[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 mars 1790.] 37$ J a garde nationale. — Vous n'avez point d’uniforme ; avec votre redingote, votre habit gris et vos plumes, je ne vous connais pas. » (Il faut observer qu’il y a deux postes à cette porte, l’un occupé par les troupes réglées, et l’autre par la garde nationale.) Le voyageur appelle le sergent du poste de la troupe soldée, et lui ordonne de faire venir ses gens. Alors le capitaine et le sergent de la garde nationale annoncent que le voyageur est M. Merle, marquis d’Ambert, colonel du régiment Royal-Marine, M. d’Ambert descend de sa voiture, et vient du côté du poste de la milice nationale, à la tête de plusieurs soldats, en criant : « Où sont ces canailles, ces b... là? » Et portant la main sur la poitrine du capitaine, il dit : « Voulez-vous faire la guerre? je vais vous attendre à la plaine ; une seule de mes compagnies suffira pour dissiper votre garde nationale : vous pouvez l’aller dire à votre maire et à votre municipalité, je m’en f... » — Inutilement le capitaine tente de l’apaiser ; il répète : « Je m’en f... > — Les officiers dressèrent procès-verbal, et arrêtèrent que le procureur de la police se retirerait par-devers la commune pour l’instruire des faits. Ce même jour, la municipalité a fait une adresse à l’Assemblée nationale, par laquelle elle demande le renvoi des troupes qui sont dans cette ville. Le 22 mars, les bas officiers du régiment Royal-Marine se sont présentés devant les officiers municipaux pour leur exposer les sentiments de leur corps. Cependant la salle se remplissait de citoyens; on leur a fait lecture de la déclaration des bas officiers, qui a reçu les plus vifs applaudissements. Les officiers, tant de la garde nationale que du régiment, se sont donné réciproquement des témoignages d’amitié et d’union. Tout à coup, les huées du peuple annoncent queM. d’Àm-bert arrivait. Aussitôt qu’il fut entré, il commença par annoncer qu’il resterait dans la maison commune sous la sauvegarde de la municipalité. Vers les onze heures, on reçut une lettre de M. le marquis de Miran, qui, croyant que l’on retenait de force M. d’Ambert, requérait qu’on le mît en liberté. — M. d’Ambert a déclaré qu’il persistait de nouveau à vouloir rester dans la maison commune. La municipalité a fait connaître à M. de Miran que M. d’Ambert était détenu volontairement, et qu’il voulait rester sous la sauvegarde de la municipalité jusqu’à la réponse de l’Assemblée nationale. Il résulte des pièces, que la municipalité a pris les mesures les plus sages et les plus prudentes. Le 22 mars, il a été fait une information contre M. d’Ambert ; le 23, le procureur de la police a donné ses conclusions, d’après lesquelles il a été arrêté que le procès-verbal des faits serait envoyé à l’Assemblée nationale, pour être statué par elle ce qui appartiendra, et M. d’Ambert serait mis sous la sauvegarde de la municipalité. Rien de plus sage que toute cette conduite ; cette pièce seule suffirait pour justifier la municipalité de Marseille de3 bruits que ses ennemis ont répandus contre elle. La municipalité finit son adresse par demander instamment le renvoi des troupes et l’élargissement d'un malheureux détenu depuis longtemps au fort Saint-Per. Le comité vous fera un rapport particulier sur ces deux derniers points, et, en attendant, il vous propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité, déclare que la connaissance du délit dont est prévenu M. d’Ambert appartient à la sénéchaussée, de Marseille. » M. Castellanet. La députation de Marseille a reçu de M. de Saint-Priest la lettre suivante : « Le comte de Saint-Priest a l’houneur de prévenir MM. les députés de Marseille, que M. le comte de la Tour-du-Pin a rendu compte au roi de la conduite de M. le marquis d’Âmbert, colonel du régiment Royal-Marine, dans ladite ville. Sur l’exposé des faits, Sa Majesté, justement indignée, a ordonné que M. le marquis d’Ambert y fût arrêté, pour que son procès lui fût fait par le tribunal qui sera déterminé; en même temps, le roi a donné de justes éloges à la sagesse de la milice nationale de Marseille, ainsi qu’à la prudence et à la fermeté de sa municipalité. Le comte de Saint-Priest s’attend à recevoir des ordres, pour lui témoigner la satisfaction de Sa .Majesté. » M. Castellanet poursuit : Je demande qu’il soit ajoute au décret proposé par le comité, que M. le président sera chargé d’écrire, au nom de l’Assemblée nationale, une lettre aux officiers municipaux et aux chefs de la garde nationale de Marseille, pour leur exprimer la satisfaction de l’Assemblée sur la manière dont ils se sont conduits dans l’affaire du sieur d’Ambert. M. de Itichïer. Je demande qu’on laisse à Sa Majesté le choix du tribunal auquel cette affaire doit être portée. M. Duval d’Eprémesnil. Je pense que c’est ici un procès entre un accusateur et un accusé ; les diverses propositions qui vous sont faîtes me paraissent contraires à tous les principes. En renvoyant l’accusé à la sénéchaussée de Marseille, louer l'accusateur, c’est préjuger l’affaire. Ce n’est pas que je ne trouve la conduite de la municipalité vraiment digae d’éloges, et sans doute je ne suis pas suspect . M. Croupilleau, rapporteur. Soit que les juges déclarent M. d’Ambert coupable, soit qu’ils le déclarent innocent, il est toujours vrai de dire que la muuicipalité s’est bien comportée; ainsi les observations de M. Duval d’Eprémesnil se réduisent à rien. M. le comte de Mirabeau. 11 n’y a d’accusateur que le procès-verbal, qui est un récit des faits. M. Duval d’Eprémesnil, qui convient que la municipalité est très digne d’éloges, n’a pas voulu, sans doute, que le roi, qui, le premier, a loué la conduite de la municipalité, ait préjugé cette affaire. Le roi a seulement jugé qu’il était le premier offensé toutes les fois qu’on manquait de respect à la garde nationale et aux principes constitutionnels. Saisissons avec empressement cet heureux rap port des senlimen ts du roi avec ceux de l’Assemblée nationale, dans un moment où l’ennemi de la liberté veille encore. J’insiste, en finissant, sur l’extrême nécessité de faire droit à la pétition des citoyens de Marseille, qui, pour la trentième fois, demandent le renvoi des troupes, attendu que c’est véritablement placer le feu à côté d’un magasin à poudre; je demande, en outre, que la sénéchaussée de Marseille juge M. d’Ambert en dernier ressort. L'amendement de M. Castellanet est mis aux voix et adopté. L’amendement de M. le comte de Mirabeau est mis aux voix et adopté. Le décret suivant est ensuite rendu : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport fait par 380 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAI UES. un membre de son comité, déclare que la connaissance du délit dont est prévenu le sieur d’Am-bert appartient à la sénéchaussée de la ville de Marseille. « Elle charge, de plus, son président d’écrire une leitre aux officiers municipaux et aux chefs de la garde nationale de la même ville, pour leur témoigner qu’elle est satisfaite de leur prudence et de leur fermeté dans la conduite qu’ils ont tenue dans l’affaire du sieur d’Ambert. » L’Assemblée passe à la discussion des articles concernant la réformation provisoire de , l’ordonnance criminelle. M. Rriois de Reanmetz donne lecture des articles du projet de décria. Les quatre premiers sont décrétés ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport à elle fait par son comité, du mémoire remis par M. le garde des sceaux, et de plusieurs autres adresses concernant des difficultés élevées sur l’exécution de son décret des 8 et 9 novembre dernier, touchant la réformation provisoire de l’ordonnance criminelle; considérant combien il importe qu’une loi si essentielle à la sûreté publique et à la liberté individuelle soit uniformément conçue et exécutée par ceux qui sont chargés de l’expliquer, a décrété et décrète ce qui suit : < Art. 1er. Les adjoints seront appelés au rapport des procédures sur lesquelles interviendront les décrets. « Art. 2. La présence des adjoints aura lieu dans tous les cas, jusqu’à ce que les accusés ou l'un d’eux, aient satisfait au décret, ou que le jugement de défautait été prononcé contre eux ou l’un d’eux ; et après cette époque, le surplus de la procedure sera fait publiquement, tant à l’égard des accusés absents ou contumax. « Art. 3. Nul citoyen ne sera contraint d’accepter l’honorable fonction de représenter la commune en qualité d’adjoint. Art. 4. Les officiers du ministère public ou les juges, feront notifier, par un écrit signé d’eux au greffe des municipalités, l’heure à laquelle ils devront procéder aux actes pour lesquels ils requièrent l’assislance des adjoints, et les municipalités seront chargées de pourvoir à ce qu'il se trouve toujours des notables disposés à remplir ces fonctions. M. Briois de B eau m et z, rapporteur , donne lecture de l’arûcle 5, ainsi qu’il suit : « Art. 5. Si b s adjoints ou l’un d’eux, ne se trouvent pas, à l’heure indiquée, à l’acte de procédure auquel ils ont été requis d’assister, le juge procédera audit acte, dans lequel sera fait mention expresse de sa réquisition et de l’absence des adjoints ou de l’un d’eux; ladite mention à peine de nullité. » M. de Robespierre attaque cet article qui lui paraît dangereux et en demande le rejet. M. Prieur pense que l’article peut prêter à des abus; il demande qu’il soit renvoyé au comité pour que la rédaction en soit revue. M. llougins de Roquefort appuie la demande de renvoi qui est mise aux voix et ordonnée. M. Gaultier de Biauzat, pour éviter les obstacles que peut présenter la répugnance de quelles mars 1780.] ques adjoints à se rendre à l’hôtel du juge, présente un article ainsi conçu : « Il ne pourra être fait à l’hôtel du juge, aucun des actes d’instruction auxquels les adjoints devront être appelés. » Cet article est également renvoyé au comité. M. le Président annonce que le résultat de scrutin pour la nomination d’un nouveau président donne, sur 633 votants, 347 voix à M. le baron de Menou, 231 à M. le marquis de Bonnay. Les nouveaux secrétaires sont MM. le prince de Broglie, Brevet de Beaujour et Lapoule, élus en remplacement de MM. Guillaume, de Croix et Merlin, secrétaires sortants. M. le Président indique la séance de demain pour onze heures et demie, et annonce que l’ordre du jour sera la discussion de l’instruction pour les colonies. La séance est levée à 10 heures du soir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du 28 mars 1790 (1). M. Raband de Saint-Etienne ouvre la séance et dit : « Messieurs, je descends de la place oû vous m’aviez élevé, plein de reconnaissance pour l’indulgence avec laquelle vous avez daigné m’y soutenir. « Continuez, Messieurs, de donner des leçons à l’Europe et des consolations à votre patrie; prouvez par votre courage qu’il n’y a point de périls qui vous étonnent, ni de travaux qui vous fatiguent. Parvenus à ces moments décisifs pour les destinées de la France, vous allez chercher dans ses immenses ressources, et daas le patriotisme éclairé de ses habitants, un remède aux maux invétérés que vous avez été appelés à guérir. Poursuivez, Messieurs, votre généreuse tâche. Tandis que vous sonderez cette plaie antique et profonde, taudis que, régénérant la finance comme vous avez régénéré la constitution, vous prouverez que ce peuple, dont les restaurateurs veillent pour lui, ne peut périr, je vous suivrai, Messieurs, dans votre noble carrière; heureux de m’instruire à la plus étonnante école de raison et de politique qui ait été ouverte depuis qu’il existe des nations ». M. le baron de Menou, nouveau président , occupe le fauteuil et s’exprime en ces termes: « Messieurs, être élevé par vos suffrages à l’honneur de présider l Assemblée des représentants de la première nation du monde, est sans doute la marque de confiance la plus flatteuse que puisse recevoir, dans le cours de sa vie, un citoyen qui a eu le bonheur de coopérer à la régénération et à la liberté de son pays, et les expressions me manquentpour vous offrir l’hommage de ma reconnaissance. « Permeltez-moi, Messieurs, d’avoir l’honneur de vous rappeler qu’en me faisant asseoir à une (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.