[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, { » 373 Au nom du comité d’instruction publique, un membre [David (1)] lit la rédaction du décret relatif au monument à élever à la gloire du peuple français, sur la pointe occidentale de l’île de Paris; il est adopté ainsi qu’il suit : « La Convention nationale décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le peuple a triomphé de la tyrannie et de la superstition : un monument en consacrera le souvenir. Art. 2. « Ce monument sera colossal* Art. 3. « Le peuple y sera représenté debout par une statue. Art. 4. « La victoire fournira le bronze. Art. 5. « H portera d’une main les figures de la Liberté et de l’Égalité; il s’appuiera de l’autre sur sa massue. Sur son front on lira Lumière; sur sa poitrine : Nature, Vérité; sur ses bras, Force ; sur ses mains, Travail. Art. 6. « La statue aura 15 mètres, ou 46 pieds de hau¬ teur. Art. 7. « Elle sera élevée sur les débris amoncelés des idoles de la tyrannie et de la superstition. Art. 8. « Le monument sera placé à la pointe occiden¬ tale de l’île de Paris. Art. 9. « La patrie appelle tous les artistes de la Répu¬ blique à présenter dans le délai de deux mois des modèles où l’on voie la forme, l’attitude et le caractère à donner à cette statue, en suivant le décret qui servira de programme. Art. 10. « Ces modèles seront envoyés au ministre de l’intérieur, qui les déposera au Muséum, où ils seront exposés pendant deux décades. [Art. 11. « Un jury nommé par l’Assemblée des repré¬ sentants du peuple, jugera le concours publique¬ ment dans la décade qui suivra l’exposition. (1) D’après le document imprimé. Art. 12. « Les quatre concurrents qui auront le mieux rempli le programme, concourront entre eux pour l’exécution. Art. 13. « La statue exécutée en plâtre ou en terre, de la grandeur prescrite par l’article 6, sera l’épreuve exigée pour ce second concours (1). Art. 14. « Un nouveau jury prononcera aussi publique¬ ment et après une exposition de deux décades. Art. 15. « Celui qui remportera le prix sera chargé de l’exécution. Art. 16. « Les trois autres concurrents seront indemni¬ sés par la patrie. Art. 17. « La Déclaration des droits, l’Acte constitu¬ tionnel, gravés sur l’airain, la médaille du 10 août et le présent décret, seront déposés dans la mas¬ sue de la statue. Art. 18. « Le présent décret, ainsi que le rapport, seront insérés dans le « Bulletin » et envoyés aux ar¬ mées (2). » Suit le rapport de David. Rapport paît a la Convention nationale, par David, imprimé par ordre de la Con¬ vention nationale (3). ) Citoyens, Vous avez décrété dernièrement qu’il serait élevé à la gloire du peuple français, un monu¬ ment pour transmettre à la postérité la plus reculée le souvenirde son triomphe sur le despo-(1) L’article 13 avait d’abord été rédigé de la façon suivante : « Le pied, la jambe et le genou de la statue exé¬ cutés de la grandeur prescrite par l’article 6, en plâtre ou en terre, seront l’épreuve exigée pour le second concours. » En marge du projet de décret, on lit la note sui¬ vante i « Les 4 statues enchaînées de la place des Vic¬ toires pourraient trouver place dans la base. Cou¬ ronnées, elles représenteraient les rois enchaînés aux pieds du peuple français. « G. Romme, rapporteur. » (Archives nationales, carton C 277, dossier 726. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, d. 286 à 289. (3) Bibliothèque nationale : 8 pages in-8° Le3*, n° 566; Bibliothèque de la Chambre des députés i Collection Portiez (de l'Oise), t. 82, n° 8; Premier supplément au Bulletin de la Convention du 27 bru¬ maire an II (dimanche 17 novembre 1793). 374 [Convention nationale.J ARCHIVES PARLEMENT AIRES, ) J* bruniaire , tisme et sur la superstition, les deux plus cruels ennemis du genre humain (1 ). Vous avez approuvé l’idée de donner pour base à ce monument les débris amoncelés de la double tyrannie des rois et des prêtres. Lorsque je vous ai exposé que, par les soins des autorités constituées de Paris, on avait descendu de la partie élevée du portail de cette église aujourd’hui devenue le temple de la raison, cette longue file de rois de toutes les races, qui semblaient encore régner sur toute la France, vous avez pensé, avec votre comité d’instruction publique, que ces dignes prédécesseurs de Capet, qui tous jusqu’à cet instant avaient échappé à la loi dont vous avez frappé la royauté et tout ce qui la rappelle, doivent subir, dans leurs gothiques effigies, le jugement terrible et révo¬ lutionnaire de la postérité ; vous avez pensé que leurs statues, mutilées par la justice nationale pouvaient aujourd’hui pour la première fois servir la liberté et l’égalité en devenant les bases du monument dont le patriotisme nous a suggéré l’idée : vous avez pensé que la Convention natio¬ nale de France, pénétrée de toute la grandeur de sa mission et de l’époque à laquelle les destins l’ont placée, devait tenir à une juste hauteur et faire luire dans tout son éclat le flambeau de la raison; vous avez pensé en fin que cette assemblée devait, dans l’impétueux élan de son énergie libératrice, affranchir le présent, l’avenir, le passé même; achever de laver le nom français de l’opprobre d’une longue servitude, délivrer, autant qu’il est possible encore, nos aïeux eux-mêmes, c’est-à-dire, planter l’arbre de la liberté sur leurs tombeaux, et surtout immoler à leurs mânes les images de leurs oppresseurs. L’idée du monument vous a paru, citoyens, grande et utile; l’opinion que vous vous en êtes formée a été pour vous un motif de plus de donner à cette idée tous les développements qu’elle peut recevoir de l’enthousiasme patrio¬ tique : c’est dans cette vue qu’après avoir décrété l’érection du monument, vous avez renvoyé à votre comité d’instruction publique l’examen des moyens d’exécution. C’est le résultat de cet examen, auquel il a appelé des artistes aussi éclairés que patriotes, que je viens vous offrir en son nom. Votre comité a cru que, dans le monument proposé, tout, et la matière et les formes, devait exprimer d’une manière sensible et forte les grands souvenirs de notre Révolution, et consacrer spécialement la victoire du peuple français sur le despotisme et la superstition, son inséparable compagne; que le peuple, fou¬ lant aux 'pieds les débris de la tyrannie, devait être représenté par une statue colossale en bronze, portant diverses inscriptions et emblèmes destinés à rappeler les principes régénérateurs que nous avons adoptés* En songeant à la matière de cette statue, nous avons un moment appréhendé de dérober à la République un métal précieux et nécessaire à sa défense, un métal destiné à porter la terreur et la mort dans les phalanges ennemies ; mais calculant d’une part l’époque à laquelle ce projet, après un double concours, pourra recevoir une exécution définitive, et, de l’autre, l’in¬ faillible et glorieux résultat du courage de vos t [1) Voy. Archivés parlementaires, lre série, t* LXXVIII, séance du 17 brumaire an ÏI, p. 560, le décret rendues®? ta motion de David, j � légions républicaines, il s’est convaincu que le bronze ne manquerait pas plus aux artistes qu’à votre gloire; il ne s’est pas permis de douter un instant que l’intrépidité des soldats français n’en mît entre vos mains une quantité plus que suffisante pour la composition du monument; il a senti qu’il était également digne de ceux qui représentent la patrie, et de ceux qui la défen¬ dent, de renvoyer à vos braves guerriers le soin de conquérir, sur les despotes coalisés, tout le bronze nécessaire. C’est à chacune de nos armées dans la Répu¬ blique, à chacun de nos soldats dans les armées, de concourir à ce monument et d’y coopérer par de généreux efforts ; ce sera le contingent de toutes les victoires. Cette statue que vous élèverez au peuple français, citoyens, rendra en quelque sorte sa gloire une et indivisible comme la République; chaque citoyen, chaque défenseur de la patrie, pourra y voir un monument honorable de sa courageuse et patriotique persévérance. Lé faisceau, par le rapprochement de ses parties, est le symbole de l’union; la statue, par sa fusion, sera le symbole de l’unité ; elle en sera en même temps, j’ose le dire, le garant et le moyen conservateur. Si c’est au courage à fournir la matière du monument, c’est au génie des arts et du patrio¬ tisme à lui imprimer les formes et la vie. Puisque c’est une espèce de représentation nationale, elle ne saurait être trop imposante et trop belle. Ici tous les artistes républicains doivent être appelés, heureux de trouver cette occasion nouvelle de réparer les torts des Arts, qui trop souvent ont caressé la tyrannie. Un premier concours doit être ouvert pour le modèle. Travaillant sur les données que leur offrira le projet de décret, les artistes animeront leur sujet par les accessoires que leur fournira leur imagination, par une attitude et un carac¬ tère convenables, et par des formes à la fois calmes et hardies. Mais l’homme qui conçoit le mieux, n’est pas toujours celui qui exécute le mieux. Le génie conçoit rapidement; l’instant de la création est imperceptible, c’est un trait de lumière, une illumination soudaine. Dans l’exécution, au contraire, il faut une chaleur continue, une lenteur passionnée, un enthousiasme fixé par la patience, qui souvent consume six mois à rendre avec fidélité la pensée d’un moment. Le talent de l’exécution doit donc être excité par un second concours uniquement destiné à cet objet; c’est aussi ce que vous propose votre comité d’instruction publique. Mais, à ce deuxième concours, il borne le nombre des concurrents aux quatre artistes qui auront le mieux réussi dans le premier pour le modèle. Pour juger de leur mérite dans l’exécution, on les appellera à exécuter une partie quelconque du monument; cette partie sera déterminée par un des articles du projet que nous vous soumettons, et suffira pour faire connaître le talent des artistes. Celui qui aura le mieux réussi dans ce travail, sera définitivement préféré pour l’exécution de la statue. Comme ces essais exigeront, de la part des artistes qui n’auront pas obtenu la palme dans ce dernier combat offert à leur émulation, le sacrifice de leur temps et de leurs avances, il a paru juste à votre comité d’assurer à ces artistes une indem¬ nité qui compense honorablement ce sacrifice. Nous avons parlé de concours ; c’est annoncer [Convention nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J| “793 375 qu’il faudra (1) des juges. Il sera, par la Con¬ vention, nommé, à chaque concours, un nouveau jury national. Tel est sur cet objet, citoyens, l’ensemble des idées de votre comité d’instruetion publi¬ que. Je crois devoir terminer ce rapport en m’arrêtant sur celle-ci, que votre sagesse et votre patriotisme ne peuvent manquer d’appré¬ cier : Des esclaves ont tout fait pour des tyrans ; le génie de la liberté doit tout faire pour les peuples (2). DJÊGRET. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport du comité d’instruetion pu¬ blique, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le peuple a triomphé de la tyrannie et de la superstition; un monument en eonsacrera le souvenir. Art. 2. « Ce monument sera colossal. Art. 3. « Le peuple sera représenté debout par une statue. Art. 4. « La victoire fournira le bronze. Art. 5. « Il portera, d’une main, les figures de la liberté et de l’égalité; il s’appuiera, de l’autre, sur sa massue. Sur son front on lira Lumière ; sur sa poitrine, Nature, Vérité; sur ses bras, Force ; sur ses mains, Travail. Art. 6. « La statue aura quinze mètres, ou quarante-six pieds de hauteur. Art. 7. « Elle sera élevée sur les débris amoncelés des idoles de la tyrannie et de la superstition. Art. 8. « Le monument sera élevé à la pointe occi¬ dentale de l’île de Paris. Art. 9. « La patrie appelle tous les artistes de la République à présenter, dans le délai de deux mois, des modèles où l’on voie la forme, l’atti¬ tude et le caractère à donner à cette statue, en suivant le décret qui servira de programme. (1) Le Bulletin de la Convention porte 1 # qu’il faut. » (2) D’après l'Auditeur national [n° 422 du 28 bru¬ maire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 4] et les Annales patriotiques et littéraires [n° 321 du 28 bru¬ maire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 1488, eol. 1], la lecture du rapport de David fut souvent interrompue par des applaudissements. Art. 10. « Ces modèles seront envoyés au ministre de l’intérieur, qui les déposera au Muséum, où ils seront exposés pendant deux décades. Art. 11. « Un jury nommé par Rassemblée des repré¬ sentants du peuple, jugera publiquement le concours, dans la décade qui suivra l’exposition. Art. 12. « Les quatre concurrents qui auront le mieux rempli le programme, concourront entr’euxpour l’ exécution. Art. 13. « La statue, exécutés en plâtre ou en terre de la grandeur prescrite par l’article 6, sera l’é¬ preuve exigée pour le second concours. Art. 14. « Un nouveau jury prononcera publiquement aussi, et après une exposition de deux décades. Art. 15. « Celui qui remportera le prix sera chargé de l’exécution. Art. 16. « Les trois autres concurrents seront indemni¬ sés par la patrie. Art. 17. « La déclaration des droits, l’acte constitu¬ tionnel gravés sur l’airain, la médaille du 10 août et le présent décret, seront déposés dans la massue de la statue. Art. 18. « Le présent décret, ainsi que le rapport, seront insérés dans le BiMetin, et envoyés aux armées. » Compte kendu du Journal des Débats et des Décrets (1). David fait, au nom du comité d'instruction publique, un rapport sur l’exécution du décret qui décerne une statue colossale au peuple fran¬ çais. Il fait rendre le décret suivant : (Suit le texte du décret que nous avons inséré ci-dessus d'après ie procès-verbal.) La Convention décrète l’impression du dis¬ cours de David. Romme. Le monument que vous avez décrété’ est vraiment digne du peuple français et de la Révolution qu’il a faite. Le peuple s’y présente dans la majesté qui lui convient. Il faut trouver ainsi son image dans le sceau de l’Etat. Je de¬ mande que la Convention décrète que le sceau de nos lois représente le monument qui sera élevé, et que le comité d’instruction publique (I) Journal des Débats el des Décrets (brumaire an II, n° 425, p. 367).