(Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 juin 1790.] 373 partout ce peuple, que, naguères, on croyait si léger, que les autres nations, en rendant justice à son amabilité, croyaient si peu susceptible d’énergie, ce peuple, dis-je, a prouvé que la liberté conduit avec elle toutes les vertus, tandis que l’esclavage est inséparable de tous les vices. Appuyée de votre patriotisme, l’Assemblée nationale continuera ses travaux. Elle en verra bientôt le terme ; et c’est alors seulement qu’elle croira avoir acquis quelques droits à la reconnaissance des Français. Qu’il me soit permis de me glorifier d’être aujourd’hui l’interprète des sentiments de l’Assemblée nationale auprès des compatriotes qui m’ont honoré de leur confiance. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » Une députation d'étrangers tels que : Arabes, Américains, Caldéens, Indiens, Prussiens, . Syriens, Polonais, Brabançons, Anglais, Liégeois, Suisses, Avignonais, Allemands, Génevois, Hollandais, Sardes, Suédois, Grisons, Italiens, Siciliens, Espagnols, Sont admis à la barre et viennent solliciter la faveur d’assister à la fédération. M. de Cloots, du Val-de-Grâce , l’un d’eux, portant la parole dit : Messieurs, le faisceau imposant de tous les drapeaux de l’empire français qui vont se déployer le U juillet dans le champ de Mars, dans ces mêmes lieux où Julien foula tous les préjugés, où Charlemagne s’environna de toutes les vertus, cette solennité civique ne sera pas seulement la fête des Français mais encore la fête du genre humain. La trompette qui sonna la résurrection d’un grand peuple a retenti aux quatre coins du monde, et les chants d’allégresse d’un chœur de 25,000,000 d’hommes libres ont réveillé des peuples ensevelis dans un long esclavage. La sagesse de vos décrets, Messieurs, l’union des enfants de la France, ce tableau ravissant donne des soucis amers aux despotes, et de justes espérances aux nations asservies. A nous aussi il est venu une grande pensée, et oserions-nous dire qu’elle sera le complément de la grande journée nationale! Un nombre d’étrangers de toutes les contrées de la terre demandent à se ranger au milieu du champ de Mars; et le bonnet de la liberté, qu’ils élèveront avec transport, sera le gage de la délivrance prochaine de leurs malheureux concitoyens. Les triomphateurs de Rome se plaisaient à traîner les peuples vaincus liés à leurs chars; et vous, Messieurs, par le plus honorable des contrastes, vous verrez dans votre cortège des hommes libres dont la patrie est dans les fers, dont la patrie sera libre un jour par l’influence de votre courage inébranlable et de vos lois philosophiques. Nos vœux et nos hommages seront des liens qui nous attacheront à vos chars de triomphe. Jamais ambassade ne fut plus sacrée; nos lettres de créance ne sont pas tracées sur le parchemin, mais notre misson est gravée en chiffres ineffaçables dans le cœur de tous les hommes; et, grâce aux auteurs de la Déclaration des droits , ces chiffres ne seront plus inintelligibles aux tyrans. Vous avez reconnu authentiquement, Messieurs, que la souveraineté réside dans le peuple : or le peuple est partout sous le joug de dictateurs qui se disent souverains, en dépit de vos principes. On usurpe la dictature, mais la souveraineté est inviolable; et les ambassadeurs des tyrans ne pourraient honorer votre fête auguste, comme la plupart d’entre nous dont la mission est avouée tacitement par nos compatriotes, par des souverains opprimés. Quelle leçon pour les despotes ! quelle consola» tion pour les peuples infortunés, quand nous leur apprendrons que la première nation de l’Europe, en rassemblant ses bannières, nous a donné le signal du bonheur de la France et des deux mondes! Nous attendrons, Messieurs, dans un respectueux silence, le résultat de vos délibérations sur la pétition que nous dicte l’enthousiasme de la liberté universelle. (Ce discours est signé de M. de Cloots, prussien, et de trente-cinq des commissaires du comité des étrangers). M. le Président répond : « Messieurs, vous venez prouver aujourd’hui à l’Univers entier que les progrès que fait une nation dans la philosophie et dans la connaissance des droits de l’homme, appartiennent également à toutes les autres nations. Il est dans les fastes du monde des époques qui influent sur le bonheur ou le malheur de toutes les parties du globe ; et la France ose aujourd’hui se flatter que l’exemple qu’elle vient de donner sera suivi par les peuples qui, sachant apprécier la liberté, apprendront aux monarques que leur véritable grandeur consiste à commander à des hommes libres, et à faire exécuter les lois; et qu’ils ne peuvent être heureux qu’en faisant le bonheur de ceux qui les ont choisis pour les gouverner. « Oui, Messieurs, la France s’honorera en vous admettant à la fête civique dont l’Assemblée nationale vient d’ordonner les préparatifs; mais, pour prix de ce bienfait, elle se croit en droit d’exiger de vous un témoignage éclatant de reconnaissance. «Après l’auguste cérémonie, retournez dans les lieux qui vous ont vu naître ; dites à vos monarques, dites à vos administrateurs, quelques noms qu’ils puissent porter, que s’ils sont jaloux de faire passer leur mémoire à la postérité la plus reculée, dites-leur qu’ils n’ont qu’à suivre l’exemple de Louis XVI, le restaurateur de la liberté française. « L’Assemblée nationale vous invite d’assister à la séance. » Un Arabe exprime ensuite les sentiments de respect et d’admiration que lui inspire une Constitution destinée à faire le bonheur de l’Univers. M. le Président répond: « Monsieur, c’est l’Arabie qui jadis a donné à l’Europe des leçons de philosophie ; c’est elle qui, ayant conservé le dépôt des sciences exactes, a répandu dans le reste du monde les connaissances sublimes de toutes les parties des mathématiques. « Aujourd’hui, la France, voulant acquitter la dette de l’Europe, vous donne des leçons de liberté, et vous exhorte à les propager dans votre patrie. »