35 [Convention nationale. 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES., I ® '■''.maire an H I 20 décembre 1793 « C’est à vous qui ave? médité sur les hommes et sur les événements, qui avez comparé les révolutions des siècles anciens et des siècles modernes; c’est à vous d’apprendre ce que vous entendez par conspirateurs. Vous savez que le secret des conspirateurs n’est jamais renfermé que dans peu de têtes, et que lorsque le glaive a frappé ses premières têtes, la raison, l’huma¬ nité, la prudence, l’intérêt, pardonnent à la mul¬ titude égarée, et peuvent diriger ses forces vers un but utile et patriotique. h C’est en vain qu’on affecte de craindre un parti dès longtemps détruit, un parti que nous détruirons nous-mêmes, s’il osait jamais repa¬ raître. Le traître Préçy n’est plus, quoiqu’on feigne de croire à son existence; ou du moins si sa mort n’a pas encore expié ses forfaits, il vit seul, abandonné à sa rage impuissante. Tous ses com¬ plices ont péri, ou dans leur fuite ou sur l’écha¬ faud. S’il méditait contre toute apparence, quelques nouveaux attentats, c’est dans la cité qu’il a trompée, que des milliers de bras sont levés pour l’arrêter; c’est là qu’il trouverait son tombeau; c’est là que l’indignation publique le punirait, par les plus terribles châtiments, de nous avoir séparés de la grande famille que nous avons toujours aimée, et où nos remords nous rendent dignes de rentrer. « Oui, nous conjurons la France dont vous êtes les organes, de nous compter encore parmi ses enfants. Nous étions français, nous étions vos frères, vos parents, vos amis, nous le sommes, nous le serons toujours. « Les oppresseurs nés de l’humanité, les enne¬ mis du peuple, les tyrans, les rois en un mot ont adouci quelquefois les décrets de leur vengeance; ils ont connu la gloire et le plaisir de pardonner. Le burin de l’histoire, tenu même par des mains libres, inscrivit avec honneur dans tes annales ces actes de clémence. La politique de la li¬ berté serait -elle moins généreuse que celle du despotisme? « Dans le premier mouvement d’une juste indi¬ gnation, vous avez rendu un décret, que semble avoir dicté le génie du sénat romain. Vous avez ordonné qu’on dressât une colonne, où seront gravés ces mots : Lyon n'e t plus. « Eh bien ! que votre décret se réalise aveo plus d’utilité et de grandeur encore; que Lyon ne soit plus en effet; que Ville-Affranchie digne de son nouveau nom enfante des soldats à la liberté; que l’aotive industrie de ses habitants, au lieu de servir le luxe et l’opulence, s’applique tout entière désormais aux besoins des défen¬ seurs 4e 1 ; patrie; que dans ses mws, s’élève un peuple nouveau régénéré par un regard de la clémence nationale, qu’il aille en foule expier sur les ruinas de Toulon ses égarements pu¬ nis. Imitez la nature, ne détruisez point, mais recréez; changez les formes, mais conservez les éléments; dites un mot, et de toutes parts sor¬ tiront de nos murs des hommes semblables à vous, « Ah ! par cette pitié gravée dans le cœur de tous les hommes, mais qui dans celui des hommes publios doit être plus puissante et plus active, parce qu’ils ont plus de larmes à essuyer et plus de bienfaits à répandre, représentants du peuple, pères de la patrie, ne soyez pas sourds à la voix d’une ville plus infortunée enoore que coupable; écoutez une section du peuple, humiliée et repentante, qui, courbée devant la majesté du peuple entier, lui demande grâce, non pas. pour re crime, ea? ses auteurs et ses agents ne sont plus, mais grâce pour le repentir sincère, pour la faiblesse égarée, grâce même, nous l’osons dire, pour l’innocence méconnue, pour le patrio¬ tisme impatient de réparer ses erreurs 1 Qu’au règne de la terreur succède o lui de l’amour Vil sera plus fort et plus durable. Renvoyons la terreur dans les camps des eso’aves et des des¬ potes ligués contre notre indépendance. Légis¬ lateurs, que l’arbre de la liberté affermi de plus en plus par vos mains, croisse au milieu des Bénédictions de tous les habitants de l’empire; qu’il soit éternellement soutenu par le courage, la générosité, la grandeur d’âme, l’amour de la gloire, et toutes les vertus Aères et douces à la fois, qui Arent la gloire et le bonheur des anciennes républiques ! » Un grand nombre de citoyennes, mères et épouses, filles on sœurs de citoyens en état d’ar¬ restation, se présentent. Elles rappellent à la Oonvention qu’elle a décrété que son comité de sûreté générale lui ferait sous trois jours un rapport sur la pétition qu’elles ont faite (1), que déjà plus de huit jours se sont écoulés sans que ce rapport ait paru. Elles attribuent oe retard aux travaux immenses dont le comité de sûreté générale est surchargé-En conséquence, elles demandent que la Convention nomme, pour s’oc¬ cuper de cet objet, une commission prise dans son sein-Le Président répond : « Tandis que les perfides espérances des égoïstes, des indifférents et des modérés, fous ennemis imperturbables de la liberté, se ratta¬ chaient à la Vendée, soutenue par la coalition des brigands couronnés qui infestent nos fron¬ tières, il a fallu, pour faire face à tant d’adver¬ saires, mettre leurs partisans dans l’impuissance de nuire à la République et d’augmenter le nombre de ceux qui ne l’ont jamais sincèrement voulue; tel est notre devoir. Nous avions juré de le remplir; nous en avons vu le moyen dans la mesure de sûret générale contre laquelle vous réclamez. « Mal à propos vous la confondez, cette mesure salutaire, avec une loi pénale; le salut du peuple est ce qui a déterminé les arrestations qui affec¬ tent votre sensibilité; vous les trouvez trop fortes; mais les législateurs des anciennes Républiques ont été bien pins sévères dans les moments de crise-A Athènes, une loi du plus sage des législa¬ teur®, le vertueux Solon, condamnait â la peine de mort tous les citoyens qui, dans les événe¬ ments révolutionnaires, n’avaient pris aucun parti. Cicéron, qui défendit si bien la liberté de Rome par ses écrits, a vanté cette loi salutaire; mais, pour avoir négligé de la suivre, il devint la victime d’un ambitieux qui finit par asservir sa pairie; et l’indulgence de l’orateur romain fut plus funeste à son pays que l’ambition de l’usur¬ pateur qu’il avait ménagé. Malgré les leçons de l’expérience et les exemples fournis par l’histoire des Républiques anciennes, la Convention natio¬ nale, après quatre années de lutte entre son indul¬ gence et les grandes mesures de salut public, après fl) Voy. Archives partemntoitmt . lr® séria, t. txxxï, sésntre du Ï3 frfmaJrB sn Ir, p. 384. . 36 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j fS fl 793 quatre ans d’une révolution sans cesse entravée par les gens suspects, s’est contentée de les mettre en état d’arrestation. C’est à la tranquil¬ lité publique au dedans, et à la victoire sur nos frontières, à préparer la décision de votre de¬ mande. Quoique le moment n’en paraisse pas bien éloigné, après les succès que nous avons eus dans la Vendée, la Convention n’attendra pas son dernier triomphe pour faire parmi les détenus un juste discernement de tous ceux qui peuvent l’être par une erreur inévitable dans l’exécution d’une mesure de sûreté générale indispensable. La Convention nationale vous accorde les hon¬ neurs de la séance. » On demande l’impression de la réponse du Pré¬ sident, et l’ordre du jour sur la pétition. Ces deux propositions sont décrétées. Cependant un membre [Maximilien Robes¬ pierre (1)] propose, et la Convention nationale adopte le projet de décret suivant : « La Convention nationale décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les comités de Salut public et de sûreté géné¬ rale nommeront des commissaires, pris dans leur sein, pour rechercher les moyens de remettre en liberté les patriotes qui auraient pu être incar¬ cérés. Art. 2. « Ces commissaires apporteront dans l’exer¬ cice de leurs fonctions la sévérité nécessaire pour ne point énerver l’énergie des mesures révolu¬ tionnaires commandées par le salut de la patrie. Art. 3. « Les noms de ces commissaires demeureront inconnus du public, pour éviter les dangers des sollicitations. Art. 4. « Ils ne pourront mettre personne en liberté de leur propre autorité; ils proposeront seulement le résultat de leurs recherches aux deux comités, qui statueront définitivement sur la mise en liberté des personnes qui leur paraîtront injus¬ tement arrêtées (2)- » Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets (3). Un grand nombre de citoyennes se présentent. Elles rappellent à la Convention qu'elles lui (1) D’après la minute du décret qui existe aux Archives nationales, carton C 282, dossier 796. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 364. (3) Journal des Débals el des Décrets (frimaire an II, n° 458, p. 414). D'autre part, voy. ci-après aux annexes de la séance, p. 48, le compte rendu de la même discussion d’après divers journaux. demandèrent, dans une de ses dernières séances, la mise en liberté de tous les détenus innocents. La Convention décréta alors que son comité de sûreté générale lui en ferait un rapport dans trois jours. Huit jours se sont écoulés. Les péti¬ tionnaires demandent que la Convention s’oc¬ cupe de la pétition qu’elles ont présentée. Le Président. Tandis que les perfides espé¬ rances des égoïstes et. . . (Suit le texte du discours du Président que nous avons inséré ci-dessus, d’après le procès-verbal.) La Convention passe à Tordre du jour sur la pétition, et décrète l’insertion de la réponse du Président au Bulletin. Robespierre. A voir le nombre de citoyennes qui sont introduites dans la salle de vos séances, on doit croire d’abord que les femmes de tous les détenus patriotes sont venues en corps vous demander la mise en liberté de leurs maris. Cependant, parmi ceux que la sûreté publique a fait arrêter, y a-t-il vraiment autant de patriotes que nous voyons là de femmes? Non, sans doute. Si cela était, la voix publique nous en aurait avertis depuis longtemps; le patrio¬ tisme, toujours inquiet, nous en aurait avertis et nous aurions aussitôt rendu justice aux amis de la liberté; car ce n’est point au modérantisme, ce n’est point à l’aristocratie à prendre la défense des bons citoyens. Vous devez donc conclure avec moi que c’est l’aristocratie qui vient aujourd’hui vous demander ce que vous n’avez pas cru devoir faire. Il est possible, cependant, il est certain même, qu’il y a eu quelques victimes innocentes frap¬ pées momentanément, par l’énergie des grandes mesures qu’a commandées le salut de la Répu¬ blique. Il est possible encore que quelques-unes des femmes qui réclament, soient épouses ou parentes de patriotes; mais alors, elles auraient dû séparer leur cause de celle que l’aristocratie seule défend, et ne pas se joindre aux avocates de la contre-révolution. Non, le jugement que j’ai porté n’est pas trop sévère. Des femmes, ce mot rappelle sans doute des idées touchantes et sacrées; le mot d’épouse est cher aussi à des représentants qui fondent la liberté sur toutes les vertus; mais des femmes, des épouses, ne sont-elles pas aussi des citoyennes, et ce titre ne leur impose-t-il pas des devoirs supérieurs à ceux de leur ualité privée? Ne les anime-t-il pas de vertus evant qui doivent disparaître toutes les vertus privées? Leur est-il permis, lorsque la France est en guerre avec un grand nombre de tyrans, d’oublier leurs qualités de citoyennes pour ne se rappeler que Celles d’épouses, de sœurs, de parentes? Non, elles doivent craindre d’éveiller ainsi l’aristocratie, et de compromettre la sagesse des mesures prises par les représentants du peuple qui n’ont d’autre objet que de vaincre les ennemis de la liberté. Que devaient faire les femmes patriotes? S’adresser modestement et en particulier à ceux qui sont chargés d’examiner les causes de la détention; elles auraient trouvé dans chacun d’eux un défenseur du patriote opprimé. Quand on vient ainsi en corps, on décèle la véri¬ table intention du rassemblement que Ton a formé. Cette intention est évidemment de for¬ cer la Convention à rétrograder vers une fai-