(Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [13 août 1791.J 423 gémit, au secret, privé de la vue de ses enfants, sans aucune espèce de consolation, dévoré d’inquiétudes et de maux physiques, qui font craindre pour sa vie. Chaque jour a semblé aggraver ses pertes. La femme de son fils, épouse vertueuse et mère tendre, qui faisait la consolation de sa vieillesse, accablée par le coup qui lui enlève un beau-père qu’elle chérissait, dans un accès de désespoir, après avoir arrosé de ses larmes son enfant, se précipite par la fenêtre, et meurt pleurée par tous les êtres sensibles. « M. Guillin de Pougelon, dont je viens à vos pieds réclamer la liberté, est le tuteur de mes enfants. C’est sur lui seul que reposent nos espérances; c’est le seul protecteur que nous puissions réclamer; la nature nous le donnait, les magistrats l’ont confirmé. « Ah ! Messieurs, vous le rendrez à la lumière et à la liberté; vous le rendrez à mes larmes; vous le rendrez au sang innocent de mon mari, son frère vertueux, qui crie vers vous; vous n’achèverez pas le tableau funèbre qui nous envelopperait tous dans une même proscription. « Si vous rejetiez ma prière et résistiez à mes larmes, voilà mes enfants ; c’est à la nation que je les présente; c’est une mère qui les met sous sa protection. Ils élèvent vers vous leurs bras innocents; il vous redemandent un père... qui n’est plus, il vous redemandent un second père qui existe encore, M. Guillin de Pougelon; c’est le seul appui qui reste à notre famille. « Je vous demande donc. Messieurs, au nom de la nation, au nom de la justice, d’être favorables à ma demande, et de la couronner par la mise en liberté de M. Guillin, mon beau-frère, tuteur de mes enfants. Vous acquerrez par cet acte de bienfaisance un nouveau droit à la reconnaissance et à la vénération du peuple français. » M. Delandine. Le frère de M. Guillin, dont on vient de vous parler, mérite toute votre protection. En effet, Messieurs, il a éprouvé, sous l’ancien régime, le seul traitement qui s’accordât avec le mérite, c’est-à-dire que devenu premier échevin de la ville de Lyon, il combattit les abus et fut tellement l’apôtre de la liberté, qu’en récompense, il reçut une lettre de cachet qui le rendit prisonnier; il y a gémi longtemps. Il en est sorti pour recevoir une seconde lettre de cachet qui l’a exilé à Val-Fleury. Il lui restait d’être soupçonné de vouloir propager l’esclavage, en répandant des libelles contre le nouveau régime. Sur une accusation vague de 2 dénonciateurs, dont l’un a voulu se rétracter, dont l’autre a subi plusieurs décrets de prise de corps, sa vie a été dans le plus éminent danger ; le peuple demandait à haute voix sa tête : il gémit depuis 8 mois dans les prisons de l’abbaye de Saint-Germain; il y est malade. Je crois que le temps de la clémence et de la justice est enfin revenu; que si nous touchons à la fin de notre carrière, nous devons nous empresser de la marquer par l’humanité de nos décrets. Si l’Assemblée ne voulait point lui accorder sa liberté absolue, je crois au moins qu’en conciliant les formes légales, on pourrait lui accorder la liberté sous sa caution juratoire. ( Murmures et applaudissements.) Je demande tout au moins que cette affaire soit renvoyée au comité des rapports, pour le rapport nous être fait incessamment. M. Regnaud {de Saint-J ean-d’ Angély). Je prie i’Assemblée de me permettre que je lui rappelle un décret rendu par elle dans une circonstance peut-être moins intéressante que celle qui est soumise à sa délibération. Messieurs, le curé d’Issy-l’Évêque, qui avait été décrété de prise de corps par un tribunal, réclama auprès de l’Assemblée nationale la même faveur, le même acte de clémence que mon collègue vient de solliciter ici, j’ose dire que les circonstances parlaient bien moins en sa faveur que celles qui viennent de vous être exposées : M. de Mirabeau, qui vivait alors et qui sans doute appuierait aujourd’hui mon opinion, combattit et triompha en laveur du curé d’Issy, auquel l’Assemblée nationale accorda, par un décret solennel., sa liberté provisoire, sur sa caution juratoire. Je demande que l’Assemblée fasse en cette circonstance ce que M.- de Mirabeau lui fit faire alors, et qu’on accorde la liberté provisoire à M. Guillin. ( Murmures et applaudissements ,) Plusieurs membres ; Aux voix 1 aux voix ! M. i-e Rols-Desguays. Je prie l’Assemblée de considérer que M. Guillin n’est détenu qu’en vertu de ses décrets ; qu’en conséquence tant que les tribunaux n’ont pas fait d’acte, l’Assemblée nationale est toujours la maîtresse de prononcer. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (Une vive agitation règne dans l’Assemblée.) M. Camus. Je demande la parole. {Bruit.) Je partage avec l’Assemblée la juste sensibilité que lui a fait éprouver le récit des malheurs de M. Guillin, mais permettez-moi d’observer qu’une Assemblée de législateurs, qui doit donner l'exemple à toutes les législatures suivantes, ne peut jamais s’écarter des règles. {Murmures.) Je demande l’ajournement et que demain, à l’entrée de la séance, le comité des rapports vous rende compte de cet objet. {Murmures et applaudissements.) M. Malouet. Je demande la parole. M. Muguet de Nanthou. On vous propose, Messieurs, le renvoi au comité pour vous rendre un compte extrêmement simple. Le comité ne fera qu’ajouter à la pétition qui vient de vous être présentée, que vous aviez rendu un décret qui consistait en 3 articles ; le 1er ordonnait que MM. Guillin, Terrasse et Descars seraient conduits dans les prisons de l’abbaye ; le 2e, que la municipalité de Lyon fournirait les pièces qu’elle avait sur le délit qui leur était imputé ; le 3% que la procédure serait envoyée par-devant le tribunal d’Orléans. Il est résulté par la maladie de M. Guillin, qu’il a été impossible de mettre à exécution le décret, et que le tribunal d’Orléans n’a encore rien statué ; que vous avez même ordonné que M. Guillin ne serait pas transféré, à raison de l’état fâcheux où il se trouvait. Voilà tout ce que pourrait dire demain le comité des rapports, et vous pouvez prononcer en ce moment comme demain. M. Delavigne. J’ai partagé, aveo tous les membres de l’Assemblée, la sensibilité qu’ils ont éprouvée à juste titre en entendant la pétition qui vient de nous être lue. Je demande qu’elle soit renvoyée au comité des pensions, pour savoir jusqu’à quçl point la victime malheureuse des événements qui vous ont été retracés, mérite les 424 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 août 1791.] secours de la patrie. ( Applaudissements .) Quant à la seconde partie de la pétition, comme elle annonce des pièces nouvelles, et qu’il paraîtra peut-être difficile de statuer en cet instant sur le sort de l’un des 3 accusés, sans prononcer en même temps sur les 2 autres, je demande que le comité des rapports prenne, d’ici à demain, connaissance des pièces nouvelles. M. Rewbell. L’élargissement provisoire pourrait occasionner beaucoup de troubles à Lyon et dans les environs. M. Guillin ne trouve de si zélés défenseurs que parce qu’il est prévenu, par un de vos décrets mêmes, du crime de contre-révolution. J’ose dire à l’Assemblée qu’elle ne peut et ne doit pas s’écarter du décret qu’elle a rendu; non sans doute elle n'en a pas le droit, votre décret étant rendu, vous avez rempli toute la tâche que la Constitution vous impose. Ou M. Guillin est innocent, et dans ce cas il sera élargi par le tribunal; ou il est coupable, ce que je ne désire pas : dans l’un et l’autre cas, il faut qu’il soit jugé. C’est le seul moyen pour lui, s’il est innocent, de confondre ses délateurs; d’ailleurs, quand même l’Assemblée nationale pourrait prononcer, elle ne saurait le faire, sans être calme et tranquille. L’intérêt, très naturel, que la dame qui vient de parler, a inspiré à tous les auditeurs par sa pétition , ne permet pas de prononcer dans ce moment; craignez d’ailleurs de laisser l’impunité aux ennemis réels et avérés de la Constitution, s’il en est sous le glaive de la justice. L’impunité est le plus grand mal aux yeux de tous les citoyens; je crois, toutefois, que dans les circonstances [actuelles et à raison de l’état de dépérissement de M. Guillin, état qui peut justifier son élargissement provisoire, sous caution juratoire, il faut renvoyer la pétition au comité. M. Chabroud. Messieurs, si le terme de votre délibération doit être un renvoi au comité, je demande que la discussion ne se prolonge pas davantage. (L’Assemblée ferme la discussion et adopte la motion de M. Delavigne.) En conséquence, le décret suivant est mis aux voix : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le�discours de M®° veuve Guillin de Montel, et s’être fait donner lecture de la pétition qu’elle a mise sur le bureau, décrète que ladite pétition est renvoyée au comité des pensions, pour y être procédé à la fixation des indemnités relatives aux pertes qu'a essuyées la pétitionnaire et sa famille, par la mort de son mari; et quant à l’autre partie de la même pétition, relative à la demande en élargissement du sieur Guillin de Pou-gelon, renvoie au comité des rapports et des recherches, pour lui en être fait un rapport incessamment. j (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est un rapport des comités central de liquidation et diplomatique sur la fourniture des fourrages d'Alsace. M. Camus, rapporteur. Messieurs, lors de la uerre que le roi de Prusse fit à l’électeur de axe, l’Allemagne se trouva exposée à l’incursion des troupes étrangères. Au mois de janvier 1756, il avait été passé un traité d’alliance entre le roi d’Angleterre et la Prusse, pour empêcher toute introduction de troupes en Allemagne. Alors les princes de l’Empire sollicitèrent un autre traité avec la France, et, le 2 mai 1756, il y eut une convention signée à Versailles entre le roi et l’impératrice reine, par laquelle le roi promit de garantir les Etats de l’impératrice reine et d’employer à cet effet un secours de 24,000 hommes dont 18,000 hommes d’infanterie et 6,000 chevaux. Lorsqu’il fut question de l’exécution de ce traité, le roi l’exécuta avec toute la grandeur qui convenait à la majesté française, et au lieu de 24,000 hommes pour défendre ses alliés, il envoya au printemps de 1757, 100,000 hommes dans les Etats de l’Empire. Ces troupes défendirent la Franconie, les Etats de Nuremberg, du Haut-Rhin, et d’une partie du cercle du Bas-Rhin, elles reçurent dans ces différents cantons des munitions et des fourrages des princes de l’Empire. Il paraît qu’à cet égard, il y avait eu des conventions, mais il parait aussi que suivant le droit de la guerre, les places qui étaient défendues par les troupes françaises, devaient leur fournir une partie des munitions nécessaires. Pour y parvenir, il avait été réparti un contingent de fourrages entre les différents Etats des cercles de Franconie, du Haut et Bas-Rhin. Ils ne furent pas tous exacts à fournir leur portion, et je vois par différents mémoires du bureau de la guerre, notamment par une lettre de M. Guillot, alors intendant de l’armée, en date du 21 décembre 1760, qu’il y avait de ces Etats dont on ne pouvait retirer leur contingent qu’en leur envoyant des détachements pour les forcer à le donner. Je vois dans d’autres lettres que d’autres Etats ont offert en argent ces fournitures de fourrages, de rations, etc. ; ce qui prouve qu'ils devaient donner ces secours ; car s’il eût été question de les acheter chez eux, on n’aurait pas exigé d’eux de l’argent, au contraire, on aurait eu à leur en donner. À l’époque de 1763, il fallut compter avec les différents Etats qui avaient fourni des fourrages. Le roi chargea son ministre en Allemagne de notifier à tous les princes de ces Etats, qu’ils eussent à envoyer au mois de juillet prochain, à Mayence, les pièces qu’ils pourraient avoir au soutien de leurs prétentions, les prévenant que, ce temps passé, il n’en serait plus admis dans les bureaux établis à cet effet. Rien ne prouve que cela ait été exécuté ; mais en 1765, on dressa un état général de ces fournitures sans statuer ce qu’il appartiendrait, et on échangea contre des reconnaissances générales les différentes reconnaissances provisoires dont les Etats d’Allemagne étaient porteurs, et qui se montent en total à 34,577,000 livres. Depuis, ces objets furent présentés plusieurs fois au conseil, qui les rejeta ; et enfin un arrêt de 1785, ordonna qu’ils seraient écartés, et que les ministres n’en reparleraient plus. On excepta la ville de Liège, mais à condition qu’elle emploierait la somme qu’on lui remboursait à la construction et perfection de la route de Givet à Liège. Dans cet état, le 10 octobre 1790, la ville de Nuremberg vous a présenté une pétition, par laquelle elle réclame des sommes dues pour des objets de cette nature. Vous l’avez renvoyée aux comités diplomatique et de liquidation. Le directeur général de liquidation, en nous rendant compte de cette affaire, nous a fait lecture de l’article 3 du décret du 17 juillet 1790, ainsi conçu :