[Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 octobre 1790.] 483 sur le projet de décret proposé sur la désignation des biens nationaux à vendre dès à présent, sur leur administration jusqu’à la vente; sur les créanciers particuliers des différentes maisons, et sur l’indemnité de la dîme inféodée. L’Assemblée décrète que, jusqu’à ce qu’elle ait statué sur ce projet de décret, il y aura des séances extraordinaires du soir à commencer d’aujourd’hui. M. Goupilleau, secrétaire, fait lecture d’une lettre de l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. — En voici l’extrait : « Vous avez décrété que le rapport de l’affaire des colonies vous serait fait aujourd’hui, et vous avez encore prolongé l’ajournement; ou vous nous regardez comme formant l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, ou vous croyez le contraire. Il est important pour la France, pour la colonie et pour nous, que vous examiniez d’abord nos pouvoirs. Nous assurons que nous sommes véritablement l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, et si cela est, nous avons droit de nous plaindre du décret qui nous mande à votre barre. (Il s'élève des murmures.) Nous gardons le silence sur l’accueil que vous nous avez fait. Les apologistes de nos oppresseurs ont reçu une faveur qui ne nous a point été accordée. Nous sentons toute l’élévation de notre caractère. ( Les murmures recommencent.) Nous prouverons que nos décrets sont justes, d’après vos propres instructions. Nous vous prions de suspendre votre délibération, et de discuter d’abord ces deux questions : Les membres qui se disent l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue Je sont-ils effectivement? Le décret rendu par cette assemblée le 28 doit-il être accepté? Daignez, au nom de votre propre gloire, ne pas nous négliger. » M. Alexandre de Lameth. Je pense que, malgré le manque de convenance qui domine dans toute cette lettre, elle doit être renvoyée au comité colonial ; je pense aussi que nous ne devons pas retarder l’ordre du jour, ainsi que nous le dicte l’assemblée ou la soi-disant assemblée de la partie française de Saint-Domingue. La lettre est renvoyée au comité colonial. La séance est levée à 3 heures. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du lundi 4 octobre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie. M. Vieillard (de Saint-Lô ), secrétaire , donne lecture d’une note de M. le garde des sceaux, qui transmet une réclamation de M. le bailli de Virieu, chargé des affaires de Malte, relative à la conservation des biens de cet ordre en France. Gette affaire est renvoyée au comité chargé de s’occuper des affaires de l’ordre de Malte. M. Karrère de Vieuzac, au nom du comité (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 4ro Série. T. XIX. des finances et des domaines réunis, fait un rapport sur les frais de démolition de la Bastille. Il est ainsi conçu : Messieurs, ce n’était pas assez de s’emparer de la Bastille, il fallait en détruire jusqu’aux fondements. G’est sous vos yeux, c’est sous l’inspiration de la municipalité de Paris, que des mains libres ont démoli cette citadelle dont l’existence était la honte et l’effroi de la France. Des pères de familles nombreuses, des artistes, des ouvriers de tous genres, des bourgeois mêmes, que les suites inévitables de la Révolution ont forcés au travail des mains, ont gagné leur subsistance pendant une année en démolissant la Bastille. La municipalité de Paris en a fait les avances, elle est dans le besoin. La diminution sensible de ses revenus, l’augmentation extraordinaire de ses dépenses, sa garnison et sa police exigent que la municipalité fasse rentrer dans ses mains les frais de ces travaux qui concernent la nation tout entière. Elle vous a envoyé sa pétition à ce sujet, avec l’état général des dépenses et des recettes, concernant la démolition de la Bastille, depuis le mois de juillet 1789, jusqu’au 1er septembre 1790. (Des murmures s’élèvent du côté droit et interrompent le rapporteur.) La dépense de la démolition a étonné d’abord vos comités. Elle se porte à 568,143 livres; mais ils ont remarqué, en môme temps, qu’il avait été vendu des matériaux pour la somme de 41,243 liv. et qu’il y a une somme de 34 mille et quelques cents livres qui est eu recouvrement; ce qui, joint à la somme qui doit provenir des matériaux restant à vendre, se porte à environ 254,997 livres, ce qui réduira un jour les frais des démolitions à 314,000 livres. (Les murmures redoublent.) Dans ces circonstances, vos comités ont pensé que c’était aux dépens des biens nationaux que les frais de cette démolition doivent être payés à la municipalité de Paris. Voici leurs motifs : 1° Vous avez annoncé qu’aucun édifice public ne serait laissé aux municipalités; 2° la Bastille est, je n’ose pas le dire, un bien national , mais le terrain et les matériaux sont une portion du domaine public. Ainsi, sous le rapport de la propriété, c’est au maître à supporter les frais de démolition. Ge maître, c’est la nation; 3° ces travaux ont amélioré le fonds, puisqu’ils l’ont délivré d’une citadelle qui le déshonorait. Vous devez d’ailleurs aliéner les biens nationaux : or, pour aliéner les terrains de la Bastille, il fallait les déblayer de ces odieux décombres de la tyrannie. Nous ne connaissons que des ministres ou des partisans de l’ancien régime qui auraient pu faire des soumissions pour l’achat de la Bastille. Sa démolition était donc nécessaire sous le rapport de l’aliénation des terrains. La destruction a donné en quelque sorte un .prix à ces terrains et la facilité de les vendre; mais les rapports de nécessité évidente vous ont frappé d’avance. Ge n’est pas ici une spéculation ; ce n’est pas un marché qu’on a fait ; ce n’est pas un projet d’économie que l’on a exécuté ; c’est une destruction politique ; c’est un acte vraiment révolutionnaire; c’est un événement national et qui est la suite nécessaire de la sainte insurrection du 14 juillet. Ainsi la démolition de la Bastille tourne au profit de la nation et à l’honneur de la liberté dont elle a marqué les premiers et les plus nobles efforts. (Grands murmures à droite.) Ce n’est pas au Trésor public que nous vous proposons de faire supporter cette dépense de 314,000 livres. Ge n’est pas sur les contributions des peuples que nous percevrons cette somme, 28