SÉNÉCHAUSSÉE DU BEAUJOLAIS CAHIER Des doléances et remontrances de l'ordre du clergé de la sénéchaussée du Beaujolais (1). Ce cahier a été rédigé le 16 mars 1789, sur l’assignation donnée en conséquence de la lettre du règlement de Sa Majesté et de l’ordonnance de M. le lieutenant général, en ladite sénéchaussée, à l’effet de détailler les réquisitions, plaintes et remontrances de l’ordre du clergé et de nommer un député pour présenter ledit cahier à rassemblée des Etats généraux du royaume qui se tiendra à Versailles, le 27 avril prochain. Le Roi, en convoquant les trois ordres, a constaté le vœu d’entendre, de la bouche même de tous ses sujets réunis dans leurs représentants, tous les projets utiles qui tendront à vérifier toutes les branches de l’administration et d’accueillir les moyens les plus sages qui seront indiqués pour rétablir l’équilibre altéré par le temps ou détruit par les circonstances. Sa Majesté ne rassemble point la nation pour former une monarchie, mais pour rendre à la constitution de cet empire toute sa force, son énergie, sa puissance et sa gloire ; sa force n’est point éteinte, son énergie n’est que suspendue et sa gloire doit être le résultat nécessaire des vœux réunis de la nation et du monarque qui la gouverne. Les principes de la monarchie française n’ont rien d’arbitraire : la loi prévoit et ordonne; proposée par le prince et consentie par la nation, elle acquiert sa pleine et entière activité ; proposée par la nation et consentie par le monarque, elle devient également absolue ; mais comme c’est seulement dans l’unité d’action que se trouve la force, c’est dans les mains du monarque que réside le pouvoir exécutif. Il est de l’essence de cette monarchie d’être composée de trois ordres invariablement distincts et séparés. Si la plénitude des pouvoirs résidait également dans le monarque et dans la nation sans aucune distinction d’ordres, il s’établirait nécessairement une lutte d’autorité qui ne pourrait se terminer que par l’affaiblissement d’une des deux parties constituantes delà monarchie, et le résultat nécessaire serait la démocratie ou Je despotisme, deux formes de gouvernement également funestes au bonheur des peuples. Les institutions primitives, quelque sages qu’elles aient pu être dans leur principe, éprouvent nécessairement, soit dans l’ordre de la discipline ecclésiastique, soit dans le système politique, des altérations graduelles qui exigent des changements et des réformes. C’est dans une assemblée nationale queles modifications peuvent légalement s’opérer ; chacun des ordres doit y concourir dans toute l’étendue de ses lumières, par le concert de ses opinions, et le devoir le plus précieux du clergé, le premier des ordres, est de concourir au (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire. plus grand bien général par les vues particulières du désintéressement, du patriotisme et du zèle qui le distinguent. Le clergé de cette province, pénétré de la haute importance de ces considérations, s’empresse de consigner son cahier et de faire présenter aux Etats générauxpar son député les différents vœux qu’il forme pour la prospérité de cet empire. Art. 1er. Le clergé du Beaujolais consent à ce que tous les bénéficiers payent à l’avenir dans les mêmes proportions sur les mêmes bases et de la môme manière que la noblesse et le tiers-état, tous les impôts qui seront conservés, fixés, établis ou modifiés par les Etats généraux et qui n’auront pas pour objet l’industrie, la milice et le logement des gens de guerre ou la subvention qui en tiendra lieu, renonçant à toute distinction et privilèges pécuniaires, mais se réservant expressément tous ses droits honorifiques et ses préséances qui le constituent le premier ordre de l’Etat. Art. 2. Qu’en considération de cette contribution aux subsides, le clergé soit expressément exempt de supporter aucune espèce d’imposition par forme de don gratuit ou pour les dettes de son ordre, lesquelles feront dès lors partie de la dette nationale ; que les chambres ecclésiastiques de chaque diocèse n’aient plus la faculté de répartir la quote-part d’imposition qui sera supportée par les titulaires de bénéfices et que cette répartition ainsi que celle de tous les autres contribuables soit faite par les administrateurs des provinces. Art. 3. Que l’ordre du clergé délibère dans toutes les séances des Etats généraux avec les deux autres ordres réunis en ce qui ne concernera pas ses droits honorifiques, préséances sur les deux autres ordres et tous autres privilèges et prérogatives, autres toutefois que les privilèges pécuniaires, mais que dansles séances qui auront pour objet lesdits droits honorifiques, préséances et autres questions relatives et personnelles au clergé, il se retire dans sa chambre pour en délibérer séparément des deux autres ordres. Art. 4. Que nul impôt ne soit légal et ne puisse être perçu qu’autant qu’il aura été consenti par la nation dans rassemblée des Etats généraux, et que lesdits Etats ne puissent le consentir que pour un temps limité et jusqu’à la prochaine tenue des Etats généraux, en sorte que cette prochaine tenue venant à ne pas avoir lieu, tout impôt cesse. Art. 5. Que le retour périodique des Etats généraux soit fixé à un terme court, et dans le cas d’un changement de règne ou celui d’une régence, qu’ils soient assemblés extraordinairement pour aviser aux moyens d’assurer l’exécution de ce qui sera réglé à cet égard. Art. 6. Que l’impôt ne soit consenti qu’après avoir reconnu l’étendue de la dette nationale et avoir vérifié et réglé les dépenses de l’Etat. Art. 7. Qu’il soit convoqué et tenu à des époques fixes des synodes dans chaque diocèse pour vérifier et maintenir la discipline ecclésiastique. Art. 8. Que l’on établisse dans tout le royaume l’uniformité de liturgie et d’enseignement. 280 [États gén. 1789. Cahiers ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Beaujolais.] Art. 9. Qu’il soit doté des séminaires dans un nombre proportionné à l’étendue de chaque diocèse, dans chacun desquels seront réservées des places gratuites pour les ecclésiastiques pauvres qui auront mérité au concours d’y être admis. Art. 10. Qu’il soit fondé un collège rayai pour cette province et de petites écoles dans les paroisses de campagne. Art. 11. Que, pour éteindre et prévenir la mendicité, il soit formé des bureaux de charité présidés par le curé de la paroisse, et que les administrateurs soient autorisés à recevoir les legs pieux, soit en immeubles soit en argent, qui leur seront faits pour le soulagement des malheureux. Art. 12. Qu’il soit procédé à l’arrondissement des diocèses et des paroisses, à l’érection des annexes en cures, en laissant aux curés titulaires l’option entre la cure déjà établie et celle à établir, et à l’érection de ces cures dans les paroisses trop étendues. Art. 13. Qu’il existe un dépôt public dans chaque province pour recueillir et conserver des expéditions en forme de tous les titres et actes ecclésiastiques et civils. Art. 14. Que toutes les formalités requises pour les établissements ecclésiastiques soient remplies sans frais et contiées à la surveillance des administrateurs provinciaux. Art. 15. Qu’à défaut par les patrons laïques de nommer aux prébendes ou commissions de messes dans le délai de trois mois à compter du jour de la vacance, ils soient déchus pour cette fois du droit de nommer, et que lesdites prébendes ou commissions de messes soient et demeurent dévolues au curé de la paroisse, dans l’étendue de laquelle elles seront situées, pour par lui en prendre possession et en jouir. Art. 16. Que le service et l’acquit des fondations ne puissent, dans aucun cas et sous aucun prétexte, être transférés ailleurs que dans le lieu porté par le titre de fondation, sans le consentement réuni du patron et du curé de la paroisse. Art. 17. Que les grades de facultés de théologie pris dans les universités soient supprimés ou étendus à tous les séminaires. Art. 18. Que dans la province du Beaujolais il soit accordé une attribution plus considérable aux juges royaux pour juger en dernier ressort jusqu’à une certaine somme, et qu’il soit établi une cour souveraine plus rapprochée de ladite province. Art. 19. Que les arrérages des cens et servis et rentes foncières prescrivent au bout de cinq ans. Art. 20. Que les Etats provinciaux soient chargés de solliciter de nouveaux règlements pour obtenir des établissements de bien public* tels que des chirurgiens et des sages-femmes dans chaque arrondissement de quatre ou cinq paroisses, lesquels seront pensionnés par les provinces. Art. 21. Que, dans les paroisses où le seigneur n’aura pas son procureur fiscal, les municipalités soient autorisées à maintenir la police en ce qui regarde la liberté et sûreté des chemins, les poids, mesures, bon ordre dans les cabarets, rues et places publiques. Art. 22. Que les sommes comptées aux secrétariats diocésains pour les dispenses de bans ou de parenté soient remises, à l’expiration de chaque année, à MM. les curés qui les solliciteront pour être par eux distribuées publiquement aux pauvres de leurs paroisses. Art. 23. Qu’il soit établi une caisse de bienfaisance dans la province pour venir au secours des malheureux et surtout des pauvres pères de famille chargés de beaucoup d’enfants. Art. 24. Que le jugement des pairs soit admis et autorisé en première instance sur les contestations litigieuses. Art. 25. Que le mérite, les vertus éminentes, les services rendus à la patrie donnent le droit à toutes les dignités et à toutes les places. Art. 26. Que l’administration de la justice soit absolument gratuite et la vénalité des offices supprimée. Art. 27. Que les membres des trois ordres soient admis dans une juste proportion dans les cours souveraines. Art. 28. Que la paye du soldat soit augmentée et qu’il lui soit permis d’exercer son art pendant quelques jours de la semaine. Art. 29. Que le Beaujolais, dont la population s’élève à près de cent mille âmes, dont le revenu territorial ne suffit pas à la subsistance de ses habitants, qui ne peut satisfaire par son industrie aux charges royales et seigneuriales, aux frais dispendieux d’entretien et de culture qu’autant qu’il existera la plus grande égalité proportionnelle dans l’assiette des subsides, la plus sévère économie dans la perception et le versement des impôts, sollicite vivement l’établissement d’Etats provinciaux composés d’un nombre suffisant d’administrateurs, tous élus librement par les différents ordres de propriétaires ; que les députés de ces Etats soient successivement remplacés par d’autres après un intervalle et dans les formes qui paraîtront le plus convenables aux Etats généraux ; que cette administration enfin soit absolument isolée et indépendante des autres Etats qui pourraient être établis dans la généralité de Lyon. Art. 30. Que les lettres de cachet, aussi contraires à la liberté individuelle des citoyens qu’aux lois protectrices de la faiblesse et de l’innocence, soient à jamais proscrites et abolies, les tribunaux étant seuls compétents pour prononcer sur les délits et les peines, sauf aux Etats généraux à adopter des moyens pour prévenir les abus. Art. 31. Que la lettre de cachet surprise à l’équité de Sa Majesté et ratifiée au chapitre de Beaujeu le 21 octobre 1780, soit révoquée comme nulle et non avenue; que ce chapitre fondé en 1010 par les sires du Beaujolais, qui a subsisté avec honneur pendant près de huit siècles, qui a concouru à la fondation même de la ville de Beaujeu dont il est la première ressource, qui dans' tous les temps a soutenu l'établissement de l’Hôtel-Dieu, d’un bureau de charité, d’un collège, qui offre à la province l’expectative de douze prébendes canoniales, de trois dignités, de plusieurs chapelles et de cinq cures dont la nomi-tion lui appartient, que ce chapitre, infiniment utile sous le double rapport de la religion et d’une saine politique, rentre dans l’exercice plein et absolu de tous ses droits, et qu’il soit à même de continuer ses secours spirituels et temporels à la province et particulièrement à la ville de Beaujeu, dans laquelle il offre de transférer sa résidence, et que dès lors le titre de la cure de ladite ville soit réuni à une dignité de ce chapitre. Art. 32. Que les degrés de l’ancienne hiérarchie de l’Eglise soient rétablis et que le rang des pasteurs soit invariablement fixé. Art. 33. Que les collateurs et patrons ne puissent instituer et nommer aux prébendes des cathédrales et collégiales que des sujets qui auront [Étals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Beaujolais.] 284 exercé pendant vingt ans les fonctions du ministère ou ceux qui auraient été interrompus dans l’exercice de ces fondions par des infirmités authentiquement reconnues. Art. 34. Que les dîmes, étant destinées à sub-stanter les ministres des autels et particulièrement à acquitter les frais de desserte des� églises paroissiales, soient spécialement attribuées aux curés et aux vicaires chargés du culte public et réparties à chacun d’eux proportionnellement à l’étendue de leurs paroisses, de sorte qu’ils aient un revenu suffisant pour ne plus laisser lieu à la perception d’un casuel destructif de la considération qui leur est due et pour les mettre à meme de subvenir aux secours qu’ils sont journellement dans le cas de donner à l’infortune et à l’indigence. Art. 35. Qu’il soit pourvu à la dotation des curés auxquels l'abandon des dîmes ne remplirait point la fixation des portions congrues et que, suivant l’esprit de la dernière déclaration du Roi il y soit incessamment procédé. Art. 36. Qu’il soit fait une loi qui ordonne que les bénéfices-cures ne seront conférés qu’à des personnes qui auront exercé pendant cinq années les fonctions du ministère ou qui justifieront de leurs lettres d’approbation pendant ledit temps. Art. 37. Que les curés puissent choisir leurs vicaires parmi les prêtres approuvés dans le diocèse. Art. 38. Que les approbations des vicaires subsistent jusqu’à révocation expresse, laquelle révocation n’aura lieu que sur la demande ou du consentement du curé. Art. 39. Que les pasteurs qui se seront démis volontairement du titre de leurs bénéfices ne soient plus assujettis à demander des approbations. Art. 40. Qu’il soit pourvu à accorder des retraites et des fonds suffisants dans chaque diocèse pour les écclésiastiques qui auront rempli les fonctions du saint ministère pendant vingt-cinq ans. Art. 41. Que la loi qui appelle les curés dans les hôpitaux soit générale et ne souffre point d’exceptions. Art. 42. Que les curés aient la préséance dans les assemblées municipales, ainsi que dans tous les bureaux de bien public. Art. 43. Que les curés à portion congrue aient les mêmes droits que les curés décimateurs d’être convoqués aux assemblées nationales et provinciales. Art. 44. Que les curés soient autorisés dans toute l’étendue du royaume à recevoir, chacun dans leur paroisse en cas de nécessité pressante et à défaut de notaire sur les lieux, tous les actes et dispositions de dernière volonté, sauf à se conformer ensuite aux autres dispositifs des ordonnances. Art. 45. Que les ordres religieux soient conservés à la charge de la conventualité. Art. 46. Que MM. les curés seront autorisés à demander un vicaire quand il y aura quatre cents communiants dans leur paroisse. Art. 47. L’ordre du clergé forme le vœu, qui sera celui de tous les bons Français, de voir naître un nouvel ordre de choses ‘dans l’administration générale du royaume qui, en réparant les maux qu’a produit jusqu’à présent un régime incohérent et désastreux, prévienne à l’avenir les déprédations funestes qui causent aujourd’hui les alarmes de la nation , qui rende aux commerce toute sa liberté par l’extinction de cette multitude effrayante de droits et d’entraves de toute espèce inventés par le génie fiscal, qui, en régénérant le code des lois civiles et criminelles, réduisant et simplifiant les formes judiciaires, rende à la France un éclat qu’elle a perdu, assure la fortune publique et le bonheur individuel des citoyens de tous les ordres. Le présent cahier a été présenté et lu à l’assemblée générale de l’ordre du clergé de cette province le 19 mars 1789, par MM. les commissaires chargés de la rédaction d’icelui, et a été par acclamation agréé, ratifié et sanctionné par tous les membres de l’assemblée, ainsi qu’il en est constaté par le procès-verbal de ses séances pour être, par lesdits commissaires, déposé àM. le lieutenant général, suivant le vœu de son ordonnance revêtue des formes prescrites. Et ont signé les commissaires, M. le président et le secrétaire. Signé le commandeur de Monspey, l’abbé Varenard de Valeilles, Desvernay, curé de Gham-bort; Pillet curé de Cours; Trembly, curé de Thel ; Baylon, curé de Villié; Maillot, curé de Croizet; Dumas, curé de Belleroche ; Michet, curé, président et Gortey, curé de Saint-Simphorien-de-Lay, secrétaire de l’assemblée du clergé. Pour extrait conforme à la minute déposée au greffe de la sénéchaussée du Beaujolais, Signé Tarlet, greffier. CAHIER De l ordre de la noblesse de Beaujolais, arrêté dans la séance du 19 mars 1789 (I). Art. 1er. Le retour périodique des Etats généraux, fixé dans un court intervalle, et dans le cas d’un changement de règne et d’une régence, qu’ils soient assemblés extraordinairement dans le délai de deux mois. Art. 2. La liberté individuelle de tout citoyen, en sorte qu’aucun ne puisse être arrêté ni détenu prisonnier plus de vingt-quatre heure, s’il est domicilié, sans être remis à ses juges ordinaires, lesquels seront obligés de statuer sur ledit emprisonnement dans le plus court délai; de plus, que l’élargissement provisoire soit toujours accordé en fournissant caution, excepté dans le casaque le détenu serait prévenu d’un délit qui entraînerait punition corporelle. Art. 3. La liberté de la presse sous les réserves qu’il plaira aux Etats généraux d’y apporter. Art. 4. Que tout droit de propriété soit inviolable et sacré et que nul n’en puisse être privé sans en être dédommagé dans sa juste valeur. Art. 5. Que nul impôt ne soit légal et ne puisse être perçu qu’au tant qu’il aura été consenti par la nation, pour un temps limité, et ce jusqu’à la prochaine tenue des Etats généraux. Art. 6. Que l’impôt ne soit consenti qu’après avoir reconnu l’étendue delà dette nationale, réglé les dépenses et qu’après avoir épuisé tous les retranchements possibles par des réformes et des améliorations, et que le susdit impôt ne soit consenti qu’après que les lois constitutionnelles du royaume auront été fixées. Art. 7. Que l’impôt une fois consenti soit généralement et légalement réparti suivant la déclaration que l’ordre de la noblesse a faite à messieurs du tiers-état. Art. 8. Que la dette de l’Etat ne soit consolidée qu’après l’examen le plus sévère. Art. 9. Que les ministres soient comptables aux Etats généraux et responsables de leur conduite (!) Nous publions ce cahier d’après un jpanuserit des Archives de l’Empire.