716 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 septembre 1790. « Vous le savez, Messieurs, avec quelle peine, en appelant de toutes parts la force publique, nous sommes parvenus à calmer les troubles du district de Nemours. Votre comité des rapports a dû vous apprendre que malgré la vigilance du directoire de Nemours, et les sages mesures du commandant général, les germes en subsistent encore et peuvent se reproduire. « Pour apaiser ces insurrections, nous pouvions au moins invoquer les droits sacrés de la propriété violée; mais qu'opposerions-nous à un peuple animé par le sentiment de la dignité à laquelle vous l’avez élevé, qui, la déclaration des droits à la main, nous interpellerait de veiller à sa sûreté, à sa liberté, à la conservation de ses propriétés? Une fois qu’on a conquis la liberté, qu’on en a goûté les douceurs, on ne se la laisse pas ravir impunément. « Nous demandons, Messieurs, que la chasse du roi, dans le département de Seine-et-Marne, soit bornée à la forêt de Fontainebleau ; qu’elle soit fermée de murs, comme le ministre en a reconnu la nécessité, et qu’on ne puisse traiter que de gré à gré avec les habitants dont les terres sont enclavées dans la forêt. « Nous avons l’honneur de déposer sur le bureau un ouvrage où sont détaillées toutes les horreurs du régime des capitaineries. » Signé : Vienot, président ; Thomé, Jollivet, Boucher, la Richarderie. Ensuite l’un de ces administrateurs a dit, au nom de tous, que, ne voulant ni souiller les archives de la nation, ni affliger le cœur paternel du roi, ils ne remplissaient point leur adresse du récit des atteintes récemment portées aux propriétés par ces chasseurs attachés à l’équipage de la vénerie de Fontainebleau, qui avaient plusieurs fois chassé en plein jour avec chiens et chevaux au travers des récoltes des particuliers. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale a décrété l’abolition des capitaineries ; et un roi doué de toutes les vertus, un roi qui ne connaît de plaisirs que le bonheur du peuple français, et de gloire que son amour, a le premier applaudi à la proscription de cet abus; son active bonté lui a même enlevé le mérite des sacrifices. Vous craignez que, sous d’autres dénominations, quelques personnes ne cherchent à rétablir ce régime détruit, sans pouvoir déterminer jusqu’à quel point vos craintes sont fondées ou prématurées; je vous offre deux garanties sur lesquelles vous vous reposerez avec sécurité : la tendresse paternelle d’un roi votre ami, et les travaux infatigables de l’Assemblée pour améliorer le sort et relever la dignité de ce peuple qui l’a investie de son pouvoir et de sa confiance. L’Assemblée prendra en considération l’objet de votre demande. Elle vous accorde la séance. » M. Dnbois-Crancé . Je demande que ces violations de propriétés soient sur-le-champ dénoncées au roi. M. Raynaud {ci-devant comte de Montlosier). Les faits ne sont pas constatés. M. Lietellier, député de Chartres. Les députés du département viennent vous l’assurer; deux membres du corps administratif en ont été les témoins, et vous vouiez encore douter? M. de Mirabeau. Il n’est pas question de rendre un décret, mais d’ordonner la sévère exécution de ceux qui ont été rendus. Il faut instruire le roi directement des dévastations commises par ses veneurs et demander justice et vengeance. L’Assemblée décrète que son président se retirera devers le roi pour lui faire part de ces malheureux événements, et faire sévèrement punir les coupables. L’on annonce que M. Larayre-Langlade, l’un des signataires de la délibération des prétendus catholiques de Nîmes, mandé à la barre par le décret du 17 juin, demande à être entendu. M. Voulland, député du département du Gard. Je ne m’oppose pas à ce que;, M. Larayre-Langlade soit entendu à la barre, puisqu’il est du nombre de ceux qui ont le malheur d’y être mandés par votre décret du 17 juin dernier, à raison de certaines délibérations incendiaires et séditieuses prises dans les villes de Nîmes et d’Uzès; mais une chose qui doit m’étonner, c’est qu’il se présente sans que l’Assemblée nationale ait été prévenue de son arrivée et qu’elle lui ait indiqué le jour et l’heure où il lui plairait de l’entendre. Quand l’Assemblée nationale est dans la cruelle nécessité demander des citoyens pour lui rendre compte de leur conduite, ce" n’est pas dans l’intention de les molester; elle n’a d’autre but que celui d’entendre, de leur bouche, leur justification ou d’acquérir des renseignements [tour prononcer en plus grande connaissance de cause. Jusqu’à ce jour, lorsque des mandés à la barre se sont mis en devoir d’obéir, fisse sont toujours adressés à M. le garde des sceaux. Ce magistrat, spécialement dévoué par le devoir de sa charge à l’exécution de vos décrets, s’est toujours empressé de prévenir M. le président de l’Assemblée nationale, pour savoir le jour et l’heure où les mandés pourraient se présenter. Tel est, Messieurs, l’usage que vous avez adopté ; vous l’avez suivi à l’égard de la chambre des vacations du parlement de Rennes et de Bordeaux, des officiers municipaux de Schlestadtet de Montauban. Je ne vois pas pourquoi vous feriez une exception en faveur de M. Larayre-Langlade ; je ne saurais en concevoir le motif ; et ce que je conçois bien moins encore, c’est que ceux qui ont dirigé les démarches du mandé à la barre et qui étaient bien plus à même que lui de connaître cette mesure, ne la lui aient pas indiquée. Je demande que M. Larayre-Langlade soit tenu de se conformer à l’usage qui a été constamment suivi et qu’il ne soit entendu qu’après y avoir satisfait; les membres de l’Assemblée nationale, prévenus du jour et de l’heure de sa comparution, pourront se préparer s’ils le jugent à propos, et lui faire toutes les questions qu’ils croiront propres à jeter, par le résultat des réponses, quelques lumières sur les auteurs, fauteurs et complices des délibérations scandaleuses qui ont excité la dénonciation de la France entière et l’animadversion d’un décret. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. d’Ambly, député du département de la Marne, demande et obtient un congé de trois semaines. M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité des recherches sur l’ arrestation du sieur Trouard , ci-devant de Riolles. M. Rousselet, rapporteur. Le 8 juillet der- I Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 septembre 1730.] 7*7 nier M. de Riolles a été arrêté à Bourgouin en Dauphiné, allant en Savoie. On a trouvé dans son portefeuille : 1° une lettre attribuée à Vau-der-Noot, contenant la critique de l’Assemblée nationale; 2° un écrit qui renferme la clef des noms d’hommes, de villes, de places fortes et l’indication des troupes de cavalerie et d’infanterie; le roi est désigné par une croix; JA. Bailli, par un triangle ; M. de Mirabeau l’aîné, par un V; M. l’abbé Maury, par un Y; 3° un papier indicatif de M. Ruelle, principal du collège de Pont-à-Mousson , comme chargé de tenir la correspondance; 4° une lettre du 27 juin, contenant le détail très étendu de la mission de M. de Riolles : il devait s’informer, dans chaque ville, de l’abondance ou de la rareté du numéraire, du nombre des gardes nationales et des troupes de ligne, du caractère des chefs, des maisons de commerce, des manufactures et des capitalistes, de ce qu’on pense de l’Assemblée nationale et des ministres, de ce qu’on pense de Paris , des hommes qui peuvent influer dans les élections, du sentiment des provinces sur les décrets et enfin des journalistes ou autres écrivains. Parmi ses papiers, on a aussi trouvé une lettre que M. de Riolles croit lui avoir été écrite par M. de Mirabeau l’aîné, quoiqu’elle ne soit pas de son écriture. Pour ne pas donner à la correspondance prétendue de ce membre de l’Assemblée nationale avec M. de Riolles plus de confiance qu’elle n’en mérite, je vais vous faire lecture d’un papier trouvé sur M. de Riolles, dans l’endroit où l’on aurait dû moins le chercher : « Mirabeau l’aîné est un scélérat prêt à se vendre à tous les partis. . . » M. de Mirabeau. M. le rapporteur, ne me flattez-vous pas? Vous avez eu la bonté de me communiquer les pièces et je crois avoir lu : Mirabeau l’aîné est un infâme scélérat! Il est bon de montrer, sous ses véritables couleurs, le portrait que mon Adèle agent voulait bien tracer de moi. M. Rousselet, rapporteur. Je lis comme il y a. « 11 a peu de logique, peu de connaissances foncières, mais il a cet ascendant qu’il faut pour dominer des hommes ordinaires, tels que la majorité de l’Assemblée nationale. Bergasse est plein de probité et de talents, il passe pour l’un des plus profonds penseurs que nous ayons. — Les journaux de Meunier, de Desmoulins , de Carra, de Brissot, de Warville, de Marat, servent aux révolutionnaires pour former l’opinion publique. Garat est un plat rhéteur vendu aux enragés. Les honnêtes gens préfèrent l’abbé Fontenay, etc.» M.de Riolles a subi deux interrogatoires, tant à Bourgoin qu’au comité des recherches. Dans les circonstances présentes le comité a cru qu’il ne fallait point négliger cette affaire; en conséquence, il a l’honneur de vous présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des recherches, décrète que son président se retirera par devers le roi, pour le prier de donner les ordres nécessaires aux officiers du Châtelet de Paris à l’effet de faire informer, tant contre le sieur Trouard, ci-devant de Riolles, actuellement détenu ès prisons de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés que contre les auteurs, agents, complices et adhérents d’un plan de conspiration contre l’Etat ; à l’effet de quoi les pièces, dont est saisi son comité des recherches, seront incessamment envoyées au greffe du Châtelet de Paris. » M. de Mirabeau. Je ne monte point à cette tribune pour éclairer les confabulations qu'on vient de vous présenter; je viens seulement vous apprendre comment j’ai connu M. de Riolles ; je l’ai vu, comme 5 ou 600 de nous, à Versailles, à Paris, partout et en tous lieux; je l’ai connu comme un homme qui exploitait, plus ou moins froidement, tous les hommes qui se mêlaient des affaires publiques, mais je n’ai jamais eu avec lui de relations particulières : c’est un homme comme il y en avait au temps où l’on s’amusait à avoir des fous dans les cours, tantôt aristocrate comme autrefois, tantôt démocrate ; aujourd’hui enragé dans un sens , et demain dans un autre ; jugez si tout cela pouvait me donner beaucoup de confiance en lui. Il prétend m’avoir adressé des mémoires ; je ne dirai ni oui ni non ; je reçois à peu près cent lettres par jour. Il m’est aussi parvenu des milliers de mémoires ; j’en ai lu quelques-uns; il y en a beaucoup que je n’ai pas lus, et que probablement je ne lirai pas. Il est très possible que les mémoires de M. de Riolles se trouvent parmi ceux-là. Ce que je puis dire, c’est qu’il ne m’a rien envoyé à ma provocation. Depuis longtemps, mes torts et mes services, mes malheurs et mes succès m’ont également appelé à la cause de la liberté : depuis le donjon de Vincennes et les différents forts du royaume, où je n’avais pas élu domicile, mais où j’ai été arrêté par différents motifs, il serait difficile de citer un fait, uti écrit, un discours de moi, qui ne montrât pas un grand et énergique amour de la liberté. J’ai vu 54 lettres de cachet dans ma famille ; oui, Messieurs, 54, et j’en ai eu 17 pour ma part: ainsi vous voyez que j’ai été partagé en aîné de Normandie. Si cet amour de la liberté m’a procuré de grandes jouissances, il m’a donné aussi de grandes peines et de grands tourments. Quoi qu’il en soit, ma position est assez singulière ; la semaine prochaine, à ce que le comité me fait espérer, on fera le rapport d’une affaire où je joue le rôle d’un conspirateur furieux ; aujourd’hui on m’accuse comme un conspirateur contre-révolutionnaire. Permettez que je demande la division. Conspiration pour conspiration, procédure pour procédure, s’il le faut même, supplice pour supplice, permettez du moins que je sois un martyr révolutionnaire. (M.de Mirabeau l’aîné descend de la tribune au milieu des applaudissements d’une grande partie de l’Assemblée et de toutes les galeries.) .(Le décret proposé par le comité des recherches est adopté.) M. le Président annonce ie résultat du scrutin pour la nomination du nouveau président et de trois secrétaires. Ce scrutin a donné , sur 428 votants, 261 voix à M. Bureaux, ci-devant de Pusy, 140 à M. Pétion; 27 voix se sont portées sur diverses personnes. Les trois nouveaux secrétaires sont : MM. l’abbé Bourdon, Vieillard, député de Goutances.et Gou-pilleau qui remplacent MM. Dauchy, Buzot et De-lacour, secrétaires sortants. La séance est levée à dix heures.