606 [Assemblée nàtionale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai «91. ] ouvrage dans lequel la politique, la modération, la raison et l’équité lui paraissaient si heureusement conciliées, lorsqu’elle a vu avec douleur quelques députés des colonies regarder comme une diminution des conctssions précédemment faites aux assemblées coloniales ce qui n’est en soi qu’une extension donnée à ces mêmes concessions. « Ces députés ne peuvent manquer d’abjurer bientôt une erreur si contraire aux intentions et à la teneur des décrets du Corps législatif et constituant. Ils regretteront de l’avoir manifestée, en déclarant qu’ils s’abstiendraient des séances où leur devoir les appelle. « L’Assemblée nationale les plaint d’une conduite qu’elle aurait pu frapper de son improbation ; et, dans l’affection véritablement maternelle dont elle est animée pour les colonies, elle se borne à empêcher par la présente instruction que l’erreur de leurs députés n’y devienne contagieuse. « Quel plus beau témoignage d’estime et de çon(iance pouvait-elle donner aux assemblées coloniales, que de leur accorder l’initiative sur leurs lois constitutionnelles et sur l’état des personnes non libres, ou qui ne sont pas nées de père et de mère libres? De quelle plus belle fonction pouvait-elle les revêtir, que ae celle de venir avec sagesse au secours de l’humanité souffrante, d’éclairer le Corps législatif sur tous les adoucissements qu’il sera possible de procurer un jour à cette classe infortunée, de proposer tous les changements qu’un meilleur ordre ae choses exige, tous les tempéraments, toutes les modifications aux lois générales que les localités pourront rendre nécessaires, de préparer Je bien que les .législatures auront à effectuer, et que les colons auront toujours la gloire d’avoir provoqué? « Peut-on imaginer un plus grand nombre de concussions, plus honorables et plus flatteuses? Y a-t-il quelque exemple d’une métropole qui ait abandonné à ses colonies l'exercice d’un pareil droit sur les actes les plus importants de la législation? « L’Assemblée nationale a tout accordé aux colonies; tout, excepté le sacrifice des droits imprescriptibles d’une classe de citoyens que la nature et les lois rendaient parties intégrantes de la société politique; tout, excepté le renversement des principes créateurs de la Constitution française, qui ont obtenu, qui devaient obtenir l’assentiment unanime de tous les hommes qui veulent vivre et mourir libres. « Si la réaction des préjugés, des passions et des intérêts particuliers est dans tous les lieux la même; si elle oppose partout quelque résistance au perfectionnement de l’esprit humain et au cours rapide de la régénération sociale et de la prospérité publique, la justice, la raison, ont aussi partout leur salutaire et très puissante influence. L’Assemblée nationale ne doutera donc jamais que les colons appelés, comme Français et par le vœu qu’ils ont c'airement exprimé, au droit et àd’honneur de jouir des bienfaits de la Constitution, n’aient le noble amour-propre de s’élever à sa hauteur et de s’en montrer complètement dignes. « Dédaignant le soupçon et l’imputation d’avoir manqué envers eux à scs engagements, au moment même où elle y ajoute encore, par égard pour leurs habitudes, il suffit à l’Assemblée nationale de les inviter à comparer et à peser ses décrets. Ils y trouveront sa constante attention pour leurs intérêts : elle ne veut point d’autre préservatif contre tous les efforts que l’on pourrait faire pour égarer leur opinion ; elle se tie a, leur raison et au patriotisme dont ils ont dans tous les temps donné un si grand nombre de preuves. Elle est convaincue que rien ne peut les détourner de l’obéissance qu’ils doivent aux décrets du Corps législatif sanctionnés par le roi. « Sûre de ses principes, investie de toutes les forces de la volonté générale, la nation française doit au maintien de l’ordre, à l’intérêt même des colons blancs, à leur sûreté, à la conservation de leurs rapports commerciaux avec la métropole, de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour assurer dans les colonies l’exécution de ses lois, pour prévenir le danger des fausses interprétations, et pour arrêter les coupables efforts de tous ceux qui n’aspirent à diviser les esprits, et à fomenter des troubles que pour mettre la liberté publique en danger. Mais la soumission, mais la reconnaissance de3 colons libres de toute couleur, et surtout de ceux qui tiennent de plus près à la mère patrie , de ceux qui se sont toujours distingués parmi ses enfants, lui paraissent encore plus solidement fondées sur leur propre intérêt, sur rattachement et sur le zèle que mérite, qu’inspire la Constitution, et qu’on n’altérera jamais dans le cœur des bons citoyens. Chez eux toute passion cède à l’amour ue la patrie, et si quelque insinuation tendait à l’affaiblissement de ce lien sacré, ils la repousseront avec horreur. « Dans cette juste confiance, et sans rien préjuger sur le vœu que les colonies sont autorisées à émettre relativement aux lois qui peuvent leur convenir, l’Assemblée nationale a chargé ses comités réunis de Constitution, des colonies, de commerce et de marine, de rédiger sans délai des nrojets d’organisation qui seront envoyés aux colonies, non pour porter aucune atteinte à leur initiative, mais comme un recueil d’idées qui peuvent être salutaires. Les assemblées coloniales sont exhortées à les considérer d’après leur valeur intrinsèque, sans y attacher le poids d’aucun désir du Corps législatif; elles pourront les adopter, les modifier, les rejeter même avec une entière liberté, en y substituant les autres propositions qu’elles croiraient avoir à faire pour leur plus grand bien. L’Assemblée nationale ne doute pas qu’elles ne proposent à la prochaine législature les lois et les mesures les plus propres à concilier tous les intérêts des colonies et de la métropole, et à concourir efficacement à la plus grande prospérité de toutes les parties de l’Empire français. » (L’Assemblée adopte cette instruction.) M. Iftegnand (de Saint-Jean-d' Angèly) . Monsieur le Président, je demande que vous soyez chargé de vous retirer aujourd’hui par devers le roi pour lui porter l’instruction qui vient d’être lue, et le prier de la faire expédier le plus tôt possible dans les colonies; car je dois vous prévenir, Messieurs, qu’un des projets sur lequel les ennemis de la liberté publique qui veulent empêcher l’exécution de votre décret se reposent le plus, est celui-ci : ils espèrent que les mauvaises interprétations qu’ils ont envoyées aux colonies y produiront promptement leur effet, y occasionneront un mouvement quelconque qu’on se flatte de vous exagérer ici, s’il n’était pas assez fort au gré de la malveillance, pour arracher de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai 1791. J gQ7 vous, ensuite par la terreur, la révocation du décret que vous avez rendu. Je crois devoir avertir l'Assemblée nationale qu’un très grand nombre de citoyens redoutent cette manœuvre, à la possibilité de laquelle on croira, quand on connaîtra, par l’expérience passée, toutes celles dont nous avons été environnés, et tous les moyens que l’on a mis en œuvre pour anéantir en France les décrets protecteurs de la liberté. ( Murmures et applaudissements,) M. Goupil-Préfeln. J’appuie cette motion. M. Malouet. Il est une réponse à faire à M. Regnaud, Je ne sais pas quels sont les mouvements dont on a parlé; mais ce que je sais bien, c’est qu’il est très fâcheux que l’Assemblée n’ait pas voulu connaître quelles sont les difficultés qui, sans mauvaise volonté, contrarieront l’exécution parfaite du décret. (Murmures.) M. Rewbell. Vous opposez-vous à la motion de M. Regnaud? M. Malouet. 0 est très extraordinaire, lorsqu’on a repoussé de toutes les manières les représentations qui arrivent journellement de nos ports, et de la part de ceux qui ne peuvent pas être accusés d’être imbus des préjugés coloniaux, mais seulement pénétrés des difficultés, des désordres que peuvent y exciter les nouveaux décrets, et qu’on y a substitué avec une grande affectation, une lettre du département de Bordeaux, très contradictoire au vœu du commerce et à son opinion motivée; il est bien extraordinaire, dis-je, que l’on annonce maintenant des mouvements combinés, tandis qu’on n’a pas voulu connaître, apprécier, juger les représentations... M. Rewbell. Des factieux... M. RouUevIlIe-Dumetz. M. Malouet n’a jamais d’autre projet que d’attaquer les décrets. Il prêche toujours contre les opérations de l’Assemblée nationale. M. de Cazalès. L’Assemblée pourrait être comparée à ce roi qui défendit, sous peine de mort, de lui annoncer qu’il était malade, et qui en mourut parce qu’aucun médecin n’osa le lui dire. L’Assemblée nationale doit entendre tout ce qu’on a à lui dire. M. liavie. Je demande qu’on entende ceux qui ont des choses utiles à dire. M. Lanjuinais. On ne peut pas être entendu quand on plaide contre un décret. M. le Président. Je n’ai pas cru qu’il me fût permis d’interrompre M. Malouet, çarce que, suivant moi, il n’attaque point les décrets. M. Malouet. La preuve que je n’ai pas eu de mauvaises intentions, c’est que je n’ai rien dit sur le projet d'instruction, quoique je ne la croie ni utile, ni convenable; c’est que je n’ai pris la parole que lorsque M. Regnaud, sans mauvaise intention sans doute, mais d’une manière qui m’a paru très insidieuse, vous a présenté les difficultés attachées à votre décret, comme la suite de mouvements combinés par des ennemis de la Révolution. Or, Messieurs, je dis qu’une telle observation est d’autant plus déplacée, que les ports de mer qui se sont montrés les plus ardents pour la Révolution sont dans ce moment-ci dans une alarme extrême sur les suites de votre décret... (C’est faux!) Messieurs, cela est; je le certifie, et je ne doute pas qu’un très grand nombre de membres dans cette Assemblée n’en ait aussi la certitude. D’après cela, s’il avait été question de concerter les mesures pour, sans rétracter votre décret, en atténuer les inconvénients et en rendre l’exécution plus facile... M. Rewbell. Je demande la parole. M. Malouet. Vous l’aurez, Monsieur. Je crois qu’il eût été possible, par un article interprétatif qui est à peu près indiqué dans les instructions qu’on vient de vous lire, mais qui se trouve. contrarié par les paragraphes qui précèdent et qui suivent, il eût été possible de rendre aux colonies la paix que cette nouvelle disposition va tout à fait leur ôter; il eût été possible qu’après avoir prononcé le principe de l’admissibilité des gens de couleur dans les assemblées primaires, vous laissassiez aux assemblées coloniales à déterminer les conditions d'éligibilité pour les assemblées représentatives. (Murmures.) Encore une fois, si on ne vous avait épargné des développements et des détails de localités qui contrastent trop avec les principes prononcés de notre Constitution, et avec le langage habituel de l’Assemblée, vous auriez senti qu’il est contre toute possibilité qu’un nègre libre se trouve admis comme juge de paix ou comme administrateur à côté d’un colon blanc qui aurait chez lui ses neveux ou ses frères esclaves. D’après cela, il ne faut pas que l’Assemblée nationale, qui, a droit au respect et à l'obéissance de la part de toutes les parties de l’Empire, s’accoutume dans ce moment à croire que les observations qui lui seront probablement présentées par les colonies, soient le résultat de mouvements combinés. Il n’y a point de colon qui ne perde en cessant d’être Français ; il n’y a point de colon qui ne sente avec horreur les inconvénients affreux d’une scission; il n’y a point de colon instruit qui ne sache que, même en voulant se rendre indépendant de la France, il éprouverait sur cela les plus grandes difficultés. Que signifient donc les inconvénients dont on vous parle ? Il semble qu’il y a déjà un plan de conspiration formé à Paris delà part des colonies contre la métropole. Voix diverses : Oui ! oui ! — Non ! non ! M. Eiavie. Je demande que l’Assemblée entende un de ses membres, qui lui dira la vérité. (Murmures prolongés à gauche.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angély). Je demande, Monsieur le Président, que vous imposiez silence à M. Lavie. M. E