516 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] que vous allez porter. Nous pensons, au contraire, que le passer sous silence et nepas le frapper d’une suppression expresse, ce serait laisser la porte ouverte à une difficulté qu’on ne manquerait pas de faire, et à l’aide de laquelle ce droit échapperait peut-être, dans certains tribunaux, à la proscription qu’il aurait été dans votre intention implicite de lui faire subir. — Cette difficulté consisterait à dire que, dans l’exacte vérité, le triage n’est ni un droit de justice, ni un droit de fief; que c’est une simple faculté qui a été établie par l’ordonnance de 1669, et que la disposition de cette ordonnance n’étant pas révoquée, cette fa ¬ culté doit encore subsister et avoir tout son effet. — Je ne dis pas, Messieurs, que ce raisonnement serait bien victorieux ; je ne dis pas qu’il serait sans réplique ; mais je dis qu’il pourrait embarrasser les juges, et c’est un inconvénient auquel il est de notre devoir de parer, en décrétant positivement l’abolition du droit de triage. Maintenant, une nouvelle question se présente : la suppression du droit de triage aura-t-elle un effet rétroactif? Rigoureusement, j’ose le dire, elle devrait l’avoir, et l’avoir indéfiniment, parce qu’en abrogeant une loi injuste, on ne fait, strictement parlant, ou du moins on ne devrait que rétablir les choses dans l’état où elles seraient, si cette loi n’avait jamais existé. Mais il est dans la justice même, un excès qne les législateurs doivent éviter comme les magistrats ; en faisant les lois comme en les appliquant, il ne faut jamais être extrême; c’est le sens et l’objet de cette maxime, summum jus summa injuria ; et en la combinant avec une foule de considérations particulières à l’exercice qui a été ci-devant fait du triage, il est impossible de ne pas conclure que la suppression de ce droit ne pourrait, sans les plus grands inconvénients, refluer jusque sur le passé. Votre comité, Messieurs, a donc pensé que le droit de triage, tel qu’il est établi par l’ordonnance de 1669, ne devait être aboli que pour l’avenir ; mais son opinion, unanime sur ce point général, a été divisée par rapport au triage auquel, par une extension bien étrange de cette ordonnance, des lettres -patentes sur arrêt obtenues par les seigneurs de la Flandre Wallonne et de l’Artois, ont assujetti les biens possédés par les communautés à titre onéreux. On vous présentera, Messieurs, les raisons respectives de l’un et de l’autre avis, et ce sera à vous à décider si les seigneurs Flamands et Artésiens peuvent garder, ou doivent restituer à leurs communautés les portions de biens dont ils se sont ainsi fait mettre en possession depuis onze à douze ans, par des arrêts du conseil rendus sur requêtes non communiquées. Suite du projet de décret sur les droits féodaux. TITRE II. Des droits seigneuriaux qui sont supprimés sans indemnité. Art. 1er. La mainmorte personnelle, réelle ou mixte, ainsi que Ja servitude d’origine, la servitude personnelle du possesseur des héritages tenus en mainmorte réelle, celle de corps et de poursuite, les droits de taille, de corvées personnelles, d’échute, de vide-main, le droit prohibitif des aliénations et dispositions à titre de vente, de donation entre-vifs ou testamentaire, et tous les autres effets de la mainmorte réelle, personnelle oumixte, qui s’étendaient sur les personnes ou les biens, sont abolis sans indemnité. Art. 2. Néanmoins, tous les fonds ci-devant assujettis à la mainmorte réelle ou mixte, continueront d’être assujettis aux mêmes charges, redevances, tailles ou corvées réelles dont ils étaient précédemment chargés. Art. 3. Lesdits héritages demeureront pareillement assujettis aux droits dont ils pouvaient être tenus en' cas de mutation par vente, pourvu néanmoins que lesdits droits ne fussent pas des compositions à la volonté du propriétaire du fief dont iis étaient mouvants, et que lesdits droits n’excédassent point ceux qui ont accoutumé être dûs par les héritages non mainmortables, tenus en censive dans la même seigneurie, ou suivant la coutume. Art. 4. Tous les actes d’affranchissement par lesquels la mainmorte réelle ou mixte aura été convertie sur les fonds ci-devant affectés de cette servitude, en redevances foncières et en des droits de lods aux mutations, seront exécutés selon leur forme et teneur, à moins que lesdites charges et droits de mutation ne se trouvassent excéder les charges et droits usités dans. la même seigneurie, ou établis par la coutume, relativement aux fonds non mainmortables tenus en censive. Art. 5. Dans le cas où les charges réelles, stipulées par les actes d’affranchissement, se trouveraient excéder létaux indiqué par l’article précédent, elles y seront réduites, l’excédent ne devant être regardé que comme le prix des servitudes personnelles qu’emportait la mainmorte réelle, lesquelles n’étaient pas susceptibles d’indemnité; et seronteniièrementsupprimésles droits et charges qui ne seront représentatives que des servitudes purement personnelles. Art. 6. Seront néanmoins les actes d’affranchissement faits avantl’époque fixée par l’article XIX ci-après, moyennantune somme de deniers, ou pour l’abandon d’un corps d’héritage certain, soit par les communautés, soit par les particuliers, exécutés suivant leur forme et teneur. Art. 7. Toutes les dispositions ci-dessus, concernant la mainmorte, auront également lieu pour les tenues en bordelage et en quevaise. Art. 8. Les droits de meilleur cattei ou morte-main (1), de taille à volonté, de taille ou d’indier aux quatre cas de cas impériaux et d’aide seigneuriale, sont supprimés sans indemnité. Art. 9. Tous droits qui, sous la dénomination de fouage, monéage, bourgeoisie, congé ou autre quelconque, sont perçus par les seigneurs, sur les personnes, sur les bestiaux, ou à cause de la résidence, sans qu’ils soient justifiés être dus, soit par les fonds invariablement, soit pour raison de concession d’usages ou autres, sont abolis sans indemnité. Art. 10. Sont pareillement abolis sans indemnité les droits de guet et de garde, ainsi que les rentes ou redevances qui en sont représentatives, quoique affectées sur des fonds qui ne seront pas (1) On appelle ainsi, en Hainaut et dans quelques autres provinces, le droit de prendre à la mort d’un affranchi ou descendant d’affranchi, le meilleur meuble, ou (comme parlaient nos pères il y a deux ou trois cents ans le meilleur cattei qui se trouvait dans sa succession. Ce fut Marguerite, comtesse de Flandres et de Hainaut, qui, la première, en affranchissant ses serfs en 1252, donna l’exemple de l’établissement de ce droit. Margarita Flandriæ , atque Hannoniœ Comitissa (dit Burgundus ad consuetudines tlandriæ, traité 15, n. 3,) Turcarum morem execrata, tam immane jugum servitutis suis ademit, et ad Catelli unius prœstationem arctavit. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790J. 517 prouvés avoir été concédés pour cause de ces rentes ou redevances; Les droits de pulvérage, levés sur les troupeaux de moutons passant dans les chemins publics des seigneuries; Les droits qui, sous la dénomination de banvin vet du vin, étanche , ou autre quelconque, emportaient pour un seigneur la faculté de vendre seul et exclusivement aux habitants de sa seigneurie, pendant un certain temps de l’année, les boissons provenant de son crû. Art. 11. Les droits connus en Auvergne et autres provinces, sous le nom de cens en com-mende ; en Flandres, en Artois et en Cambresis, sous celui de gave , gavenne, ou gaule ; en Hai-naut, sous celui de poursoin-, en Lorraine, sous celui de sauvement ou sauvegarde ; en Alsace, sous celui d’avouerie-, et généralement tout droit qui se payait ci-devant en reconnaissance et pour prix de la'protection des seigneurs, sont abclis sans indemnité: sans préjudice des droits qui, quoique perçus sous les mêmes dénominations, seraient justifiés avoir pour cause des concessions de fonds. Art. 12. Les droits sur les achats, ventes, importations et exportation de biens-meubles, de denrées et de marchandises, tels que les droits de cinquantième ou de centième denier du prix des meubles vendus, les lods et ventes sur les vaisseaux, les droits d’accise sur les comestibles, les droits d'umgeld sur les vins et autres boissons, les impôts et billots seigneuriaux et autres de même nature, sont abolis sans indemnité (sans rien préjuger, quant à présent, sur les droits de péage et de minage). Art. 13. Tous droits exigés sous prétexte de permissions données par les seigneurs, de faire des choses ou d’exercer des professions, arts ou commerces, qui, par le droil naturel et commun, sont libres à tout le monde, sont supprimés sans indemnité. Art. 14. Toutes les banalités de fours, moulins, pressoirs à vins ou à huiles, de boucheries, de taureau, de verrat, de forges, et autres, ensemble le droit de vere-moute usité en Normandie, soit qu’elles soient fondées sur la coutume ou sur un titre, ou acquises par prescription, sont abolies et supprimées sans indemnité sous les seules exceptions ci-après. Art. 15. Sont exceptées de la suppression ci-dessus, et seront rachetables : 1° Les banalités purement conventionnelles, c]est-à-dire qui seront prouvées par la présentation du titre primitif, avoir été établies par une convention souscrite entre le seigneur et la communauté des habitants, pour l’intérêt et l’avantage desdits habitants ; 2° Celles qui seront prouvées par la représentation du titre primitif, avoir eu pour cause une concession faite parie seigneur à la communauté des habitants, de droits d’usages dans ses bois ou prés, ou de communes en propriété. Art. 16. Au défaut de titre primitif, les causes d’exception indiquées dans l’article précédent pourront être établies par deux reconnaissances énonciatives d’une plus ancienne, données parla communauté des habitants, suivies d’une possession de 40 ans, et rappelant, soit la convention, soit la concession de droits d’usages ou de communes en propriété, sous la charge de la banalité. Art. 17. Toute redevance ci-devant payée par les habitants à titre d’abonnement des banalités de la nature de celles ci-dessus supprimées sans indemnité, et qui n’étaient point dans le cas des exceptions portées par l’article 15, est abolie et supprimée sans indemnité. Art. 18. Toutes les corvées, à la seule exception des réelles, sont supprimées sans indemnité; et seront réputées corvées réelles, celles qui ne sont dues qu’à cause de la propriété d’un fonds ou d’un droit réel, et dont on peut se libérer en aliénant ou déguerpissant le fonds ou le droit. Art. 19. Le droit du triage, auquel les biens appartenant aux communautés d’habitants ont été assujettis par l’article 4 du titre XXV de l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669, demeurera aboli pour l’avenir. Art. 20. Toutes les dispositions du présent titre et celles du précédent, auront leur effet à compter du jour de la publication des lettres-patentes du 3 novembre 1789, portant envoi aux tribunaux, municipalités et corps administratifs des décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août précédent. Art. 21. L’Assemblée nationale se réserve de prononcer, s’il y a lieu, sur les indemnités dont la nation pourrait être chargée envers les propriétaires de certains fiefs d’Alsace, d’après les traités qui ont réuni cette province à la France. TITRE III. Des droits seigneuriaux rachetables. Art. 1er. Seront simplement rachetables et continueront d’être payés jusqu’au rachat effectué, tous les droits et devoirs féodaux ou censuels utiles, qui sont le prix et la condition d’une concession primitive de fonds. Art. 2. De cette nature sont : 1° Toutes les redevances seigneuriales annuelles en argent, grains, volailles, denrées ou fruits de la terre, servis sous la dénomination de cens, sur cens, rentes féodales, seigneuriales ou emphytéotiques, champart tasque, terrage, agrier, soété, corvées réelles, ou sous toute autre dénomination quelconque, qui ne se paient et ne sont dus que par le propriétaire ou possesseur d’un fonds, tant qu’il est propriétaire ou possesseur et à raison de la durée de sa possession ; 2° Tous les droits casuels qui, sous les noms de quint, requint , treizième, lods et treizains, lods et ventes, mi-lods, rachats, venterolles, reliefs, relevoisons, plaids, et autres dénominations quelconques, sont dus à cause des mutations survenues dans la propriété ou la possession d’un fonds, par le vendeur, l’acheteur, les donataires ou les héritiers et ayants cause du précédent propriétaire ou possesseur. Art. 3. Aucune municipalité , aucun district, aucun département ne pourra, à peine de nullité, de prise à partie et de dommages-intérêts, prohiber la perception d’aucuns des droits seigneuriaux dont le paiement sera réclamé, sous prétexte qu’ils se trouveraient implicitement ou explicitement supprimés sans indemnité, sauf aux parties intéressées à se pourvoir, par les voies de droit, devant les tribunaux ordinaires. Art. 4. Les propriétaires de fiefs dont les archives et les titres auraient été brûlés ou pillés à l’occasion des troubles survenus depuis le commencement de l’année 1789, pourront en faisant preuve du fait, tant par titres que par témoins, dans l’année de la publication du présent décret, être admis à établir, soit par actes, soit par la preuve testimoniale d’une possession de trente 518 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1790»] ans, la nature et la quotité des droits qui leur appartenaient. Art. 5. La preuve testimoniale dont il vient d’être parlé, ne sera suffisante que par dix témoins, lorsqu’il s’agira d’un droit général. Art. 6. Les propriétaires de fiefs qui auraient, depuis l’époque énoncée dans l’article 4, renoncé par contrainte ou violence à la totalité ou à une partie de leurs droits non supprimés par le présent décret, pourront, en se pourvoyant également dans l’année, demander la nullité de leurs renonciations, sans qu’il soit besoin de lettres de rescision. On demande l’impression du rapport de M. Merlin. L’impression est ordonnée. M. le Président annonce que les juges consulaires demandent à être introduits à la barre, à la séance de demain soir, pour y prêter le serment civique. Cette demande est accordée. M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle de demain matiu pour l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du mardi 9 février 1790, au matin (1). M. l’abbé Expilly, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal. M. de Bouville. Je m’étonne qu’on n’ait pas inséré au procès-verbal que ce n’est qu’après avoir entendu les observations qui ont été faites sur mes scrupules, que je me suis déterminé à prêter le serment. Après les mots :je le jure, j’ai ajouté ceux-ci : d’après la nouvelle interprétation donnéepar l' Assemblée. Je demande que ces mots soient rétablis sur le procès-verbal; et si M, le secrétaire a cru m’obliger en les supprimant, je le remercie d’une attention que je n’ai pas sollicitée et que je ne suis sûrement pas jaloux d’obtenir. M. le vicomte de Noailles. Je ne connais que deux manières de parler du serment prêté hier par M. de Bouville ; c’est de dire qu’il l’a prêté ou qu’il ne l’a pas prêté ; il ne peut pas exister une troisième manière d’en parler. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la demande qufil vient de faire. M. le vicomte de Mirabeau. Je pense qu’il y a lieu à délibérer; et comme c’est avec M. de Bouville, et de la même manière que lui, que j’ai prêté mon serment, je demande avec lui que les termes dans lesquels je l’ai prêté soient stipulés dans le procès-verbal. M. le Président. Je prends le vœu de l’Assemblée : Y a-t-il lieu à délibérer sur la réclamation de MM. de Bouville et le vicomte de Mirabeau? L’Assemblée décrète la négative. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. M. le vicomte de Mirabeau. Eu ce cas, je regarde mon serment comme nul. (L’Assemblée ne tient aucun compte de cette protestation.) M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Bouche, membre de l’Assemblée nationale, qui fait don de plusieurs de ses ouvrages intitulés : 1° Essai sur l’histoire de la Provence ; 2° Essai sur le droit public et sur la contribution aux impositions. « J’ai cru, écrit M. Bouche, qu’il serait utile que les provinces et villes qui ont leur histoire écrite, en déposassent un exemplaire dans les archives de l’Assemblée nationale; je paie le tribut à cette idée. L’Assemblée applaudit et ordonne que les ouvrages seront déposés aux archives. M. Massieu, curé de Sergy. J’étais absent lors de la prestation du serment civique, parce qu’à la sollicitation de mes paroissiens, j'étais allé les aider à organiser leur municipalité. La démarche du Roi auprès de l’Assemblée nationale a été accueillie à Pontoise avec enthousiasme et les habitants ont organisé une fête patriotique pour célébrer l’accord du Roi et de la nation. Je dépose sur le bureau une adresse de Sergy et de Pontoise portant renouvellement d’adhésion aux décrets de l’Assemblée et, après avoir expliqué les motifs de mon absence, je demande à être admis à la prestation du serment. M. Massieu, prête serment. M. le Président fait lecture d’une lettre de M. le comte de Saint-Priest, qui témoigne, au nom du Roi, le désir qu’aurait Sa Majesté de voir que la ville de Fontainebleau formât, avec la forêt, un seul district particulier. M. Dupont (de Nemours). Il me semble que nous ne pouvons refuser au Roi la satisfaction qu’il demande; je pense que sa réclamation doit être accueillie, M. le vicomte de Noailles. Le décret rendu depuis quinze jours sur le département de Fontainebleau remplit, à très peu de chose près, le vœu de Sa Majesté; et comme nous ne pouvons revenir sur nos décrets, je demande que M. le Président soit autorisé à conférer à ce sujet avec le Roi, et à lui présenter cette observation. M. l’abbé Thibault, curé de Souppes. Il me semble que M. le comte de Saint-Priest aurait dû s’adresser aux députés du département de Fontainebleau, et non pas à l’Assemblée. L’avis proposé par M. le vicomte de Noailies est adopté. Vordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Oossin, rapporteur du comité de conslitu-tion, représente que les députés de la Ghalosse et du pays de Marsan demandent la création d’un 84e département dans la division générale du royaume, au profit de Mont-de-Marsan. Le comité est d’avis que les décrets antérieurs doivent être maintenus, que la demande doit être rejetée et il propose un décret qui est adopté en ces termes : Département de la Chalosse et du Marsan. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis