|Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DEFERMON. Séance du mardi 26 juillet 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du lundi 25 juillet, qui est adopté. M. Meynier de Salinelles, au nom du comité d’agriculture et de commerce , fait un rapport sur le régime à donner au port et au territoire de Marseille , quant aux droits de douane; il s’exprime ainsi : Messieurs, si les franchises accordées à un port, à une ville, n’étaient qu’un privilège particulier à ce port, à cette ville, on ne pourrait pas mettre en question si ces privilèges doivent encore exister : leur proscription serait prononcée par l’article 10 de vos arrêtés du mois d’août 1789. La question que votre comité d’agriculture et de commerce vient vous proposer se réduit donc à savoir s’il est de l’intérêt du royaume d’avoir des ports francs, et si les inconvénients qu* peuvent présenter ces franchises sont contrebalancés par les avantages qu’elles procurent. 11 semble que, pour éclaircir cette question, il faut commencer par connaître l’origine des ports francs, et à quel usage ils sont destinés. La protection que nous devons à nos manufactures et à nos productions territoriales, les droits auxquels quelques-unes sont assujetties chez les puissances étrangères, et les prohibitions dont d’autres y sontgrevées, nous ontobligés d’établir, à l’égard des étrangers, une sorte de représailles : mais nous n’avons pas voulu nous interdire la faculté d’acheter leurs marchandises pour les revendre à d’autres, et pour donner à notre commerce et à notre navigation un plus grand mouvement. Il a donc fallu trouver les moyens de rendre ces sortes de spéculations commerciales possibles, sans nuire à nos manufactures, et sans préjudicier aux droits de la nation. De là est venue l’origine des ports francs. Un port absolument franc est, dans l’Empire, une exception au régime des douanes; il est traité comme étranger; il est hors des barrières, il est destiné à remplir la double fonction de recevoir des marchandises nationales et des marchandises étrangères pour les réexporter à l’étranger. La facilité avec laquelle les marchandises étrangères ont pu pénétrer de ces ports dans le royaume, en fraude des droits ou des prohibitions, malgré la garde toujours insuffisante que l’on entretenait sur leurs avenues, a été infiniment nuisible à nos productions territoriales et industrielles. La main-d’œuvre de nos rivaux a mis, sur beaucoup d’objets, la nôtre dans l’inaction, et le eomm'Tce étranger a envahi une partie du commerce national. Il en est résulté de grands bénéfices pour quelques individus, et une perte réelle pour la nation. Cette considération suffit pour vous faire connaître combien il est instant de prononcer sur ces franchises; mais, comme elles ne sont pas de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [26 juillet 1791.J (537 même nature pour tous les ports francs du royaume, qu’elles n’ont pas le môme régime, que leur établissement particulier a eu un but politique qui est propre à chacun d’eux, il est impossible de De pas les distinguer; il serait dangereux de les confondre. Votre comité espère même justifier par les détails qu’il mettra sous vos yeux que, si vous vous déterminiez par un principe unique, vous pourriez sacrifier des biens réels à des craintes éloignées; combler des sources qui fécondent les lieux qu’elles arrosent, parce que, dans un point opposé, vous craindriez les ravages d’un torrent. La franchise de Marseille, par exemple, ne ressemble en rien à celles de Dunkerque et de Bayonne; cette ville à une régie qui lui est particulière : c’est sur cette régie et sur l’amélioration dont elle est susceptible, que le nouveau régime des traites exige que vous statuiez promptement; c’est de cette ville seule que je vais vous entretenir en ce moment. Marseille est, vous le savez, Messieurs, le siège du commerce du Levant, et les exportations pour ce commerce sont de 28 à 30 millions ; les importations de 33 à 36 millions. Nos envois en Turquie consistent, pour la plus grande partie, en denrées territoriales et en marchandises manufacturées dans le royaume; nos retours se font au contraire, presque en totalité, en matières premières, dont nous employons la majeure partie dans nos fabriques, et nous envoyons le superflu à l’étranger, notre navigation en Turquie entretient continuellement 400 bâtiments à la mer. Si nous passions aux autres commerces que fait Marseille, nous voyons que tous y sont en action. Les habitants des quatre parties du monde y viennent trafiquer; le pavillon de touier les nations flotte dans son port, et elle est le grenier de tontes nos provinces méridionales et de toute la Méditerranée. Indépendamment du commerce maritime, Marseille a des manufactures importantes; elle a enlevé à Gênes la fabrication du savon, qui est un objet annuel de 19 à 20 millions; elle a ôté à Livourne la mise en œuvre du corail ; les peaux qu’on y met en couleur, et les maroquins qu’on y fabrique, sont supérieurs à ceux de Barbarie ; elle est parvenue à établir dans son sein des teintures et des manufactures de bonnets et d’étoffes qui ne se fabriquaient que dans le Levant, et elle a vendu aux orientaux eux-mêmes les produits d’une industrie dont elle a su les dérouiller. Toutes les années, elle met en mer 1,500 bâtiments. Sa navigation est la base des classes de la Méditerranée ; elle occupe plus de 80,000 ouvriers, et ses échanges s’élèvent annu-llement à la somme de 300 millions. Il est sensible que cette masse de commerce n’a pu se former, ne peut se soutenir et s’accroître que par une action et une réaction continuelle, à laquelle la liberté dont Marseille jouit pour toutes ses exportations, et pour la majeure partie oe ses importations, a dû beaucoup contribuer. Si l’on considère ensuite la nature des exportations de Marseille à l’étranger, on voit que près des quatre cinquièmes consistent en productions de not:e sol, de nos colonies et de notre industrie, et que les productions étrangères n’y entrent guère que pour un cinquième. D’après ce tableau, on ne peut pas se dissimuler que le royaume entier ne retire de grands avantages de la franchise de Marseille, et qu’en changeant le régime qui, jusqu’ici, a favorisé ce commerce, il serait à craindre qu’on n’obstruât