138 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Mais il nous reste un objet à traiter et nous le croyons un des plus importants. La formule du nouveau serment que les représentants de la nation viennent de concerter avec sagesse et que le Roi a été supplié de faire promulguer dans tous ses Etats, ne peut être et n’est en effet que le développement d’une formule ancienne, mais trop concise. Les troupes jureront d’être fidèles à la nation et au chef de la nation ce qui n’est qu’un seul et même serment, un seul et même devoir, le Roi et la nation étant indivisibles. Les troupes jureront d’être fidèles à la loi; mais il s’agit encore ici de la nation et du Roi, puisque la loi n’est que l’expression de la volonté de la nation et du premier devoir du chef qui la gouverne au nom sacré de la loi. Le soldat jurera de respecter la vie et les possessions du citoyen. Et dans quel pays, dans quel temps, les défenseurs par état du citoyen auraient-ils pu entendre qu’ils jureraient d’usurper ses propriétés ou de menacer ses jours ; lorsqu’à la réquisition des officiers civils ou municipaux, ils contiennent, intimident ou punissent des coupables qui s’opposent à l’ordre public, ils n’obéissent qu’à la loi qui leur ordonne de veiller à sa sûreté; ils ne protègent que le citoyen qui l’est toujours contre celui qui a cessé de l’être; ils protègent leurs frères contre les complots des familles qui leur sont devenues étrangères? Les chefs des troupes s’imposeront leurs obligations en présence des officiers municipaux, et cette publicité n’est que le gage et l’assurance constatée avec solennité des engagements qui sont réciproquement contractés. Voilà les devoirs du soldat citoyen, et ce dernier titre ennoblit encore le premier. Mais le soldat est-il employé pour repousser l’ennemi de l’Etat ? Et dans toute autre circonstance qui n’intéresse point les lois de son pays, où le citoyen isolé n’a rien à réclamer, rien à prétendre, il n’est plus que soldat; il jure d’obéir à ses officiers, d'observer Indiscipline qui lui est prescrite, de s’y soumettre sans murmure, de se dévouer tout entier, et si ses chefs le lui ordonnaient, de mourir s’il le faut à ses drapeaux. Ces idées justes suffisent pour développer le vrai sens de la formule du serment dont la nation et le Roi viennent de consacrer l’usage. Nous avons voulu examiner, dans cet écrit, le vœu du monarque, le vœu de la nation et les sentiments unis de l’amour de l’ordre et de la liberté. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du jeudi 24 septembre 1789, au matin (1). M. le Président donne lecture de la lettre suivante : «Monsieur le président, l’Assemblée nationale a pris sous la sauvegarde de l’honneur les créanciers de l’Etal. Une résolution si généreuse importe à toutFrançais. Permettez, monsieur le président, que je contribue à l’exécution d’un vœu que forment tous les Français. Pénétré de ces sentiments, j’offre (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. à la nation l’hommage d’une somme de 100,000 livres. Je ne regarde pas comme un sacrifice à l’Etat la remise faite en 1776 aux habitants d’Amiens d’un droit de minage important, et je déclare renoncer pour ce droit à l’indemnité promise par le gouvernement en ladite année 1776 et au rachat autorisé par l’Assemblée nationale elle-même dans ses arrêtés du 4 août. « Signé : le duc de charost. » M. Démeunier. Je demande que cette lettre soit imprimée. L’Assemblée ordonne l’impression et charge son président d’écrire à M. le duc de Charost pour lui témoigner sa sensibilité. M. le Président a fait successivement lecture d’une lettre d’un des membres des communes, qui contient un billet de 2,400 livres, payables en deux termes, dont il fait don à la caisse patriotique, comme formant la cinquantième partie de sa fortune ; D’une lettre du sieur Georgelin, correspondant des Etats de Bretagne, par laquelle il annonce la remise qu’il fait faire à la caisse patriotique, d’une bourse de jetons qui lui a été envoyée par les Etats de Bretagne ; D’une lettre des sergents-majors et sergents du régiment de Besançon, du corps royal de l’artillerie, destinée à accompagner une rescription de 600 livres, qu’ils offrent à l’Assemblée pour être appliquée aux besoins de l’Etat ; D’une lettre, en forme de requête présentée par les députés de la paroisse de Villabé, lesquels, en vertu d’une délibération de cette paroisse, apportent à l’Assemblée une somme 264 livres provenant de la vente de sacs de blé, confisqués à son profit ; D’une lettre des membres du comité de la société patriotique de Strasbourg, qui, en annonçant l’ouverture d’une souscription patriotique dans la ville de Strasbourg, dont le produit monte déjà, pour les quatre premiers jours, à la somme de 18,000 livres , déposée chez M. Lacombe, notaire royal, indique que la première souscription a été celle de M. le comte de Rochambeau, commandant pour le Roi en Alsace. Ces lectures terminées, M. Dupont, député de Nemours, qui jouissait de 8,000 livres d’appointements, comme garde du dépôt des lois commerciales étrangères, et des tarifs étrangers, a remis ses appointements, qu’il avait obtenus sous le ministère de M. d’Ormesson ; il a offert de continuer son travail, à cet égard, gratuitement, ne se réservant que la retraite qui lui a été donnée en 1776, lors de la disgrâce de M. Turgot. U a pareillement offert de placer dans l’emprunt les arrérages de neuf mois échus des appointements doDt il fait le sacrifice. Le sieur Gruel de Sormancoust, gentilhomme du bailliage de Senlis, a fait offrir à l’Assemblée la remise du brevet d’une pension de 120 livres sur le Trésor royal, seul prix des longs services de son père. L’Assemblée a reçu avec les plus vifs applaudissements ces offres patriotiques ; elle a ordonné qu’elles seraient inscrites sur le registre destiné à constater ces généreux exemples, et à en perpétuer le souvenir. Le procès-verbal des deux séances d’hier a été lu, et après lui, l’extrait des lettres et adresses qui suivent : D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion de tous les citoyens de la ville de Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 139 Ganges en Languedoc, avec adhésion des onze communautés qui forment son district; Des adresses du même genre des citoyens de toutes les classes de la ville Saint-Girons en Cou-serans; du comité permanent de la ville d’Auch ; du comité patriotique de la ville de Sainte-Mene-hould ; de la ville d’Aix en Provence, du corps ecclésiastique de la ville d’Ambert en Auvergne ; et de la ville même d’Ambert, capitale du Livra-dais, à laquelle se sont réunies diverses municipalités qui demandent avec elle un juge royal; D’une semblable adresse de la paroisse de Bize en Champagne. Les habitants de cette paroisse offrent à l’Assemblée et au Roi le prix de cent arpents de bois taillis, formant le quart de réserve de leurs bois communaux, pour être vendus sans frais, et le prix de cette adjudication versé directement par l’adjudicataire dans les coffres du Roi; D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion delà ville de l’Isle-en-Jourdain en Poitou, qui demande l’établissement d’un siège royal; D’une adresse exactement semblable de la ville d’Ardres en Auvergne ; d’une autre semblable de la part de la ville de Pile-Bouchard, contenant en outre quelques réclamations relatives aux impôts ; D’une autre du même genre de la ville de Pont-Croix en Bretagne; d’une adresse pareille de la ville de Tarare dans le Lyonnais, qui demande, outre l’établissement d’un siège royal, celui de six foires par année ; Des décrets et délibérations des électeurs des trois ordres, officiers municipaux et conseil de la ville d’Amiens ; du comité national et permanent de la ville d’Alençon ; de la ville de Mont-Louis en Roussillon, et du comité permanent de la ville de Saint-Agnan en Berry, relatifs à la circulation des grains, et aux moyens d’en empêcher l’exportation, et d’assurer le maintien du bon ordre à la perception des impôts ; D’une adresse de la ville de Peyrehorade et Igaas, sénéchaussée de Dax, par laquelle elle re nonce à tous ses privilèges, et supplie l’Assemblée d’autoriser sa municipalité tant à maintenir le bon ordre, qu’à faire exécuter les décrets du 4 - août ; d’une adresse des ordres réunis, députés, électeurs et membres du comité général de la ville de Caen en Normandie, par laquelle, à la suite d’une peinture effrayante des maux que lui cause l’anarchie, elle supplie l’Assemblée de s’occuper sans relâche de la Constitution, et particulièrement de l’organisation des assemblées provinciales et municipalités, des tribunaux et des _ milices nationales ; Enfin d’une lettre du sieur Bouillard d’Orgeval, électeur de Paris, commandant en chef la garde nationale de Guyenne dans laquelle il fait hommage à la nation de la finance de sa charge de président des traites de la ville de Brie-Comte-Robert. M. Malès, au nom du comité des rapports, *rend compte de l’affaire concernant la municipalité de Vernon-sur-Seine. La ville de Vernon était gouvernée par un maire et des échevins nommés par le Roi. Dans les derniers troubles, le maire et les échevins s’absentèrent tous, excepté un seul, qui s’associa différents particuliers pour former un conseil. Le premier acte de ce tribunal fut un acte de bienfaisance. Le second en fut la confirmation ; mais les communes n’y furent pas appelées. Cette convocation cause des murmures; le peuple s’assemble, et il s’établit un comité provisoire qui fait disparaître l’ancienne municipalité et l’ancienne milice bourgeoise pour en créer une nouvelle, et l’on s’empare de l’hôtel de ville. Le comité provisoire est opposé à l’ancienne municipalité. L’un et l’autre demandent réciproquement à l’Assemblée nationale sa destruction. Mais les choses n’en restent pas là. Le comité provisoire croit devoir s’attribuer le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif. Ce comité fait imprimer un placard qui est divisé eu deux chapitres : le premier chapitre ne contient aucune disposition extraordinaire, il est même sage. Le second est intitulé : Intérêt général . Il y est ordonné à tous les laboureurs de se rendre à l’hôtel de ville pour y déclarer la quantité de grains u’ils pourront fournir à la ville, sinon ils seront élarés accapareurs ; défense, sous peine d’être déclarés accapareurs, aux laboureurs de vendre chez eux et aux étrangers, et de conduire leurs grains hors de leur territoire. Il est ordonné aux laboureurs des environs de Vernon de faire battre et de fournir la halle, sous peine de 50 livres d’amende et de prison. En vertu de ce placard, deux curés ont été forcés par une garnison à envoyer leurs grains aux halles de Vernon; il y a eu des amendes, des décrets, des emprisonnements, comme objet du ressort de la haute police. Le comité des rapports présente le projet d’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, persistant dans ses decrets du 10 août dernier, renvoie les constesta-tions survenues entre les habitants de Vernon au pouvoir exécutif, avec prière d’avoir égard au vœu général des habitants, qui ont tous manifesté de donner des appoints aux officiers qui seront employés, jusqu’à la nouvelle organisation des municipalités. « Déclare en outre prendre sous sa sauvegarde tous et un chacun des habitants de Vernon, et les met sous la protection de la loi. » Ce dernier article est relatif à une liste de proscription imprimée et affichée dans Vernon. On allait ouvrir la discussion sur cet arrêté, lorsque M. le président annonce l’arrivée de M. Necker. L’affaire de Vernon est renvoyée à la séance du soir, et M. Necker est introduit dans la salle au milieu des applaudissements. Il est reçu avec les honneurs accoutumés. M. Ifecker, ayant pris séance au milieu de la salle, en face de M. le président, a fait, au nom du Roi, le rapport suivant sur l'état annuel des finances (1) : Messieurs, les affaires de finances, dont on vous a entretenus plusieurs fois, soQt arrivées graduellement au dernier terme de l’embarras ; et vous ne vous en étonnerez point, si vous réfléchissez d’abord qu’au mois d’août de l’année dernière, elles paraissaient à un tel degré de trouble, qu'on se crut dans la nécessité de proposer à Sa Majesté les mesures les plus alarmantes, et que toute espèce de confiance fut arrêtée. Depuis cette époque, sont survenues toutes les difficultés qui naissent du soutien long et pénible d’un édifice chancelant; il s’y est joint, par extraordinaire, des besoins immenses de blés, qui ont occasionné ou des dépenses proportionnées à ces besoins, ou (1) Le rapport de M. Necker est incomplet au Moniteur.