[ Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { *§ chêne antique où ils ont livré aux flammes les titres féodaux. Leur curé s’est déprêtrisé; ils viendront, sous peu, réunir au Trésor public les vases d’argent de leur ci-devant église, et d’autre argenterie. Ils ne veulent plus d’autre culte que celui de la saine raison, c’est-à-dire, celui de la liberté et de l’égalité. Cette petite commune a déjà fourni 200 jeunes gens à la patrie. Elle est prête à se réunir tout entière à eux pour exter¬ miner les tyrans; elle invite la Montagne à res¬ ter à son poste pour achever d’opérer le salut de la patrie. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1). Suit la lettre de la municipalité d’ Azêrables (2). « Commune d’ Azêrables, district de la Souterraine, département de la Creuse, le 12 frimaire l’an II de la République française, une et indivisible. « Citoyen Président, « La Convention nationale s’est armée du flambeau de la philosophie; les préjugés ont disparu, et la raison reprend son empire. Tu pourras en juger par les progrès qu’elle a faits dans notre petite commune. « Elle vient de célébrer une fête champêtre qui sera à jamais mémorable dans les fastes de la République. « Au milieu d’une forêt solitaire et au pied d’un chêne antique s’élevait un bûcher qui se perdait dans les nues. C’est dans ses flammes ondoyantes qu’ont été consumés en un instant tous ces parchemins, vains attributs de la féoda¬ lité et d’une orgueilleuse envie de dominer, aux cris mille fois répétés de Vive la Montagne ! Vive la République ! Vive la Convention ! « Au retour de cette fête civique, le citoyen Blanchard, notre ci-devant curé, qui a su s’élever à la hauteur de la Révolution, s’est déprêtrisé en faisant une abjuration solennelle des dogmes faux qu’il nous a enseignés jusqu’à ce jour. « Nous ne reconnaîtrons plus dorénavant d’autre culte que celui de la saine raison, c’est-à-dire celui de la liberté et de l’égahté. « Tous les vases d’argent de notre ci-devant église n’étant plus faits pour notre utilité, nous en faisons l’hommage à la République. « Notre maire, qui doit sous peu aller à Paris pour ses affaires particulières, présentera ces vases à la Convention pour être réunis au trésor public : c’est, un vigoureux républicain qui s’oc¬ cupe sans cesse des intérêts de la patrie. A son invitation, les habitants de notre petite com¬ mune viennent de faire une offrande à la nation, dont le résultat est de 400 livres tant en or qu’en argent. « Ils ont accompagné ce don patriotique d’un gobelet, d’une tasse et de trois boutons de manche, le tout en argent. « Notre commune a de plus fourni en numé¬ raire, tant en or qu’en argent, une somme de 3,000 livres pour être échangée contre des assi¬ gnats. « Notre maire portera tous ces objets à la Convention. « Nous prions cette Montagne célèbre, cette 57 Montagne guidée entièrement par un esprit populaire et vraiment régénérateur, de rester à son poste pour achever d’opérer le salut de la patrie. « Reçois, citoyen Président, notre salut fra¬ ternel. « P. S. — Notre commune, quoique petite, a déjà fourni 200 jeunes gens à la patrie, et tous les membres qui restent sont toujours prêts à se réunir à eux, si cela est nécessaire, pour exter¬ miner les tyrans. Nous te prions de croire qu’au¬ cun sacrifice ne lui coûtera pour anéantir les despotes et les aristocrates. « Nous t’envoyons ci-joint le procès-verbal d’une fête civique, dans laquelle nous avons livré aux flammes tous ces parchemins à l’aide desquels un petit nombre d’êtres privilégiés tenait le reste des Français dans un odieux es¬ clavage. « Plus deux procès-verbaux qui sont à la suite l’un de l’autre, et qui constatent que le citoyen Blanchard, notre curé, et le citoyen Patureau, vicaire épiscopal, ont donné leur démission de prêtres et ont renoncé publiquement à ne faire dorénavant aucunes fonctions sacerdotales. « Gra vêlais, maire; Blanchaud, secrétaire. » Extrait des registres de la commune d' Azêrables, district de la Souterraine, département de la Creuse (1). Aujourd’hui 27 brumaire, l’an II de la Répu¬ blique française, une et indivisible, les habi¬ tants de la commune d’ Azêrables, canton de Saint -Germain, district de la Souterraine, département de la Creuse, s’étant assemblés sui¬ vant l’ancien usage pour y célébrer le dimanche, le citoyen Pierre Gravelais, maire de ladite commune, accompagné du procureur et autres officiers municipaux, s’est présenté sur la place publique et a annoncé au peuple qu’il était temps de sortir de l’ignorance dans laquelle il avait été plongé jusqu’à présent sous le voile de la religion catholique; que ce voile était déchiré et que la raison devait prendre la place de la superstition. Qu’en conséquence qu’il prévenait qu’il ne se ferait plus aucune de ces cérémonies qui l’avaient entretenu dans l’erreur; que les jours de décade seraient à l’avenir les jours consacrés au repos et aux fêtes civiques ; que cependant le rassemblement ne deviendrait pas inutile; qu’il existait des titres de féodalité dont il S’était fait faire la remise et que cette journée serait consacrée à les brûler et à en témoigner la joie par des chansons républicaines, des jeux, des danses précédés et suivis de repas dont les riches feraient les frais et auxquels les pauvres occu¬ peraient les premières places, qu’il avait invité les municipalités voisines à prendre part à cette fête, qu’il avait tout disposé, que les tables étaient rangées, les mets préparés, le bûcher, sur lequel devaient être consumés tous les titres de féodalité qu’il avait pu découvrir, érigé sur la montagne la plus élevée de la commune, afin qu’il fût aperçu du plus loin possible, et que par là toutes les communes voisines s’empressassent, à l’exemple de celle d’ Azêrables, de faire la même chose. Après avoir chanté Y Hymne des Marseillais, pendant lequel (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 33. (2) Archives nationales, carton G 284, dossier 823. (1) Archives nationales, carton C 284, dossier 823. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j « 5��1793 58 une superbe symphonie champêtre répétait les couplets, le maire a invité le peuple à être ferme dans ses principes, et à soutenir la liberté de tout son pouvoir, ce que tous les assistants ont juré de laire, ou de mourir en la défendant. De là tous ont été invités à se rendre à la maison commune où le repas était prêt. Les pauvres et les vieillards des deux sexes y ont occupé les premières places, ils ont été servis par les riches. La disette du pain ne s’y est point aperçue, les riches, à l’envi, avaient fait tuer des bœufs, des vaches, des veaux, des moutons, des porcs et y avaient fait abonder la volaille de toute espèce ; des ruisseaux de vin coulèrent de toutes parts et quoique cette assemblée fût composée de plus de deux mille personnes, tous y ont été traités de la même manière, et avec profusion pendant le repas. La municipalité, tou¬ jours attentive, suivait les tables et faisait compliment à chacun. La musique venait ensuite qui jouait l’air Ça ira, Y Hymne des Marseillais et plusieurs autres airs républicains et à laquelle se joignaient les voix des jeunes vestales de la commune. Après ce repas qui a duré près de quatre heures, le maire qui avait tout disposé a annoncé qu’il fallait se préparer au brûlement des titres odieux qu’il avait ramassés, et comme tous devaient prendre part à cette cérémonie, il a dirigé la marche de la manière qui suit pour se rendre au lieu où était érigé le bûcher : Un détachement de la garde précédait la municipalité qui était en écharpe, après elle venait un autre détachement sur deux co¬ lonnes, au milieu desquelles était un citoyen vêtu en ci-devant monté sur un âne chargé de rubans tricolores. Le représentant des ci-devants portait sur ses épaules, dans deux sacs rangés en sautoir, les restes odieux de la féo¬ dalité et était hué par deux groupes de jeunes Mes et de garçons, et la musique jouait l’air Ça ira. Venaient ensuite quatre voitures attelées chacune de quatre bœufs, qui conduisaient les vieillards et les infirmes; enfin la marche se terminait par le gros de l’assemblée qui marchait sur différentes colonnes, chantant YHymne des Marseillais et criant de temps à autre : Vive la République ! Vive la sainte Mon¬ tagne! Vive la liberté et l’égalité! Périssent les tyrans ! Arrivés à la montagne de Matzouan, là se présente un feu composé de plus de 180 voi¬ tures de bois, dressé autour d’un arbre s’éle¬ vant à 60 pieds de hauteur, autour duquel tout le monde se range, comme on nous disait autre¬ fois autour de l’arche sainte. A quelque dis¬ tance du feu paraissait un amphithéâtre. Le représentant des ci-devants était daDS le centre chargé de ses titres informes, gardé par 8 fu-silliers. Alors le maire monte sur l’amphithéâtre et annonce qu’il a un discours à prononcer. A l’instant succède le plus profond silence. Il parle, et dans son discours plein de force et d’élo¬ quence il fait sentir tous les avantages que tire la République et surtout sa commune des sages décrets qui ont anéanti la féodalité, aboli les dîmes et les rentes sans indemnité, et qui ont rendu au peuple la liberté qui lui avait été ravie par tous ces monstres qui les avaient traités jusqu’ici en esclaves. « Rendons grâces, a-t-il dit, à l’être suprême d’avoir mis les intérêts de la République entre des mains aussi bienfaisantes ! Crions donc sans cesse : Vive. la Montagne! Vivent les braves représentants qui en ont atteint le sommet ! Vive la République et périssent à jamais tous les tyrans de la même manière que vont disparaître ces titres odieux qui nous avilissaient et nous tenaient continuellement dans l’esclavage ! » Ce discours fini, le maire a engagé deux des juges du tribunal de La Souterraine, qui étaient invités à la fête, à prendre séance; l’un d’eux, le président, a prononcé d’abondance un dis¬ cours plein du feu d’un vrai républicain ; en montrant de quelle manière on doit user de la liberté, il a développé les grands avantages que tous les individus trouvaient dans les lois bienfaisantes de l’égahté et de la liberté, dans celles des suppressions de tous les droits féodaux, dîmes, cens, rentes, etc., et en finis¬ sant il a dit que ce n’était pas tout, que nous avions un devoir à remplir, celui de demeurer unis, de nous lever en masse pour soutenir l’adorable ouvrage de la Montagne et de verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour exterminer les tyrans qui prétendraient nous ravir ces droits reconquis. Son collègue, Poisonnière a fait l’éloge de la fête avec son éloquence ordinaire, et la tour¬ nure ingénieuse dont ses discours sont toujours ornés. Et comme en ce moment le temps s’est obscuri et menaçait d’une pluie considérable, il a terminé par annoncer que le soir il analyserait la constitution et expliquerait les droits de l’homme. Le commissaire du canton, de retour de sa mission, a fait un discours patriotique sur ce qu’il avait vu à l’assemblée et a engagé le peuple à déployer toutes ses forces pour le soutien de la Constitution. Le citoyen Chandeb œu f -Pradel est aussi monté, a pris place et a prononcé un discours par lequel il a démontré son amour pour le bien public, son grand désintéressement et le plus souverain mépris pour tous les droits dont ses pères s’étaient revêtus et ii n’a cessé de bénir les mains bienfaisantes qui avaient rompu les fers qui nous avaient enchaînés jusqu’ici. Le maire a ensuite donné le signal. Aussitôt l’air a rententi de toutes parts des cris de : Vive la Montagne! Vive la République ! Vive la liberté et l’égalité ! Périssent tous les tyrans ! La musique a accompagné ces cris par des airs analogues, et puis la garde attentive a fait former un cercle autour du feu. Le porteur des titres était près du bûcher, dans une posture tout à fait semblable à celles des propriétaires, s’ils avaient été présents, le teint pâle, les yeux larmoyants, et de temps à autre poussant des soupirs entremêlés de sanglots, pendant que la jeunesse le bernait et le huait. Le maire s’approche, fait allumer des torches qu’il distribue à la municipalité et aux orateurs, fait arracher les sacs des bras du représentant des ci-devants, en fait tirer les titres, les enfouit lui-même dans le bûcher, y met le feu, et est imité par tous ceux qui avaient des torches. L’effet du feu aurait été admirable et se serait aperçu de 20 lieues s’il n’avait été con¬ trarié par un vent considérable, et une pluie violente. Malgré cela, il s’est formé des danses qui offraient le plus riant spectacle. Cependant l’orage augmentait, on a été forcé de se retirer, toujours dans le même ordre. De retour au chef -lieu, le peuple est entré dans l’église, lieu indiqué pour entendre le discours du citoyen Poissonnière. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ‘g 59 Le maire et lui sont montés à la tribune. Le maire y a harangué le peuple de nouveau, il a engagé à faire offrande à la patrie de tout ce qu’il avait au delà du simple nécessaire, lui a démontré combien il était intéressant pour la République de faire les plus grands efforts pour confondre les tyrans et leurs suppôts; qu’il fallait donc se mettre à la gêne une seule fois pour être toujours libres et de suite donner des secours à nos braves frères d’armes. « Ce n’est pas tout, a-t-il dit, nous avons ici formé un bureau de paix et de conciliation ; quelques-uns d’entre nous en ont déjà éprouvé les heureux effets, nous espérons que vous en sentirez tous les avantages, et que vous préférerez notre bureau de conciliation à l’ancienne habitude que vous aviez de vous traduire pour un rien devant les juges de paix et les tribunaux, pra¬ tique funeste qui renversait la fortune de toutes parties. » Le public a singulièrement applaudi à toutes ces mesures et a juré de faire dès ce moment tous les sacrifices qui seront en son pouvoir pour donner les secours dont ont besoin les braves défenseurs de la patrie. L’orateur Poissonnière a ensuite pris la parole, il a fait lecture des Droits de Vhomme et s’est livré à l’explication de ces droits avec une force, une énergie qui ont entraîné tous les cœurs; les individus les moins intelligents ont tellement été pénétrés de la vérité des principes qu’il leur a développés, qu’ils ont tous juré de vivre libres ou de mourir. Enfin son dis¬ cours a produit les plus merveilleux effets et tous se sont retirés, criant : Vive la Montagne! Vive la République! Vive la liberté et l'égalité ! Périssent tous les tyrans ! A l’issue de cet excellent discours, le peuple s’est rendu à la maison commune, où il a été servi un souper républicain, dans le même ordre que le dîner. On y a porté plusieurs santés aux illustres représentants de la Montagne, et tout s’est passé dans le meilleur ordre. Le procureur de la commune s’est distingué dans toute cette cérémonie par toute son attention, sa vigilance et la dextérité laquelle il avait tout disposé. avec De tout quoi il a été fait et dressé le présent procè j-verbal, dont copie sera envoyée à la Convention nationale, lesdits jour et an, environ minuit, et ont signé tous les habitants qui savaient écrire et plusieurs autres. Certifié conforme : Gra vêlais, maire; Blanchaud, secrétaire. Extraits des registres des délibérations de la municipalité d' Asérables, canton de Saint-Ger¬ main-Beauprés, district de La Souterraine, département de la Creuse (1). Aujourd’hui, quartidi de la première décade de frimaire, l’an second de la République fran¬ çaise, une et indivisible, en l’église de la com¬ mune d’Azérables et en présence du peuple y assemblé, au moment où le maire était à la tribune où il avait prononcé un discours civi¬ que, est comparu le citoyen Pi erre -Jean -Bap¬ tiste Blanchaud, ci-devant curé de notre com¬ mune, lequel volontairement et publiquement a remis ses lettres de prêtrise ès mains dudit citoyen maire, ensemble tous les titres qui le constituaient curé de cette commune avec déclaration qu’à oompter de ce jour il entendait cesser toutes fonctions curiales et abdiquer la prêtrise pour rentrer dans la société comme simple citoyen. De tout quoi il lui a été donné acte par nous maire et offioiers municipaux soussignés présents à ladite déclaration pour servir et valoir audit citoyen Blanchaud ce qu’il appartiendra, au civisme duquel la commune rend de plus en plus hommage, et s’est ledit citoyen Blanchaud, soussigné avec nous. Ainsi signé : Gra vêlais, maire, Benoit, officier, Blanchaud, Dupuis, procureur de la commune, Dunet, officier, Michel Chaput, officier. Le quintidi de la première décade de fri¬ maire, est survenu le citoyen Louis Patureau, ci-devant vicaire épiscopal de l’Indre, natif de cette commune, lequel apprenant la déprê-trisation du citoyen Blanchaud, ci-devant curé de cette commune, nous a dit que depuis le premier novembre (ère vulgaire) il avait envoyé ses lettres de prêtrise au Président de la Convention , qu’il avait le billet de charge¬ ment du paquet mis à la poste le jour ci-dessus premier novembre (vieux style), qu’il avait pareillement renvoyé à l’évêque de l’Indre ses lettres de vicariat, mais qu’il était étonné de n’en avoir reçu aucune nouvelle, qu’il n’en avait même vu aucune mention. Pourquoi il nous a prié de recevoir sa présente déclaration et en faire mention dans l’envoi de celle du susdit Blanchaud. Nous maire et officiers municipaux, consi¬ dérant qu’on ne peut trop donner d’authenticité aux actes de républicanisme de nos bons citoyens, et surtout qu’il est important de faire connaître et distinguer ceux qui les premiers ont eu le courage de foudroyer le fanatisme et tous les préjugés religieux, nous avons donné acte audit citoyen Paturaud de sa déclaration et lui avons promis de la joindre à celle du citoyen Blanchaud en date d’hier, et nous avons signé avec lui. Fait à la maison commune d’Azérables le quintidi de la première décade de frimaire de la seconde année de la République, une et indivisible. Ainsi signé : Paturaud, Gra vêlais, maire , Dupuis, procureur de la commune, Michel Chaput, officier, Benoit, officier, et Dunet, officier. Certifié conforme : Gra vêlais, maire, Le conseil général de la commune de Larvin [Carvin], prévient la Convention nationale qu’elle a fait ses adieux à ses prêtres, qui l’ont si long¬ temps trompée; et qu’elle envoie les vases de ses églises, consistant en 122 livres poids de 14 on¬ ces, par la voie de Jean-Pierre Bonjour, natif de Paris. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1) . (1) Archives nationales, carton C 284, dossier 823. (1) Procès-verbaux de la Convention , fe. 27, p. 33.