SÉANCE DU 16 THERMIDOR AN II (3 AOÛT 1794) - N°21 103 révolté, et que c’était contre ses derniers que nous allions marché !). Plusieurs bataillons étoit déjà rassemblé sur la place. Henriot, accompagné de six aides-de-camp, parut alors, après une harangue qu’il fit aux citoyens, aux cris de vive la République, disant que la Convention nationale étoit en dangé, que les meilleurs patriotes étoit tous arrêtés (à cette époque nous ignorions les décrets de la Convention qui mettoient les traîtres en arestation). Il se fit suivre par nous, et la réserve de la 29e division qui s’étoit jointe à nous, et, toujours jalouse d’avoir le pas, elle passa au gallos devant nous. Tous nous marchions au grand trot à la Convention nationale, dans l’espoir de lui faire un rempart de nos corps si elle étoit menacée. C’est dans cette marche que le scélérat Henriot et ses aides-de-camp se permirent d’arrêter plusieurs bons citoyens qu’il nous remis, nous ordonnant de les conduire au premier corps de garde. C’est sans doute là que le citoyen Merlin de Thionville a été arrêté. Jamais nous n’avons méconnu la représentation nationale. Au contraire, nous nous sommes toujours montrés ardens pour la soutenir. Notre conduite et le témoignage de plusieurs représentants] qui en furent témoin[s] le prouvera. Arrivé dans la cour du commité de sûreté généralfe], les conjurés mettent pied à terre. Nous nous rengeons en bataille. Les traîtres entrent dans la salle, et, trouvant résistance, reviennent à nous en disant : gendarmes, pied à terre ! Dans ce moment arrive le décret qui les mettoit en arrestation. Alors la vérité nous est connue. Nous nous précipitons sur les traîtres qui se mettent en deffence contre nous, nous appellans lâche et traître (Le citoyen huissier qui a été blessé peut rendre la vérité de ces faits; il n’y avoit que trois gendarmes de la 29e division avec nous qui nous aidère beaucoup à les désarmés). N’ayant plus d’arme, nous les traînons à force de corps dans la seconde salle du commité où ils furent garrottés et fouillés; plusieurs d’entre nous remirent au citoyen Amar les clefs, portefeuils et pistolet que ses traîtres avoit dans leurs poches; le citoyen Amart (sic) et plusieurs députés présent dans la salle du commité peuvent se rappellé ses fait. A 8 heures, comme nous allions partir pour exécuter un arrêté du commité de salut public, arrive une députation de la commune rebelle, avec une escorte de canonniers qui, avec leurs pièces, bouche les entrés du commité. Tandis que ceux qui étoient entrés avec la députation rendoient la liberté aux traîtres et le proclamoit leur général, les cheveaux des conjurés étoient encore dans la cour. Ils les montent. Alors Henriot éclate en reproche les plus viollant contre nous, parce que nous l’avions arrêté et désarmé. Il nous ordonne de le suivre. Nous lui répondons tous : Nous ne connoissons que la Convention nationale; nous ne suivrons pas un traître tel que toi. Là, les menaces redoublent. Il fait tourner contre nous trois pièces de canons, ordonnant aux canonniers de charger à mitraille. Le carnage auroit commancé si le génie de la liberté n’avoit porté un officier de canonniers à s’opposer aux efforts] des traîtres, en mettant son mouchoir mouillé sur la lumière d’une pièce. Voyant notre persévérance, il part, disant qu’il nous fera fusillier le lendemain. Nous, après avoir été plusieurs fois prendre les ordres du commité de salut public, nous nous sommes mis en bataille sous les murs de la salle de la Convention, jusqu’à 10 heures, où douze représentent ont montés nos cheveaux, que le reste a suivi dans toutes les sections. Le reste de notre conduite vous est connue par le rapport que plusieurs représentant ont fait à la Convention. Dans la journé du 10, plusieurs d’entre nous ont suivi des représentant, et le reste a laissé ses cheveaux au piquet jusqu’à 10 heures du soir, où nous reçûmes les ordres de nous retirer dans notre quartier, laissant seulement un piquet de douze hommes à l’entour de la Convention. Par cet exposé, vous voyez, citoyenfs] représentants], que nous n’avons pas abandonné la Convention nationale. Notre poste d’honneur étoit là. Nous avons bravé les menaces et les fusillades d’Henriot pour y restés fidelle. Vive la République. Martin ( cape commandant), Marc ( brigadier ), Médée, C. Jouanne, Hurel, Godart ( maréchal - des-logis), Rabinne, Le Maire, Binet, Moer, Paiset, Daulandery, Honon, Garnier, Blanche-ville, Janot, Gidoin, Humbert, Amaury, Chrétien, Dupuis, Prieur, Bruel ( lieut '), Bastion [et 3 signatures illisibles]. 21 DUBARRAN, au nom du comité de sûreté générale : Citoyens, les comités auxquels vous avez délégué la surveillance des mouvements révolutionnaires, apprécient mieux de jour en jour les grands devoirs qui leur sont imposés dans l’intérêt de la chose publique. Leur sollicitude est constamment fixée sur les moyens de déjouer les conspirations et de frapper les traîtres. Mais aussi, combien ils se plaisent à venger l’innocence et à devenir les défenseurs du patriotisme calomnié ! Il y a quelques jours qu’à cette tribune je vins, au nom de vos comités de salut public, de sûreté générale et des décrets, provoquer votre justice contre un suppléant de Haute-Garonne, qui, après s’être rangé sous l’étendard du fédéralisme, osait encore aspirer à la représentation nationale. Aujourd’hui, les trois comités me chargent de vous parler d’un autre suppléant de la même députation, mais dont la conduite a été entièrement opposée à celle du premier. C’est le citoyen Alard, agent national du district de Rieux. Diverses inculpations lui sont cependant faites : c’est à l’opinion publique qu’il appartient de les juger. Les ravages causés par le fédéralisme dans le département de Haute-Garonne, vous déterminèrent à y envoyer des représentants du 104 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE peuple. Ceux-ci reconnurent la nécessité de prendre des mesures vigoureuses. Il fallait épurer les autorités, raviver l’esprit public, redonner enfin au peuple cette énergie que les meneurs de la contre-révolution avaient si bien su comprimer. Nos collègues confièrent cette tâche, dans le district de Rieux, au citoyen Alard. Il l’exécuta avec succès. Pareille mission lui fut donnée dans le département de l’Ariège. Là, il trouva un peuple énergique et foncièrement républicain, mais trop souvent entouré d’hommes qui avaient intérêt à le tromper. Sur quelques points de ce territoire il existait encore des prêtres réfractaires. La loi relative à l’état civil y était ignorée. Ailleurs des mains perfides s’efforçaient d’éloigner ces rayons de lumière qui insensiblement se répandaient sur toute la France. C’est surtout dans la commune de Girons, chef-lieu de district, que le fanatisme était puissant. Cette commune et ses environs regorgeaient de prêtres, d’hommes enrichis par l’ancien régime et de parents d’émigrés. On les voyait dominer dans les sociétés populaires, dans les administrations, dans les emplois publics. Les patriotes en minorité étaient victimes de l’oppression. Dans ces circonstances, il n’était besoin que d’éclairer le peuple, et c’est le parti que prit Alard, malgré qu’en l’adoptant il s’exposât à la haine; car l’instruction ne saurait plaire aux partisans de la tyrannie. Les soins d’Alard ne furent pas infructueux : le peuple sentit bientôt qu’il n’était point libre, il désira le devenir; mais les prêtres étaient encore là. Ils s’emparent des tribunes, il essaient de persuader au peuple qu’il n’est pas mûr pour la révolution sacerdotale; ils ne cessent de crier à l’athéisme, à l’immoralité, à la corruption. Ce n’était pas encore assez pour ces énergumènes; il entrait dans leurs vues d’occasionner des déchirements, de porter le trouble dans les familles, d’armer des torches du fanatisme le cultivateur paisible et confiant. Cet affreux complot fut déjoué par Alard; il démasqua les imposteurs, en livra certains aux tribunaux, et fit reclure les autres. Mais il manquait à ces mesures, pour être plus salutaires, de n’avoir pas été plus générales. Des individus épargnés par Alard renouèrent une autre trame, dans l’objet d’anéantir ses opérations. Alard fut dénoncé aux représentants du peuple en séance à Toulouse. Ces derniers s’empressèrent de vérifier sa conduite; il ne fallut qu’un moment pour la justifier. Mais l’intrigue ne se rebuta point : les mécontents recoururent à la Convention nationale. D’après l’exposé qu’ils lui firent, elle prononça un décret d’arrestation contre Alard, de même que contre Picot, chef de la force révolutionnaire qui marchait contre l’Ariège. Le lendemain un de nos collègues vous dénonça ce décret, comme surpris à votre justice. Touchés des circonstances qui motivèrent son opinion, vous suspendîtes l’effet de la mesure, en ce qui concerne Alard. Le moment est venu de prononcer sur les accusations dirigées contre ce citoyen. Sont-elles fondées ? Il ne peut être admis dans cette enceinte. Eh ! quelle exclusion plus douloureuse pour un citoyen français ? Mais s’il a été pur, s’il n’a point démérité de la confiance du peuple, il faut que vous fassiez évanouir jusqu’à l’idée même du soupçon; car elle est un supplice pour l’homme de bien, et essentiellement pour le fonctionnaire public. 1) On reproche à Alard d’avoir pressé certaines mesures relatives au culte, et surtout d’avoir interrompu le service des prêtres. La correspondance du représentant du peuple Paganel avec le comité de salut public résout la première de ces objections. La société de Pamiers lui dénonça Alard comme ayant fait fermer les églises; mais la société n’ajoute point que 3 jours auparavant elle avait sollicité cette clôture; Paganel lui-même a vu la délibération. Quant au changement de prêtres, Alard ne s’en défend point. Plusieurs communes se trouvaient encore infestées de prêtres réfractaires; Alard les remplaça par des assermentés. Cela résulte et d’une lettre du ci-devant évêque de l’Ariège, et d’un arrêté d’Alard. 2) On lui reproche d’avoir été l’agent de la femme d’un émigré, la ci-devant comtesse de Sabran. Cette prétendue agence n’est qu’une procuration des plus circonscrites; car elle se réduit au recouvrement d’une rente due à cette femme pour ses reprises dotales. Au surplus, la procuration était de 1 790, et rien ne constate même qu’à cette époque Sabran eût émigré. 3) On lui reproche d’avoir fait, à Girons, des arrestations arbitraires; il prouve ne les avoir faites que sur la liste présentée par la société populaire et le comité de surveillance réunis. Cette liste se trouve signée par un des deux citoyens qui vinrent ensuite le dénoncer à la Convention, et ce signataire est le médecin Durand. 4) On lui reproche d’avoir fait arracher un arbre de la liberté dans la commune de Massat. Vous auriez peine à concevoir qu’un fait aussi grave n’est qu’un mouvement de dissimulation de la part des dénonciateurs. Un arbre avait été planté à Massat par les aristocrates et les prêtres qui abondaient dans cette commune. Ils affectèrent d’en planter un qui leur parut le plus difforme. A l’arrivée d’Alard, les aristocrates furent reclus. Les patriotes demandent alors de substituer un autre arbre à celui qui fut l’hommage de la perfidie, et que l’on voyait dépérir journellement, comme frappé de mort par les mains impures qui l’avaient posé. Cet acte civique s’exécute en présence d’Alard. Etait-ce outrager la liberté ? Le tyran Capet avait aussi planté un arbre dans le jardin-national. Imagina-t-on de faire un crime au peuple, lorsque, plein d’indignation, il l’arracha avec courage, et purgea le sol qui le portait des malignes influences qu’avait laissées autour de lui le souffle empoisonné de la tyrannie ? 5) On reproche à Alard d’avoir insinué à la municipalité d’Alos de conserver des titres de féodalité pour avoir à s’en servir en cas de retour des émigrés. C’est surtout contre ce dernier motif qu’Alard s’élève, en convenant SÉANCE DU 16 THERMIDOR AN II (3 AOÛT 1794) - N°21 105 d’ailleurs d’avoir dit que si ces papiers constataient la propriété de la commune sur des fonds jouis par le ci-devant seigneur émigré, il était raisonnable de conserver des titres constitutifs jusqu’au moment où la République aurait réglé les droits de la commmune. Est-il d’ailleurs probable qu’Alard pût supposer la rentrée des émigrés ? N’avait-il pas mis en arrestation un très-grand nombre de leurs parents, et notamment l’ex-seigneuresse d’Alos ? Pourquoi l’avait-il livrée aux tribunaux qui ont commencé à en faire justice en la condamnant à 6 années de détention ? Pourquoi fit-il séquestrer ses biens ? Pourquoi fit-il vendre son mobilier ? 6) On lui reproche de ce qu’il était accompagné par une armée révolutionnaire. Mais il fallait dire qu’il n’avait pas créé cette armée; quelle existait déjà dès le mois de juillet; qu’elle n’était composée que de 150 hommes. Puisqu’on accuse aussi cette prétendue armée, il faut dire au peuple ce qu’elle a fait. Elle a dissipé un rassemblement de contre-révolutionnaires qui se formait dans l’Ariège, et dont les chefs ont péri sur l’échafaud. Elle a prévenu des mouvements que méditait le fanatisme. Par sa marche rapide, elle imprimait la terreur dans l’âme des ennemis de la révolution : et elle l’a fait sans verser le sang. Elle a applaudi, en termes énergiques, au supplice de la féroce Antoinette. Elle exprima ses voeux pour la punition de Brissot, de d’Orléans et de leurs complices. Elle déclarait la guerre au modérantisme. Elle avait juré paix aux chaumières, amitié aux patriotes, mort aux tyrans et à leurs suppôts. 7) On reproche à Alard d’avoir déployé des mesures de force dans la commune de Girons. Mais l’ex-curé de cette commune, second dénonciateur, n’eût pas dû vous taire les circonstances qui nécessitèrent la détermination d’Alard. Il faut donc que vous connaissiez en quel état se trouvaient les choses à l’époque dont il s’agit. Les prêtres de Girons, coalisés avec des nobles et des amis d’émigrés, voulaient opérer un mouvement pour s’opposer à ce qu’on enlevât quelques monuments du fanatisme; ils circonviennent des esprits faibles, il les excitent à la rébellion; des rassemblements se forment; la sûreté générale est compromise, la force publique est menacée, on entrave la marche des commissaires. Fallait-il attendre que des événements tragiques allassent renouveler dans ce pays les scènes d’horreur que les prêtres et les royalistes avaient produites dans la Vendée et la Lozère ? Fallait-il laisser développer ces germes dangereux de sédition jusqu’à l’instant où ils se trouveraient en point de contact avec les superstitieux satellites du tyran espagnol, qui avoisinaient déjà cette partie de nos frontières ? Des mesures imposantes ont été prises par Alard pour tenir en respect les malveillants; et tel a été le succès de ces mesures, que, sans avoir versé une goutte de sang, le fanatisme a été vaincu, et l’aristocratie réduite à se cacher dans l’ombre, mais bien furieuse d’avoir manqué son coup. Voilà les crimes que l’on impute à une réunion d’hommes qui ne respiraient que le sentiment pur de la liberté. Que l’on apprécie actuellement le civisme des accusateurs. 8) On reproche à Alard de ce que la force révolutionnaire mise à ses ordres a donné la mort à un enfant. Cette inculpation est atroce. Il est vrai qu’en juillet, la force révolutionnaire étant à la poursuite de quelques chefs de la nouvelle Vendée qui avait éclaté dans l’Ariège, une balle vint à frapper sur une pierre; il s’en détacha un éclat, dont un enfant qui se trouvait à portée fut frappé. Le représentant du peuple Baudot s’instruisit des faits, et il eut occasion de reconnaître qu’il n’y avait eu ni malveillance, ni imprudence; mais que penserez-vous, citoyens, en voyant mettre sur le compte d’Alard un événement antérieur de 3 mois à son voyage dans ces contrées ? 9) On lui reproche d’avoir protégé une prétendue contre-révolutionnaire nommée Marie Roques. Mais il eût fallu ajouter que les inculpations faites à cette femme, simple villageoise, ne sachant ni lire, ni écrire, n’avaient pour base que des vengeances particulières; que cela est établi et par les renseignements qu’Alard se procura, et par une lettre dans laquelle on pressait Marie Roques de se désister d’une accusation qu’elle avait intentée, sous peine d’être dénoncée elle-même. 10) On reproche à Alard d’avoir levé des sommes que peut-être, dit-on, il fit passer à Hébert. Peu de mots suffisent pour répondre à ce grief. Le maire de Paris avait écrit aux départements, afin de réclamer des subsistances pour Paris. Des sociétés de l’Ariège, jalouses de venir au secours d’une portion de citoyens la moins fortunée, et qui a tant fait pour la révolution, mais réduites à l’impossibilité de fournir des denrées en nature, ces sociétés, disons-nous, se cotisèrent pour une offrande pécuniaire. Quant au reproche d’avoir trempé dans la conspiration des Hébertistes, il paraît n’exister que dans la lecture qu’Alard faisait parfois du journal d’Hébert : si cette circonstance est décisive, il faut mettre en accusation 2 millions de Français. Au surplus, on sait très-bien que l’aristocratie a tiré parti de cette expression d’Hébertiste, pour opprimer souvent les patriotes les mieux prononcés. 11) On reproche à Alard d’avoir continué ses fonctions, quoique ses pouvoirs fussent révoqués. Il répond que son rappel ne lui était notifié ni par les représentants qui l’avaient commis, ni par les autorités constituées, ni par la publication d’une loi. 12) On lui reproche d’avoir laissé mettre à contribution le curé de Saurat. Eh bien, cette inculpation est hautement désavouée par le curé lui-même, et il a déclaré qu’elle était l’ouvrage d’une main étrangère, et qu’il l’avait signée de confiance sans la lire. Nous dédaignons de relever d’autres griefs des plus frivoles, et qui ne sont que l’expression de la malveillance. La preuve en résulte et des opérations d’Alard en elles-mêmes, et des témoignages non moins nombreux que satisfaisants qui nous sont présentés sur sa conduite soit publique, soit morale. SÉANCE DU 16 THERMIDOR AN II (3 AOÛT 1794) - N°21 105 d’ailleurs d’avoir dit que si ces papiers constataient la propriété de la commune sur des fonds jouis par le ci-devant seigneur émigré, il était raisonnable de conserver des titres constitutifs jusqu’au moment où la République aurait réglé les droits de la commmune. Est-il d’ailleurs probable qu’Alard pût supposer la rentrée des émigrés ? N’avait-il pas mis en arrestation un très-grand nombre de leurs parents, et notamment l’ex-seigneuresse d’Alos ? Pourquoi l’avait-il livrée aux tribunaux qui ont commencé à en faire justice en la condamnant à 6 années de détention ? Pourquoi fit-il séquestrer ses biens ? Pourquoi fit-il vendre son mobilier ? 6) On lui reproche de ce qu’il était accompagné par une armée révolutionnaire. Mais il fallait dire qu’il n’avait pas créé cette armée; quelle existait déjà dès le mois de juillet; qu’elle n’était composée que de 150 hommes. Puisqu’on accuse aussi cette prétendue armée, il faut dire au peuple ce qu’elle a fait. Elle a dissipé un rassemblement de contre-révolutionnaires qui se formait dans l’Ariège, et dont les chefs ont péri sur l’échafaud. Elle a prévenu des mouvements que méditait le fanatisme. Par sa marche rapide, elle imprimait la terreur dans l’âme des ennemis de la révolution : et elle l’a fait sans verser le sang. Elle a applaudi, en termes énergiques, au supplice de la féroce Antoinette. Elle exprima ses voeux pour la punition de Brissot, de d’Orléans et de leurs complices. Elle déclarait la guerre au modérantisme. Elle avait juré paix aux chaumières, amitié aux patriotes, mort aux tyrans et à leurs suppôts. 7) On reproche à Alard d’avoir déployé des mesures de force dans la commune de Girons. Mais l’ex-curé de cette commune, second dénonciateur, n’eût pas dû vous taire les circonstances qui nécessitèrent la détermination d’Alard. Il faut donc que vous connaissiez en quel état se trouvaient les choses à l’époque dont il s’agit. Les prêtres de Girons, coalisés avec des nobles et des amis d’émigrés, voulaient opérer un mouvement pour s’opposer à ce qu’on enlevât quelques monuments du fanatisme; ils circonviennent des esprits faibles, il les excitent à la rébellion; des rassemblements se forment; la sûreté générale est compromise, la force publique est menacée, on entrave la marche des commissaires. Fallait-il attendre que des événements tragiques allassent renouveler dans ce pays les scènes d’horreur que les prêtres et les royalistes avaient produites dans la Vendée et la Lozère ? Fallait-il laisser développer ces germes dangereux de sédition jusqu’à l’instant où ils se trouveraient en point de contact avec les superstitieux satellites du tyran espagnol, qui avoisinaient déjà cette partie de nos frontières ? Des mesures imposantes ont été prises par Alard pour tenir en respect les malveillants; et tel a été le succès de ces mesures, que, sans avoir versé une goutte de sang, le fanatisme a été vaincu, et l’aristocratie réduite à se cacher dans l’ombre, mais bien furieuse d’avoir manqué son coup. Voilà les crimes que l’on impute à une réunion d’hommes qui ne respiraient que le sentiment pur de la liberté. Que l’on apprécie actuellement le civisme des accusateurs. 8) On reproche à Alard de ce que la force révolutionnaire mise à ses ordres a donné la mort à un enfant. Cette inculpation est atroce. Il est vrai qu’en juillet, la force révolutionnaire étant à la poursuite de quelques chefs de la nouvelle Vendée qui avait éclaté dans l’Ariège, une balle vint à frapper sur une pierre; il s’en détacha un éclat, dont un enfant qui se trouvait à portée fut frappé. Le représentant du peuple Baudot s’instruisit des faits, et il eut occasion de reconnaître qu’il n’y avait eu ni malveillance, ni imprudence; mais que penserez-vous, citoyens, en voyant mettre sur le compte d’Alard un événement antérieur de 3 mois à son voyage dans ces contrées ? 9) On lui reproche d’avoir protégé une prétendue contre-révolutionnaire nommée Marie Roques. Mais il eût fallu ajouter que les inculpations faites à cette femme, simple villageoise, ne sachant ni lire, ni écrire, n’avaient pour base que des vengeances particulières; que cela est établi et par les renseignements qu’Alard se procura, et par une lettre dans laquelle on pressait Marie Roques de se désister d’une accusation qu’elle avait intentée, sous peine d’être dénoncée elle-même. 10) On reproche à Alard d’avoir levé des sommes que peut-être, dit-on, il fit passer à Hébert. Peu de mots suffisent pour répondre à ce grief. Le maire de Paris avait écrit aux départements, afin de réclamer des subsistances pour Paris. Des sociétés de l’Ariège, jalouses de venir au secours d’une portion de citoyens la moins fortunée, et qui a tant fait pour la révolution, mais réduites à l’impossibilité de fournir des denrées en nature, ces sociétés, disons-nous, se cotisèrent pour une offrande pécuniaire. Quant au reproche d’avoir trempé dans la conspiration des Hébertistes, il paraît n’exister que dans la lecture qu’Alard faisait parfois du journal d’Hébert : si cette circonstance est décisive, il faut mettre en accusation 2 millions de Français. Au surplus, on sait très-bien que l’aristocratie a tiré parti de cette expression d’Hébertiste, pour opprimer souvent les patriotes les mieux prononcés. 11) On reproche à Alard d’avoir continué ses fonctions, quoique ses pouvoirs fussent révoqués. Il répond que son rappel ne lui était notifié ni par les représentants qui l’avaient commis, ni par les autorités constituées, ni par la publication d’une loi. 12) On lui reproche d’avoir laissé mettre à contribution le curé de Saurat. Eh bien, cette inculpation est hautement désavouée par le curé lui-même, et il a déclaré qu’elle était l’ouvrage d’une main étrangère, et qu’il l’avait signée de confiance sans la lire. Nous dédaignons de relever d’autres griefs des plus frivoles, et qui ne sont que l’expression de la malveillance. La preuve en résulte et des opérations d’Alard en elles-mêmes, et des témoignages non moins nombreux que satisfaisants qui nous sont présentés sur sa conduite soit publique, soit morale. 106 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Tandis que les administrateurs de Haute-Garonne se fédéralisaient avec les contre-révolutionnaires du Midi, Alard provoqua, dès le 20 juin, un arrêté du district de Rieux, qui ne reconnaissait que la République une et indivisible, ni d’autre centre d’autorité que la Convention nationale. Il refusa de députer à l’assemblée départementale, et de transmettre aux communes les arrêtés liberticides des corps constitués de Toulouse et autres écrits de la Gironde. Dès ce moment, il encourt la haine des fédéralistes; mais qu’importe au républicain de compter des ennemis ? Son devoir est toujours en première ligne. Dans la mission qu’il a remplie, Alard a eu a combattre une coalition qui avait le fanatisme pour moyen, et pour but l’anéantissement de l’esprit public. Il a été dénoncé par des ci-devant prêtres, par des administrateurs dfestitués, par des amis de contre-révolutionnaires, par des parents d’émigrés. Qu’on l’accuse d’avoir élevé l’opinion au niveau des bons principes; d’avoir défendu les patriotes; d’avoir imprimé la terreur dans l’âme des scélérats; d’avoir prêché la haine des rois; d’avoir propagé l’instruction dans les campagnes; d’avoir fait reclure 400 suspects; d’avoir rendu la liberté à des sans-culottes qui l’avaient perdue pour quelques erreurs qui leur appartenaient moins qu’à des aristocrates ou à des prêtres fanatiques; d’avoir rétabli l’union parmi des citoyens; d’avoir fondé des sociétés populaires; d’avoir enfin combattu à mort le fédéralisme. Tels sont cependant les résultats de ses travaux. Ils vous sont attestés par des administrations, des tribunaux, des comités de surveillance, des communes et un grand nombre de sociétés. Ne nous étonnons donc pas si Alard obtint les honneurs de la dénonciation de la part de Fabre d’Eglantine. Oui, ce fut d’Eglan-tine, ce digne ami de l’ex-baron de Marguerites, qui, par une suite de ce machiavélisme affreux que respirait son âme, et toujours fidèle à son système de fomenter des germes de division d’un bout de la République à l’autre, imagina de faire un crime à Alard d’avoir frappé la superstition dans une contrée où elle dominait. Ce fut sans doute aussi d’Eglantine qui jugea convenable d’envelopper dans la proscription le chef de la force révolutionnaire, en le qualifiant de chef du conseil privé d’Alard; expression ironique consignée dans le décret, et qui, par cela même, devenant injurieuse à la dignité nationale, fut évidemment surprise à la Convention. S’il était besoin, citoyens, d’autres considérations en faveur d’Alard, nous pourrions en puiser dans la correspondance tenue par les représentants du peuple avec le comité de salut public; nous vous dirions qu’il a constamment réuni la confiance des représentants qui se sont succédé dans l’Ariège; nous vous dirions que ses travaux sont d’autant plus à apprécier qu’à cette époque il n’existait pas d’organisation du gouvernement révolutionnaire; nous vous dirions que l’accusation d’Alard a été un triomphe pour l’aristocratie. Ne souffrez pas, citoyens, que le patriotisme soit comprimé. Vous venez de déjouer la plus affreuse des conspirations. C’est en déclamant contre les patriotes, qu’ils désignaient sous les titres d’immoraux, d’athées, d’Hébertistes et d’ultra-révolutionnaires, que les triumvirs et leurs complices opéraient la contre-révolution. Mais en revanche, ils ralliaient autour d’eux les ci-devant nobles, les ex-prêtres, les muscadins, les agioteurs, et même jusqu’aux dévotes. Ils avaient sans cesse à la bouche les mots de justice, de probité et de vertu. Ils se disaient les amis de la morale publique, et l’aristocratie était là, toujours prête à s’emparer des plus saines maximes pour les dénaturer, afin quelles devinssent en ses mains un instrument contre-révolutionnaire. Les têtes des tyrans ont tombé. La République s’élève majestueusement sur la ruine des trônes. Les victoires s’amoncellent autour de la liberté. Il ne nous reste, pour la consolidation de notre triomphe, qu’à défendre avec courage ce faisceau d’union et de fraternité qui fait le désespoir des tyrans et de tous les ambitieux. Ces réflexions nous ont paru s’allier à l’intérêt d’un citoyen longtemps opprimé; car lui aussi a éprouvé l’injustice du dernier tyran qui vient de tomber sous le glaive de la loi. Vous en pénétrez le motif : il fallait des prêtres à Robespierre, au lieu qu’Alard n’en voulait point. Nous nous résumons en deux mots : depuis l’aurore de la révolution, Alard s’est déclaré pour elle; il a fait la guerre aux aristocrates, et les aristocrates le dénoncent; il a bravé les poignards des fédéralistes, et il est en butte à leur vengeance; il a démasqué des prêtres fanatiques, et ceux-ci ont voulu l’immoler; mais il a répandu l’instruction parmi le peuple; il a soutenu les patriotes : ce sont aussi les patriotes qui vous parlent pour lui. Les comités m’ont chargé de vous présenter le projet de décret suivant : [voir texte ci-dessous ( 1)] Un membre [DUBARRAN] , au nom des comités de salut public, de sûreté générale et des décrets, fait un rapport après lequel la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et des décrets, déclare fausses et calomnieuses les inculpations portées contre le citoyen Alard, député suppléant du département de Haute-Garonne; décrète en conséquence qu’il est admis aux fonctions de représentant du peuple français. Le présent décret sera inséré, avec le rapport de Dubarran, dans le bulletin de correspondance, et envoyé d’ailleurs en la forme ordinaire à toutes les municipalités de la République (2). [Applaudissements] (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 391-393; Bm, 20 therm. (suppl1); J. Mont., n° 96; Ann. R.F., n° 245; J. Fr., n° 678; J. Paris, n° 581; F.S.P., n° 395; J. S. -Culottes, n° 535; J. Perlet. n' 680; Rép., n° 227; Audit, nat., n° 679; Mess. Soir, n° 714. (2) P.V., XLIII, 5. Minute de la main de Dubarran. Décret n° 10 218. M.U., XLII, 267; J. Lois, n° 677; C. univ., n° 946; Débats, n 0 682. 106 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Tandis que les administrateurs de Haute-Garonne se fédéralisaient avec les contre-révolutionnaires du Midi, Alard provoqua, dès le 20 juin, un arrêté du district de Rieux, qui ne reconnaissait que la République une et indivisible, ni d’autre centre d’autorité que la Convention nationale. Il refusa de députer à l’assemblée départementale, et de transmettre aux communes les arrêtés liberticides des corps constitués de Toulouse et autres écrits de la Gironde. Dès ce moment, il encourt la haine des fédéralistes; mais qu’importe au républicain de compter des ennemis ? Son devoir est toujours en première ligne. Dans la mission qu’il a remplie, Alard a eu a combattre une coalition qui avait le fanatisme pour moyen, et pour but l’anéantissement de l’esprit public. Il a été dénoncé par des ci-devant prêtres, par des administrateurs dfestitués, par des amis de contre-révolutionnaires, par des parents d’émigrés. Qu’on l’accuse d’avoir élevé l’opinion au niveau des bons principes; d’avoir défendu les patriotes; d’avoir imprimé la terreur dans l’âme des scélérats; d’avoir prêché la haine des rois; d’avoir propagé l’instruction dans les campagnes; d’avoir fait reclure 400 suspects; d’avoir rendu la liberté à des sans-culottes qui l’avaient perdue pour quelques erreurs qui leur appartenaient moins qu’à des aristocrates ou à des prêtres fanatiques; d’avoir rétabli l’union parmi des citoyens; d’avoir fondé des sociétés populaires; d’avoir enfin combattu à mort le fédéralisme. Tels sont cependant les résultats de ses travaux. Ils vous sont attestés par des administrations, des tribunaux, des comités de surveillance, des communes et un grand nombre de sociétés. Ne nous étonnons donc pas si Alard obtint les honneurs de la dénonciation de la part de Fabre d’Eglantine. Oui, ce fut d’Eglan-tine, ce digne ami de l’ex-baron de Marguerites, qui, par une suite de ce machiavélisme affreux que respirait son âme, et toujours fidèle à son système de fomenter des germes de division d’un bout de la République à l’autre, imagina de faire un crime à Alard d’avoir frappé la superstition dans une contrée où elle dominait. Ce fut sans doute aussi d’Eglantine qui jugea convenable d’envelopper dans la proscription le chef de la force révolutionnaire, en le qualifiant de chef du conseil privé d’Alard; expression ironique consignée dans le décret, et qui, par cela même, devenant injurieuse à la dignité nationale, fut évidemment surprise à la Convention. S’il était besoin, citoyens, d’autres considérations en faveur d’Alard, nous pourrions en puiser dans la correspondance tenue par les représentants du peuple avec le comité de salut public; nous vous dirions qu’il a constamment réuni la confiance des représentants qui se sont succédé dans l’Ariège; nous vous dirions que ses travaux sont d’autant plus à apprécier qu’à cette époque il n’existait pas d’organisation du gouvernement révolutionnaire; nous vous dirions que l’accusation d’Alard a été un triomphe pour l’aristocratie. Ne souffrez pas, citoyens, que le patriotisme soit comprimé. Vous venez de déjouer la plus affreuse des conspirations. C’est en déclamant contre les patriotes, qu’ils désignaient sous les titres d’immoraux, d’athées, d’Hébertistes et d’ultra-révolutionnaires, que les triumvirs et leurs complices opéraient la contre-révolution. Mais en revanche, ils ralliaient autour d’eux les ci-devant nobles, les ex-prêtres, les muscadins, les agioteurs, et même jusqu’aux dévotes. Ils avaient sans cesse à la bouche les mots de justice, de probité et de vertu. Ils se disaient les amis de la morale publique, et l’aristocratie était là, toujours prête à s’emparer des plus saines maximes pour les dénaturer, afin quelles devinssent en ses mains un instrument contre-révolutionnaire. Les têtes des tyrans ont tombé. La République s’élève majestueusement sur la ruine des trônes. Les victoires s’amoncellent autour de la liberté. Il ne nous reste, pour la consolidation de notre triomphe, qu’à défendre avec courage ce faisceau d’union et de fraternité qui fait le désespoir des tyrans et de tous les ambitieux. Ces réflexions nous ont paru s’allier à l’intérêt d’un citoyen longtemps opprimé; car lui aussi a éprouvé l’injustice du dernier tyran qui vient de tomber sous le glaive de la loi. Vous en pénétrez le motif : il fallait des prêtres à Robespierre, au lieu qu’Alard n’en voulait point. Nous nous résumons en deux mots : depuis l’aurore de la révolution, Alard s’est déclaré pour elle; il a fait la guerre aux aristocrates, et les aristocrates le dénoncent; il a bravé les poignards des fédéralistes, et il est en butte à leur vengeance; il a démasqué des prêtres fanatiques, et ceux-ci ont voulu l’immoler; mais il a répandu l’instruction parmi le peuple; il a soutenu les patriotes : ce sont aussi les patriotes qui vous parlent pour lui. Les comités m’ont chargé de vous présenter le projet de décret suivant : [voir texte ci-dessous ( 1)] Un membre [DUBARRAN] , au nom des comités de salut public, de sûreté générale et des décrets, fait un rapport après lequel la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et des décrets, déclare fausses et calomnieuses les inculpations portées contre le citoyen Alard, député suppléant du département de Haute-Garonne; décrète en conséquence qu’il est admis aux fonctions de représentant du peuple français. Le présent décret sera inséré, avec le rapport de Dubarran, dans le bulletin de correspondance, et envoyé d’ailleurs en la forme ordinaire à toutes les municipalités de la République (2). [Applaudissements] (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 391-393; Bm, 20 therm. (suppl1); J. Mont., n° 96; Ann. R.F., n° 245; J. Fr., n° 678; J. Paris, n° 581; F.S.P., n° 395; J. S. -Culottes, n° 535; J. Perlet. n' 680; Rép., n° 227; Audit, nat., n° 679; Mess. Soir, n° 714. (2) P.V., XLIII, 5. Minute de la main de Dubarran. Décret n° 10 218. M.U., XLII, 267; J. Lois, n° 677; C. univ., n° 946; Débats, n 0 682.