424 Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 février 1790.] Adresse de la municipalité. « M. le président de Talhouet est resté seul fidèle à la nation; il n’a quitté le temple de la justice que pour venir rendre hommage à la liberté dans le temple de la patrie. Les autres magistrats n’ont cessé de donner à la France indignée le scandale de la désobéissance ..... Doutera-t-on que le corps entier n’adopte des sentiments aussi coupables? ....... Serons-nous toujours à la merci de ceux qui, ayant perdu sans retour la confiance du peuple, ne peuvent plus exercer le droit de le juger?... La voilà donc enfin consommée cette forfaiture; la voilà donc mise au jour cette conjuration contre le bien public ! Après avoir tant de fois désolé la France par leur ambition criminelle, par des démissions combinées, par une désobéissance impunie, ils se prétendent quittes, en abandonnant leurs fonctions, comme si cette désertion n’était pas coupable !... Leur projet est connu; ils veulent exciter le peuple par la privation de la justice, perpétuer le désordre, anéantir vos décrets ; et dans quel temps suivent-ils l’exemple de leurs confrères? c’est dans ce moment où les gentilshommes, par un heureux retour à la raison, à la patrie, à la vérité, semblaient assurer le tranquillité de notre province ; c’est dans ce moment que la chambre des vacations, croyant tenir la paix et la guerre dans ses mains, se livre à sa haine, et n’écoute ni les intérêts du peuple, ni le cri de la patrie ..... Ils renoncent à être magistrats-citoyens ; hommes, ils ne veulent être que nobles ..... La veille du jour même où les magistrats nous ont refusé leurs services, nous leur prodiguions les nôtres. Nos milices nationales allaient défendre les habitations des nobles contre les habitants des campagnes, contre ces hommes si longtemps opprimés et trompés aujourd’hui sur vos décrets. 11 est temps que la loi s’appesantisse sur cette coalition de résistance, tantôt contre le peuple, tantôt contre le monarque, aujourd’hui contre tous deux. Nous venons, au nom de la tranquillité publique compromise, des lois violées, demander qu’un aussi grand scandale soit réparé par un grand exemple. • En conséquence, nous déclarons dénoncer à LAs-sembiée nationale et au comité des recherches, les membres de la nouvelle chambre des vacations du parlement de Rennes, comme coupables de désobéissance à la nation, à la loi et au Roi, et nous supplions l’Assemblée nationale de les renvoyer au tribunal chargé de connaître des crimes de lèse-nation. » M. Defermon desChapelières.La députation de Rretagne, assemblée hier, ayant pris connaissance des faits, a rédigé le projet de décret dont je vais vous donner lecture : « L’Assemblée nationale, instruite de la désobéissance de la nouvelle chambre des vacations du parlement de Rennes, « Décrète que pour former uu tribunal provisoire qui remplace ladite chambre des vacations, le Roi sera supplié d’adjoindre au président de Talhouet, ci-devant nommé président de cette chambre, deux juges de chacun des quatre présidiaux de Bretagne, quatre jurisconsultes parmi ceux du barreau de Rennes, et deux de chaque ville où les trois autres présidiaux sont établis; d’ordonner que lesdits membres se réuniront et se mettront en activité le plus tôt possible; qu’en cas de refus d’absence départie d’entre eux, ceux qui se trouveront réunis commenceront néanmoins, sans délai, l’exercice de leurs fonctions, appelant à cet effet provisoirement et à leur choix, des avocats pour assesseurs; que dans l’absence du président de Talhouet, la chambre sera présidée par le plus anciennement admis au serment d’avocat; que le même ordre d’ancienneté sera observé pour la préséance entre les autres juges, et qu’ils pourront se diviser en deux sections, pour la plus prompte expédition des affaires ; « D’ordonner en outre que la cour supérieure provisoire, ainsi formée, tiendra ses séances tous les jours, même pendant ceux des «fêtes de palais» qui ne sont pas gardées par l’Eglise ; « Que les trois substituts du procureur général du Roi feront, tant à l’audience qu’à la chambre du conseil et dans l’instruction des procès criminels, toutes les fonctions du ministère public, concur-rement et sans aucune préséance entre eux; qu’ils se distribueront également les affaires nouvelles, et conserveront celles dont ils sont saisis ; « D’enjoindre aux greffiers, huissiers et à tous autres officiers ministériels, attachés au parlement de Bretagne, de continuer leurs fonctions auprès de ladite cour supérieure provisoire : « D’ordonner que les ci-devant juges, composant les deux chambres des vacations successivement nommées, et tous autres juges du parlement de Bretagne, le président Talhouet excepté, remettront au greffe, dans huit jours après l’entrée en exercice de ladite cour, les procès et pièces qu’ils peuvent avoir ; et que, faute à eux de le faire, ils soient poursuivis, à cet effet, à la requête d’un des substituts, et condamnés par corps à faire cette remise, et aux dommages et intérêts des parties. « L’Assemblée nationale décrète que ladite cour supérieure provisoire aura, pour l’exercice du pouvoir judiciaire, toute l’autorité dont le parlement de Bretagne était revêtu, à l’effet de juger toutes affaires, tant criminelles que civiles, à quelques sommes qu’elles puissent monter, ainsi, et de la même manière que les chambres des vacations du royaume avaient reçu cette autorisation par le décret du 3 novembre dernier, sanctionné par Sa Majesté; Qu’à l’exception du président de Talhouet, qui conservera ses gages, les honoraires des juges, appelés à composer la cour supérieure provisoire, seront de douze livres par jour, à compter, pour ceux de Nantes, Vannes et Quimper, du jour de leur départ, et, pour ceux de Rennes, du jour de leur entrée en fonctions. Autorise le trésorier de la proviuce de Bretagne, à payer chaque mois lesdits honnoraires, sur un mandat du président et signé d’un des substituts de ladite cour; en conséquence, lesdits juges ne percevront aucuns droits, ni épices, sous quelque dénomination que ce soit. Les substituts, greffiers et autres officiers ministériels, n’étant point compris dans la fixation des honoraires, continueront de recevoir les émoluments qui leur sont attribués par les règlements; l'Assemblée nationale ne change rien à cet égard. « Décrète que les ci-devant juges, composant la chambre des vacations dernièrement nommée, seront privés de leurs gages, depuis le jour qu’appelés parles décrets de l’Assemblée nationale pour rendre la justice, iis se sont assemblés sans remplir cette obligation, jusqu’au jour où la cour supérieure provisoire cessera ses fonctions, et où les juges qui seront établis d’après le nouvel ordre judiciaire commenceront les leurs. Ordonne que lesdits gages seront payés au trésorier de la province de Bretagne, et serviront à remplacer 425 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 février 1790.] d’autant dans sa caisse la somme qu’il paiera pour les honoraires de la cour supérieure provisoire. L’Assemblée nationale charge son président de de porter le présent décret, dans le jour, à la sanction du Roi. » M. Defermon des Chapelières. Nous ne vous présentons pas de décret au sujet des délits des magistrats de Rennes et du jugement sollicité par la municipalité : nous nous en rapportons à votre justice et à votre sagesse. M. Duval d’Eprémesnil demande des détails sur la quotité des gages des membres du parlement de Rennes. M. Defermon des Chapelieres répond. M. Duval d’Eprémesnil interroge encore. L’Assemblée témoigne une vive impatience. M. Duval d’Eprémesnil fait de nouvelles questions sur le même objet. M.levicomte de Mirabeau (1). J’appuie, Messieurs, la motion de M. Defermon et son projet de décret relatif à la formation d’un nouveau tribunal souverain, chargé de rendre, à la province de Bretagne, la justice dont elle se trouve privée par les circonstances qui viennent de vous être détaillées. Les magistrats bretons n’ont cessé d’offrir le sacrifice de leurs charges, et de demander que l’Assemblée nationale confiât à d’autres juges le soin d’interpréter des lois differentes de celles dont ils avaient juré d’être les dépositaires et les organes. Quant au projet de composition du tribunal provisoire de remplacement qui vous a été proposé par MM. les députés bretons, l’avantage qu’ils ont sur moi d’une connaissance parfaite des localités et des circonstances ne me )ermet de présenter aucune objection, et cet établissement me paraît si instant que je suis d’avis qu’il soit adopté (2). Quant à MM. les magistrats qui ont été destinés, par le sort ou par le choix des agents du pouvoir exécutif, à composer la seconde chambre des vacations, je vous demanderai la permission de vous présenter quelques réflexions sur leur conduite; je ne suis point monté à la tribune pour les justifier : je ne pourrais employer, en leur faveur, que les mêmes raisonnements que j’y ai déjà fait entendre lorsque la conduite de la première chambre a été soumise à votre jugement; ils ont été improuvés, et je sais respecter le voeu de la majorité; mais je désire d’abord que vous veuillez bien entendre un narré succinct et exact de ce qui s’est passé à Rennes, le 29 janvier, jour où la seconde chambre des vacations s’est rassemblée; si quelques-uns des faits qui y sont réfutés ne sont pas venus à la connaissance des députés bretons, ou peuvent être contestés par eux, je déposerai les preuves; ce récit disposera, j’espère, l’Assemblée, à écouter favorablement quelques observations que je soumettrai à sa justice sur la demande faite par la municipalité de Rennes, de renvoyer au Châtelet le jugement des magistrats bretons. (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le vicomte de Mirabeau. (2) On distinguera toutefois, de cet assentiment général, la nomination de M. de Talhouët à la présidence du tribunal souverain. Vingt-neuf janvier 1790. Quatorze magistrats se sont rassemblés vers les neuf heures du matin au palais, en vertu d’ ordres particuliers du Roi, adressés à chacun d’eux. Le substitut du procureur général est entré, et a déposé, sur le bureau, une commission, etc. et des lettres-patentes, etc. Après avoir procédé à l’examen de cette commission, les magistrats ont pensé qu’ils ne pouvaient ni ne devaient l’accepter. Ils ont écrit une lettre au Roi contenant les motifs de leur refus. Quand ces magistrats se sont rendus le matin au palais, et quand ils en sont sortis; la plus grande tranquillité régnait dans la ville �pendant leur séance, il n’est venu personne dansles environs, ni dans les galeries du palais. Chaque magistrat s’est retiré chez lui sans qu’aucun citoyen lui ait fait de questions, sans s’apercevoir que la tranquillité de la ville ait été en rien troublée. Entre. les trois à quatre heures de l’après-midi, M. de Catuelan, étant chez lui avec M. de Bois-peau, son beau-frère, et M. de Malfilatre, conseiller au parlement, MM. de Monthierry et Gandon ont demandé à lui parler; ils suivaient immédiatement le domestique qui les annonçait. M. de Monthierry, qui paraissait fort agité, s’est approché de M. Catuelan, en lui disant: Monsieur, nous venons vous demander les motifs du parti que vous avez pris ce matin. M. de Catuelan a répondu : Dans aucun cas, un magistrat ne peut être tenu de donner les motifs de son opinion à des officiers municipaux, dans la circonstance présente. M. de Talhouët présidait les magistrats qui se sont rassemblés, c'est à lui que vous devez vous adresser. Nous en venons, Monsieur, et nous voulons vous témoigner notre étonnement, de la conduite que tiennent quatorze magistrats ; depuis plus d’un an nous veillons jour et nuit ponr maintenir la tranquillité dans la ville, votre conduite dérange toutes nos mesures, nous ne répondons plus de rien. Là, s’est engagée une discussion fort vive entre les magistrats et les officiers municipaux, trop longue pour se rappeler tous les détails avec exactitude, mais qui a roulé en général du côté des magistrats, sur l’impossibilité où ils sont, d’accepter une commission qui substitue quatorze magistrats au corps entier du parlement; ils ont prouvé que le parlement n’a jamais refusé de rendre la justice; qu’il l’a rendue l’année dernière, au milieu des troubles et dans les circonstances les plus critiques; qu’il la rendrait encore s’il n’avait pas été mis en vacance; que la plupart des magistrats s’étaient rendus à Rennes, à la Saint-Martin dernière; mais que des motifs de prudence les avaient forcés de retourner chacun chez eux; enfin sur la liberté dont on prétend que tous les citoyens doivent jouir, liberté qui doit laisser au magistrat, comme à tous les citoyens, le droit d’accepter ou de refuser de nouveaux engagements, qui diffèrent en tous points de ceux qu’il a antérieurement pris. Toutes ces raisons ont été plutôt combattues que réfutées par les officiers municipaux ; ils ont, surtout, cherché à intimider par la crainte de voir renaître la fermentation dans la ville; ils ont accusé la première chambre des vacations d’être la cause des malheurs qui arrivent dans les campagnes; (il leur a été répondu avec prudence sur cet objet, mais de manière, cependant, à ce que l’objection ne soit pas faite une autre fois); il leur a été répondu qu’il serait bien injuste que des