744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.J un canal qui, joignant la Marne depuis Meaux à la Seine et à Paris, et la Seine à l’Oise, et se prolongeant de là jusqu’à Dieppe, ouvre la navigation la plus prompte, la plus facile, la plus utile à la capitale et aux provinces qu’il traverse. Ce canal pour lequel il n’y a aucun fonds à faire, puisque l’auteur du projet se propose de les fournir et de ne commencer que quand le tiers de ses fonds sera évidemmentassuré,emploieradanssaprolongation plusieurs milliers d’ouvriers. Ce canal, pour être ouvert, devra être décrété par l’Assemblée. Nous en avons pris connaissance, comme d’un moyen prompt de fournir du travail. Nous croyons pouvoir vous assurer de son importance, mais nous n’avons pas cru devoir vous en soumettre le projet avant d’avoir consulté, sur la facilité de son exécution et sur ses avantages, l’Académie des sciences. Il sera incessamment revêtu de toutes les approbations qui ne vous laisseront aucun doute sur son utilité, et si vous nous y autorisez, nous vous le présenterons de concertavec le comité de commerce et d’agriculture. Un grand nombre de membres réclame une seconde lecture de ce projet de décret. La lecture a lieu. Le décret est ensuite adopté sans réclamation. M. le Président cède le fauteuil à M. le baron de Menou, ex-président, et se rend chez le roi avec la députation de l’Assemblée. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le plan de l' organisation du clergé. M. Treilhard a la parole. M. Treilhard (1). Messieurs, les vices du gouvernement français avaient corrompu toutes les classes de citoyens ; et le clergé, malgré les vertus de plusieurs de ses membres, n’avait pu résister à la fatale influence d’une mauvaise constitution. Des établissements sans objet et sans utilité, des évêchés et des cures d’une étendue démesurée, ou d’une petitesse extrême, des grâces versées sans discernement et sans choix, des hommes oisifs largement salariés, des hommes utiles négligés et dans l’indigence : tel est le tableau que vous offrait l’organisation du clergé ; tels sont les maux dont la nation a déjà reçu ou attend de vous le remède, Le pian qu’a présenté le comité, embrasse trois objets : la réduction des titres de bénéfices à ceux qui peuvent être nécessaires ou utiles, la manière de pourvoir à ces titres, et la fixation des traitements qui y seront attachés. Les changements qu’on vous propose sont-ils utiles? Avez-vous le droit de les ordonner ? C’est dans ces deux questions que je renferme toute la discussion. Je commence par examiner si ces changements présentent un grand avantage ; car s’ils n’en offraient pas, il serait superflu de décider que vous pouvez les faire. Première question. Lorsque vous fixez vos regards sur deux cures, dont l’une a dix lieues de circonférence, et dont l’autre ne renferme pas dix feux ; lorsque vous (1) Le discours de M. Treilhard est incomplet au Moniteur. sortez d’un évêché qui embrasse près de quinze cents cures, pour entrer dans un autre qui n’en a pas vingt; lorsque vous voyez le pasteur d’un territoire immense, réduit à une portion congrue de 700 livres, forcé, par conséquent, de laisser sans secours un père de famille affaibli par les ans, le besoin et la maladie, ou de rte l’assister qu’en se privant lui-même du plus absolu nécessaire ; lorsque, dans cette même cure, s’élève un bâtiment somptueux, chef-lieu d’un bénéfice inutile, dont le titulaire réunit sur sa tête la fortune de cent ecclésiastiques utiles, etn’est connu sur les lieux que par les fermiers qui le payent; ne serait-on pas tenté de croire qu’un hasard aveugle a présidé à une pareille organisation, et qu’il a dû suffire d’entrevoir ce désordre pour le réprimer ? Cependant, Messieurs, il existe, ce désordre; il existe depuis plusieurs siècles, et il a trouvé jusqu’à ce jour des appuis et des défenseurs ; car il est des personnes auprès de qui le temps a le pouvoir de tout légitimer, et l’esclavage lui-même n’a pas manqué d’apologistes. Mais le moment est venu, où tout ce qui est abusif doit être réformé : je ne demanderai donc pas s’il faut changer l’ancien état ; j’examinerai seulement si les bases des changements proposés sont convenables ; nous discuterons ensuite vos pouvoirs et vos droits. Dans le premier titre du plan du comité , on propose la réduction du nombre des évêchés et des cures, et la suppression de tous les bénéfices inutiles. Personne assurément ne disconviendra qu’un bénéfice quelconque, évêché ou cure, doit être assez étendu pour occuper un titulaire, et qu’il ne doit pas l’être assez pour l’accabler : si le bénéfice est trop grand, il est mal desservi ; s’il est trop considérable, le titulaire, en proie à l’oisiveté et à toutes ses suites, est presque toujours à charge à lui-mème et aux autres ; heureux encore s’il n’est pas un objet de scandale ! Une nouvelle circonscription sera donc évidemment utile : elle doit l’être pour le pasteur à qui on n’imposera qu’un fardeau proportionné à ses forces ; pour les fidèles, auxquels on assurera une distribution plus égale et plus facile des secours spirituels ; pour l’Etat, qu’il ne faut pas surcharger par une multiplication excessive de titres; pour la religion enfin, à laquelle des esprits légers et frivoles n’imputent que trop souvent l’irréguralité et les abus des établissements ecclésiastiques. Je n’examine point ici si vous devez adopter, pour ces réductions, toutes les bases de votre comité: si, par exemple, vous aurez quatre-vingt-trois évêchés, plus ou moins ; si vous donnerez aux curés de campagne une demi-lieue de rayon ou plus; tous ces détails seront discutés en particulier. Il me suffit, quant à présent, d’avoir établi l’utilité des réductions dans le nombre des évêchés et des cures : il existe trop d’évêchés et trop de cures; il existe des évêchés et des cures trop étendus; il en existe encore plus qui ne le sont pas assez : la nécessité d’une organisation nouvelle dans ce moment de régénération, ne peut donc pas être équivoque. Il n’est pas moins nécessaire de supprimer les titres sans fonctions. Pourquoi? ..... ils sont inutiles. Les bénéfices simples et non sujets à résidence sont si abusifs, et si contraires à l’esprit de l’Eglise, qu’il ne se présentera sans doute personne pour les défendre. On sait aussi que, dans le prin- m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.] cipe on n’ordonnait que le nombre de prêtres nécessaires, que chacun d’eux avait une fonction particulière, et que c’est dans des temps de relâchement et de dégradation que se sont formés ces titres parasites contre lesquels les gens instruits n’ont jamais cessé de réclamer, et dont la voix publique demande aujourd’hui la proscription. L’inutilité absolue des chapitres de collégiales n’est pas moins universellement reconnue; depuis longtemps leur suppression était arrêtée; et si elle n’a pas été exécutée, c’est parce que, dans les temps passés, les projets les plus utiles et les plus sages rencontraient toujours de grands obstacles dans leur exécution, pour peu qu’ils fussent en opposition avec l’intérêt particulier de quelque personne de crédit. Peut-être les chapitres de cathédrales trouveront-ils plus de défenseurs; mais leurs apologistes songent plus à ce qu’étaient ces chapitres dans leur origine, qu’à ce qu’ils sont aujourd’hui. Dans les premiers siècles, l’évêque avait auprès de lui les prêtres, les diacres et tous les autres ofiiciers nécessaires pour le service de son église : ils formaient son premier conseil, il ne pouvait rien décider sans leur avis, et sans l’avis du peuple quand les matières étaient importantes. On les appelait clercs canoniques, parce qu’ils vivaient selon les canons avec et sous la conduite de l’évêque; ou aussi, parce qu’ils étaient placés sur les canons ou matricules de l’Eglise pour être entretenus à ses frais : c’est de là qu’est venu le nom de chanoine. Mais cette vie commune a cessé depuis bien des siècles, et l’intérêt a divisé les évêques des chapitres, et les chanoines entre eux. Ils ont autrefois formé le conseil de l’évêque; ils en sont devenus depuis les rivaux, pour ne pas dire les ennemis : ils concouraient avec le prélat pour établir la paix et l’harmonie dans les familles; ils la troublent souvent aujourd’hui par cette foule de procès et de contestations qu’ils suscitent à tout ce qui les environne: ils supportaient le poids de l'administration et des fonctions publiques ; ils s’honorent� actuellement de n’être tenus à d’autres devoirs qu’à celui de réciter quelques offices; et ce relâchement est si public et si notoire, qu’on représente communément l’insouciance, la mollesse et l’oisiveté sous l’emblème d’un chanoine. Il est vrai que, dans les fêtes solennelles, leur présence peut ajouter à la pompe du culte; mais le culte sera bien plus auguste, lorsque le séminaire sera placé dans son lieu naturel, sous les yeux de l’évêque, et lorsqu’une foule d’ecclésiastiques assisteront avec le prélat aux offices divins, et en augmenteront la majesté. Ainsi nul motif ne peut et ne doit vous porter à conserver les chapitres de cathédrales; et les bases de la première partie du plan proposé par le comité sont, par conséquent, justes et solides. J’examinerai dans la suite vos pouvoirs pour ordonner ces changements : dans ce moment, je ne m’occupe que du soin de prouver leur utilité. La seconde partie du rapport a pour objet la réforme dans la manière de pourvoir aux offices ecclésiastiques. Je soutiens que la nécessité d’un changement à cet égard est pressante, et que la base du changement qu’on vous demande ne peut pas être attaquée. A Dieu ne plaise que je cherche à inculper ici personne ! Mais n’est-il pas évident pour tous ceux qui auront un peu réfléchi sur cette matière, que la voie des élections assurera plus constamment à une église le pasteur qui lui conviendra le mieux? Un collateur, quel qu’il puisse être, ne peut pas connaître les besoins particuliers de cette église, comme les fidèles qui la composent ; aussi dans les beaux siècles du christianisme, le peuple choisissait-illui-mêmeses pasteurs. Le premier qui fut nommé après Jésus-Christ, Saint Mathias, fut élu par tous les fidèles, dont le choix se porta sur deux personnes entre lesquelles le sort prononça. L’honorable membre qui vous dît hier que cet apôtre avait été élu par le sort, ne vous dît que la moitié de la vérité : c’est parce que les fidèles furent partagés sur le choix qu’on eut recours à la voie du sort. Et lorsqu’il fut question de nommer dans la suite sept diacres pour les préposer à la distribution des aumônes, tous les fidèles concoururent encore à ce choix. Tant que celte discipline si simple et si naturelle s’est maintenue, l’Eglise a été florissante ; les atteintes qu’on y a portées sont une des principales causes de sa décadence. Quand le choix d’un évêque a été depuis concentré dans les mains du prince ou plutôt de son ministre, on a trop souvent cherché, pour remplir l’église vacante, non pas celui qui réunissait le plus de vertus apostoliques, mais celui qui plaisait le plus au distributeur des grâces, ou dont la famille jouissait du plus grand crédit; et, dans le cours d’un siècle, on trouve à peine une ou deux nominations arrachées encore, pour ainsi dire, par un mérite éminent destitué de protection, et de ce qu’on appelait de la naissance. Que résultait-il de là ? De grands emplois étaient confiés à des mains inhabiles ; l’incapacité traînait à sa suite le dégoût des devoirs, et l’aversion pour le lieu où on devait les remplir ; on citait comme des modèles un petit nombre de prélats qui résidaient exactement. Il fallait donc des grands-vicaires ; et comme on les choisissait encore le plus souvent dans la classe alors exclusivement destinée aux grand3offices ecclésiastiques, ces coopérateurs s’occupaient encore plus du soin de solliciter des grâces que de celui de les mériter, et enfin le diocèse était souvent livré à quelques secrétaires obscurs, qui, après de longs travaux, se trouvaient heureux d’obtenir un petit bénéfice ou une pension. Qui de nous n’a pas été frappé de ces abus ? qui de nous, par conséquent, pourrait contester sérieusement et de bonne foi l’utilité des élections pour les évêchés ? Elles ne seront pas moins utiles pourles cures : dans le principe, les lieux d’oraison qui depuis ont formé des titres de cures, étaient remplis par des prêtres que l’évêque n’avait ordonnés que sur la demande des fidèles. Ainsi tous les pasteurs, sans exception, étaient du choix du peuple. Comment balanceriez-vous à adopter une discipline qui a fait la gloire de l’Eglise pendant plusieurs siècles? Comment pourriez-vous méconnaître les avantages d’un régime où tout homme qui portera dans l’état ecclésiastique du talent, de la conduite et surtout des vertus, sera presque assuré de parvenir aux premières dignités? On dit que les élections donneront lieu à des brigues et à des cabales : cela peut-être : tout à ses inconvénients; un régime parfait est une chose chimérique ; mais le régime que les Apôtres ont tracé et pratiqué, le régime qui a donné à l’Eglise tant de saints personnages, doit avoir de grands avantages sur tous les autres. Les élections, malgré les inconvénients qu’elles peuvent entraîner, donneront toujours des choix 746 [Autmblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.) meilleurs que ceux des collateurs. J’atteste ici tous ceux qui, par état, ont pu connaître la manière dont on disposait souvent des bénéfices: combien de motifs profanes influaient sur ces dispositions! Mais jetons un voile sur le passé; mon objet n’est point de flatter la malignité, ni de faire la satire de l’ancien régime. D’ailleurs, je n’en ai pas besoin pour prouver l’utilité des élections à l’égard des cures, comme à l’égard des évêchés. Je ne vous parlerai pas ici du mode d’élection adopté par le comité; encore une fois, je ne m’occupe dans ce moment que des bases; les détails seront examinés en leur lieu, et si quelqu'un propose des changements qui puissent être utiles, je serai le premier à les adopter; je prendrai moi-même la liberté d’en proposer quelques-uns sur un petit nombre d’articles. J’observerai seulement, en passant, que l’inconvénient relevé par le préopinant est bien plus spécieux que solide. Il a dit que, d’après le mode d'élection proposé, les non-catholiques ourraient concourir à la nomination des béné-ces. A cela je réponds : 1° que, dans le régime actuel, les non-catholiques nomment, et nomment seuls, à des bénétiees, même à des bénéfices à charge d’âmes; 2° qu’il serait d’ailleurs très facile d’ordonner que ceux qui voudraient participer aux élections, déclareraient qu’ils professent la religion catholique. Au surplus, nous traiterons le mode de l’élection en un autre lieu. Je ne parle ici que de la base, c’est-à-dire des élections en général. Je crois avoir prouvé la nécessité et l’utilité d’un changement dans la manière de pourvoir aux bénéfices, comme dans leur organisation. Jusqu’à ce moment, je ne m’étais pas proposé d’autre objet; je crois aussi avoir démontré que les bases adoptées par le comité, étaient bonnes, sauf les amendements dans quelques détails. Il est temps enfin d’examiner si vous avez le droit de faire ces réformes, et si vous pouvez les ordonner sans porter atteinte à la religion de nos pères. Ici va s’ouvrir une nouvelle discussion. Seconde question. Oui, Messieurs, vous avez le droit d’ordonner les changements proposés par le comité; quand vous les ordonnerez, loin de porter atteinte à la religion, vous lui rendrez le plus bel hommage. Celui qui pourrait penser qu’une opération qui consiste uniquement à supprimer des titres inutiles, et par cela seul dangereux; à assurer aux fidèles, les ministres les plus intègres, les plus vertueux, les plus dignes de la confiance des peuples; à ne donner à ces ministres qu’un fardeau proportionné à leurs forces : celui-là, dis-je, qui pourrait croire que vous ne sauriez décréter une telle opération sans faire une plaie à la religion, s’est formé de cette religion une idée bien étrange et bien fausse. Pour moi, Messieurs, je prétends que l'ennemi le plus fatal de la religion sera celui qui, ne comptant pour rien l’intérêt générai de l’Eglise quand il se trouve en opposition avec son avantage particulier, osera tenter de suspendre une réforme évidemment utile, parce qu’elle porte sur quelques abus dont il profite. Voilà l’homme qui pourrait perdre la religion si elle n’était pas toute divine, s’il n'était pas de foi que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle, et si votre sagesse ne distingnait pas le ministre et le culte. Mais je ne me borne pas à cette réflexion générale et frappante, qu’un souverain ne peut pas même être soupçonné de porter atteinte à la religion, quand il n’ordonne que ce qui lui est véritablement utile. Je vais essayer de tracer les limites entre l’autorité temporelle et la juridiction personnelle ; et lorsque ces limites seront bien connues, vous demeurerez convaincus que votre comité ne vous a rien proposé qui excédât vos pouvoirs. J’établirai ma discussion sur les vérités les plus simples, sur des faits incontestables, et sur des autorités sans réplique. Je ne me jetterai pas comme le préopinant dans des dissertations vagues et mobiles, qu’il serait impossible de saisir ; je ne chercherai pas à m’envelopper d’une foule de prétendues considérations, dans l’espoir de soustraire perpétuellement à vos regards le principe; je ne vaguerai pas sans cesse autour de la question, pour me dispenser de la traiter directement, en vous présentant tout ce qui n’est pas elle. Ma marche sera plus franche et plus sûre ; je mettrai tout le monde en état de me suivre, de m’entendre et de prononcer. Rien n’est plus opposé dans son objet que l’autorité temporelle, et ce qu’on appelle la juridiction spirituelle. L’autorité temporelle est établie pour le maintien de la paix et de l’harmonie dans la société, et pour le bonheur, durant le cours de cette vie, de tous les individus qui la composent : c’est une vérité incontestable. L’objet de la religion est en tout différent; et quoiqu’elle puisse contribuer au honheur de l’homme dans ce monde, ce n’est cependant pas là ce qu’elle se propose. Son véritable but est le salut des fidèles; elle est toute spirituelle dans sa fin et dans les moyens qu’elle emploie pour y parvenir. Voilà une seconde vérité qui n’est pas moins incontestable que la première. Aussi le fondateur de la religion n’a-t-il donné aux apôtres qu'une juridiction toute spirituelle; l’honorable membre qui a parlé hier, n’a pas pu se dispenser de convenir que la juridiction de l’Eglise se borne à celle qu’elle tient de J.-C.; mais il aurait dû examiner en quoi elle consiste; il fallait ouvrir le titre de la concession : puisqu’il ne l’a pas fait, je dois le faire. Jésus-Christ, après sa résurrection, a dit aux apôtres : Allez , instruisez les nations et les baptisez , leur enseignant d’observer tout ce que je vous ai ordonné ..... Il leur a dit encore : Comme mon père m’a envoyé , je vous envoie aussi ; recevez le Saint-Esprit ; ceux dont vous remettrez les pêchés , ils leur seront remis. Voilà les seuls titres de la juridiction spirituelle de l’Eglise : c’est à quoi se réduit l’exercice de la puissance transmise aux apôtres : instruction , administration des sacrements. Et pour ne laisser aucun doute sur ce point très important, permettez-moi d’appeler en témoignage le plus pieux, le plus éclairé, le plus vertueux des écrivains ecclésiastiques, celui à qui il n’a manqué, pour être rangé parmi les illustres pères de l’Eglise, que d’être né dans les premiers siècles. « Vous voyez (dit Fleury dans ses discours sur l’histoire ecclésiastique) à quoi se réduit l’exercice de cette toute-puissance que J.-C. a reçue de son Père, à l’instruction et l’administration des sacrements; la doctrine comprend les mystères et 747 [Assemblés nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.) les règles des mœurs; les sacrements sont tous désignés par le baptême.... « Ses pouvoirs que J.-G. a conférés à son Eglise, ne regardent que les biens spirituels, la grâce, la sanctification des âmes, la vie éternelle ; lui-même étant sur la terre, n’en a pas exercé d’autres... » L’église de France n’a pas une autre opinion sur la nature de sa juridiction. L’auteur de la défense de la déclaration du clergé s’exprime en ces termes : « Saint Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et toute l’Eglise même, n’ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut. » C’est déjà beaucoup, Messieurs, que d’avoir bien reconnu les bornes que Jésus-Christ a fixées à la juridiction spirituelle, la propagation de la doctrine, l'administration des sacrements. Il est important de ne pas perdre ces objets de vue ; car la religion est sortie parfaite des mains de son fondateur ; sa doctrine est une, immuable, et n’a jamais pu varier. Toutes les concessions que les rois de la terre ont pu faire depuis à l’Eglise et à ses ministres, ne sont donc pas essentielles à la religion qui a existé avec gloire avant elles, et qui peut par conséquent exister encore avec gloire après elles. Voyons cependant comment les apôtres et leurs premiers successeurs ont usé de leur juridiction. C’est bien là que nous devons trouver la discipline dans toute sa pureté. Les apôtres ne se fixèrent d’abord dans aucun lieu : choisis pour instruire toutes les nations, ils 6e répandirent partout pour prêcher l’Evangile. Ce ne fut qu’après plusieurs années que Saint Jacques résida, dit-on, à Jérusalem, et Saint Pierre à Antioche. Lorsque le nombre des fidèles fut augmenté, les apôtres ou leurs successeurs s’établirent dans une cité ; mais gardons-nous de croire que le titre d’évêque leur fut particulièrement affecté, ni qu’il y ait eu entre eux quelque distribution de provinces. Le mot évêque dérive du grec et signifie specu-lator , surveillant : c’est le titre que les Grecs donnaient aux gouverneurs de leurs colonies ; les Romains le donnaient aussi à certains magistrats. Il fut appliqué aux successeurs des apôtres, paree qu'ils étaient les surveillants des fidèles ; mais il n’annonçait pas une dignité qui fut particulière à l’Eglise. Il en est de même du mot diocèse ; l’empire romain était partagé en provinces d’une grande étendue, subdivisées elles-mêmes en petites provinces appelées diocèses: chaque diocèse avait son évêque ou gouverneur, et toute la province un gouverneur général, ou métropolitain, qui résidait dans la principale ville, appelée métropole. Les successeurs des apôtres s’établirent naturellement dans les principales villes, parce que leur enseignement et leur exemple devaient y être plus utiles : ceux qui se fixèrent dans la capitale des diocèses s’appelèrent évêques ; ceux qui se fixèrent dans la métropole prirent le titre de métropolitains ; mais il n’y eut aucune distribution de provinces faite pour le régime ecclésiastique; on crut, et avec raison, qu’on ne pouvait rien faire de plus sage que de se conformer aux divisions établies par l’autorité temporelle : c’est une vérité attestée par tous les monuments de l’histoire. Déjà, Messieurs, vous sentez combien ce partage des provinces et des diocèses est étranger au dogme et à la foi ; vous avez vu que les apôtres n’avaient pas été institués pour une province ou pour une cité, mais pour toute la terre; que l’arrondissement des diocèses est de pure police; aussi a-t-il souvent varié; et l’état actuel vous prouve assez que ce n’est pas l’Esprit-Saint qui a présidé à une division dont personne ne peut se dissimuler les vices. Je tirerai dans la suite les conséquences qui résultent de ces faits. Si le partage des provinces ecclésiastiques n’est pas intimement lié au dogme et à la foi, la manière de pourvoir aux bénéfices ne l’est pas davantage. Dans les premiers siècles, les peuples choisissaient eux-mêmes tous leurs pasteurs : j’ai déjà observé que le premier apôtre élu après la mort de Jésus-Christ, Saint Mathias, fut choisi par les fidèles, dont les voix se réunirent sur deux personnes ; le sort décida ensuite pour Saint Mathias. Tous les fidèles concoururent aussi bientôt après au [choix de sept diacres préposés à l’administration du temporel. Cette forme si naturelle, si conforme aux droits de tous les hommes, a été suivie pendant plusieurs siècles; personne ne l’ignore ; les peuples choisissaient celui qu’ils voulaient élever à l’épiscopat : quelques évêques voisins instituaient l’élu et le consacraient. Les apôtres n’avaient pas eu d’autre mission, et ils n’en donnaient pas d’autre. Il en était de même de l’ordination des prêtres ; l’évêque n’ordonnait que ceux qui lui étaient présentés par le peuple. Nous trouvons dans le pontificat de Clément VIII une trace de cet antique usage : l’archidiacre présente à l’évêque ceux qui doivent être ordonnés, et lui dit : l’Eglise demande que vous éleviez ces diacres à la charge du sacerdoce. Postulat Sancta Mater Ecclesiaut hos prœsentes Diaconos ad onus Presbyterii ordinetis. C’est l’église, c’est l’assemblée des fidèles, c’est le peuple chrétien qui fait cette demande. Mais si l’évêque n’ordonnait autrefois que ceux qui lui étaient présentés par les fidèles, il n’ordonnait aussi que ceux qui étaient nécessaires et qui avaient un office à remplir. Ces faits sont incontestables. Cette forme des élections fut adoptée d’abord dans les Gaules comme dans les autres provinces; elle reçut quelques atteintes sous les deux premières races, et nous trouvons à cette époque quelques exemples de nominations aux évêchés faites par nos rois. Bientôt les papes usurpèrent la disposition de presque toutes les prélatures, au moyen des réserves et des expectatives. Saint Louis et Charles Vil rétablirent les élections. Je ne sais pas pourquoi l’honorable membre qui a parlé hier de la pragmatique de Saint Louis, s’est permis de l’appeler la prétemiucpragmatique. Pourquoi chercher à répandre partout des nuages, même sur les choses les plus indifférentes. Cette pragmatique, que vous appelez prétendue pour jeter des soupçons sur son authenticité, se trouve dans tous nos recueils; elle est rapportée par Fontanon, Bouchel, Girard, Pinson; elle est dans le style du Parlement et dans les ordonnances imprimées au Louvre. On a affecté de vous dire qu’elle a été citée pour la première fois dans les remontrances du Parlement de Paris à Louis XI, en 1461 ; mais il fallait ajouter que dans ces mêmes remontrances le Parlement citait une ordonnance de 1315, qui confirmait la prag- 748 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.] matique de Saint-Louis t et d’ailleurs le testament de Philippe-Auguste, de 1190, contient sur les élections les mêmes dispositions que cette pragmatique. Or, l’on ne conteste pas la Térité de ce testament. Mais ce qui doit le plus étonner ici, c’est que la même personne qui, citant la pragmatique de Saint Louis, dont l’authenticité est constante, a cru qu’il était de sa délicatesse de l’appeller la prétendue pragmatique, vous ait cité comme incontestable l’autorité des constitutions apostoliques , ouvrage universellement reconnu pour apocryphe. On vous a observé aussi que les élections ordonnées par Saint Louis n’étaient pas les mêmes que celles en usage dans les premiers siècles : je le veux bien! Qu’est-ce que cela prouve f Que la forme des élections est de police, variable par conséquent, et absolument étrangère au dogme. Aussi le concordat donna-t-il depuis à François Ier la nomination des prélatures. L’ordonnance d’Orléans rétablit les élections dans une forme toute nouvelle; celle de Blois restitua au roi le droit de nomination : Vous pouvez juger par ce tableau fidèle, si en effet la manière de pourvoir aux bénéfices n’est pas de pure discipline, et si elle tient au dogme et à la foi. L’arrondissement des diocèses n’y tient pas davantage, comme je l’ai démontré; ces objets ne sont que de police, et la police a toujours été variable, suivant les besoins et les circonstances : elle peut donc changer encore, sans que la religion en soit altérée; au contraire, la religion ne peut que gagner à des changements qui la rapprochent de ces instructions primitives. Mais si tous ces changements sont de pure police et de simple discipline, s’ils ne tiennent en au rien au dogme et à la foi, commentsera-t-il possible que l’autorité temporelle n'ait pas le droit de les ordonner? comment la juridiction ecclésiastique, circonscrite par son fondateur lui-même, dans ce qui est purement spirituei, aura-t-elle le droit de s’y opposer? Distinguons deux choses très distinctes, dont la confusion a produit beaucoup de désordres. Il est de foi que les apôtres doivent avoir des successeurs: il est de foi que les apôtres doivent ordonner et instituer ceux qui leur succèdent; il est de foi que les sacrements doivent être administrés par les apôtres : tout cela est spirituel, et par conséquent du ressort de la juridiction de l’Eglise. Mais il n’est pas de foi qu’un apôtre doit être institué pour tel ou tel lieu; il n’est pas de foi qu’un diocèse doit être plus ou moins étendu; il n’est pas de foi qu’un apôtre résidera dans une ville plutôt que dans une autre; il n’est pas de foi qu’il sera nommé ou élu de telle ou telle manière : tous ces objets ne tiennent qu’à la discipline extérieure et temporelle, et le souverain a par conséquent le droit de les régler. Par quelle fatalité la juridiction spirituelle, qui n’a pour objet que le dogme et la foi, se trouverait-elle en opposition avec l’autorité temporelle, quand celle-ci ne s’occupe ni de foi, ni de doctrine ? De pareils différends ne se seraient pas élevés dans le premier âge du christianisme, parce que les apôtres étaient trop près de leur première institution pour en avoir oublié les limites : pourquoi s’élèvent-ils aujourd’hui? en voici la raison. Les successeurs des apôtres devinrent des seigneurs temporels; à ce titre, ils furent membres des assemblées dans lesquelles se réglaient les principales affaires de l’Etat : ils y prirent bientôt cette influence que devait leur donner la double qualité de princes de l’Eglise et de l’Empire. Je ne sais pas s’ils acquirent par ce changement beaucoup de vertus civiques; mais on ne peut se dissimuler qu’ils y perdirent quelques vertus apostoliques. Les entreprises de l’épiscopat furent si rapides, que, dans le neuvième siècle, Charles-le-Chauve paraissait reconnaître un prétendu pouvoir de l’Eglise sur l’autorité temporelle. Il n’est actuellement personne qui ne blâme hautement une doctrine que le clergé d’alors confondait cependant quelquefois avec la doctrine de la religion : elle est heureusement proscrite depuis longtemps, mais il n’en est pas de même de tous les accroissements de pouvoirs qui ont été la suite de l’autorité des évêques, comme seigneurs temporels, et qui furent encore favorisés par les fausses décrétales publiées dans le huitième siècle, sous le nom d’Isidore Mercator ou Peccator, suivant quelques-uns. La piété des empereurs et des rois, leur faiblesse peut-être, a donné ou laissé prendre aux évêques une juridiction qu’ils ne tenaient certainement pas de Jésus-Christ. On les a souvent con*- sultés sur des affaires uniquement relatives à la police et à la discipline extérieure de l’Eglise, on leur a fait à cet égard des attributions que je suis loin de méconnaître; mais u’est-il pas évident que tout ce que l’Eglise tient de la concession du souverain, est étranger à la religion, qui reste toujours entière, tant qu’on ne touche pas à la juridiction que Jésus-Christ lui a donnée ? n’est-il pas évident que tout ce qui n’est pas compris dans cette concession primitive, l’Eglise ne peut le tenir que d’uue concession postérieure, expresse ou tacite de la part des souverains? S’armera-t-on de ces concessions, et de ce qui a pu se pratiquer en conséquence, pour établir des droits? C’est ainsi que le clergé défendait sa prétendue propriété, les nobles leurs abusifs privilèges, les magistrats leur droit de concourir à la formation de la loi : que de faits, que d’exemples, que de règlements ne citaient-ils pas! mais que peuvent les faits, que peuvent les règlements de discipline contre l’autorité éternelle du droit naturel et de la raison! En un mot, il faut toujours revenir au principe et au titre de la juridiction spirituelle; elle n'embrasse que la foi, les mystères et la doctrine : voilà ce qui est spirituel. Tout ce qui tient au temporel, appartient à la juridiction temporelle, encoreque l’Eglise puisse y avoir quelqu’in térét. On a appelé ces objets auxquels l’Eglise peut être intéressée, quoiqu’ils ne touchent ni le dogme ni la foi des objets mixtes; mais, comme l’observe l’auteur de l’histoire du droit canonique et du gouvernement de l’Eglise, l’intérêt que peut avoir l'Eglise à une chose , l’unit , il est vrai, et la lie à des choses spirituelles ; mais cette union aux choses spirituelles NE LA. TIRE PAS DE L’ORDRE NATUREL DANS LEQUEL ELLE DÉPEND ABSOLUMENT DU MAGISTRAT SÉGULIER; par conséquent , dans ces sortes de choses mixtes, c’est aux magistrats séculiers à prononcer sur la proposition des besoins de l’Eglise et de l'Etat (1). Eh ! dans quelle anarchie fatale un gouvernement se trouverait-il donc plongé, si des prin-(1) M. de Montclar, procureur général au parlement de Provence, a établi, de la manière la plus victorieuse, la même doctrine, dans son réquisitoire contre l’imprimé ayant pour titre : Actes de la dernière assemblée du Clergé. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |30 mai 1790.] 749 cipes contraires pouvaient être écoutés 1 Ainsi les successeurs des apôtres, parce qu’ils auraient été reçus dans l’Etat pourraient, dans leur système, protéger et maintenir contre l’autorité souveraine le dernier des titres de bénéfices ! le magistrat politique en décréterait la suppression, le magistrat spirituel en ordonnerait l’existence : que! serait le terme de cette opposition ? quelle société pourrait subsister dans ce désordre? Il faut donc « qu’il y ait une puissance supérieure et suréminente ; et ce ne peut être que celle de qui dépend l’ordre public et général, et à laquelle seule appartient le titre de puissance dans le propre (1). » C’est là la doctrine et la morale de l’Eglise : « tout ce qu’on nous ordonne (dit Saint Augustin) doit être observé pour la paix commune, quand cela n’est pas contraire à la foi et aux bonnes mœurs. Quod enim neque contra /idem, neque contra bonos mores injungitur , indifferen-ter est habendumt et pro eorum inter quos viviiur societate servandum est. Pour décider si une question est du ressort de l'Eglise ou du souverain, il faut donc examiner s’il s’agit purement et uniquement de foi et de doctrine; toute question qui n’intéresse pas directement, immédiatement et uniquement la foi et la doctrine est nécessairement soumise à l’autorité temporelle, et c’est à elle seule qu’il appartient de la décider. S’agit-il d’ordonner un prêtre ? l’Eglise seule peut avoir ce droit. S’agit-il d’instituer et de sacrer un évêque ? c’est à l’Eglise qu’il appartient de le faire. S’agit-il d’administrer un sacrement? le magistrat temporel n’en a pas le droit. Mais s’agit-il de proscrire un établissement particulier, un ordre religieux ou tout autre? le souverain a le droit de déclarer qu’il ne veut pas de cet établissement. S’agit-il de disposer des biens qui y sont attachés? le souverain a le pouvoir de le faire. S’agit-il d’ordonner un arrondissement plus convenable pour les évêchés et les cures? cela est encore du ressort du souverain. S’agit-il de régler le mode de pourvoir aux bénéfices? c’est également à lui qu’il appartient de Je faire. Pourquoi? parce que, dans tous ces objets, rien n’intéresse la doctrine et la foi. Qu’un établissement particulier subsiste ou non, qu’il subsiste dans un lieu ou dans un autre; qu’un bénéfice ait une circonscription plus ou moins étendue; qu’il y soit pourvu par nomination ou par élection : tout cela n’altère en rien la religion ; la doctrine n’en reste pas moins pure et intacte. Si, comme dans le principe, l’Eglise n’avait d’autres revenus que les offrandes volontaires des fidèles ; si la nation ne comptait pas les frais du culte parmi les dépenses publiques les plus sacrées, peut-être dirait-on que cette étrange multiplication des évêchés et des autres bénéfices peut lui être assez indifférente : mais une nation qui solde les ministres du culte, doit-elle voir sans intérêt qu’il existe 150 évêchés quand il n’en faut peut-être pas la moitié? peut-elle se dissimuler que l’évêque de 17 ou de 20 paroisses ne mérite pas 100,000 livres de rente ? Qu’on cesse donc de prétendre que la religion est perdue si les évêchés sont réduits ; qu’on ne cherche plus à alarmer les consciences timides, quand nous n’attaquons que des abus qui doi-(1) Réquisitoire de M. de Montclar, procureur général au parlement de Provence, contre l’imprimé ayant pour titre : Actes de la dernière assemblée du Clergé. vent paraître monstrueux à ceux mêmes qui eu profitent. Que les ministres de l’Eglise soient entendus quand nous discutons les effets de ces changements, cela peut être convenable ; nous les entendrons ; il est bon de profiter de leurs lumières. Mais, lorsque le souverain trouve dans sa sagesse que les changements sont nécessaires ou utiles, aucun pouvoir ne peut s’opposer à leur exécution. Un Etat peut admettre ou ne pas admettre une religion ; il peut, à plus forte raison, déclarer qu’il ne veut pas de tels ou tels établissements particuliers, sans lesquels la religion subsiste encore; il peut, à plus forte raison, déclarer qu’il veut que ces établissements subsistent dans tel ou tel lieu ; il peut, à plus forte raison, déclarer qu’il veut que ces établissement soient administrés de telle ou telle manière : rien n’estplus étranger au dogme et à la foi, rien n’est par conséquent plus indifférent à la religion. Voilà des principes éternels, qu’on ne saurait méconnaître sans anéantir le souverain. G’est leur affaiblissement qui a été la source de tant de débats scandaleux, sous lesquels nos pères ont inutilement gémi; un jour viendra, sans doute, on la postérité aura peine à croire à cet excès d’aveuglement qui fait contester à l’autorité souveraine le droit de transporter, d’un lieu dans un autre, un établissement souvent inutile. Que la doctrine des plus illustres pères de l’Eglise a été bien différente! Pleins de courage et d’ardeur quand il s’agissait effectivement de foi, ils ont prêché la soumission la plus profonde quand il n’a été question que d’arrangements temporels et de discipline. « Pourvu que le culte « du vrai Dieu ne soit pas empôché, dit Saint « Augustin, la religion observe toutes les lois qui « peuvent contribuer à acquérir ou à posséder la « paix de la terre. » Tel est le langage des apôtres qui consultent l’intérêt de la religion plus que leur intérêt personnel ; tel est le langage de la raison, qui est la religion de tous le s peuples. Elle nous dit que l’Eglise ne peut être juge que de ce qui est surnaturel et divin, et que tout le reste doit être soumis à l’autorité temporelle. Et c’est là aussi, Messieurs, ce qui s’est constamment pratiqué toutes les fois que l’autorité s’est trouvée dans des mains dignes de la soutenir. Gharlemagne régla, dans des Assemblées nationales, tous les objets de police et de discipline ecclésiastique. Nous le voyons prononcer également et sur la manière de pourvoir aux préla-tures, et sur les lieux où l’on doit établir des évêques. Après la conquête de la Saxe, il divisa ce royaume en huit diocèses, dont il traça lui-même la limite : nous trouvons dans le Recueil de Baluze (1) l’édit d’établissement d’un de ces évêchés. « Proindè omnem terram eorum antiquo Roma-norum more in provinciam redigentes , ET INTER ËPISCOPOS CERTO LIMITE DETERM1MANTES ..... in loco Bremon vocato Ecclesiam ET EPiscoPALEM statüi-MUS cathedram; huic parochiæ decem pagos SUBJECIMUS. » La nation usait alors du droit de souveraineté comme elle en avait usé précédemment, et comme elle en a joui depuis (2). Garloman avait établi, en 742, des évêques (1) Tit. 1, pag. 2Î35. (2) Tous les peuples ont usé du même droit. Una-quæque civitas proprium Episcopum habeto. Leg. 36, Cod. Lib. 1, Tit. 3. 750 lAwemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790. dans tous les lieux où il les avait jugés nécessaires, et il avait préposé au-dessus d’eux un archevêque. Pépia forma depuis, en 755, dans une Assemblée de la nation, de pareils établissements : Ordonavimus per civitates legitimos Epis-copos , ET CONSTITUIMUS SUPER EOS ArchiepisCOpOS Abel et Ardobertum (1). En 834, Louis III érige encore un évêché : Dignum duximus ut locum aptum nostris in fini-bus evidentius eligeremus, ubi sedem EpiscopàLEM PER HOC NOSTRÆ AUTHOR1TAT1S PRECEPTUM STA-TUEREMUS. Je citerais, s’il était nécessaire, bien d’autres exemples qui prouveraient également l’exercice du droit de souverain dans les formations et circonscriptions des évêchés ; je crois pouvoir m’en dispenser. Personne ne peut actuellement contester que c’est là une simple police extérieure, et par conséquent du ressort de l’autorité temporelle, comme l’ordination et la consécration sont du ressort de la juridiction spirituelle. Si les papes se sont arrogé, depuis plusieurs siècles, le droit d’ériger des évêchés, c’est parce ue l’autorité temporelle (sans le consentement e laquelle ils n’ont fait aucune érection) a bien voulu le leur permettre; mais cette possesion des papes n’a pas, pour fondement, un droit qu’ils tiennent de l’auteur de la religion, et elle peut conséquemmeut être intervertie sans que la religion en soit altérée. Ce n’est pas, au surplus, dans cette seule partie de la discipline ecclésiastique, que les souverains ont exercé leur autorité quand ils l’ont jugé convenable. Les Capitulaires des rois de la seconde race nous présentent une foule de règlements sur toutes les branches de la discipline; j’en citerais cent s’il était nécessaire; mais pour abréger, je me bornerai à mettre sous vos yeux les reconnaissances très expresses et très formelles , du droit du souverain, émanéesde l’Eglise elle-même, dans le moment où l’autorité temporelle permettait à ses ministres de se réunir pour l’éclairer de leurs lumières. Dans les préfaces des conciles de Mayence, de Tours et de Ghâlons, tenus en 813, les prélats de ces assemblées s’empressent d’annoncer qu’il appartient au souverain d’adopter, de rejeter, de changer et de corriger tous les articles qu’ils lui présentent. Quiquid in eis emendatione dignum reperietur , vestra magnifica imperialis dignitas JUBEAT em endure... Ut ita emendata nobis proficiant. (Préface du concile de Mayence.) Quæ secundùm canonicam regulam emendatione indigent, distinctè per capitula ANNOTAVIMUS... Imperatori nostro ostendenda. (Préface du premier concile de Tours.) Quædam capitula domino Imperatori prœstenda et ad ejus... judicium referenda adnotavimus... Quatenùs e jus prudenti examine, ea quæ RATlONA-BILITER decrevimus CONFIRMENTUR, sicubiminus ALIQUID EGIMÜS ILL1US SAPIENTIA SUPPLEATUR. (Préface du second concile de Châlons.) L’Eglise pouvait-elle avouer plus hautement le droit souverain sur tout ce qui concerne la discipline ecclésiastique ? « Que notre empereur corrige tout ce qui lui paraîtra digne de correction... Nous soumettons nos remarques à son jugement; il confirmera ce qu i lui paraîtra convenable, et sa sagesse sup-(1) Bul. tom. 1, pag. 170. pléera à tout ce qui peut manquer à nos observations. Voilà le langage et la morale de l’Eglise. Permettez, Messieurs, que j’interrompe un instant ma discussion, et que je prenne la liberté de faire une demande. Si (les pères qui ont assisté aux conciles dont je viens de parler, et qui ont fait une profession si ouverte de leur soumission à l’autorité temporelle en tout ce qui concerne la discipline ecclésiastique ; si ces pères, dis-je, pouvaient revivre, s’ils étaient assis parmi vous, interrogés sur les réformes qui nous occupent, réformes dont la nécessité est gravée au fond toutes les consciences, en serait-il un seul qui se permît de répondre : * La nation ordonnerait en vain ces changements ; il n'appartient qu’à nous de nous en occuper : si l’on prend à cet égard quelques résolutions, nousprotestonsetnous ne participerons pas aux délibérations. » Ainsi ils déserteraient le poste honorable que la Providence leur aurait confié ! ainsi ils abandonneraient la cause publique ! et non contents de priver l’Etat du secours de leurs lumières et de leur expérience, ils chercheraient encore, par leurs déclarations publiques, à affaiblir la confiance due aux représentants du peuple, et ne redouteraient pas de mettre l’Etat et la religion en péril, parce que la nation s’occupe de règlement de discipline, dont le seul objet est de procurer aux fidèles de bons ministres, de ne salarier que les ministres utiles, et en proportion de leur utilité l Reconnaissez-vous ici la morale de notre religion ? devrions-nous être surpris des calomnies Sue se permettent contre elle les impieset les infi-èles, si tels étaient en effet les sentiments que cette religion inspire à ses apôtres? Vous dites que la religion est attaquée par les changements que l’on propose; mais, répondez ; supposons que la nation a déjà décrété qu’il n’y aurait que 83 évêchés, et que les cures seraient réduites et arrondies dans une proportion donnée ; supposons encore que les peuples, en vertu de ces décrets; ont déjà élu des pasteurs. Dites-nous si nous aurions cessé d’être chrétiens ? Que répondez-vous ? « Nous n’ordonnerons pas les prêtres, nous n’instituerons pas les curés, nous ne sacrerons pas les évêques, et les peuples resteront sans ministres. » Nous serions toujours chrétiens, et vous n’ordonneriez pas nos prêtres, vous n’institueriez pas nos curés, vous ne sacreriez pas nos évêques ! Vous auriez donc l’affreux courage de laisser des fidèles sans pasteurs; vous interrompriez, autant qu’il serait en vous, cette succession perpétuelle des apôtres qui est de soi et voilant des intérêts et des passions privées du nom sacré de la religion (i), abusant de ce caractère sacré qui ne vous fut imprimé que pour l’utilité publique, vous n’emploieriez votre ministère qu’à défendre quelques biens temporels, au risque de perdre et la religion et l’Etat. Non, ces sentiments ne sont pas ceux d’un successeur des apôtres; il n’en est aucun dans cette Assemblée qui ne les désavoue au fond de son cœur, et je ne crains pas de le dire, c’est moi qui suis, dans ce moment, leur véritable organe, et l’interprète fidèle de leurs secrètes pensées. (1) Proclamation du roi du 29 mai. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.1 751 Je reprends l’exposé de l’exercice des droits du souverain sur la discipline ecclésiastique. Si depuis les faits que j’ai cités, les rois de la terre ont accordé aux ministres du culte, sur les matières de police et de discipline, une attribution qui ne dérive évidemment ni du droit naturel, ni du droit divin, ils n’ont pas pour cela renoncé au droit imprescriptible de statuer sur tout ce qui n’est pas de foi et de doctrine ; et nous voyons au contraire qu’ils ont, dans différentes occasions, exercé leur autorité dans toute sa plénitude. Ainsi la nation, sous Charles VII, a rétabli les élections et aboli les réserves et les expectatives. François Ier ayant depuis attiré à lui la nomination aux prêlatures, la nation rétablit les élections en 1560, et leur donna une forme nouvelle. L’ordonnance de Blois a de nouveau concentré dans la personne du roi la nomination aux préta-tures. Je supprime d’autres exemples pour arriver à notre siècle. De nos jours, l’autorité temporelle a déclaré en 1764, par un édit solennel, qu’un corps religieux et trop puissant cesserait d’exister en France. Comment pourrait-on encore prétendre que dans le moment d’une régénération universelle, la nation ne peut pas statuer sur des objets qui, n’étant point de dogme et de foi, ne tiennent qu’à la police et à la discipline ? Gomment pourr&it-il exister une seule personne qui pût croire qu’il suffira du refus d’un prélat séduit, intéressé ou prévenu, pour suspendre l’exécution de décrets dont la sagesse est manifeste? Je m’arrête; je ferais injure aux membres de l’Assemblée si j’insistais plus longtemps pour prouver que vous avez le droit de décréter les changements qui vous sont proposés. Lorsque ces réformes seront ordonnées, il n’existera que les établissements par vous conservés ; ils n’existeront que de la manière qui vous aura paru convenable ; il y aura des évêques dans tous les lieux où il vous aura paru nécessaire d’en établir, et il sera pourvu aux évêchés ainsi que vous l’aurez voulu. L’Eglise, n’en doutons pas, l’Eglise qui ne doit jamais consulter, et qui finit toujours par ne consulter que le plus grand intérêt de la religion, s’empressera d'ordonner les prêtres, d’instituer les évêques et les curés partout où leur institution sera requise. C’est l’objet de son ministère ; voilà l’exercice de la juridiction toute spirituelle qu’elle tient de Jésus-Christ, qu’elle doit toujours exercer pour le plus grand bien de l’Etat, et que vous n’avez certainement jamais voulu lui contester. Vos décrets, loin de porter atteinte à cette religion, la ramèneront à sa pureté primitive ; vous serez alors en effet les chrétiens de l’Evangile; vous serez chrétiens comme l’étaient les apôtres et leurs premiers disciples. Ne craignez pas que l'intérêt temporel et passager de quelques évêques entraîne de leur part une opposition à des réformes salutaires, et une résistance qui serait opposée au véritable esprit de la religion. Je sais que des motifs profanes ont quelquefois influé sur des déterminations prises dans les matières les plus religieuses ; que dans le siècle dernier, par exemple, le pape mécontent de la déclaration du clergé de France, se permit de refuser des bulles aux sujets nommés par le roi ; qu’il y eut plus de trente évêchés vacants, et que ce refus scandaleux s’est enc ore reproduit sous la Régence. Mais cette résistance à l’autorité temporelle ne venait que du pape, c’est-à-dire d’un étranger, d’un ennemi de Louis XIV et de la gloire de la nation : gardons-nous de redouter de semblables écarts de la part d’ecclésiasliques français : ils ne sont pas, je le sais, ils ne sont pas plus que les autres hommes à l’abri de cette espèce de prévention que l’intérêt et l’habitude élèvent quelquefois dans les âmes les plus pures et les plus privilégiées ; mais la réflexion, mais l’autorité irrésistible de la raison, mais l’exemple de tant d’ecclésiastiques vénérables qui se sont hautement expliqués dans cette Assemblée, feront bientôt sentir à tous ceux qui portent dans leur cœur une étincelle de patriotisme et de vertu, qu’ils ne peuvent servir la religion qu’en concourant à l’exécution de vos décrets. C’est alors, Mesieurs, c’est alors que la régénération sera en effet consommée, qu’il n’existera plus réellement de privilèges et de distinctions, qu’on ne trouvera parmi nous que des français, des frères, que nous n’aurous tous qu’un cœur, une âme, une volonté; la volonté d’établir la félicité publique sur des fondements inébranlables ; et ce jour qui n’est pas éloigné, j’ose le dire, ce jour sera pour tous les vrais citoyens le jour le plus beau de leur vie. Je conclus à ce que l’on délibère sur le plan du comité ecclésiastique. {On applaudit vivement à ce discours que des marques d'approbation ont souvent interrompu.) M. Goupil de Préfeln. Je demande l’impression de cette opinion religieuse et patriotique. Cette demande est fortement appuyée. L’impression est ordonnée. M. le Président, à la tête de la députation envoyée au roi, rentre dans la salle. Il rend compte de la réception qui lui a été faite et l’Assemblée ordonne que le discours de son président et la réponse du roi seront insérés au procès-verbal. Discours du président av roi. « Votre Majesté, qui a marqué sa place parmi les plus grands rois, en invitant les Français à la liberté, se montre aujourd’hui le meilleur des pères, en les rappelant à la paix et à des sentiments fraternels. Quels cœurs ne seraient pas touchés par ses exhortations, et conquis par ses exemples! Un enthousiasme général d’admiration, d’attendrissement et de reconnaissance, a saisi l’Assemblée nationale à la lecture de la proclamation de Votre Majesté ; et les expressions de son profond respect et de son inviolable fidélité ont retenti dans tous les cœurs ; toutes les bouches les ont répétées. Nous venons porter à Votre Majesté l’hommage de ces sentiments. Jamais nous n’avons été plus fidèlement les interprètes de la volonté générale de la nation. » Le roi a répondu : « J’emploierai toujours mes soins à procurer la « tranquillité générale, et le bonheur de chaque « citoyen eu particulier. » M. le baron de Rathsamhansen, député de Hagueneau, demande, pour raison de santé, an congé qui lui est accordé.