[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [M mai 1791.] ggK Plusieurs membres demandent l’impression du du rapport de M. de Menou et des deux lettres dont il a donné lecture. M. d’Aubergeon de Murinais. J’y consens, à condition que la réflexion contre le pape soit rayée du rapport ? M. de Clermont-Tonnerre. Après avoir entendu M. le rapporteur dans cette affaire je me suis fait deux questions : M. le rapporteur a-t-il dit quelque chose à quoi nous n’eussions pas répondu d’avance. M. le rapporteur a-t-il répondu à tout ce que nous avons dit lors de son premier rapport ? Il me semble que la question est absolument au point où nous l’avons laissée lors de notre dernier décret. M. le rapporteur nous a parlé d’une influence secrète sur ce décret; il ne s’est pas expliqué; je ne m’expliquerai pas davantage sur la possibilité d’un reproche semblable sur l’amendement du lendemain. Laissons toutes ces personnalités et arrêtons-nous à la question en elle-même. Où en est cette question? une moitié est déjà perdue, de l’aveu de M. le rapporteur. Il abandonne le vœu des communes duGomtat, ce vœu sur lequel on ne se permettait pas, dans les dernières séances, des doutes que les parties intéressées avaient elles-mêmes dans le fond de leur âme, sur ces pièces qui n’étaient pas probantes, sur ces pièces qui portaient partout le caractère delà contrainte. Ne parlons donc plus du Gomtat puisqu’on en abandonne la conquête... {Murmures à gauche.) Si les murmures qui accueillent cette dernière phrase indiquaient l’espérance d’amener, par un long circuit, à un but dont la justice écarte évidemment, j’observerais que cette arrière idée n’est pas digne de la loyauté de l’Assemblée nationale; j’observerais que les premiers actes de violence dirigent tous ceux qui les suivent jusqu’à ce que le calme parfaitement rétabli donne la possibilité d’exprimer et de recueillir un vœu légitime, j’observerais qu’en armant un parti contre l’autre en lui donnant toute la protection nationale on abandonne l’autre aux horreurs de la guerre qui y existe, et qu’il ne sera peut-être au pouvoir d’aucune puissance légitime d’arrêter; car il est des gens qui ne sont d’aucun pays, qui ne sont soumis à personne, ce sont tes brigands; et vous savez, Messieurs, que l’armée qui désole Avignon n’appartient pas à Avignon, qu’elle n’appartient qu’à ses chefs, à ces chefs qui ont fait leur apprentissage dans nos troubles; à ces chefs qu’une réputation exécrable a suivi dans leurs anciennes conquêtes; à ces chefs qui sont un fléau et qui continueront d’être un fléau jusqu’à ce qu’ils aient disparu, je ne sais par quel moyen ..... (. A gauche : par notre décret.) M. le rapporteur vous a dit qu’Avignon était préparé àrecevoirla liberté : quelle préparation, Messieurs, que celle du 10 juin ! Dans quel moment, de quelle manière cette nation s’est-elle préparée à la liberté? Ce n’est pas ainsi que s’y sont préparés les Polonais dont on a voulu se faire un moyen, tandis qu’ils ne sont qu’une leçon ..... ( Murmures ) Les Polonais ont établi chez eux ce sans quoi un peuple ne peut pas subsister; un gouvernement qui ait du nerf, un gouvernement héréditaire, un gouvernement (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de cette opinion. revêtu de toute la force compatible avec la liberté. Les Polonais ont admis avec mesure un partage des droits imprescriptibles, mais qu’il est dangereux de rendre tout à coup... {Une voix à gauche : Vive la Pologne!)... Je pourrais m’étendre plus loin sur ce que l’on appelle la révolution de Pologne, qui est l’acceptation unanime d’une Constitution très raisonnable; je pourrais prouver qu’elle n’a aucune espèce de rapport avec ce que l’on appelle la Constitution avigno-naise qui n’est qu’un entassement de vœux qu’opposent sans cesse de malheureuses victimes aux menaces qui les environnent. On a abandonné le vœu du mois de juin; il était effectivement trop près des menaces qui l’avaient provoqué; mais on vous a apporté des vœux successifs ; ce sont ces vœux successifs entassés dans peu de mois, prononcés devant des gardes nationales françaises, prononcés presque toujours, les armes à la main, par les factions dominantes, prononcés en l’absence d’une multitude d’habitants chassés par les violences du parti dominant, de ces émigrants, et je vous prie, Messieurs, de peser cette circonstance, de ces émigrants que l’armée àvignonaise se plaint que l'on ne traite pas avec assez de rigueur, et que la municipalité se vante d’avoir cependant dépouillés, autant qu’il a été en elle ; de ces émigrants dont elle se vante d’avoir pris l’argent, les denrées, les effets, pour soutenir les parents des soldats servant dans l’armée avi-guonaise.G’est en l’absence de cette partie considérable du peuple qu’ils ont émis ce vœu : cette absence n’a pas été volontaire; elle est la suite d’un acte de rigueur, d’un acte d’injustice; elle est la suite d’une persécution continue. La main qui a frappé n’a pas un instant quitté les armes jusqu’à ce moment et depuis le premier coup porté; jusqu’à ce que ces armes aient été quittées par elle, jusqu’à ce qu’une véritable liberté existe, on ne peut pas nous parler d’un vœu. On ajoute à ces motifs le vœu des villes françaises; c’est plutôt une arme dans le système de ceux qui s’opposent à la réunion. Ce sont les désirs des Français de réunir à eux les Avigno-nais; c’est cette influence française, cette influence que nous ne pouvons méconnaître, cette influence qui existe depuis le commencement de la Révolution, qui rendra suspect aux véritables amis de la vérité tout ce qu’on vous apporte comme le vœu libre des Avignonais. On vous parle des ennemis de l’ordre; on vous parle des fanatiques; on vous fait même dans cette tribune les discours qu’ils ont tenus; mais on ne vous nomme personne; on ne vous donne aucune preuve; on ne vous cite aucune correspondance; on ne vous met sur aucune voie; on vous dit : les fanatiques ont dit ceci et cela; ils ont armé les Comtadins contre les Avignonais; ils ont même excité des factions dans Avignon. Qu’est-ce que c’est que ces factions dans Avignon? Ce sont des dissentiments et ce sont des gens qui ne sont pas de l’avis d’une partie du peuple; ce sont ceux qui ne sont point armés, qui sont opprimés parce qu’ils n’ont pas pu fuir ; ce sont ceux dont il faudrait compter les voix avec celles des émigrants, avant qu’on pût avoir un vœu libre et national. On vous a dit encore qu’il faut les réunir parce qu’ils ne pouvaient pas être libres sans nous ; être libres sans nous! Vous avez remarqué, Messieurs, que l’on avait regardé comme un moyen les entraves que vous pourriez mettre à la liberté des Avignonais, s’ils ne voulaient pas 3Qg [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] se réunir à vous en acceptant cette liberté. Cet argument peut être bon en politique; cet argument aurait pu être pesé dans le conseil d’un roi qui aurait abjuré toute idée de justice ; mais je vous avoue que je ne le discuterai pas dans la tribune des représentants de la nation française. Les Avignonais ne peuvent former un vœu que lorsque le calme sera rétabli dans leur sein ..... (Aux voix! aux voix!) On parle sans cesse du vœu des citoyens actifs; aucun acte antérieur n’a constaté dans Avignon, d’une manière positive, ni les qualités des signataires, ni leur âge, ni leur proportion avec la population. Ces actes n’ont pas été soumis à l’Assemblée nationale, ni à une discussion ; et vous vous rappelez, Messieurs, combien la discussion est funeste au prétendu vœu qu’on vous présente. Je m’obstinerai donc à ne pas voir un vœu libre et national dans l’en tassement de ceux que l’on attribue au peuple avignonais; je m’obstinerai à ne pas croire que l’on ait prouvé invinciblement les droits du roi, diplomatiquement parlant, sur Avignon, parce que M. le rapporteur, sans ré-Kondre aux objections qui lui ont été faites, s’est orné à nous dire qu’il croyait les avoir prouvés dans son dernier rapport. Je ne ramènerai point la discussion sur ce point; elle est parfaitement éclaircie. Je ne vois dans ce projet du comité qu’un seul vœu, une seule vue que je voudrais conserver, un seul intérêt qui me touche véritablement : c’est celui de la cessation des troubles; mais ce vœu pour la cessation des troubles me paraît devoir être subordonné à celui de la justice; mais je désirerais des mesures qui conciliassent l’une et l’autre; je voudrais que l’on sauvât les Avignonais de leurs propres fureurs, sans mettre au prix d’une réunion que je ne crois pas du tout utile les secours qu’on peut leur donner. Si quelques membres de l’Assemblée proposent des mesures qui concilient en même temps le principe de la justice et le vœu de l’humanité, je m’y rendrai avec le plus grand empressement; mais je ne puis pas approuver le vœu de M. le rapporteur, le vœu des 4 comités réunis, qui regardent comme légal un vœu que je ne regarde pas comme légal; qui vous proposent froidement d’être justes avec ceux qui peut-être ne le méritent pas. Vous devez savoir que la justice appartient à tout le monde ; et c’est une expression au moins inconvenante, que M. le rapporteur s’empressera sans doule de rayer d’un rapport imprimé par vos ordres. Je conclus à la question préalable sur la réunion d’Avignon, piêt à me rendre à toutes les mesures qui, sans prononcer celte réunion, pourraient ramener le calme dans ce pays. . Plusieurs membres de la partie gauche demandent que la discussion soit fermée. M. l’abbé Maury parait à la tribune. M. de Cazalès. Je vous prie d’observer combien il serait indécent qu’au moment où l’Assemblée revient directement contre un de ses décrets, on ne pût pas démontrer que ce retour est nécessité par les motifs les plus évidents. Elle veut ici renverser un de ses décrets... (A gauche : Gela n’est pas vrai!) On lui propose de renverser un de ses décrets : cette démarche, qui peut jeter une grande incertitude sur les décrets déjà rendus, ne peut être adoptée sans mettre dans la dernière évidence les raisons qui la nécessitent. Il est impossible que l’Assemblée ferme la discussion. M. Madfer de Montjau. Une Assemblée législative qui craint la discussion, c’est u’une impudence sans exemple. M. l’abbé Maury. Je demande la parole pour prouver que la discussion ne doit pas être fermée. Il y a un nouveau rapport; par conséquent, il faut une discussion nouvelle. Si vous ne vouliez pas nous entendre, il ne fallait pas nous appeler; et alors je déclare que nous ne prenons pas de part à la délibération. M. lie Déist de Botidoux. Il faut entendre M. l’abbé Maury et je demande à lui répondre par la simple lecture d’une lettre que j’ai reçue d’Avignon. A gauche : La discussion est fermée! M. Bopulus. Monsieur le Président, on persiste à ce que vous mettiez aux voix si la discussion sera fermée. (L’Assemblée décrète que la discussion sera continuée.) M. Voulland (1). Il est sans doute du devoir d’un député de vos provinces méridionales de vous exposer des faits qui doivent hâter votre décision sur la question importante qui vous occupe. Quand le feu de la guerre civile est prêt à embraser les départements qui avoisinent le Gomtat venaissin, il ne m’est pas permis de garder un silence qui serait coupable. Je ne veux pas entrer dans la discussion politique de vos droits sur ce pays; vous le céderez ou vous le réunirez au royaume, vous rejetterez ou vous accomplirez les vœux d’une ville qui a fait partie de cet Empire; vous tarirez ses larmes, ou vous la livrerez au plus affreux désespoir; mais enfin, Messieurs, vous prononcerez quelque chose, et vous la tirerez de cette incertitude qui est peut-être le pire de ses maux. Avignon, le Gomtat, les départements voisins, une foule de sociétés et de particuliers vous ont adressé des pièces qui surchargent le dépôt de votre comité, et toutes vous attestent qu’un des plus beaux pays du monde est perdu st vous ne venez à son secours. Le prince auquel ce pays était soumis est sans force, il est éloigné, il ne peut y faire passer aucun secours sans traverser notre territoire; il peut profiter de votre oubli pour inviter des puissances étrangères à éteindre, que dis-je, à propager cet incendie. Nos départements, étonnés de la politique dilatoire et cruelle que l’on cherche à vous inspirer, se demandent et demandent à leurs députés comment l’Assemblée nationale peut voir de sang-froid, au sein de nos provinces combustibles, deux armées en présence, grossies de déserteurs et d’Italiens, se battre avec acharnement, et ravager un pays sur lequel la France a des droits incontestables, qui ne sera bientôt plus qu’un tas de ruines. G’est le cœur oppressé des maux dont je suis instruit et de ceux que je prévois, que j’oserai dire des vérités cruelles qui n’ont pas pu pénétrer encore dans l’Assemblée nationale. Vous savez que deux partis sont fortement prononcés (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. 124 mai 1791.] 367 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dans le Comtat; que deux armées sont en présence; que Garpentras est assiégée; qu’ Avignon est déchirée dans son propre sein. Mais apprenez, Messieurs, que les Français prennent parti dans ces deux armées; les uns vont au secours d’Avignon, les autres se jettent dans l'armée papale, selon qu’ils y sont portés par leurs passions ou par leur intérêt; des déserteurs de divers régiments ont passé dans l’une et l’autre armée; des officiers français y ont pris parti, et leur fatale science a propagé la fure or qui, sans eux, se serait amortie; les bandes s’accroissent tous les jours; l’argent de la cour de Rome, prodigué dans l’armée de Garpentras, lui donnera bientôt une force redoutable; des citoyens français sont massacrés dans l’un et l’autre camp; on compte des villes françaises, qui déjà se sont divisées en faveur de l’une ou de l’autre armée, et l’attente seule de votre décret a pu suspendre l’impétuosité qui va les précipiter dans l’un ou dans i’au’re parti; ce serait votre lenteur à vous décider qui serait la cause, la principale cause de cette guerre civile; les Français ont des possessions, des fermes, des métairies, des parents, des amis dans le Comtat; ils voleront au secours de ce qu’ils ont de plus cher; et si la fureur religieuse vient se joindre à la fureur du désespoir, je vous demande quel terme vous voyez à tant de maux, si vous n’éteignez promptement cet incendie. La calomnie dira que vous ne l’avez pas éteint, parce que vous avez voulu qu’il se propageât; elle dira que, divisés vous-mêmes comme les deux parties du Comtat, une partie d’entre vous a protégé une armée, parce qu’elle y a vu le moyen de faire une contre-révolution et de troubler les provinces méridionales qu’ils croyaient susceptibles des fureurs du fanatisme, parce qu’elle a dit : c’est là le point où se réuniront les mécontents ; c’est là que fileront les préten-dus déserteurs, Sardes et Piémontais; c’est là qu’après avoir grossi l’armée de Garpentras, au point de la rendre redoutable, nous mettions entre deux feux les Provençaux et les Dauphinois renfermés entre cette armée Papale et l’armée Savoyarde. Oui, Messieurs, ces faibles Savoyards deviendront dangereux, quand une armée placée dans le cœur du royaume soutiendra leur entrée, et qu’ils n’auront qu’à se joindre pour former une armée combinée; qu’un chef se présente alors, et la guerre civile est allumée. Pourquoi chercher à nous aveugler, Messieurs, pourquoi ignorer ou feindre d’ignorer ce que l’on dit partout; ce que publient, ce qu’écrivent tous les départements voisins, que l’armée de Garpentras est une armée de contre-révolutionnaires, une armée italienne, un amas d’hommes rassemblés par quelques prêtres et par quelques nobles,... (A droite: Ce sont des gens vertueux que les nobles!) soutenus par des Français, comblés d’éloges par des Français, et dont les défenseurs qui les soutiennent* dans ce sénat, vous font assez connaître, par le caractère des avocats, le caractère de la cause. Faut-il vous rappel r un arrêté ren arquable, pris par les chefs du camp de J alès, lors de sa première formation, dans le mois d’août de l’année dernière? Il portait qu’il fallait s’emparer d’Avignon pour en faire une place d’armes d’où ces rebelles devaient fondre sur le département du Gard. Faut-il vous dire qu’on parle actuellement d’un rassemblement dans le département de l’Isère sous le prétexte de la religion?... M. Bruges. G’est faux 1 (Murmures.) t M. Rewbell. Vous ne voyez pas que c’est l’aumônier du camp de Jalès qui vous parle. M. Voulland. Le fait est attesté par une lettre des amis de la Constitution ( Rires à droite.) Les journaux opposés à la Constitution publient cette nouvelle. Ils répandent que les habitants de mon pays vont secourir les Avignonais en haine du pape. Le directoire de notre département a démenti cette assertion; mais les malveillants la soutiendront pour ressusciter la haine religieuse que vos sages décrets avaient éteinte. Ges écrivains insensés, dans leur stupidité, se décèlent eux-mêmes; ils vous disent que mes concitoyens vont combattre contre le pape. Ils avouent donc que du haut des tours de Garpentras, c’est le pape qui fait cette guerre. Anéantissez par un décret ces armées qui pourraient finir par vous faire la loi. Eh! devriez-vous être surpris de voir les prêtres du Comtat former des vœux pour la contre-révolution, quand vous saurez qu’eux aussi ont à se venger de leurs pertes ecclésiastiques; l’archevêque d’Avignon et son chapitre possédaient en France des dîmes qu’ils regrettent; ils y avaient la collation de plusieurs bénéfices; plusieurs paroisses en dépendaient pour le spirituel. Le sang humain est-il trop cher aux yeux de ces hommes pour tâcher de reconquérir des objets aussi précieux? Voyez la guerre que vous fait le prétendu souverain de ces contrées, par les bulles et les brefs, seules armes qui puissent servir sa haine; l’urgence des circonstances et le salut de la patrie seraient d’assez puissantes raisons pour vous déterminer à user de vos droits, comme les rois de France l’ont fait pour de moindres motifs. Pensez enfin, Messieurs, que ce souverain veut rompre avec vous ; qu’il refuse l’ambassadeur français ; qu’il fait à la nation le plus sanglant outrage, si cet outrage pouvait atteindre jusqu’à elle ; et qu’il est temps de relever la dignité de la nation française aux yeux des potentats qui n’attendent que vos mesures pour vous dédaigner ou vous honorer. Mais croyez-vous que le vœu des habitants du Comtat n’est pas suffisamment émis? Prenez donc toutes les précautions que la prudence doit vous suggérer pour remédier au danger qu’il peut y avoir à laisser, au milieu de la France, un Etat indépendant de la nation, qui sera le refuge éternel de tous les ennemis au loyaume. Pensez combien cette province peut devenir funeste à vos manufactures; avec quel avantage elle luttera contre vos établissements de commerce, et quel foyer de contrebande vous laissez au milieu de vous. Il est même difficile de prendre contre elle les précautions que vous prenez contre les Etats étrangers, parce que votre principauté d’Orange est enclavée entièrement dans le Comtat. Observez encore que les Gomtadins occupent, dans votre état civil et militaire, les postes destinés aux enfants de la patrie; ils disent hautement : Nous sommes Français quand leur avantage particulier l’exige, et : Nous ne sommes pas Français , quand il faut supporter les charges du royaume. Si la faiblesse du conseil de nos rois ne -leur a pas permis de persister dans le dessein de réunir ce pays, après qu’il y avaient exercé dans les droits de la souveraineté ; exercez du moins le plus beau de ces droits ; rétablissez-y la paix; éteignez le feu qui consume vos voisins, et qui peut se communiquer 368 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] à vos possessions; et laissons au temps le loisir de démontrer combien des mesures plus fermes seraient nécessaires. Prévenons pourtant, par de justes moyens, le dommage que peuvent éprouver nos manufactures. Arrêtons la contrebande dont cet Etat est le foyer. Empêchons que les Français, nos enfants, ne soient écartés des emplois civils et militaires par la concurrence d’hommes avides qui veulent jouir de nos droits et de l’avantage d’être Français, sans nous aider à payer les charges que nous donne ce beau privilège. Le projet de décret que j’avais à vous proposer, rentrant dans celui de votre comité, j’adopte entièrement celui-ci, à quelques modifications près, que je me réserve de vous soumettre quand il y aura lieu. M. l’abbé Maury (1) Messieurs, vous avez rendu hier matin, en organisant le Corps législatif, un décret infiniment sage. Vous avez statué constitutionnellement que toutes les fois qu’une motion aurait été discutée et écartée par les représentants du peuple français, elle ne pourrait plus être remise en délibération, sous aucun prétexte, dans la même session. Si cette loi réglementaire, qui doit défendre nos successeurs contre les coalitions de l’intrigue et contre les infatigables poursuites de l’esprit de parti, avait été décrétée par nos prédécesseurs : que dis-je? Si l’Assemblée nationale voulait enfin se conformer à ses propres règlements, l’importune discussion qui vous occupe encore aujourd’hui ne reparaîtrait pas dans cette tribune. C’est pour la 4e fois que nos adversaires, toujours repoussés et jamais rebutés, sont parvenus, en multipliant les rapports de plusieurs comités réunis, à renouveler les tentatives dont ils ne cessent de nous fatiguer depuis 18 mois pour nous amener à l’invasion d’Avignon et du Comtat. On veut donc vous forcer, Messieurs, d’énoncer de nouveau dans ce moment, votre vœu solennel, sur ce projet d’usurpation, aux yeux de l’Europe attentive, et peut-être impatiente de j uger à son tour votre jugement I Puis-je espérer enfin, après 3 victoires si récen'es et si décisives, que ce quatrième combat sera le dernier, et que le sort de la malheureuse ville d’Avignon sera irrévocablement fixé dans cette séance? ( A gauche : Oui! oui!) Ouil ouil répondez-vous, parce que vous vous flattez d’avoir assez travaillé les esprits hors de l’Assemblée, pour conquérir enfin la majorité des voix, que vous n’avez jamais pu obtenir dans cette cause. Je prends acte, dans ce moment, de ce vœu unanime qui appelle un décret définitif. Renonçons donc tous loyalement à la misérable ressource de neutraliser la décision, en altérant le procès-verbal; et que personne ne cherche plus à gagner demain sa cause au bureau, après l’avoir perdue aujourd’hui à la tribune. Je ne reproduirai devant vous aucun de ces titres victorieux, aucun de ces moyens de fond, que j’ai si souvent présentés à l’Assemblée. Je suivrai M. le rapporteur dans la route qu’il vient de tracer devant moi. Je vais enfin l’attaquer corps à corps, en présence de ce même peuple qu’il a trompé par ses principes, par ses assertions, par ses sophismes, par ses réticences, en nous débitant dirai-je un rapport, dirai-je un roman politique, indigne de soutenir les regards (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse de ce discours. d’une Assemblée qui respecte sa propre opinion, et l’opinion publique. (Murmures.) Gomme c’est ici le dernier moment où je peux encore vous faire entendre la voix de la vérité et les réclamations de la justice, il faut tout dire, il faut vous faire connaître, il faut signaler aux yeux de toute la France, ces infâmes émissaires d’Avignon, qui vous demandent l’absolution de tous leurs crimes! Il faut, puisque l’intérêt de tout un peuple l’exige, il faut enfin vous dévoiler cet odieux mystère d’iniquité qui ne trouvera plus ensuite, je l’espère, ni complices, ni protecteurs dans cette Assemblée. ( Murmures à gauche!) Je vais reprendre la question au même point où je l’avais laissée, et où je la retrouve encore, car M. le rapporteur a fait beaucoup de mouvements sans aucun progrès; et, depuis le 4 du mois de mai, la discussion semble aller en rétrogradant. M. de Menou, qui enveloppait d’abord tout le Gomtat dans ses projets de conquête, ne se flatte déjà plus d’une invasion totale. 11 ne nous demande plus à présent que la seule ville d’Avignon, pour prix de ses veilles à la bibliothèque du roi (1). C’en est assez pour apaiser cette (1) A la suite de ses séances à la bibliothèque du roi, M. de Menou ne me parut pas, dans son rapport, avoir acquis des connaissances très exactes ni très étendues sur l’histoire de la Provence. Je l’interrompis pour le prier de rendre compte à l’Assemblée nationale des anciens droits des empereurs sur cette province. 11 me répondit que les empereurs n’avaient jamais exercé aucune juridiction souveraine en Provence. Je lui citai aussitôt le royaume d’Arles. M. de Menou me répondit alors, qu' effectivement il était parlé dans l’histoire, d’un royaume d’Arles, mais que ce royaume s’était perdu depuis longtemps ; qu’il ne savait pas comment cela était arrivé, parce que ce point d’histoire avait disparu dans la nuit des temps. Cette réponse fut très applaudie par les tribunes et par une partie considérable du côté gauche. Je pris la parole pour donner à M. de Menou des nouvelles précises de ce royaume d’Arles qu’il croyait perdu, même dans l’histoire. Voici les détails dans lesquels je fus obligé d’entrer. Le royaume d’Arles fut connu dès le Xe siècle, lorsque Hugues, successeur de Louis II, roi d’Italie et de Provence eut cédé à Rodolphe II, roi de Bourgogne, les Etats qu’il possédait au delà des Alpes. Depuis cette époque les empereurs ont toujours été reconnus souverains du royaume d’Arles, c’est à dire de la Provence et du Dauphiné jusqu’à l’Isère. Ils ont fondé des abbayes, donné des terres, accordé des privilèges et nommé des gouverneurs du pays, connus sous le nom de comtes de Provence. Ce qui prouve invinciblement que les empereurs régnaient dans cette province, c’est qu’ils y soumirent les fiefs aux mêmes lois qui les régissent en Allemagne, c’est-à-dire qu’ils les rendirent électifs-héréditaires. Conrad le pacifiqne, vint se faire reconnaître roi d’Arles en 964. Frédéric Ier s’y fit couronner en 978. Ce fut lui qui accorda au seigneur d’Orange, par un diplôme, le titre de prince, et le droit de porter la couronne comme une marque de souveraineté. L’éloignement des empereurs, les guerres continuelles qu’ils eurent à soutenir, la rapidité avec laquelle ils se succédèrent sur un trône longtemps chancelant, affaiblirent beaucoup leur autorité en Provence. Ceux de ces princes qui jouirent de plus de tranquillité, ou qui eurent plus de talents, firent respecter leurs droits. Tel fut l’empe-pereur Frédéric II, qui en 1164 nomma l’archevêque d’Arles son lieutenant en Provence, y établit un vicaire de l’Empire, et donna une si haute idée de sa puissance, que les évêques, les grands vassaux et les communautés n’auraient pas osé compter sur la jouissance de leurs droits ou de leurs privilèges, sans en avoir obtenu la confirmation impériale. La puissance des souverains dépend infiniment de leur mérite personnel. Les empereurs l’éprouvèrent dans le XIVe siècle, et il ne leur resta presque plus alors aucune autorité en Provence. En 1354, l’empereur