309 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791-1 hommes cette occasion de séduction pour les gens honnê es, cette occasion de crime pour les scélérats. Il faut dire nettement que l’homicide n’est permis que dans le cas où l’on aura à défendre sa propre vie, ou celle d'un homme évidemment menacé de perdre sa vie : hors ces deux cas... ( Murmures à gauche.) A gauche : Ce n’est pas cela. M. Malouet. Si l’on voulait supprimer le mot autrui... ( Oui ! oui !) M. Prieur. Le pins sage serait de renvoyer au comité l’adicle qui est proposé. Je voudrais que le comité fit une rédaction, qu’il nous la rapportât demain : nous aurons l’avantage d’avoir médité sur cet objet qui est vraiment intéressant. M. lie Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Ces messieurs croient que l’article serait mieux dans les principes, et serait mieu'c rédigé si l’on en retirait ces mots : « Pour la défense naturelle d'autrui ». Eh bien, Messieurs, je pense le contraire : c’est que non seulement il est légitime, mais que c’est un devoir de seconder un concitoyen qui est sur le point de succomber sous les efforts d’un assassin. ( Applaudissements et murmures.). M. Tuant de la Rouverte. D’accord, mais non pas de le tuer. M. le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. A l’égard de l’inquiétude que quelques opinants ont montrée, je prie ces messieurs d’observer que tout gît dans l’examen qui sera fait par des jurés qui seront des hommes prudents ; et que tes hommes seront guidés par le mot nécessité. A nsi, d’un côté, ce mot renferme les juges et les jurés dans le véritable principe de la loi, parce que, comme j’ai l’honneur de vous fobserver, il est légitime de tuer l’homme qui nous attaque ; mais c’est une lâcheté de ne pas voler au secours de l’homme qui est attaqué. M. Tuant de la Rouverte. Mais il ne faut pas tuer l’agresseur. M. Martin. Il n’est pas nécessaire de faire une loi pour engager d’accourir à la défense d’autrui. La nature a fait cette loi avant l’Assemblée, il est inutile de la décréter. Il suffit qu’il y ait du danger dans ces mots ou d'autrui pour vous faite rejeter votre article. Plusieurs membres demandent le renvoi au comité. M. Duport. Les préopinants me paraissent tomber dans une erreur qui, si elle était partagée par l’Assemblée, tendrait à laisser la loi naturelle, seule et uniquement juge de nos actions. Ce n’est pas comme cela, heureusement, que nos lois criminelles sont faites. Messieurs, je vous prie de vous fixer à cette idée-ci qui est bien simple, et d’après laquelle vous vous déterminerez pour le renvoi, ou pour l’adoption de l’article. On vous a parlé des jurés qui pourraient déclarer excusable ou non coupable : dans tout cela, on s’est écarté du véritable point de la question. Ils ne déclarent point non cou able, ce n’est point en leur pouvoir. Ils déclarent seulement si l’accusé est ou non convaincu du dMit. On leur expose le fait, et ils doivent, sur leur serment, déclarer s’il est convaincu ou non. Un juré qui, pour faire échapper un homme qui aurait été le meurtrier de son père, le juré, dis-je, qui, par un molif d’humanité, déclarerait qu’il n’est pas convaincu, est parjure à son serment ; il faut, malgré lui, qu’il déclare que l’accusé est convaincu quand il est convaincu. Si les choses n’ont pas été telles que les préopinants viennent de l’alléguer, les jurés déclareront qu’il n’y a pas eu nécessité, et alors il ne peuvent pas déclarer que l’accusé est excusable. Il faut qu’il y ait une excuse qui leur soit présentée, et sur laquelle ils ne peuvent se déterminer, que parce que le fait leur aura paru excusable ; et dès lors, si vous n’admettez pas l'article, tout homme qui aura été au secours de son père, de son ami, de son concitoyen, sera dans le cas excusable, et cependant sera puni, c’est-à-dire qu’il serait condamné à 10 années de chaîne pour avoir fait l’action la plus méritoire qu’un homme puisse faire. D’après cela, je dis qu’il n’y a point de difficulté du tout. M. Garat aîné. J’appuie la proposition de M. Duport et je demande ce que deviendrait le cas du complot dont MM. Malouet et de Muri-nais ont parlé. (Murmures et interruption) ..... Plusieurs membres : La discussion fermée 1 M. Garat aîné... Les Romains républicains ont prévu dans leurs lois le cas d’une défense légitime de soi-même, mais ils n’ont pas cru devoir faire mention de la défense d’autrui. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Thévenot de Maroise. J’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée cetie nouvelle rédaction : <- L’homicide est commis légitimement lorsqu’il l’est par suite de l’indispensable nécessité de la défense de sa propre vie ou de celle d’autrui. » On pourrait encore ajouter : « ou pour repousser une action criminelle ». M. le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte très volontiers un<3 partie de l’amendement du préopinant concernant les mots : « indispensable nécessité » ; mais à l’égard de l’autre addition : « ou pour repousser une action criminelle », je lui observe qu’il donne une plus grande latitude à l’article ; car l’homme qui me vole mon mouchoir dans ma poche commet une action criminelle, et si je le tue, assurément je ne suis pas innocent. . . ( Aux voix l'article!) Voici, Messieurs, la dernière rédaction que je propose : Art. 5. « En cas d’homicide légitime, il n’existe point de crime et il n’y a lieu à prononcer aucune peine ni même aucune condamnation civile. Art. 6. « L’homicide est commis légitimement lorsqu’il est indispensablement commandé par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. » M. de Ruttafuoco. Je demande qu'on retranche les mots : ou d’autrui. M. le Pelletier-Saint-Fargeau , rappor- 310 [18 juin 1791.] {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. teur. Oter les mots : ou d'autrui, serait consacrer la barbarie la plus affreuse. M. Martineau. L’article qui vous est présenté n'est que l’expression üu droit naturel. l/Assemblée repousse la radiation des mots : ou d'autrui , et décrète les articles 5 et 6 présentés par le rapporteur.) (La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.) M. le Président. La parole est à M. Muguet de Nam hou pour faire on rapport sur les événements arrivés à Bastia, dans le département de la Corse. M. Muguet de ÜVauthou, au nom du comité des rapports. Les dé-ordres arrivés dans la ville de Bastia, selon les nouvelles qui sont arrivées ce matin, nécessitent les mesures les plus promptes et les p us urgentes. Le fanatisme, dans cetie partie de l’Empire, a fait les mêmes efforts que dans nos départements; mais il a obtenu un succès d’autant plus facile que cetie île est voisine de l’Italie, où tous les préjugés que vous avez détruits régnent encore. Des prêtres fanatiques ont profité delà circonstance des Rogations pour faiie une procession extraordinaire, et telle qu’il était d’usage d’en faire dans les plus grandes calamités. Les prêtres étaient nu-pied-’, le crucifix à la main, se donnant la discipline. (On rit.) Je sais bien que ce spectacle ne serait que risible, s’il n’avait causé des effets funestes-, mais ce speciacle ridicule avait un but et les prêtres ne l’ont pas manqué. Ils voulaient exciter le fanatisme du peuple et faire naître des inquiétudes dans les âmes timorées; ils voulaient se servir du manteau de la religion pour consommer leurs projets. A la suite de cette procession, tous les membres du département ont été poursuivis, les uns ont été embarqués de force ; les autres ont été obligés de s’évader; leurs maisons ont été dévastée-, ainsi que celle de i’évêque; on s’est emparé de la citadelle. Vous voyez, Messieurs, que cette procession qui ne présentait d’abord qu’un spectable risible et ridicule, avait pour but, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, de soulever le peuple et d’exciter une contre-révolution; mais vous savez que, dans l’Italie et dans cette île qui l’avoisine, ce n’est que par les spectacles que l’on subjugue l’esprit des peu pies ; il a fallu lui en présenter un qui pût couvrir les projets P modes que l’on avait en vue. Je me bornerai à vous donner lecture de la lettre du secrétaire du département, et d’une protestation solennelle de la ville de Bastia, par laquelle cette commune veut maintenir l’ancien état des choses, relativement à tout ce qui concerne le clergé. Voici la lettre : Lettre des administrateurs composant le directoire du département de l'ile de Corse. « Porta, le 5 juin 1791. « C’est avec le plus vif regret que nous allons vous faire part de l’insurrection arrivée à Bastia. Les ennemis de la chose publique ont su allumer la torche du fanatisme peur soulever le peuple, lequel s’est déclaré solennellement rebelle à la loi. Nous avons l’honneur de vous faire passer un exemplaire du procès-verbal dressé par les habitants de ladite ville, qui est un témoignage authentique de leur rébellion. Nous allons vous faire le récit de J’affaire telle qu’elle s’est passée. « Les habitants de Bastia, auxquels nous en avions imposé par la force, lors de l’ékciion du nouvel évêque, avaient, pour quelque temps, caché leur dépit et étaient nstés dans un calme apparent. Mercredi dernier, au malin, ils primat prétexte du jour des Rogations pour faire une procession. Touie la ville intervint à cet acte apparent de religion : les moines la corde au cou, les hommes et les femmes généralement allant nu-pieds, quelques-uns traînant des chaînes de fer, d’autres se donnant des coups sur le dos avec des lames de Dr, et criant tous : Vive notre religion ! Cela suffit pour échauffer tous les esprits; ce fut le signal de la révobe. « Le lendemain, 2 du courant, des femmes fanatiques se portèrent dans la cathédrale et voulaient y replacer b s armoiries du sieur Verclos, ci-devant évêque de Mariana et Accia, qu’on avait ôtées après l’élection du nouvel évêque du département. Les mêmes femmes se portèrent ensuite à la maison du nouvel évêque, enfoncèrent les portes pour entrer dans sa maison, mais elles se retirèrent à lu vue de quelques personnes armées qui étaient da s ladite maison. Dans le moment, elles se saisirent du mai qui avait été planté à la porte de l’évêque, lors do son élection, le traînèrent à la marine et le brûlèrent. « Tous ces actes préliminaires, qu’on peut appeler des fureurs sacrées, nous firent prendre des précautions. Le directoire du département s’assembla, pria la municipalité de s’a-semblcr, lui écrivit et lui remontra que la tranquillité publique était en danger, et iui intima l’ordre de prendre des mesures pour arrêter tout désordre, sous peine de responsabilbé. « Le corps municipal se rendit à la salle du directoire et nous assura qu’il n’y avait rien à craindre. Ensuite le peuple se réunit en assemblée à 2 heures de relevée. Prévoyant que le fanatisme du peuple allait éclater, nous eûmes recours à M. de Rossi, commandant les troupes de ligne en Corse, pour que la troupe fût sous les arum s, et que les portes de la citadelle fussent fermées. Ce commandant, sous prétexte de vouloir se rendre le pacificateur du peuple, différa l’exécution de la demande que nous lui avions faite. Le peuple, en attendant, réuni, nous envoya une députation pour nous engager à envoyer une députation de deux membres à la salle de Rassemblée. Nous nous refusâmes à cetie proposition, prolestant que nous ne pouvions pas adhérer à leurs demandes qui n’étaient rien moins que contraires à la loi. La députation de l’Assemblée se retire, et nonobstant nos protestations, dressa le procès-verbal de demandes que vous trouverez consigné dans l’acte de rébellion que nous vous adressons. « Le peuple, après Rassemblée, se porta en grand nombre à la place de la citadebe. M. de Rossi qui avait adhéré à notre demande de faire mettre la troupe sous les armes, n’avait pas voulu se prêter à faire fermer les portes : le peuple était par conséquent le maître de la cita I lie, et il ne tarda pas à se porter à des excès. Invité par le trompette envoyé de la part de la municipalité à prendre les armes vers les onze heures du soir, il s’attroupa autour de la maison de M. Arena, faisant fonction de procureur général syndic, tira des coups de fusil aux fenêtres, et après