{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {14 avril 1790.] �7 autorisée à cette fin, la profonde consternation du chapitre de Paris, sur tous les malheurs qui investissent l’universalité du clergé de France, romme aussi d'adhérer, esdits noms, à toute réclamation, opposition ou protestation qui serait faite contre les atteintes qui ont été portées à la religion et aux droits essentiels du clergé de France; remettant au surplus, le chapitre, à prendre telle délibération ultérieure qu’il appartiendra, suivant la nécessité des circonstances sur les moyens et formes que lui prescriront d'employer les lois de la religion, de la conscience et de l’honneur, pour manifester et consigner authentiquement ses sentiments, afin qu’ils puissent être transmis à la postérité. Du mercredi 14 avril 1790. Le chapitre continuant de délibérer sur les objets pris en considération le 12 de ce mois, après avoir entendu la lecture d'un décret intervenu hier à l’Assemblée nationale, relatif au culte de la religion catholique, apostolique et romaine, et conçu dans des termes qui pourraient donner lieu à des craintes sur le maintien de la religion catholique, apostolique et, romaine en France, comme seule religion de l’État, croirait trahir le premier de ses devoirs, s’il ne manifestait pas de la manière la plus authentique et la plus solennelle, son inviolable attachement à cette religion sainte, qui seule est la véritable, seule a toujours été la religion de la monarchie française dont elle a, dans les Gaules, précédé l’établissement; seule doit y avoir le droit d’exercer un culte public et solennel; seule enseigne la doctrine, prescrit le culte, inspire les sentiments, établit les maximes de morale et de conduite le plus intimement liés au vrai bien de l’ordre social dont Dieu est l’auteur, au bonheur et à la tranquillité des peuples dont il est le protecteur et le père; seule enfin peut conduire ceux qui la professent et l’observent, au salut éternel. Tels sont les sentiments profondément gravés dans le cœur de tous les membres qui composent le chapitre de Paris, et il n’en est aucun qui ne fût disposé, moyennant le secours de la grâce de Dieu, à répandre son sang pour le maintien et la défense de cette religion. Extrait , collationné et certifié conforme à la minute des dites conclusions du chapitre de V église de Paris, par moi soussigné secrétaire du dit chapitre, ce vingt-cinq avril mil sept cent quatre-vingt-dix. Signé: BUÉE, secrétaire du Chapitre. 9e ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 14 avril 1790. Opinion de M. le chevalier de Boufflers (1) sur les affaires du clergé dans la circonstance présente (2). Messieurs, lorsque l’Assemblée nationale a d’Abbeville, Saint-Félix de Caraman, Saint-Gilles en Languedoc, Saint-Paul de Narbonne, Saint-Quentin, Saint-Sermin de Toulouse, Saint-Pierre et Saint-Chef de Vienne. (1) L’opinion de M. de Boufflers n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Ces réflexions que je désirais lire à l’Assemblée, placé la fortune des créanciers de l’Etat, sous la sauvegarde de la loyauté française, elle savait que ce qui est juste est toujours* possible, et que l’économie exécuterait ce que l’honneur avait prononcé : déjà, par vos soins, les charges publiques, également distribuées, paraissent plus supportables; tout ce que l’injustice ou l’ignorance y ajoutait d’accablant en est retranché; une pieuse parcimonie essaie chaque jour de les alléger encore, et chaque jour l’esprit vital de la liberté prête au moindre citoyen de nouvelles forces pour les soutenir : mais bientôt des secours inattendus se joindront à ces moyens par eux-mêmes infaillibles, ils aplaniront toutes les difficultés qu’on se préparait à surmonter, et ne laisseront au peuple français que le mérite d’une si généreuse résolution. Ainsi vous avez dépassé les vœux de vos concitoyens, lorsqu’un zèle impérieux vous a pressés de combattre des préjugés presque aussi anciens que le monde, de chercher les droits sacrés de l’homme dans les principes éternels des choses et dans leurs convenances immuables, d’examiner ensuite les premiers contrats des sociétés naissantes, et de fouiller, pour ainsi dire, dans les archives du genre humain pour y découvrir les titres imprescriptibles de cette nation qui croyait n’avoir que des dettes et à qui vous rendez un superbe patrimoine. Telles sont les fructueuses méditations à la suite desquelles il a été déclaré que l’immense domaine jusqu’ici possédé par le clergé de France est tout entier à la disposition de la grande communauté des Français, et qu’une portion de ces biens peut, dès à présent, faire face à la partie la plus menaçante de la dette nationale. Permettez aujourd’hui, Messieurs, qu’en m’associant plus particulièrement à ces grands travaux, je mesure avec vous l’étendue réelle de nos ressources, et que je vous soumette quelques idées sur les moyens d’accélérer et de faciliter l’exécution de vos décrets. Vous avez décrété qu’il serait vendu pour 400 millions de biens de l’Eglise, et le succès de cette opération, aussi simple qu’utile, est attaché à deux conditions : elle doit commencer promptement, ou elle serait douteuse ; elle doit se faire lentement, ou elle serait impolitique. Si elle ne commence promptement, on ne fera qu’entretenir ces soupçons, si peu mérités, mais si répandus contre le patriotisme des membres du clergé, et leur honneur et leur intérêt, et le bon ordre et le crédit public en souffriront nécessairement. D’un autre côté, si l’on y procède avec une sage lenteur, la quantité de terres actuellement exposées en vente diminuera l’affluence des acquéreurs des autres biens ; or, ces deux intérêts opposés, en agissant l’un sur l’autre, nuiraient à tout, car il en résulterait sur-le-champ, des deux côtés, une désastreuse émulation à qui vendrait à meilleur marché, et, dès lors, le taux des ventes baisserait à chaque instant ; mais le taux de ces ventes est l’indication de toutes les valeurs, il sert de mesure à toutes les fortunes dont celle de l’Etat se compose, et cette mesure a été consultée de sont écrites depuis longtemps; il est aisé de s’en apercevoir à quelques articles sur lesquels on a déjà délibéré qui deviennent en ce moment inutiles, mais que je n’aurais pu supprimer qu’en changeant entièrement l’ordre et la forme de mon travail; j’espère an moins que Ton rendra justice à mes intentions et que, dans aucun cas, on ne me supposera le projet insensé d’élever mon opinion particulière contre les décrets de l’Assemblée nationale {Note de M. de Boufflers). 38 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] [Assemblée nationale.] manière ou d’autre dans toutes les transactions des particuliers. Vous craindrez sans doute, en la changeant tout à coup, d’appauvrir tous les propriétaires, vous ne vous permettrez pas de tromper ainsi tous leurs créanciers et des législateurs ne croiront point libérer l’Etat en ruinant tous les citoyens? Evitez donc, Messieurs, le double danger du retard et de la précipitation. Ne perdez pas un moment, mais ne laites pas tout dans un moment, et que le temps, qui rend tout facile, le temps sans qui rien n’est parfait, le temps qui manque rarement à se venger de ceux qui ont dédaigné son secours soit aussi votre coopérateur dans une aussi grande entreprise. Il vous a été dit, Messieurs, que dans Paris seul on pourrait vendre pour plus de 100 millions de bâtiments et terrains possédés par le clergé, et je désire, avec tous les amis du bien public, que cette assertion soit plutôt affaiblie qu’exagérée ; mais, dans tous les cas, il faut commencer, l’instant et le lieu sont favorables, car l’instant de la plus grande crise (et nous y sommes) doit être celui du plus grand effort ; et le lieu où cet effort rencontrera le moins d’obstacle, es t sans doute celui où les esprits sont le plus éloignés de toute superstition, celui où les lumières en tout genre sont le plus répandues, où les principes d’administration sont le plus développés, où enfin le cri de la détresse publique est plus impérieux ; or, ce lieu, c’est Paris. Je propose donc que, dès aujourd’hui, en attendant la formation et l’activité des nouvelles administrations, la commune de Paris soit chargée de prendre connaissance de ces bâtiments et terrains désignés par le premier auteur de ce conseil sous le nom de biens stériles, et qu’elle s’informe en détail de leur valeur, de leur emploi, de leur utilité, des charges dont ils peuvent être grevés, ainsi que de l’étendue et de la sûreté des offres qui pourraient être faites our l’acquisition de telle ou telle partie de ces iens. Je demande, Messieurs, que ce travail soit commencé dans la première Ville et sous les yeux de la première Assemblée de l’Univers, pour que vous puissiez vous procurer à temps une connaissance suffisante des facilités, des obstacles, des détails et de tous les rapports sur cette vaste opération, et pour que, d’après les conseils de l’expérience, vous puissiez établir une manière de procéder qui puisse servir de fil conducteur à toutes les assemblées administratives à qui vous confierez l’exécution de vos décrets. Le succès d’une première épreuve ainsi faite sous vos auspices n’est point douteux, vous pourrez le continuer dans les principales villes du royaume, et l’étendre bientôt après aux villes d’un ordre inférieur; mais il sera prudent de la suspendre dans celles de la dernière classe, et particulièrement dans ces contrées retirées où une privation presque totale de commerce et d’industrie rend pour quelque temps encore la présence des religieux plus intéressante et leurs secours plus nécessaires. Cet ordre graduel à établir dans la vente des biens morts et de quelques autres fonds du clergé pourrait faire entrevoir dès ce moment même à la France une ressource égale à ses besoins ; mais une grande partie de cette ressource est pour l’avenir, et les besoins sont pressants; ainsi l’es-péraüce ne suffit point, il faut des réalités qui permettent d’attendre et des certitudes qui donnent les moyens d’anticiper. On trouverait ce double avantage dans une contribution extraordinaire que la nation affecterait aux seuls biens de l’Eglise; les assemblées administratives la percevraient sous le nom de cens national, et ce tribut s’élèverait en tout temps au huitième du produit net de tous les revenus ecclésiastiques, toutes impositions civiles acquittées. La somme totale de ces revenus est maintenant évaluée à environ 180 millions, dont le huitième, en laissant les choses comme elles sont, serait environ 22 millions 500,000 livres ; mais il ne faut compter que sur 20 millions, plus ou moins, à cause d’une diminution qu’il est juste de_pro-noncer en faveur des curés à portion congrue; et dans les premières années seulement celte contribution serait doublée, ce qui la porterait au quart de la totalité des revenus actuels, c’est-à-dire à une somme d’environ 40 millions. La première de ces deux redevances, ou le cens proprement dit, éternellement attaché à toutes les possessions ecclésiastiques, les marquerait à jamais du sceau de la propriété nationale. La seconde imposition, au contraire, ou le double cens , éprouverait une diminution annuelle mesurée à chaque époque sur l’intérêt de la somme que la vente aurait produite, en sorte que d’une part l’imposition rendrait la vente moins pressée pour la nation, et que de l’autre le progrès de la vente rendrait à chaque année l’imposition moins onéreuse pour les contribuables, et cette vente, ainsi combinée avec l’impôt, nous offre encore deux grandes utilités : l’une, de démontrer par le fait que les possessions du clergé sont à la disposition de la nation ; l’autre, de conserver à chacune de ces possessions l’utile surveillance de l’intérêt personnel, jusqu’au moment où elles trouveraient un véritable maître ; et je ne sais si un tel arrangement ne serait pas plus simple et plus sage que la proposition de tout livrer en même temps, à des mains étrangères, dont les soins moins actifs, moins éclairés, enlèveraient journellement à ces biens une partie de leur valeur, et à l’Etat une partie de ses ressources. Considérons en ce moment les maux inévitables qui se répandraient à la fois dans presque toutes les provinces du royaume si l’on éloignait sur-le-champ les religieux" de ces lieux sauvages qu’ils ont rendus à la société en les habitant, et de ces déserts qu’ils ont couverts de moissons. Je crois savoir tout ce qu’on peut dire contre les monastères, et je sais aussi combien quelques reproches mérités leur en ont attiré d’injustes ; mais d’ici à ce qu’une raison amie de tous les hommes ait distribué, dans toutes les parties du corps politique, une santé, une force, un bien-être qu’il n’a jamais connus, les campagnes souffriront longtemps encore de beaucoup de misères auxquelles l’existence des religieux est au moins un soulagement ; et dans quel moment ce trop faible soulagement pourrait-il être plus nécessaire que dans celui-ci, où tous les maux se font sentir et où les remèdes ne sont que préparés? Vous ne le savez que trop, Messieurs, après les calamités mémorables dont la nature elle-même avait aussi frappé ce beau royaume, une moisson insuffisante a-laissé encore un vide effrayant dans nos greniers absolument épuisés des anciennes provisions. Nos besoins sont connus des Etats voisins, et c’est par des refus malveillants, et c’est par des enlèvements frauduleux de la denrée prête à nous manquer que l’on répond à nos demandes, tandis que notre numéraire, ' presque évanoui, nous permet à peine de faire au loin les achats nécessaires à notre subsistance, et que les provinces, trompées sur leur intérêt commun, suspendent encore, malgré nos décrets, 39 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] la circulation de ce grain qui soutient, qui représente, qui est, pour ainsi dire, la vie du peuple. Parcourez aujourd’hui l’intérieur de ces contrées, tous y verrez les villes, les bourgs, les villages se montrer les uns aux autres dans des dispositions plutôt hostiles que fraternelles. Partout les paysans fascinés, irrités au seul mot d’accapare-inent, regardent et poursuivent indistinctement, comme accapareurs, tous ceux qui s’occupent du soin de leur subsistance, et leurs fureurs découragent à la fois Je zèle et l’intérêt; enfin tout parle de disette, tout la ressent, tout la prédit, et cependant d’un bout du royaume à l’autre l’ébranlement et la subversion des fortunes ont commandé de funestes réformes; et cependant chaque jour l’inaction, la désertion ou le renvoi d’ouvriers et de mercenaires de toute espèce inondent les villes et les campagnes d’une nouvelle foule d’hommes sans état, sans ressources, et qui seront bientôt sans mœurs et sans frein ; et cependant partout les riches sont moins riches, partout les pauvres sont plus pauvres et de ces pauvres un grand nombre est en armes. Est-ce là, Messieurs, le moment que nous choisirons pour éloigner de leurs asiles respectés des hommes qui répandent au moins autour d’eux la paix et la sécurité, des hommes dont la résidence continuelle occupe et vivifie les campagnes qu’ils ont défrichées, des hommes dont le luxe même qu’on leur reproche est un bienfait pour les lieux circonvoisins, des hommes chez qui le paysan oisif est sûr de trouver du travail, l’étranger un hospice, le malade du secours, et l’affamé du pain? Refuserons-nous aux champs les soins de leurs meilleurs cultivateurs? Rejetterons-nous les secours de ces anciennes richesses qui, toujours dues et rendues à la terre, ne cessent d’entretenir et de ranimer la fécondité ? Et qui pourra la dédommager cette terre de la présence assidue des religieux, de leur vigilance directe et continuelle sur tous les travaux champêtres, de leur habileté à tirer parti des sols le plus ingrats, soit par eux-mêmes, soit par des fermiers toujours surveillés, toujours traités avec modération, toujours secourus à propos et sagement conseillés? Enfin, Messieurs, embrassons d’un coup d’œil tout ce qui va dans les premiers temps manquer aux récoltes, et tout ce que les pauvres auront à réclamer, car il ne faut pas se le dissimuler, la récolte est le vrai trésor du pauvre; si nous y touchons nous en sommes comptables. Pensons, encore une fois, que la disette commençait à nous menacer pendant la moisson. Pensons que, malgré tous nos efforts, la mendicité couvre toute la France, et nous frémirons d’un décret qui, ne fut-ce que pour peu d’années, condamnerait la plus belle partie de nos champs à moins de fertilité et tarirait les principales sources de l’aumône. On a parlé d’ateliers de charité, et j’y applaudis du fond de mon cœur; mais ces établissements, en offrant partout un sage et utile emploi à des forces qui pourraient être dangereuses, ne font rien pour la faiblesse et pour l’infirmité ; le malade, la veuve, l’orphelin n’y trouvent point de consolation. Ah! croyez-moi! la charité politique ne sera jamais assez active, assez prévoyante, assez universelle pour ne pas laisser longtemps du moins une tâche énorme à remplir à la charité particulière; et quoiqu’on en dise, les devoirs de cette charité ne peuvent être mieux acquittés que par des hommes dont elle est essentiellement la profession, et dont elle deviendra la sauvegarde. Quoique l’existence des simples bénéficiers semble moins utile, au premier aspect, que celle des religieux, leurs intérêts n’en sont pas moins sacrés aux yeux du législateur. De puissants motifs, sans doute, intéressent en faveur des réguliers, mais les séculiers ont de véritables titres ; les uns sont nécessaires aux biensqu’ils administrent, les autres ont droit aux concessions qui leur ont été accordées. D’un côté, c’est la terre qui réclame les cultivateurs ; de l’autre, c’est la loi gui parle pour des citoyens. Si les religieux n’avaient pour eux que la faveur méritée que leur donne le bien qu’ils font dans les campagnes, jointe à l’impossibilité de les y remplacer d'une manière satisfaisante pour les peuples et consolante pour les pauvres, la société ne leur devrait qu’une subsistance honnête, au lieu de la conservation de leurs anciens domaines. Les ecclésiastiques séculiers, au contraire, peuvent contracter, acquérir, donner, prêter, emprunter relativement à la somme et à la nature des biens dont le souverain leur a donné la jouissance. Gonsidérez-les donc comme des possesseurs légalement investis, dont les épargnes, dont les revenus, dont les espérances doivent demeurer sous la protection du corps social ; considérez-les comme des citoyens dont les intérêts ont pu entrer dans la circulation, et devenir communs à tous leurs concitoyens ; considérez-les comme des tenanciers avec lesquels la société ne peut annuler son contrat, sans annuler en même temps tous les contrats qu’ils ont faits avec elle, et sans faire banqueroute, en leur nom, à tous leurs co-intéressés. Je sais que le clergé, en qualité d’être moral et fictif, était dans une dépendance absolue de la nation, qui, sous ce rapport, pouvait à son gré le conserver ou le détruire. Mais croit-on que ce droit de vie et de mort, exercé arbitrairement, s’étende jusque sur les êtres vivants et sensibles, dont l’être fictif était composé. Ne sont-ce point des hommes? et ces hommes ne jouissent-ils point sous la garantie des lois suivant lesquelles leurs biens leur ont été conférés? Chacun deux ne possède-t-il point ces biens comme un don que la nation lui a fait? Ce don n’est-il point énoncé dans un titre authentique, et sous telles ou telles conditions? Et, d’après la connaissance du don, du titre et des conditions, tout citoyen n’a-t-ii pas cru pouvoir, en surête, transiger avec le donataire, parce qu’on a regardé le titre comme la caution de la loi, et les conditions comme des articles de l’acte de cautionnement? Si une de ces conditions était que le bénéfice pût être retiré à la volonté du souverain, elle serait entrée pour beaucoup, sans doute, dans les calculs du titulaire, ainsi que des hommes avec lesquels il a contracté, et nul d’entre eux n’aurait droit de s’en plaindre, au moment d’en éprouver la rigueur; mais si jusqu’à présent une telle condition n’a été attachée à aucun bénéfice il s’ensuit que le titulaire doit rester pourvu jusqu’au terme prescrit, c’est-à-dire jusqu’à la fin de sa vie ou jusqu’à une libre abdication. En vain se prévaudrait-on contre ces bénéficiers d’une nouvelle législation opposée à l’ancienne. Une législation ne peut prononcer de dispositions actuelles que sur des objets actuellement disponibles, et nul objet concédé n’est disponible que dans les cas exprimés dans l’acte légal qui en a disposé. La législation peut changer, oui sans doute ; mais un tel changement doit être l’espérance et non la terreur de tout citoyen à qui la loi n’avait rien à reprocher. La législation peut changer, mais c’est pour substituer de nouvelles lois sociales aux anciennes, et non pour violer la loi naturelle. La législation peut changer, mais ta justice ne change point : elle veille sans relâche, 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] sous une forme ou sous une autre, à la sûreté de tous les individus , et leurs intérêts, dans les vicissitudes politiques, sont toujours confiés par l’ancienne législation à la nouvelle, car toute législation est, en dernière analyse, un système de protection publique également accordée à tous les intérêts légitimes. Ces raisons, et d’autres plus frappantes encore, vous parlent aussi, Messieurs, en faveur des ministres des autels. L’Assemblée nationale peut prononcer, dès à présent, sur leur état politique; et, pour l’avenir, elle pourra fixer leur nombre, limiter leur fortune, prévenir de grands abus et porter la réforme jusque dans le sanctuaire ; mais la nécessité d’un culte, l’importance d’y attacher un appareil qui frappe la multitude, le respect qu’il est juste d’inspirer au peuple pour tout ce qui tient au sacerdoce, et l’habitude malheureusement trop enracinée dans ce même peuple de mesurer, en partie, son respect à l’opulence de ceux qui en doivent être l’objet, seront toujours des motifs, plus que suffisants, pour conserver aux évêques et aux prêtres employés un état à peu près égal, et même, pour quelques-uns, préférable à leur ancien état. Il vous a été proposé de les salarier, mais dans une proportion trop éloignée de la proportion actuelle, trop rapprochée de la modestie de la primitive Eglise dont nous sommes si loin. Si un tel changement était prononcé d’une manière irrévocable, ceux qui le subiraient, déchus tout à coup de leur ancien éclat aux yeux du vulgaire (à qui l’éclat surtout en impose), deviendraient plutôt des objets de raillerie, ou tout au plus de pitié, que des objets de vénération. On me répondra que la vraie piété et la vraie philosophie sont peu sensibles à l’influence de la représentation extérieure; mais la vraie piété et la vraie philosophie ont de commun entr’elles d’être aussi rares l’une que l’autre ; il faut, en attendant un siècle plus éclairé, parler aux sens des hommes grossiers ; il faut mettre ceux qui doivent les conduire au-dessus de tous les besoins qu’ils sont appelés à soulager; il faut que leur fortune, si nécessaire à l’indigence, demeure, s’il se peut, à l’abri des variations politiques, des erreurs d’administration et de toutes les fluctuations de la fortune publique ; il faut enfin que leur sort ne dépende point du caprice des hommes, et que non pas le fisc mais la terre elle-même soit chargée de leur entretien, afin que, sans soins pour eux, ils puissent être tout entiers aux autres et se livrer plus que jamais à celte bienfaisance active que, dans ces dernières années surtout, ils ont professée avec une si touchante émulation, dont ils ont contracté l’obligation par l'exercice, et dont la reconnaissance même tardera longtemps encore à les dispenser. Contentez-vous donc, Messieurs, après avoir établi la surimposition qui vous a été proposée, de verser d’abord dans la caisse nationale le prix de ces fastueux édifices, dont le luxe imprévoyant des ecclésiastiques a décoré nos cités. Joignez-y, si vous voulez, mais avec réserve, mais sans empressement, la vente des biens de quelques bénéfices simples à l’extinction des titulaires et jusque-là respectez, dans l’usufruit de ces titulaires, un fantôme de propriété qui doit s’évanouir avec eux. Rien ne périclite en attendant. Quelques vastes que soient vos desseins, le temps ne sera que trop prompt à les seconder, et bientôt vous serez plus embarrassés de trouver des acquéreurs que d’offnes d’acquisitions. Cependant si des raisons qui me sont inconnues déterminaient l’Assemblée à ordonner que la vente des terres se fît en même temps que celle des maisons, il serait encore possible, en respectant les intérêts publics et particuliers, de vous offrir une masse considérable de biens qui semblent devoir entrer les premiers dans l’exécution de votre plan. Autant l’habitation des religieux hors des villes est et sera longtemps encore essentielle à la prospérité des campagnes, autant celle des religieuses y paraît inutile, et même contraire; sans cesse occupées à remplir de pieux devoirs dont le ciel seul tient compte, à donner de saints exemples que peu de gens regardent et que personne ne suit; mais condamnées à la clôture par l’ignorance, et à l’ignorance par la Clôture ; victimes éternelles de leur faiblesse et de leur crédulité ; en butte aux tromperies des intrigants qui cherchent à capter leur confiance ; privées quelquefois, au fond de leur retraite, de tous secours contre les fléaux qui peuvent les menacer, elles sont loin de pouvoir surveiller utilement l’administration des biens qui leur sont confiés, et leur inexpérience enlève à la récolte générale tout ce que leurs terres produiraient de plus dans d’autres mains. C’est en vain qu’elles essaient d’y suppléer vis-à-vis des pauvres par les privations les plus pénibles; c’est en vain qu’elles se refusent tout pour donner quelque chose; souvent ce qu’elles donnent est mal donné, et leurs aumônes, à charité égale, restent encore au-dessous de celles des religieux, puisque la même qualité de contributions levées sur des terres mal soignées, doit être moindre que lorsque ces terres sont portées à toute leur valeur. J’ai donc pensé que transportées dans les villes, ces personnes respectables y trouveraient les mêmes devoirs à remplir, la même règle à observer et qu’elles pourraient y exercer des fonctions plus utiles en s’attachant au soulagement de la vieillesse ou à l’instruction de l’enfance des personnes de leur sexe. Un modique traitement suffirait pour leur assurer non seulement la subsistance, mais même une aisance agréable dans une maison commode, bien habitée, abondamment pourvue de tous les meubles nécessaires à l’économie domestique, et où le produit de quelques légers ouvrages et les pensions de quelques étrangères pourraient ajouter encore aux innocentes douceurs d’une vie pieuse et frugale. Les moines, au contraire, dont je crois avoir démontré l’utilité dans les campagnes, ne sont point, à beaucoup près, aussi convenablement placés dans les villes, d’où leur nom synonyme à celui de solitaire, leur commande de s’éloigner, où rarement leur état leur permet de prendre une part légitime aux affaires de la société, où l’excédent souvent très considérable de leurs revenus sur leurs dépenses, se trouve par des lois prohibitives condamné à la stagnation, à l’enfouissement, à des emplois frauduleux, où enfin ils ne peuvent jamais être de la même utilité que dans les lieux où ils ont établi leurs premières colonies. J’ai entendu parler des services qu’on a déjà tirés, et que l’on croit pouvoir tirer encore des religieux, pour l’éducation de la jeunesse ; mais les grandes villes offriront toujours des foules d’autres sujets plus propres à ces fonctions si importantes, et dont la nation elle-même doit s’attribuer la surintendance. Le temps est venu de nous occuper de la génération qui doit nous suivre, et nous surpasser dans la carrière que nous lui aurons péniblement frayée; le temps, dis-je, est arrivé de lui donner une institution nouvelle qui assure la marche, qui dirige ses [14 avril 1790- j U [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. travaux, et qui imprime aux nôtres le sceau d’une longue durée et le principe de leur perfection. Il est temps de laisser les mots pour les choses; il est temps de quitter les préjugés pour les principes ; il est temps que l’étude des langues mortes et de quelques sciences futiles ou barbares fasse place à la méditation de nos lois et à la connaissance de nos franchises nationales. Ce sont des citoyens qu’il s’agit de former, et d’autres que les citoyens ne formeront jamais. Que les religieux demeurent donc modestement au fond de nos campagnes, qu’ils y professent la plus utile des sciences, l’agriculture; que la masse totale des premiers biens de l’Etat leur doive une surabondance que d’autres mains ne procureraient point, et que des exemples de modération, des leçons d’économie et des secours de charité leur fassent du moins pardonner leur opulence. De ces deux observations opposées, il résulte que les établissements des religieux dans les villes, et ceux des religieuses dans les campagnes, doivent, les premiers, faire partie de la vente que vous avez décrétée, et deux dispositions également politiques et faciles prépareront le succès de cette double opération. La première disposition qui intéresse également l’ordre public, la décence religieuse et le bonheur particulier de chaque individu, fixera le nombre des sujets dont une communauté doit être composée; et lorsqu’une maison quelconque se trouvera réduite au-dessous du nombre fixé, les membres de l’ancienne communauté, transférés dans d’autres maisons du même ordre, donneront la facilité de consacrer cette maison et tous les biens qui en dépendront au plus saint de tous les emplois, à la libération de la dette de l’Etat. La seconde disposition encore plus essentielle, est au sujet des vœux religieux; j’ose croire que l’Assemblée respectera des liens, imprudents, si l’on veut, mais contractés à la face du ciel, et sous les auspices de la loi, et qu’elle craindra de porter atteinte, en les brisant, à une religion qui n’oblige point à faire des vœux, mais qui oblige à les remplir; je pense, en même temps, qu’il doit lui tarder de mettre un terme à ces sacrifices humains,' dans lesquels un être imprudent d’un seul mot engageait et détruisait toute sa vie, lorsque despote un moment de lui-même, et souvent avant l’âge d’être libre, il se rendait à jamais esclave et privait l’Etat d’un citoyen. L’Assemblée nationale interdira donc ces dangereux arrêts, et, protectrice de toute liberté légitime, elle défendra la liberté individuelle contre l’individu même qui voudrait y renoncer sans retour. Deux observations d’une autre nature doivent encore vous être proposées: la première est au sujet de la dîme ecclésiastique abolie par vos décrets, qui doit tourner d’une manière ou d’autre au profit de la nation, et qui ne peut être comprise dans l’aliénation des biens du clergé. Ce genre de revenu était moins une propriété réelle qu’un impôt, ou, pour mieux dire, un tribut sur toutes les propriétés. L’égalité civile aujourd’hui serait blessée à la vue d’un Français tributaire d’un autre Français, et la raison même prononce que les propriétés sont aux citoyens, mais que les tributs n’appartiennent qu’à la nation : c’est à elle, à elle seule à les recevoir, à les répartir, à les modifier comme il lui plaît, comme il lui convient ; c’est à elle, en même temps, à mesurer et à décerner dans sa sagesse les indemnités réclamées en faveur de ceux qui, jusqu’ici légalement pourvus, verraient leur condition em-pirée par un meilleur ordre de choses. Tous les hommages d’un citoyen sont dus à la patrie, mais tous les soins de la patrie sont dus à chaque citoyen, et dans le moment même où elle impose les plus durs sacrifices, le vœu de cette patrie, si je l’ai bien interprété, c’est de faire tout le bien qu’elle peut et de consoler de tous les maux qu’elle fait. La seconde observation est relative aux forêts qui, jusqu’à présent, ont appartenu au domaine de l’Eglise, et qui doivent en totalité, ou du moins en grande partie, être comprises dans l’exception portée par votre décret sur les forêts domaniales ; car si ces fonds, une fois sortis de la disposition de la nation, se trouvaient à celle des particuliers, le dérangement actuel des fortunes, joint à l’impatience ordinaire aux nouveaux acquéreurs de se rembourser d’une partie de leurs avances par des coupes forcées, serait funeste à ces bois qui deviennent toujours plus rares, et qui sont toujours aussi nécessaires ; nous verrions s’épuiser un trésor commun dont l’architecture, la marine, la plupart des arts mécaniques et presque tous les besoins journaliers des hommes nous demandent la conservation ; et nous serions comptables à toutes les générations de cette grande substitution que la nature elle-même semble avoir eu dessein de leur assurer. Que de tristes récits ne vous a-t-on pas fait des désordres et des déprédations dont une si belle partie de la richesse nationale a souffert depuis quelque temps. Vous savez comme dans ces derniers troubles, en cent endroits divers, de magnifiques bois ont été abattus sans ordre, sans choix, sans régie, et plutôt par la vengeance que par l’avidité. Ces désordres ne renaîtront plus, mais comment les réparer ? Car souvent, dans ce genre, un siècle a peine à rendre ce qu’un jour a coûté. Dans les lieux où les bois sont rares, ils doivent être ménagés avec les soins de l’avarice , et dans ceux où la nature paraît en avoir été prodigue, on fera bien, si l’on peut, de les réserver pour les besoins des contrées éloignées, vers lesquelles de nouveaux canaux, premiers bienfaits d’une administration plus active, ne tarderont pas à les transporter ; enfin, nulle partie dans l’économie mprale et politique n’exige des soins plus attentifs et de plus sages lois. 11 faut concilier les besoins du moment avec le soin de l’avenir; il faut consulter la nature et la variété des productions et des terrains, pour n’enlever en aucun lieu à la terre que ce qu’elle peut reproduire, et ne lui laisser que ce qu’elle peut conserver. Il appartient donc à la nation de donner aux citoyens l’exemple d’une surveillance éclairée sur d’aussi chers intérêts; et, selon toute apparence, un plan d’administration forestière entrera aussi dans les immenses travaux de l’Assemblée nationale. Quels que soient les biens dont vous décréterez l’aliénation, vous attendrez sans doute, Messieurs, que les assemblées administratives, chargées de les imposer, vous en fassent connaître la véritable valeur; et vous enjoindrez aces assemblées de désigner expressément, et à l’avance, les différents objets destinés à être vendus, en même temps qu’elles annonceront les époques éventuelles ou fixes des différentes adjudications ; la prudence conseille de partager les grands domaines et de les réduire par portion distincte, et le [dus qu’il sera possible, en petites subdivisions, afin de mettre du moins une partie des acquisitions à la portée des fortunes les plus médiocres; et je proposerai même de conserver encore quelques terrains détachés dont il serait fait une 42 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.) distribution gratuite aux plus méritants d’entre les hommes les plus pauvres du canton, pour tenir lieu à la classe indigente de la part qu’elle avait ci-devant à la jouissance de ces biens. Un soin aussi paternel confié à la sagesse des assemblées .administratives) leur concilierait, dès les premiers instants, l'amour et le respect des peuples ; elles y trouveraient les moyens de multiplier sans danger, et presque sans frais, le nombre, toujours trop borné, des citoyens actifs, et par conséquent des hommes intéressés à la prospérité publique, et dans ces trop légers bienfaits, nous verrions du moins les premiers actes d’une justice rémunérative, si nécessaire à établir, et si douce à exercer. Cette partie delà jurisprudence est, je le sais, bien étrangère à notre Code; mais qu’elle serait puissante auprès d’un peuple encore plus aisé à conduire par l’amour que par la crainte, et à qui cependant la loi n’a parlé jusqu’ici que par des menaces! Ces mêmes assemblées seraient, en même temps, autorisées à faire un choix dans l’affluence des acheteurs qui se présenteraient, et à donner des préférences calculées d’après les principes de l’économie politique, c’est-à-dire qu’elles donneraient cette préférence aux gens du lieu, aux moins riches, aux mieux famés, aux pères de famille, à ceux enfin qui s'engageraient à ne pas vendre leurs nouvelles acquisitions pendant un intervalle donné. Vous confondrez ainsi les spéculations ténébreuses et les nuisibles desseins de ces hommes réunis par la cupidité, qui se préparent à d’immenses acquisitions et qui ont d’avance calculé tout le profit qu’ils peuvent tirer de la détresse publique ; peut-être espèrent-ils, par l'annonce fastueuse de quelques avantages passagers, aveugler nation sur l’intérêt suprême de tous les temps ; mais plus leurs offres seront éblouissantes, plus elles seront suspectes, et de tels calculateurs n’ont jamais prodigué l’or que pour acheter le droit de le vendre plus cher ; craignez surtout leur projet déjà connu, d’acheter des possessions que la plupart d’entre eux ne verront point, pour les vendre à des étrangers qui, peut-être sur-le-champ, les revendront encore. La terre ainsi convertie en vil effet d’agiotage, ainsi frustrée des soins qui lui sont dus en échange de ses fruits, ainsi privée des premiers soins d’un maître qui serait au moins intéressé à la féconder, et bientôt épuisée on desséchée entre des mains mercenaires, ne tarderait point à refuser ses tributs accoutumés et nous punirait de l’avoir ainsi trahie. Une bonne législation doit prévenir ces dangers ; elle doit inviter l’acquéreur à contracter des engagements, même avec le champ qui devient son partage : elle doit apprendre à tout propriétaire qu’il n’est que l’administrateur d’une partie des revenus de la société, et qu’il demeure comptable envers elle de ses négligences et de ses erreurs. La prospérité commune, les mœurs publiques et la félicité particulière y gagneront également, et de tels objets ne sont pas indignes de fixer les regards prévoyants des représentants de la nation. Voici le moment de méditer sur la forme la plus ccmvenable à donper à cette vente, afin d’en prescrire une qui puisse être observée dans toutes les parties du royaume. Les marchés se feront-ils par négociations ou par enchères ? Les négociations, fussent-elles toutes irréprochables, auraient encore le défaut d’entraîner des longueurs, alors les biens dépérissent pendantqu’on les marchande, et quelquefois, à la fin du marché, leur valeur est au-dessous de la première offre. La méthode de l’enchère est plus prompte, mais elle donne ordinairement lieu à des connivences ruineuses pour le laisseur, ou à une émulation téméraire dont le dernier offrant est souvent la victime. Ces considérations m’ont fait concevoir un projet qui me paraît aussi séduisant pour les acheteurs que productif pour la nation, et qui offrirait de plus l’avantage de se lier, dès à présent, autant qu’on le jugerait convenable, à l’établissement auquel vous avez confié la liquidation de la dette arriérée. Tous les biens désignés, évalués, inscrits et affichés pour être vendus à des époques déterminées, seront donnés pour un capital au denier vingt du produit annoncé. A chaque nouvelle acquisition, n sera fourni un tiers de la somme en argent comptant dans le délai de trois mois, faute de quoi le traité sera nul. Un dixième de cette première somme, c’est-à-dire un trentième de la totalité, sera payé au moment même de l’acquisition, et perdu pour l’acquéreur si le reste de ce premier paiement n’est versé dans la forme et au terme prescrits. Ce numéraire, déposé dans la Caisse nationale, n’en pourra sortir que pour une destination qui sera indiquée ci-après. Les deux autres tiers du paiement seront déposés sur-le-champ en un contrat affecté sur la nouvelle acquisition, et portant 6 0/0 d’intérêt jusqu’au remboursement parfait de toute la dette en un seul paiement. Le contrat restera dans la Caisse nationale jusqu’à parfait remboursement et sera représenté dans le commerce par un nombre équivalent de billets assimilés à ceux de la Caisse d’escompte. Ces billets ne seront mis dans le commerce que trois mois après la date de la transaction, c’est-à-dire à l’époque où le paiement du premier tiers en argent comptant sera effectué dans son entier, et ladite somme sera, dès lors, consacrée à l’escompte journalier de ces billets, jusqu’à ce que l’acquéreur, ou son représentant, se soit libéré en rapportant une quantité de ces mêmes billets équivalent à son contrat. Il est clair que de tels billets auront l’avantage inappréciable de représenter directement des fonds toujours au-dessus de leur valeur. Il est clair, en même temps, que le numéraire qui est destiné à l’escompte de ces billets, et qui est équivalent à la moitié de leur prix, sera toujours avec eux dans une proportion plus forte que dans aucune banque de l’Europe. Il est clair enfin que les acquéreurs eux-mêmes seront très empressés à se pourvoir de ces mêmes billets, puisque c’est la seule monnaie avec laquelle ils pourront se libérer de contrats portant 6 0/0 d’intérêt. 'Mais afin de faciliter toujours davantage la vente des biens en question, et de donner dès ce moment une nouvelle vie au crédit public, en intéressant toutes les provinces à l’établissement des effets royaux, l’Assemblée peut encore établir que, pour les deux derniers tiers du paiement, il sera libre, au lieu de contrats, de fournir la même somme en effets reconnus, avec l’addition d’un dixième en sus (1). (1) Un exemple éclaircira tout. On suppose que le bien mis en vente rapporte 45,000 livres de rentes, le prix de l’achat est de 300,000 livres, dont 100,000 doivent être déposées en argent comptant dans l’intervalle de trois [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] 43 Dans cette hypothèse, l’Etat aurait la disposition du premier tiers déposé en argent comptant, puisque les billets, à l’escompte desquels cet argent aurait été destiné, n’existerait point dans le commerce, et ces sommes alors pourraient, ainsi que les intérêts, à six pour cent, des contrats des autres acquisitions, être versées dans la Caisse d’escompte, afin d’accélérer les remboursements qu’elle attend, d’animer l’activité du service dont elle est chargée, et de la mettre à portée d’avancer l’époque désirée de ses paiements à bureaux ouverts. Je laisse à ceux qui ont fait leur étude particulière des opérations de banque, le soin de donner à cette idée les différentes extensions dont elle est susceptible, et d’examiner jusqu’à quel point une nation peut se libérer par des prêts, lorsqu’elle s’est ruinée par des emprunts. Quant au projet, il me paraît trop simple en lui-même, pour que l’exécution en puisse être embarrassante ; dans un tel marché, l'Etat sait ce qu’il donne, et le particulier à quoi il s’engage; l’objet est connu, le titre est incontestable, la valeur est évidente, le prix est déterminé, les conditions favorables, les formalités abrégées et l’acquisition enfin est garantie par la toute-puissance nationale. Qu’on ne m’accuse point de proposer deè conditions trop avantageuses pour les acheteurs. Serait-il convenable qu’une grande nation qui transige avec ses propres citoyens, descendît vis-à-vis d’eux à ces assauts d’habilité que l’intérêt élève trop souvent dans les transactions particulières? Le véritable intérêt d’une nation, en pareil cas, est, au contraire, de se montrer généreuse afin de s’assurer qu’elle est juste, et d’imposer des conditions douces, afin de pouvoir en exiger la rigoureuse exécution. Dans tout contrat entre particulier, un citoyen lésé peut encore implorer la protection nationale, c’est-à-dire la loi ; mais contre la nation elle-même, où serait le recours du citoyen? Une grande nation touchée de cette disparité, doit donc craindre, encore plus, de faire un trop bon marché que de le proposer ; tout gain excessif serait pour elle une tache et bientôt une perte ; il lui suffit de n’être pas trompée : et les meilleurs traités de ce genre ne seront jamais ceux qui offriront le plus de profits, mais ceux qui évitent le plus d’abus, parce que les prolits n’ont qu’une valeur déterminée et que les abus ont des suites incalculables. 11 résulte de ces dispositions que, dès que les assemblées administratives, chargées d’imposer les biens du clergé, auront fait connaître leur véritable valeur, et que ta vente de ces biens sera jug ée nécessaire, l’exécution du décret ne doit souffrir aucun retard. D’un autre côté, la conservation des religieux dans les campagnes, le respect des jouissances accordées aux titulaires séculiers, les ménagements qu’il faut conserver pour tout ce qui tient aux opinions, et même aux préjugés populaires; enfin toutes les attentions mois, et de ces 100,000 livres, 10,000 seulement doivent être données au moment de la conclusion du marché; les 200,000 restant seront représentées par un contrat portant 12,000 livres de rentes ; ce contrat lui-même sera représenté par 200 billets d’escompte de 1,000 livres chacun ou par une autre quantité équivalente de billets d’une autre valeur; et l’acquéreur ne pourra retirer son contrat qu’en rapportant les 200,000 livres dans celte espèce de billets : mais au lieu de ces 200,000 livres portant 6 0/0 d’intérêt, il peut déposer Î20,Q00 livres en effets royaux une fois payés. d’une administration prudente et paternelle, favo* risent, et qui plus est, prescrivent le devoir de modérer l’activité d’une aussi grande opération, et s’unissent à la crainte d’opposer d’abord une concurrence trop redoutable aux échanges des autres propriétés. Votre but est en tout. Messieurs, de faire le plus grand bien au prix du moindre mal, et ce principe applicable à tout, vous détournera de recourir au moyen d’abord dispendieux, et bientôt abusif, d’une administration générale des biens du clergé : ici les exemples sont si nombreux et si frappants, qu’ils deviennent inutiles à rapporter; et soit que vous pensiez à la commission des Jésuites, à celle des Géleslins, ou à la direction des biens du clergé dans des Etats voisins; soit que vous vous rappeliez les éternelles plaintes que vous avez tous entendues ou mêmes formées au sujet de tous les établissements de cette nature; tout vous retrace, tout vous annonce, tout vous présente la dégradation, l’atténuation, et, si je puis m’exprimer ainsi, l’évaporation des biens soumis à ce régime désastreux. Peut-être vous promet-on, sur cette partie, un nouveau plan d’administration qui n’aura point les vices des anciens : je demanderai d’abord dans quelle occasion pareille cette promesse n’a-t-elle point été faite, et dans quelle occasion a-t-elle été tenue ? Mais quand nous pourrions y croire, pouvons-nous en être sûrs, et si nous n’en sommes pas sûrs, y devons-nous penser? Tout essai a son danger; à tant d’essais devenus nécessaires, voulez-vous en joindre un qui ne l’est point? Les hommes que vous en chargerez ne sont-ils point des hommes ? Et les défauts et les vices des hommes, qu’un intérêt présent développe si bien, resteront-ils enchaînés par vos règlements? Encore une fois, les meilleurs régisseurs sout les possesseurs, et il ne serait que trop aisé de prouver que, dans les plus petites possessions comme dans les plus grands empires, tout interrègne est un fléau. Conservez donc les possesseurs actuels, ou donnez-en d’autres, point de milieu : c’est l'intérêt de la terre qui le demande, et c’est celui-là qu’il faut écouter. Par quel motif essaierait-on de déterminer cette Assemblée à suivre un conseil aussi impolitique? Lui ferait-on craindre que les ecclésiastiques, en conservant l'administration de leurs biens ne continuassent à se regarder comme une corporation, et n’attendissent qu’un moment favorable pour ressusciter quelques-uns des anciens privilèges du premier ordre de l’Etat? Mais pour qu’une telle crainte eût du moins pour son excuse une ombre de vraisemblance, il faudrait que cette administration demeurâtcommuneà tout le clergé ; or,iln’estquestionquede jouissances particulières, isolées, morcelées, prêtes à s’éteindre, et dont chacune est directement soumise à l’inspection des assemblées de district et de département; tandis que la nation, rentrée dans la disposition suprême des biens du clergé, en décrétant la vente d’une partie de ce riche domaine, et en imposant un tribut sur le reste, aura solennisé sa prise de possession. Eli quoi! parce que ces précaires jouissances, laissées aux titulaires anciens, se ressembleraient entr’elles et se rapporteraient à des biens communs autrefois sous la même dénomination, on dirait pour cela que ceux à qui elles seront conservées forment entr’eux une corporation? Et pourquoi ne pas le dire aussi des fermiers, des laboureurs, des censitaires, des enga-gistes de biens domaniaux et de toute autre espèce de possession ? Mais ce qui deviendrait peut-être susceptible de former, par la suite, une 4 4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril! 790.1 corporation, ne serait-ce pas plutôt les dépositaires, les tuteurs, les curateurs, les régisseurs de cette grande succession, qui se trouveraient, qui se diraient du moins obligés de communiquer, de correspondre, de se réunir et de s'entendre pour veiller en commun sur le précieux dépôt qui leur serait confié, et qui aviseraient peut-être à tous les moyens de se débarrasser le plus tard qu’ils pourraient de ces pénibles soins dont on leur propose de soulager les ministres du culte ? ils ne manqueraient pas de prétextes plausibles pour se constituer, s’organiser, adopter des règlements, des statuts, des formes, une jurisprudence particulière, et de ces utiles travaux nous verrions bientôt naître une tactique raison-née à l’abri de laquelle reposerait et prospérerait un intérêt commun, mais pourtant bien différent de l’intérêt général ; bientôt ces hommes, mieux placés que le prêtre pour vivre de l’autel, seraient accusés de n’y pas laisser de quoi nourrir le prêtre, et bientôt une nouvelle corporation, un clergé laïque, prendrait la place du clergé ecclésiastique. Mais pourquoi répéter encore ces mots presque oubliés d’ordres et de corporations? Pourquoi rappeler ces longs débats, ces nuisibles animosités dont les foyers resteront à jamais étouffés sous les ruines qui ne se relèveront plus ? Et quand le zèle de-la chose publique n’aurait point consumé tous le intérêts personnels, est-ce que du moins les projets n’auraient point cessé avec l’espoir, et l’espoir avec la possibilité? Non, Messieurs, la Révolution est faite : elle est faite dans les idées, comme dans les choses. L’esprit de corps n’est plus; il n’y a plus qu’un ordre dans l’Etat; tous l’ont dit, tous l’ont juré, tous le répètent ici d’un commun accord : et ceux mêmes à qui trop longtemps, sans doute, on a supposé de si vains regrets, éclairés par l’exemple du roi lui-même, sont heureux, sont fiers d’être citoyens, et ne demandent plus à leurs concitoyens qu’un retour égal pour des sentiments qu’ils leur offrent du fond de leur cœur. Malheur à celui qui, instruit par votre sagesse, ne placerait point ses plus douces jouissances dans le honneur commun ! malheur à celui qui hésiterait encore, qui regarderait encore en arrière dans la route du bien public, et que l’avenir ne consolerait point du passé! Mais nou, la division a fait tout le mal, l’union fera tout le bien. De loin il est aisé de se méconnaître ; eh bien ! qu’on se rapproche, l’on se verra tel qu’on est, et l’on conviendra sans peine qu’on s’était mutuellement prêté des torts qui n’étaient à personne, et peut-être même avouera-t-on que, de part et d’autre, il existait des vertus que chacun ne voyait que de son côté. Alors tous les partis, s’il est vrai qu’il y en ait encore, s’enchaîneront librement à la Révolution ; les uns s’applaudiront de l’avoir conçue, les autres de l’avoir suivie; alors la bienveillance achèvera l’œuvre du génie : elle fécondera le champ de la liberté, elle en écartera les épines, elle en mûrira les fruits. Alors l’égalité, devenue fraternelle, paraîtra vraiment préférable à tous les rangs, et la victoire même aura moins de charmes que la paix, parce que la victoire n’est que le bien de quelques-uns et que la paix est le bien de tous. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. Séance du jeudi 15 avril 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Rœderer, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de là séance d’hier. M. Millon de Montherlan. Hier, j’ai demandé la parole pour présenter quelques observations sur les dîmes dites inféodées , mais je n'ai pu l’obtenir ; je demande à les produire aujourd’hui, afin qu’il en soit fait mention au procès-verbal. (L’Assemblée décide que M. Millon de Montherlan soumettra ses observations au comité des dîmes.) Un membre propose d’insérer dans le procès-ver" bal que l’offre que lit M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, dans la séance de dimanche dernier, de fournir 400 millions, a été renouvelée hier par M. de Cazalès, au nom du clergé, et qu’elle a été repoussée. M. Devlllas fait remarquer que M. l’archevêque d’Aix n’a pas pu faire d’offre au nom d’une corporation qui n’existe plus. M� l’abbé Colaud de lia Salcette demande qu'il ne 'soit pas fait mention de cette affaire jusqu’à ce que M. l’archevêque d’Aix ait prouvé que le clergé l’a autorisé à offrir les 400 millions. M. Rœderer relit le passage du procès-verbal contesté, afin d’en démontrer l’exactitude. Plusieurs ecclésiastiques soutiennent que l’offre n’était pas illusoire, et persistent à demander qu’il en soit fait une mention explicite dans le procès-verbal. M. l’abbé Varelles. M. l’archevêque d’Aix a fait son offre, non seulement sans consulter le clergé de France, mais sans prendre l’avis dea ecclésiastiques de l’Assemblée. Par conséquent, sa motion était illusoire. ( S’adressant à ses collègues ecclésiastiques.) Avons-nous oublié la confiance que nous devons avoir en la Providence? ne devons-nous pas tout sacrifier aux besoins de la patrie? jetons-nous entre les bras de la nation; elle est loyale et généreuse ; espérons tout de sa justice. M. de Choiseul-Praslin. Je crois que le procès-verbal est exact, et je demande qu’il soit mis aux voix. M. le Président consulte l’Assemblée qui adopte le procès-verbal. M. Gossin, membre du comité de constitution, expose que, suivant le décret du 26 janvier dernier, les électeurs du département de l’Aisne doivent s’assembler à Ghauny pour délibérer sur le choix de l’une des deux villes de Laon ou Sois-sons pour être chef-lieu du département ; que pour (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.