, de l’humanité, de la Constitution, ne repoussez pas plus longtemps plus de 100,000 Français qui se précipitent dans vos bras. {Applaudissements.) Arbitres de nos destinées, vous allez prononcer la destruction ou le salut, de notre pays. Quelle considération politique pourrait vous empêcher de décréter enfin cette réunion salutaire que nous demandons à grands cris, que notre intérêt sollicite, que le salut de la France commande impérieusement? Vous avez reconnu dans votre loi bienfaisante du 4 juillet notre indépendance, notre souveraineté ; vous avez garanti nos droits : exercez enfin ceux que la France a sur nous. Acceptez la souveraineté que le peuple vauclusien veut vous déléguer. Des hommes qui ont su conquérir leur liberté, qui sont déterminés à s’ensevelir sous les ruines de leur patrie plutôt que de la voir replongée dans la servitude, ne doivent pas réclamer vainement le nom de Français, titre glorieux qu’ils n’eussent jamais perdu si les droits sacrés des nations n’eussent été violés dans des temps d’ignorance et de barbarie. {Applaudissements.) M. Hébrard. La première fois que le peuple avignonais a été entendu dans cette Assemblée, il y a reçu les honneurs qui lui sont dus. Je demande que, comme il en a été usé la première fois, MM. les députés d’Avignon soient introduits dans l’intérieur de la salle. {Applaudissements.) Voix nombreuses : Oui! oui ! (La députation est introduite dans la salle.) M. Rovère, un des députés , prend ensuite la parole et s’exprime ainsi : Messieurs, Les tyrans répandus sur la surface de l’Europe, la torche et le poignard à la main, avaienteffacé le code de la liberté ; les nations avaient perdu de vue leurs droits les plus sacrés; l'habitude du joug, la superstition, l’intrigue avaient accoutumé le peuple au despotisme; des sages et des philosophes ont indiqué l’astre bienfaisant qui devait éclairer les peuples, et faire disparaître la tyrannie, l’Assemblée nationale de France a donné un grand exemple à l’univers asservi. Elle a dit ; l’homme naît libre, ses droits sont inaliénables et imprescriptibles; et la nation a conquis sa liberté. Les droits de l’homme et des sociétés ont été consacrés d’après les maximes de l’éternelle vérité. Le peuple qui nous a députés auprès de vous, Messieurs, glorieux d’avoir été jadis membre de la grande famille que vous avez régénérée, a été jaloux d'imiter ses vertus. Quel que soit le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] 407 bonheur romancier avec lequel on vous a dépeint le sort des habitants du Comtat et d’Avignon, sous le joug de l’évêque de Rome, la vérité, que nous invoquerons toujours, et l’expérience, nous ont appris qu’il n’existait aucun frein au despotisme insupportable des ultramontains; que les hommes les plus vils de l’Italie étaient envoyés dans notre patrie pour la gouverner arbitrairement ; que leur conduite criminelle était si connue dans les terres voisines, que la qualité de sujet du pontife de Rome était déjà devenue une injure. Le sang français qui coule dans nos veines nous a entraînés au champ de la liberté, nous avons trouvé des hommes assez lâches pour préférer l’état abject d’eselavts à celui d’hommes libres. Nos sentiments se seraient bornés à la compassion; mais les pervers se fortifiant des corn rerévolution naires nés départements voisins f<»nt une irruption à main armée sur les patriotes de Vaison, pendant la nuit; massacrent La Villasse, chevalier de Saint-Louis, et Anselme, deux membres du corps représentatif du département de Vaucluse. Fiers de leurs crimes dont des cannibalps au-raientrougi, ils se réunissent à Sainte-Cécile, petite ville du Haut-Comtat, ils anatbématis nt la sublime Constitution que nous avions adoptée et juré de maintenir jusqu’à la dernière goutte de notre sang, ils forcent les anciens vassaux à reprendre les chaînes féodales, les cultivateurs à payer un tribut établi par l’astuce et le fanatisme, la dîme ; ils menacent les amis de la Constitution de ce fer homicide avec lequel ils ont hâché les corps des patriotes de Vaison. Tant d’excès doivent trouver des vengeurs. Quelle idée la nation française eût-elle conçue de nous, si lâches spectateurs de telles atrocités, nous nous fussions bornés à de vaines réclamations? Nous ne consultâmes, Messieurs, que l’honneur et le devoir de nos serments, nous nous mîmes en campagne, nos ennemis ou pour mieux dire, ceux de la liberté, au nombre de 7,500, nous attendirent dans les plaines de Sarrians ; ils connaissaient leur supériorité en nombre; mais ils n’ignoraient pas combien un patriote est supérieur en force et en courage à un contre-révolutionnaire. (, Applaudissements .) Ils avaient pratiqué le chef de notre armée, 100,000 écus lui avaient été promis, pour livrer nos canons. Notre bravoure déjoua leurs complots : 3,500 patriotes, trahis par leur chef, surpris dans une embuscade, firent plier trois fois cette armée d’esclave, la dissipèrent, restèrent maîtres du champ de bataille. Quelques moments après, la ville de Sarrians envoya les clefs et de� manda d’être traitée avec douceur; les ordres les plus sévères furent donnés pour la conservation des personnes et des propriétés ; mais quel fut l’étonnement des chefs et des soldats, lorsqu’en-trés dans Sarrians et devant la maison commune, ils se virent traîtreusement fusillés des fenêtres 1 Que l’on se représente une armée victorieuse, une armée qui a vu la trahison de son chef, une armée qui voit une partie de ses frères d’armes fusillés, égorgés après une capitulation; quel est l’homme assez maître de lui-même, assez, philosophe pour n’être pas entraîné par quelques mouvements de rage et de vengeance ? Malgré les calomnies atroces répandues dans les journaux, malgré l’exagération et les faits controuvés dont ce temple auguste a retenti plus d’une fois, nous avons l’honneur de vous assurer, Messieurs, que les patriotes vouclusiens sont exempts des imputations audacieuses que de lâches ennemis du bien public ne cessent de répandre contre eux. La modération, l’amour sacré des lois ont toujours présidé b urs actions. M. Toureau, capitaine de dragons, citoyen de Sarrians, fut fait prisonnier, quelques moments avant la bataille; il venait reconnaître le camp; il était sans armes; une partie de l’armée voulut lui faire subir la peine portée contre les espions; on prit soin de l’enlever à la fureur du soldat. M. Toureau est plein de vie. Les frères Saint -Croix vont à Vaison, surprennent M. La Villasse dans son château, M. Anselme dans sa maison ; ils ordonnent le massacre; bs combattent à Sarrians sous les drapeaux des contre-révolutionnaires ; ils sont fai s prisonniers; leur procè-est instruit ; ils avouent I ur crime. Les formes décrétées par l’Assemblée nationale ne sont pas soigneusement suivies ; l’information est cassée, ers coupables assassins convaincus sont rendus aux sollicitations de mes leurs les médiateurs de la France, à leur arrivée dans le Comtat. ( Applaudissements .) 200 prisonniers sont successivement trouvés dans nospri-ons; aucun n’a péri; ils ont tous avoué que les soins les plus humains leur avaient été accordés; des préliminaires de paix sont signés à Orange le 14 juin dernier : l’année vauclusienne en observe tous les articles avec le scrupule le plus religieux. Quelle est la conduite de nos ennemis? Sur la bonne foi de ce traité, sur la parole des médiateurs de la France, sur une sauvegarde signée de leur part, après le licenciennent de l'armée, les citoyens de la commune de Caromb se rendent dans le sein de leurs familles ; ils sont escortés par un détachement du40erégiment,ci-devantSoissonnais; on les entoure, on s’empare de leur personne, on les entraîne dans le champ où leurs fosses élaient ouvertes; ils sont fusillés de sang-froid, après leur avoir offert de se confesser à des prêtres non assermentés. (Mouvements.) Nous vous attestons la vérité ; un électeur du département de Vaucluse et 6 autres pères de famille sont égorgés en présence d’un détachement d’artillerie française, après la paix signée, la garantie décrétée par l’Assemblée nationale. Mêmes scènes d’horreurs à Barroux, àCarpen-tras, à Bédouin, à Gigondas; 82 patriotes, après avoir combattu trois mois, les armes à la main, sont massacrés avec réflexion par des contre-révolutionnaires, après que la France a envoyé des médiateurs, après la garantie à eux portée, après les préliminaires de paix portés par la loi du 4 juillet; et aucun ministre n’est venu vous faire entendre sa voix, pour vous dire que la mar-jesté de la nation française était violée; si ce n’est celui de la justice qui est venu ces jours derniers nous l’annoncer, à l’oc.casio i des derniers troubles d’Avignon, dont l’origine a pour cause le meurtre commis, par un hussard du 5e régiment, sur la personne d’un patriote avi-gnonais qui était sans armes. Nos patriotes ont été égorgés; ils le sont journellement, leurs maisons et leurs campagnes sont menacées; leur crime est d’avoir voulu être libres, d’avoir adopté la Constitution protectrice de la liberté et de l’égalité française. Le sang de nos frères crie vengeance. G’esten vainque nous l’avons demandée : on nous répond que nous ne sommes que des factieux; que c’est l’ambition qui dirige nos actions ; que nous troublons la tranquillité de notre patrie. Quel langage différent de celui qui a tant applaudi, et à si juste titre, au courage de ces citoyens généreux qui ont exposé leur vie pour détruire le rempart du des- 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [9 septembre 1791.] potisme, la Bastille : à ces citoyens zélés pour leur patrie, qui ont voulu avoir leur roi parmi eux et qui l’ont conquis à Versailles! Si les amis de la liberté reçoivent des témoignages de bienveillance et de reconnaissance à Paris, à Marseille, à Lyon, à Nimes, pourquoi ceux du Gomtat seraient-ils improuvés en les imitant? Voudrait-on que des chaînes monstrueuses existassent au milieu d’un peuple qui a brisé les siennes? Voudrait-on entretenir un germe éternel de contre-révolution au milieu de l’Empire français? Non, Messieurs, votre justice, votresagesse, sont des motifs puissants de consolation pour nous ; elles répandent dans nos cœurs la douce espérance que vous allez nous déclarer Français. Si des coi sidérations particulières pouvaient retarder cet acte d’humanité de votre part, nous vous annonçons que nous sommes 10,000 qui avons juré, comme les Spartiates, de verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour défendre nos droits. Retirez alors le bienfait que vous nous avez accordé par votre médiation, laissez-nous entièrement livrés à notre courage et à notre énergie ; nous vaincrons, ou nous mourrons. (Applaudissements.) M. le Président répond : La nation a été vivement affligée des troubles qui se sont manifestés parmi vous; elle verra avec plaisir l’instant où elle pourra vous accueillir dans son sein et ne formera avec vous qu’une commune patrie, elle ne peut faire une réunion plus digne d’elle que celle d’un peuple qui connaît tout le mérite de sa Constitution, qui sait sentir tout le prix de la liberté, qui en a déjà toute l’énergie, et qui connaît tout l’avantage de devenir Français. Mais, comme une justice sévère doit régler toutes lesdémarches de l’Assemblée, sa décision dépendra uniquement du rapport qu’on doit lui faire et de la discussion approfondie qui doit suivre. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention dans le procès-verbal des discours de la députation.) . M. de Vismes, au nom des comités diplomatique et des domaines , a la parole et continue son rapport sur l'affaire du prince de Monaco (Voir ci-après ce document aux annexes de la séance.) (Ce rapport est interrompu et la suite de la lecture en est renvoyée à la séance de demain soir). M. le Président lève la séance à neuf heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 9 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Rapport sur l’ affaire du prince de Monaco, fait au nom du comité diplomatique et des domaines, par M. de Vismes, député de Laon. — (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale) (1). Messieurs, Le prince de Monaco, à qui la suppression des droi s féodaux, des péages et des justices patrimoniales fait perdre une partie considérable des concessions faites à ses auu uis, en exécution du traité de Péronne du 14 septembre 1641, demande à la nation une indemnité de celte perte qu’il évalue à environ 200,000 livres de ren te. D’un autre côté, la commune des Raux, en Provence, soutenant que la maison de Monaco n’a pu conserver les biens qui lui ont été concédés, en France, depuis les restitutions qui ont dû lui être faites en Italie, en vertu de l’article 104 du traité des Pyré nées, a dénoncé à l’Assemblée nationale, comme illégitime, la possession actuelle du prince de Monaco. Vous avez renvoyé, Messieurs, à l’examen du comité des domaines, et la demande du prince de. Monaco, et la dénonciation de la commune des Raux. L’importance de cette affaire, qui se fait remarquer au premier coup-d’œil, l’a déterminé à s’adjoindre le comité diplomatique; tous deux l’ont discutée avec toute l’attention qu’elle mérite: le développement de l’opinion qu’ils m’ont chargé de vous présenter doit être préparé par un exposé fidèle des faits. HISTORIQUE DE L’ AFFAIRE. La principauté de Monaco est une petite souveraineté indépendante, placée enire le comté de Nice et l’Etat de Gènes, à peu de distance de la frontière ée France. La position géographique de la ville de Monaco, sa position sur une longue terre que la nature a pris soin de fortifier, t’étendue, la sûreté et la commodité de son port, font de cette place une des stations importantes de la Méditerranée. L’Espagne, qui en connaissait les avantages, ne fut pas scrupuleuse sur les moyens d’en devenir la maîtresse. En 1605, Hercule Ier, prince de Monaco, fut assassiné, li laissait pour héritier Honoré II, son fils, encore en bas âge. Horace Grimaldi, oncle et tuteur de ce jeune prince, gagné par la cour de Madrid, laissa introduire une garnison espagnole dans la ville de Monaco; et le roi d’Espagne, sous prétexte d’alliance et de protectio u , ne laissa b len tôt plus au prince qu’un e ombre de souveraineté. 11 paraît, Messieurs, que, dès 1636, la France avait formé le projet d’enlever Monaco aux Espagnols, et que l’on reconnut alors que cela ne pouvait guère s’effectuer que par surprise. Honoré, instruit du dessein de la cour de France, et brûlant du désir de se délivrer du joug de ses oppresseurs, entama à ce sujet avec elle une négo-(1) Voir ci-dessus, même sSance, page 403, et ci-après, séance du 10 septembre 1791.