[7 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. se serait formée dans toutes les parties de l’île ; les mesures auraient été concertées avec adresse, communiquée avec précautions el exécutées avec promptitude. Le même jour, au même instant, au même signal, toutes les troupes eussent été ....... Mais je me tais ; je frémirais de m’arrêter sur une supposition si criminelle, et je croirais outrager ma patrie, si je pensais qu’elle eût pu concevoir l’idée d’une aussi exécrable conspiration. « Puisse-t-il s'effectuer maintenan t, ce vœu de tous nos concitoyens expatriés pour avoir courageusement défendu notre liberté 1 Puissions-nous les recevoir un jour au milieu de nous, y distinguer ce général (1) malheureux, victime d’une politique absurde, d’une basse jalousie; et dans l’ivresse de nos embrassements, leur apprendre, avec transport, qu’ils doivent leur rappel dans leur patrie à cet homme énergique et profond, dont l’éloquence mâle et vigoureuse a su déconcerter les projets de nos ennemis; qui, toujours actif, veille sans cesse pour la tranquillité, publique, la sûreté de ses collègues et le salut de la France! Alors, les vives émotions delà sensibilité se mêleront aux élans de l’admiration ; et la Corse, dans son bonheur, se glorifiera d’avoir donné le jour à ses ancêtres. « En réunissant la Corse à la nation française, vous lui avez imposé, Messeigneurs, la loi d’une éternelle fidélité. Attachée déjà, par inclination, au sort de cet empire par son amour et sa vénération pour son Roi, qu’il lui sera doux d’ajouter à des sentiments si précieux celui de la plus entière reconnaissance! Gouvernée par les mêmes lois, participant aux mêmes bienfaits, son zèle pur, son dévouement sans bornes, ne connaîtront plus désormais aucun sacrifice; et si, sous une administration désastreuse , elle a coûté des sommes immenses, ç’a été moins par ses besoins réels que par la manipulation infidèle des agents du ministère français ; mais, rappelée à une existence plus heureuse, elle n’oubliera jamais que c’est à un roi-citoyen qu’elle a dû les premiers moments de sa liberté ; que ce sont les représentants d’une nation généreuse qui l’ont entièrement dérobée aux attentats soutenus du despotisme et de l’aristocratie; et que ce décret in-(1) Le général Paoli. 11 est retiré à Londres, où il jouit d’un traitement honorable que lui fait le gouvernement. Les Anglais, plus justes que le ministère de France, loin de le regarder comme un chef de rebelles, n’ont vu au contraire qu’un homme courageux, qui a défendu la liberté de sa patrie contre une nation qui n’avait pas le droit de la vendre, et contre une nation qui n’avait pas celui de l’acheler. Témoin de la révolution qui s'opère, il s’empresse de féliciter l’Assemblée nationale sur le changement heureux qu’elle vient de consacrer. Voici comme il s’exprime dans une lettre adressée à un de ses amis, et rapportée dans le journal de la ville, n° 51. « Une révolution de cette importance est un spectacle si intéressant pour toutes les sociétés, qu’il serait à désirer que toutes les nations eussent pu y envoyer des députés, pour y apprendre les droits de l’homme, les devoirs de chaque ordre de citoyens, et les principes du gouvernement qui peut les rendre heuieux. » Puis, satisfait de voir s’avancer la lin des malheurs de noire nation, il s’écrie, dans la sensibilité de son âme : « Je pardonne, mon cher baron, aux Français toutes les injures qu’ils nous ont faites ; et je le fais d’autant plus volontiers, que ceux d’entre eux qui figurent à présent sur ce noble théâtre n’y ont pas eu de part. J’ai toute la confiance que leur justice les portera à nous consoler des torts qu’une aveugle politique nous fil, et que leur sagesse leur fera voir qu’au lieu d’être des sujets à charge à leur Trésor, nous leur serons plus utiles el plus sincèrement dévoués, par reconnaissance el par intérêt. » 413 violable, qui anéantit jusqu’au souvenir de vingt années de détresse et d’infortune, a été prononcé par un ministre respectable d’une religion sublime, tout à la fois l’idole et fa consolation des Corses. « Je suis, avec le plus profond respect, de Messeigneurs, « Le très-humble et très-obéissant serviteur, « Constantin!, négociant corse. « Paris, le 5 décembre 1789. » L’heure s’étant avancée pendant tous ces détails, on réclame vivement l’ordre du jour. Plusieurs membres demandent qu’on s’occupe immédiatement de l’affaire de Toulon annoncée dans le discours de M. le président. D'autres membres proposent d’ajourner cette affaire à l’ordre du jour de deux heures. M. le Président consulte l’Assemblée qui, après deux épreuves, décide que l’ordre du jour sera observé et qu’elle reprendra la suite de la discussion sur V organisation des municipalités. M. le Président rappelle que l’article B a été rejeté. M. Target, au nom du comité de Constitution, donne lecture de l’article suivant : Art. 7. « 11 sera dressé fous les ans, indépendamment de l’inscription civique à l’âge de 21 ans, dans chaque municipalité, un tableau des citoyens actifs, avec désignation des éligibles. Ce tableau ne comprendra que les citoyens qui réuniront les conditions prescrites, qui rapporteront l’acte de leur inscription civique, et qui, après l’âge de vingt-cinq ans, auront prêté publiquement à l’administration du district, entre les mains de celui qui présidera, le serment de maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume, d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi, et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui leur seront confiées. » M. Mufraisse-Duchey. Je demande que le serment soit prêté dans les municipalités et non dans les districts. M. ILong. Je propose, afin d’éviter les déplacements, de le faire prêter devant des commissaires. M. Mougins de Roquefort. Je demande la question préalable sur tous ces amendements. L’institution du serment doit être aussi solennelle que possible. Les amendements sont écartés par la question préalable, et l’article est ensuite adopté. M. Regnnud (de Saint-Jean-d'Angély). Le comité de constitution ne s’est point expliqué nettement sur la question de savoir s’il faut que la contribution nécessaire pour être éligible soit assise dans le ressort du département, ou s’il suffit qu’elle le soit dans un lieu quelconque du royaume. M. Déineunler. Par cela même que la restriction n’a pas été exprimée, il est entendu que le droit existe au sens le plus large et qu’il suffit 144 [Assemblée nationale.] de présenter une quittance d’un lieu quelconque du royaume. Cette explication reçoit l’assentiment de l’Assemblée. M. l’abbé de Montesquiou fait remarquer que demain est un jour de fête; il demande s’il y aura séance et à quelle heure elle se tiendra. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide qu’il y aura demain une seule séance, à dix heures du matin, et que, pour avancer les travaux, la séance qui devait avoir lieu Je soir sera transportée à aujourd’hui même. M. Target donne lecture de l’article suivant : « Art. 8. Tous lès citoyens qui auront rempli la condition de l’inscription civique et du serment patriotique, seront dispensés des autres conditions de l’éligibilité pour l’Assemblée nationale, si, dans le premier scrutin, ils réuuissent les trois quarts des suffrages des électeurs. » M. lianjuinais. Cet article doit être modifié ; je ne l’attaque pas comme contraire à vos précédents décrets; j’ai entendu faire ce raisonnement que la saine logique réprouve, et la logique est la loi des lois. Il est impossible, dans quelques circonstances que ce soit, de renoncer à la condition de domicile et de la majorité de vingtœinq ans ; c’est sous ce rapport que je modilierai l’article. Il faut, en restreignant l’étendue de la contribution du marc d’argent, adopter une exception juste à un décret' rigoureux, qui a attiré des réclamations et des reproches, à un décret qui exclut les cinq sixièmes des Français et les trois quarts des citoyens actifs. Je propose donc, en amendement, qu’on insère dans l'article cette disposition : « Seront dispensés de la condition d’éligibilité relative à la contribution directe, déclarée nécessaire pour être membre de l’Assemblée nationale. » M. le comte de Virleu pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’article. 11 établit son opinion sur les principes de la représentation. Le député élu par une ville de l’extrémité de la province devant, dit-il, arriver à l’Assemblée nationale et représenter la ville de Dunkerque, il faut établir des lois générales et sans exception, pour que les intérêts de tel ou tel canton ne soient pas compromis. La France est surtout agricole : elle doit donner aux propriétaires une grande influence : l’Angleterre, dont le commerce fait la principale richesse, a cru devoir n’admettre parmi ses représentants que des propriétaires. Toute autre disposition serait funeste à la nation et aux provinces, et seulement utile aux capitalistes, qui, conservant leur fortune en portefeuille, savent se soustraire au devoir de concourir aux charges communes. On les prive, dira-t-on, du droit le plus précieux; mais ils peuvent en jouir en devenant propriétaires. Les représentants de lanation doivent être attachés à la terre qui fait notre richesse; ils doivent être indépendants de leur existence, pour qu’ils le soient de leurs opinions; ils doivent donc être au-dessus du besoin, pour qu’ils soient au-dessus de la séduction. Les précédents décrets remplissent toutes ces vues. Il n’y a donc pas lieu à délibérer sur l’article qu’on vous présente. [7 décembre 1789.] M. le comte de Castellane. De tous les droits qui émanent des peuples, l’élection de leurs représentants est le seul droit dont ils puissent conserver l’usage. Il ne faut doue y apporter des modifications que pour régler, que pour épurer cet usage. La condition de réunir les trois quarts des suffrages doit faire disparaître les scrupules de ceux qui craiudraent les effets de cet article. L opinion publique paraît avoir déjà demandé une moitication à l’un de vos décrets; il faut écouter sa voix; il faut être juste; ii est donc indispensable d’adopter l’article. , M. Malès présente des considérations tirées des exemples offerts par l’antiquité et par quelques peuples modernes. H rejette l’article. M. Ménard de là ttroye. Messieurs, il serait à désirer que nulle distinction humiliante ne subsistât entre les citoyens; que tous, enfants de la patrie, ils eusseni également droit à ia servir, et que la pauvreté surtout ne devînt à l’égard de personne un signe de réprobation. Aristide ôtait pauvre et s’eu glorifiait. Le Trésor public fut obligé do doter ses filles et de pourvoir aux frais de ses funérailles. Pour être citoyen actif, pour mériter de s’asseoir parmi les législateurs d’un empire, que faut il si ce n’est de grands talents et de grandes vertus? Après cet exorde, l’orateur arrive à l’article du comité. Il regarde l’exception proposée comme nécessaire pour maintenir la liberté politique et ne pas diviser les Français en deux classes, à l’une desquelles appartiendraient exclusivement les fonctions législatives. Il termine en disant: L’exception proposée ne peut ni favoriser l’intrigue, ni ouvrir la porte à la corruption. Comment corrompre à la fois les trois quarts des électeurs? Gomment intriguer quand b s voix se forment au scrutin ? Il sera aussi utile que beau de voir la vertu recherchée dans l’obscurité, et les talents plus appréciés que les richesses ; et si l’on jouit une fois seulement dans chaque siècle du spectacle d’un homme obscur élevé par son seul mérite au titre de représentant de la nation, c’en sera assez pour consoler ceux de sa classe et pour les empêcher de se croire honteusement exclus du plus beau des titres. M. le marquis de Foiicault-Tardinalie. Vous ne devez pas espérerqu’on développe de nouvelles idées sur un article qu’on vous a déjà présenté septfois, et quesept fois vous avez rejeté; vous auriez puépargner un temps que vous reconnaissez pour être précieux. Je suis encore obligé de vous parler ici de mon malheureux cahier : il exprime qu'on doit chercher à envoyer des députés qui puissent répondre de la dette de l’Etat, et qui, par conséquent, possèdent des richesses ostensibles et saisissables. M. Rœderer. Il me semble qu’une très-grande partie des appréhensions qui se sont élevées disparaîtraient si elles étaient soumises à l’analyse. Je crois que, dans une assemblée d’hommes, on ne devrait pas concevoir tant de craintes et de défiances contre des hommes. D'abord il y a erreur de fait dans les reproches par lesquels on attaque l’article du comité. On suppose qu’il établit qu’avec les deux tiers des voix lin jeune homme de 21 ans peut être élu : un seul coup d’œil sur l’article précédent me dispense de m’occuper davantage de cette erreur. Et quand cet article aurait le sens qu’on lui attribue , quand il s’agirait d’agiter la question de ARCHIVES PARLEMENTAIRES.