SÉANCE DU ll!1‘ PRAIRIAL AN II (20 MAI 1794) - Nos 47 ET 48 493 d’un poste, et les forcent à repasser la Sambre, non sans leur avoir tué beaucoup de monde; mais le manque de munitions contraint les Français à la retraite. Alors les Autrichiens reprennent fièrement leur position. Ils faisoient leur entrée triomphante dans Monceaux, en l’honneur d’un succès si nouveau pour eux : un habitant de la campagne se trouve sur leur chemin, il s’en alloit chantant le refrain chéri, marchons, marchons, qu’un sang impur n’abreuve nos sillons. Les vainqueurs voulant terminer honorablement cette journée, tombent en masse sur le chanteur patriote; ils le renversent par terre et le trament au pied de l’arbre de la liberté, où ils l’attachent. Pour célébrer ce nouvel avantage sur les Français, à l’exemple des Hottentots, les soldats de Cobourg dansent autour de la victime et vomissent mille imprécations contre la liberté. Les officiers qui avoient eu part à l’action se mettent de la fête et se distinguent par leurs blasphèmes et par leurs cris de vive notre grand empereur ! Le laboureur, garotté au milieu de ses vainqueurs, continuoit ses couplets, et se reposoit en criant vive la nation ! Les officiers se fâchent sérieusement, ils lui donnent des coups de plat-de -sabre, pour l’engager à chanter un autre cantique. « Soit, dit le joyeux républicain, mais sans vous mettre en colère»; et il commence alors l’air de la dame veto. Une grêle de coups retombent sur lui, il perdoit haleine, il demande grâce, on la lui accorde, pourvu qu’il crie Vive le roi. Le voilà délié, vive la République, s’écrie-t-il. Il eut le temps de répéter ce cri plusieurs fois avant que les Autrichiens, stupéfaits de son inconcevable sang-froid, eussent l’air de l’entendre. Cependant, on tient conseil, on décide que ce laboureur sera assommé et mourra sous les coups. Les officiers exécutoient déjà eux-mêmes cette sentence, et ils y mettoient tant d’attention, qu’ils se laissèrent surprendre par un parti de Français qui culbuta leur troupe, tua les uns, fit les autres prisonniers, et délivra le brave républicain, qui cria plus fort que jamais, malgré ses meurtrissures : vive la République ! XXXIII. [2 frim. II] : Une femme âgée, si pauvre, qu’elle n’avoit pas le moyen de retirer des mains du facteur une lettre qui lui est adressée par son fils, volontaire au 1er bataillon des Hautes-Pyrénées, déploroit sa misère. Bayle, procureur syndic du district de Tarbes, que le hasard instruit de sa peine, s’empresse de payer le prix de la lettre. L’intéressant papier est dans les mains de la bonne mère, qui se trouve dans un autre embarras : elle ne sait pas lire. Bayle vient encore à son aide : le ton simple et mâle avec lequel le jeune républicain décrit les combats, dans lesquels il s’est signalé, l’amour de la liberté qui respire dans chaque ligne, la tendresse filiale qui y est dépeinte comme elle étoit sentie, transportent d’admiration le généreux Bayle. Trop heureuse mère, s’écrie-t-il, en pressant ses mains dans les siennes, soyez aussi ma mère, venez chez moi, nous parlerons souvent ensemble de votre autre enfant, nous lui écrirons et vous attendrez là son retour, dans le sein d’une heureuse médiocrité. Cette tendre mère accepte l’asyle qui lui est offert, elle s’y rend avec Bayle en répétant : Mon Dieu, mon Dieu, que c’est donc une bonne chose que la République ! 47 La Convention a renvoyé au Comité des secours la pétition de la citoyenne Leclerc, laquelle demande un secours et la pension accordée aux Défenseurs morts pour la patrie, son mari ayant été tué d’une chute en travaillant au salpêtre. Cette mère reste veuve avec 3 enfants. C’est le citoyen Léger (1) , acteur et auteur du Théâtre de Vaudevilles qui a lu cette pétition (2) . 48 [Le distr. de Crépy, à la Conv .; 1er prair. II] (3). « Citoyens représentants, Edme Caron, cultivateur de la commune de Béthisy-la-Butte, canton de Verberie, district de Crépy, département d’Oise, vous expose que veuf depuis 3 mois, chargé de 4 enfants, dont un en nourrice, il fait valloir environ 60 arpents de terre, dont une grande partie est en chanvres. Il ne possède que deux chevaux, dont un est de réforme et dans le plus mauvais état, que le second a été mis en réquisition. Ce cheval âgé de 12 ans n’a point la taille requise par la loy. C’est donc arbitrairement qu’il a été choisi; il a même été refusé dans la première réquisition. Il se trouve réduit et dans la nécessité, non seulement d’abandonner la culture de ses terres, mais encore d’abandonner la semence de ses chanvres qui fait la majeure partie de sa culture, ne pouvant la faire avec un mauvais cheval, ce qui occasionnera sa ruine totale et préjudiciera à la fortune publique par ce deffaut d’ensemencement. Le patriotisme du citoyen Caron est connu et c’est en conséquence qu’il s’est déterminé à voler à la deffense de sa patrie; en commettant un chartier pour la culture de ses terres; c’est un vrai sacrifice qu’il a fait puisqu’il pouvoit rester pour les cultiver lui-même, mais on ne peut se dissimuler qu’il faut qu’il abandonne cette culture s’il est privé de ce cheval. Ce cheval doit être rendu aujourd’hui au dépôt de Versailles. Caron persiste à soutenir que son cheval a été requis contre l’esprit de la loy, de laquelle on ne peut s’écarter, puisqu’il n’a pas la taille requise. Vous pouvés, citoyens représentants ordonner que ce cheval sera de nouveau toisé. Mais quand ce cheval seroit de la taille requise, Caron n’en réclameroit pas moins contre la réquisition parce que vous ne souffrirés pas qu’un citoyen soit ruiné et sa famille. Comment Caron pourra-t-il payer du loyer très cher si il ne peut ensemencer ses chanvreries et faire la récolte de ses autres terres, il espère donc que vous aurés égard à sa malheureuse position. Cy-inclus le certificat de la municipalité de sa commune qui s’est opposée à cet acte arbitraire, mais qui a été forcée de céder à l’injustice du commissaire aux réquisitions ». L’ordre du jour (4). (1) De la section des Tuileries. (2) J. Paris, n° 506; M.XJ., XL, 27; J. Matin, n° 599; Rép., n° 152; J. Sablier, n° 1331. (3) C 306, pl. 1153, p. 13. (4) Mention marginale datée du 1er prair. et signée Paganel. 33 SÉANCE DU ll!1‘ PRAIRIAL AN II (20 MAI 1794) - Nos 47 ET 48 493 d’un poste, et les forcent à repasser la Sambre, non sans leur avoir tué beaucoup de monde; mais le manque de munitions contraint les Français à la retraite. Alors les Autrichiens reprennent fièrement leur position. Ils faisoient leur entrée triomphante dans Monceaux, en l’honneur d’un succès si nouveau pour eux : un habitant de la campagne se trouve sur leur chemin, il s’en alloit chantant le refrain chéri, marchons, marchons, qu’un sang impur n’abreuve nos sillons. Les vainqueurs voulant terminer honorablement cette journée, tombent en masse sur le chanteur patriote; ils le renversent par terre et le trament au pied de l’arbre de la liberté, où ils l’attachent. Pour célébrer ce nouvel avantage sur les Français, à l’exemple des Hottentots, les soldats de Cobourg dansent autour de la victime et vomissent mille imprécations contre la liberté. Les officiers qui avoient eu part à l’action se mettent de la fête et se distinguent par leurs blasphèmes et par leurs cris de vive notre grand empereur ! Le laboureur, garotté au milieu de ses vainqueurs, continuoit ses couplets, et se reposoit en criant vive la nation ! Les officiers se fâchent sérieusement, ils lui donnent des coups de plat-de -sabre, pour l’engager à chanter un autre cantique. « Soit, dit le joyeux républicain, mais sans vous mettre en colère»; et il commence alors l’air de la dame veto. Une grêle de coups retombent sur lui, il perdoit haleine, il demande grâce, on la lui accorde, pourvu qu’il crie Vive le roi. Le voilà délié, vive la République, s’écrie-t-il. Il eut le temps de répéter ce cri plusieurs fois avant que les Autrichiens, stupéfaits de son inconcevable sang-froid, eussent l’air de l’entendre. Cependant, on tient conseil, on décide que ce laboureur sera assommé et mourra sous les coups. Les officiers exécutoient déjà eux-mêmes cette sentence, et ils y mettoient tant d’attention, qu’ils se laissèrent surprendre par un parti de Français qui culbuta leur troupe, tua les uns, fit les autres prisonniers, et délivra le brave républicain, qui cria plus fort que jamais, malgré ses meurtrissures : vive la République ! XXXIII. [2 frim. II] : Une femme âgée, si pauvre, qu’elle n’avoit pas le moyen de retirer des mains du facteur une lettre qui lui est adressée par son fils, volontaire au 1er bataillon des Hautes-Pyrénées, déploroit sa misère. Bayle, procureur syndic du district de Tarbes, que le hasard instruit de sa peine, s’empresse de payer le prix de la lettre. L’intéressant papier est dans les mains de la bonne mère, qui se trouve dans un autre embarras : elle ne sait pas lire. Bayle vient encore à son aide : le ton simple et mâle avec lequel le jeune républicain décrit les combats, dans lesquels il s’est signalé, l’amour de la liberté qui respire dans chaque ligne, la tendresse filiale qui y est dépeinte comme elle étoit sentie, transportent d’admiration le généreux Bayle. Trop heureuse mère, s’écrie-t-il, en pressant ses mains dans les siennes, soyez aussi ma mère, venez chez moi, nous parlerons souvent ensemble de votre autre enfant, nous lui écrirons et vous attendrez là son retour, dans le sein d’une heureuse médiocrité. Cette tendre mère accepte l’asyle qui lui est offert, elle s’y rend avec Bayle en répétant : Mon Dieu, mon Dieu, que c’est donc une bonne chose que la République ! 47 La Convention a renvoyé au Comité des secours la pétition de la citoyenne Leclerc, laquelle demande un secours et la pension accordée aux Défenseurs morts pour la patrie, son mari ayant été tué d’une chute en travaillant au salpêtre. Cette mère reste veuve avec 3 enfants. C’est le citoyen Léger (1) , acteur et auteur du Théâtre de Vaudevilles qui a lu cette pétition (2) . 48 [Le distr. de Crépy, à la Conv .; 1er prair. II] (3). « Citoyens représentants, Edme Caron, cultivateur de la commune de Béthisy-la-Butte, canton de Verberie, district de Crépy, département d’Oise, vous expose que veuf depuis 3 mois, chargé de 4 enfants, dont un en nourrice, il fait valloir environ 60 arpents de terre, dont une grande partie est en chanvres. Il ne possède que deux chevaux, dont un est de réforme et dans le plus mauvais état, que le second a été mis en réquisition. Ce cheval âgé de 12 ans n’a point la taille requise par la loy. C’est donc arbitrairement qu’il a été choisi; il a même été refusé dans la première réquisition. Il se trouve réduit et dans la nécessité, non seulement d’abandonner la culture de ses terres, mais encore d’abandonner la semence de ses chanvres qui fait la majeure partie de sa culture, ne pouvant la faire avec un mauvais cheval, ce qui occasionnera sa ruine totale et préjudiciera à la fortune publique par ce deffaut d’ensemencement. Le patriotisme du citoyen Caron est connu et c’est en conséquence qu’il s’est déterminé à voler à la deffense de sa patrie; en commettant un chartier pour la culture de ses terres; c’est un vrai sacrifice qu’il a fait puisqu’il pouvoit rester pour les cultiver lui-même, mais on ne peut se dissimuler qu’il faut qu’il abandonne cette culture s’il est privé de ce cheval. Ce cheval doit être rendu aujourd’hui au dépôt de Versailles. Caron persiste à soutenir que son cheval a été requis contre l’esprit de la loy, de laquelle on ne peut s’écarter, puisqu’il n’a pas la taille requise. Vous pouvés, citoyens représentants ordonner que ce cheval sera de nouveau toisé. Mais quand ce cheval seroit de la taille requise, Caron n’en réclameroit pas moins contre la réquisition parce que vous ne souffrirés pas qu’un citoyen soit ruiné et sa famille. Comment Caron pourra-t-il payer du loyer très cher si il ne peut ensemencer ses chanvreries et faire la récolte de ses autres terres, il espère donc que vous aurés égard à sa malheureuse position. Cy-inclus le certificat de la municipalité de sa commune qui s’est opposée à cet acte arbitraire, mais qui a été forcée de céder à l’injustice du commissaire aux réquisitions ». L’ordre du jour (4). (1) De la section des Tuileries. (2) J. Paris, n° 506; M.XJ., XL, 27; J. Matin, n° 599; Rép., n° 152; J. Sablier, n° 1331. (3) C 306, pl. 1153, p. 13. (4) Mention marginale datée du 1er prair. et signée Paganel. 33