438 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] lide et durable de liberté publique que lorsque, les véritables intéressés à la conservation de la propriété, par conséquent, ceux qui en ont, seront seuls appelés à nommer ceux qui feront les lois. Que lorsque ces lois faites seront obligatoires pour tous, jusqu’à ce qu’elles soient réformées par d’autres représentants; que lorsque ce corps de législateurs n’aura aucun pouvoir exécutif, mais seulement celui de surveiller ceux auxquels l’exécution aura été donnée dans sa plénitude, par conséquent de les citer en jugement; que lorsque ceux qui préparent les moyens d’exécution seront circonscrits dans une mesure telle que le cinquième de leur nombre suffise à l’exécution de radministration qui leur est confiée; ce cinquième doit être comptable à ceux qui les choisissent, ces derniers aux représentants de la nation entière; un tel ordre de choses ne pourrait exister s’ils étaient toujours réunis. Ce n’est que de cette surveillance toujours égale, toujours proportionnée et balancée de manière que les surveillés ne puissent opposer aux surveillants une force irrésistible, que peut naître une véritable liberté. Os réflexions m’ont paru superflues à faire à l’Assemblée, dans l’instant de la discussion, puisqu’on effet elle paraissait décidée à adopter un parti qui conduisait à l’établissement d’un tel ordre de choses. Je n’aurai jamais qu’un désir, celui d’accélérer la marche de ses sages délibérations. Les lois qui en émaneront sont si nécessaires au royaume, que tout autre principe serait criminel. Je n’ai fait que demander deux amendements, l’un, que la loi fût généralisée, qu’aucune province n’y fût nommée ; l’autre, que les assemblées qui pouvaient nuire au pouvoir administratif confié aux municipalités, fussent proscrites, de même pour celles des provinces. Y SUITE DU COMPTE RENDU Par .11. DE ClfSTISJE A SES COMMETTANTS De ses opinions dans les délibérations de l'Assemblée nationale , Du 27 octobre 1789 jusqu’au 9 janvier 1790. Les séances du 27 et du 28 ont été employées à la continuation de la discussion des qualités nécessaires pour être électeur et éligible. Un opinant ayant proposé que les banqueroutiers, les faillis et les hommes insolvables fussent rayés de la liste des citoyens ; que même les fils de faillis et hommes morts insolvables ne fussent pas réputés citoyens, s’ils n’acquittaient la portion de la créance de leur père, égale à celle du bien qu’ils en auraient reçu s’ils étaient morts ab intestat ; ces deux articles obt été décrétés avec quelques amendements. Si l’article de cette loi qui porte sur les enfants paraît rigoureux, il ne peut être injuste; car enfin, les lois doivent avoir pour objet de resserrer les liens des familles, de rendre les hommes vertueux, d’empêcher les moyens frauduleux qui peuvent être employés pour éluder les engagements que les hommes contractent envers la société; enfin, elles doivent tendre à rendre la vertu nécessaire et à faire fleurir le commerce qui vivifie les grands Empires : aucune loi ne peut être plus propre à remplir ces objets que celle qu’a décrétée l’Assemblée ; je parle du second article de cette loi. L’Assemblée nationale a décrété aussi que nul ne pourrait se faire représenter par procuration dans les assemblées ; rien n’est sans doute plus juste que ce décret, pour ce qui porte sur les assemblées de district et de canton, puisqu’il obvie à ce que des procurations données, qui ne fournissent que les moyens de réunir, sur une seule tête, des suffrages qui peuvent n’être pas mérités, ne conduisent qu’à des nominations qui ne seraient pas le résultat du vœu général. J’aurais cependant voulu une exception à cette règle dans les assemblées primaires seulement, et accordée uniquement à des hommes qu’un service public empêcherait de se trouver à l’assemblée de leur municipalité, puisque enfin, dans ces assemblées, il se traitera souvent des affaires où l’intérêt de ceux qui ne seront pas représentés pourra être compromis, et qu’être utile au service public, ne peut être une raison pour éprouver lésion dans ses intérêts. En restreignant cette faculté de se faire représenter aux [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f Annexes.] 439 assemblées primaires ou de municipalités, je pense encore aujourd’hui qu’il n’y aurait pas eu le plus léger inconvénient, et que cette disposition aurait prouvé un plus grand respect pour la propriété. J’aurais désiré voir suivre une règle de proportion, inverse de celle qui a été adoptée, pour régler la quotité d’impositions, exigée pour être électeur ou éligible ; en effet, pour être électeur, être admis dans les assemblées primaires, où peuvent se traiter, où doivent même se décider habituellement des affaires qui intéressent la propriété, il me semble qu’il faut être propriétaire, et, par conséquent, payer une contribution assez forte pour ne laisser "aucun doute à cet égard ; j’aurais désiré que le taux en fût fixé à la valeur d’un demi-marc d’argent. Pour être éligible, il en est autrement : il suffit de réunir des suffrages qui prouvent la confiance qu’inspirent les qualités, les talents et les vertus de l’élu. Vainement on allègue que la liberté et l’honneur sont les plus chères des propriétés ; qu’elles appartiennent à tous les hommes ; que tous doivent, par conséquent, concourir à la formation des lois qui les protègent. La réponse à cette opinion, qui n’est que spécieuse dans la réalité et sophistique, est, ce me semble, bien facile ; ce genre de propriété est le même pour tous ; les mêmes lois la gouvernent pour tous. D’après cette unité, je demande si celui qui unit à cette propriété une propriété territoriale, à moins d’intérêt à faire de sages lois pour protéger sa liberté, son honneur, que l’homme qui n’a ni feu ni lieu ; et si ce dernier individu ne doit pas être tranquille sur la sagesse des lois qui protégeront la propriété commune à tous, de la liberté et de l’honneur. D’après ces réflexions, qui se présentent assez naturellement à l’imagination, on juge facilement du peu de solidité du raisonnement de ces hommes que le désir de paraître populaires porte presque toujours à des opinions exagérées, qui peuvent même paraître fausses à celui qui les pèse avec un sens juste, un esprit sain, un cœur droit. Dans la séance du 29, la réclamation faite en faveur des aînés de famille des pays de droit écrit a donné occasion de retracer à l’Assemblée les inconvénients et les dangers de ses précédents décrets relatifs à l’éligibilité; mais, comme ces observations n’ont été entendues qu’à la fin de la séance, que la discussion devait ramener celle des précédents arrêtés pris par l’Assemblée, ayant obtenu la parole sur cet objet, j’en ai demandé l’ajournement et la parole, pour développer mon opinion à cet égard. Là s’est terminée la séance. Celles du 30 et du 31 ont été employées à la discussion qui devait conduire à décréter si les biens du clergé étaient une propriété nationale : cette discussion a été soutenue d’une part avec une grande éloquence, les raisonnements les plus métaphysiques, les plus approfondis, tendant à prouver qu’un corps ne pouvait être propriétaire; il a été répondu à ces discussions avec une force de moyens, de titres et de raisonnements supérieurs, à mon avis, et qui ont décidé mon opinion. J’avouerai que la profondeur de la discussion de M. Thouret aurait pu diriger mon opinion vers la persuasion qu’un corps ne devait pas être, en effet, un véritable propriétaire ; que, par conséquent, sa propriété devait être surveillée par la nation ; cette dernière conclusion est, pour moi, devenue un principe. Mais il ne m’avait jamais démontré que les biens du clergé fussent une propriété nationale, et mon respect pour toute propriété est tel, que je crois criminel de donner atteinte aux principes qui assurent celles de tous. Gette opinion, relative aux biens du clergé, a acquis pour moi une force nouvelle, surtout après avoir entendu l’abbé de Montesquiou, agent du dergé, qui a défendu sa cause avec une énergie appuyée de toute la force de la raison et toute la justesse du raisonnement. A mon avis, il n’a manqué à ce qu'il a énoncé, que de s’être résumé et d’avoir conclu. Quant à moi, Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous faire connaître mon opinion sur cette dernière motion, que j’ai fait joindre à mon quatrième compte rendu, dans lequel se trouve aussi insérée la discussion du fond de la motion de M. l’évêque d’Autun, et mon opinion à cet égard, que je compte faire entendre dans l’Assemblée nationale. Dans la séance du 2 novembre s’est reprise la discussion qu’avait fait élever le principe à consacrer, de savoir si la propriété des biens du clergé était ou non à la nation : les réclamations des provinces s’étalent fait entendre; et la question ainsi posée, les biens du clergé appartiennent-ils à la nation? eût été certainement décidée pour le non ; plusieurs amendements avaient été lus; celui qui termine mon opinion imprimée sur la question qui s’agitait était de ce nombre, et vous pouvez y voir que ma persuasion était, en effet, que la nation avait la direction de ces biens, que cette direction ne pouvait être confiée par elle qu’aux administrations provinciales : si je ne l’avais pas énoncée, c’est qu’en effet, il n’était question que d’asseoir un principe. Le promoteur de la motion, qui avait souvent fait entendre cette énonciation, qu’en effet il n’était question que d’asseoir un principe, a abandonné cette idée pour développer ce principe d’une manière moins articulée, en y annonçant des modifications, en traçant les dispositions nécessaires à observer pour son application ; idée qu’il a puisée dans les motions et les amendements qui avaient été lus. Il a senti qu’il existait dans l’Assemblée nombre d’opinants persuadés de l’abus fait des biens du clergé, qui opineraient pour un moyen qui permettrait� la disposition de ces biens, dirigée vers leurs véritables destinations, l’entretien du culte, le soulagement des pauvres; et qu’attendant pour cette disposition les instructions des provinces, leur confiant l’administration de ces bieûs, il ramènerait l’opinion d’un grand nombre des membres de l’Assemblée, quoique la déclaration semble donner une assez grande latitude au pouvoir de la nation sur ces biens, pour un jour en décréter la vente. Il n’a conservé de sa motion, que cette possibilité, de ramener d’une manière indirecte la vente des biens du clergé. Les représentants de la nation peuvent dire nn jour : pourvoyant à toutes les dépenses du culte, au soulagement des pauvres, nous pouvons, en satisfaisant à ces dépenses, vendre les biens du clergé. Mais ce serait donner une grande étendue à la faculté de disposer, que j’espère toujours voir restreindre par les provinces à celle d’appliquer l’emploi de ces biens à leurs véritables destinations; et d’ailleurs, dans tous les cas, les instructions des provinces étant nécessaires, cette condition exigée par la loi même, laissera le temps aux véritables destinations; et d’ailleurs, dans tous les cas, les instructions des provinces étant nécessaires, cette condition exigée par la loi même, laissera le temps aux véritables principes, aux idées justes sur cette matière de se développer ; les 440 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. provinces se persuaderont qu’il est de leur intérêt réel de ne jamais donner atteinte à aucune propriété, que par conséquent les biens ecclésiastiques, qui réellement ne sont qu’un usufruit, doivent cependant être conservés pour être appliqués à l’emploi qui leur est destiné ; que cet emploi étant de payer les ministres du culte divin de toutes les classes de la hiérarchie ecclésiastique, doivent d’abord être appliqués à cet usage, ensuite à la bâtisse des églises et des maisons des ecclésiastiques, ensuite à pourvoir à la fondation des bourses des collèges, couvents et séminaires, ainsi qu’à l’entretien des maîtres et directeurs de ces établissements et à leurs bâtiments. Qu’ils doivent être employés de même à la dotation et à l’entretien de tous les hôpitaux, même des hôpitaux militaires de terre et de mer ; qu’en-fin ils doivent servir au soulagement des pauvres ; que ce n’est que de ceux de ces biens qui n’auraient pas ces divers emplois (et qui alors ne seraient plus une propriété), que l’on pourrait disposer : en effet, tant que ces objets ne sont point remplis avec les revenus de ces biens, l’on ne peut les détourner de l’objet auquel ils sont destinés, ni soustraire les fonds, qui sont le cautionnement de l’emploi qui en doit être fait. Le clergé aurait pu demander, sans doute, un amendement à cette motion; et cet amendement aurait dû être de substituer au mot disposition, celui direction; une réflexion m’a empêché d’en faire la proposition; que la substitution de ce mot assurant trop l’état du clergé, aurait pu un jour séparer son intérêt, de celui des propriétaires, et qu’au contraire l’énonciation de cet article, ainsi qu’il est prononcé, lie fortement son intérêt à celui de la propriété, car aujourd’hui, il n’a plus de moyens de conserver la jouissance de ses biens que par cette union intime. Sur la discussion élevée à raison des fils de famille... Dans la séance du 3 s’est reprise la discussion qui s’était élevée à raison des fils de famille et qui avait été ajournée : j’avais [iris l’occasion de cette discussion pour faire connaître à l’Assemblée quelques changements qu’il eût été nécessaire de faire dans les qualités des électeurs, pour constater qu’ils étaient réellement propriétaires : ce que je prononçais à cet égard était énoncé en ces termes : Messieurs, Les observations auxquelles a donné naissance la réclamation faite en faveur des fils de famille, méritent de la part de l’Assemblée nationale, une attention réfléchie; il me semble qu’elle doit plutôt s’occuper, au moins jusqu’à la sanction donnée à ses décrets, de leur imprimer le caractère de sagesse dont ils doivent être empreints, que de s’arrêter à cette idée vague; le décret est porté ; l'on ne peut en changer les dispositions ; car, ce décret n’ayant force de loi qu’après la sanction, jusqu’à cette époque il est toujours temps de faire des réfléxions sages, et de céder à celles qui porteraient ce caractère. Il me semble en effet, Messieurs, que la seule qualité nécessaire pour fixer le choix des électeurs chargés de designer des hommes qui doivent coopérer à faire les lois, qui doivent régler et assurer la liberté, la propriété, la tranquillité de tous les citoyens, est de mériter la confiance des véritables intéressés; ces intéressés, quels sont-ils? Les propriétaires. Il en est autrement de la composition de ceux qui doivent faire choix des administrateurs, ainsi que des législateurs; ce choix ne doit être fait que par des hommes qui ont intérêt sensible à la conservation de la propriété, qui, par conséquent, en ont une assez décidée, non seulement pour être assuré qu’ils ont cet intérêt, mais encore que cette propriété soit assez forte, pour les mettre au-dessus du besoin, qui malheureusement donne des armes trop puissantes à l’aristocratie de la richesse, et par conséquent à la corruption. Que conclure de ces deux principes dont conviendra, ou je me trompe fort, tout homme qui ne voudra pas renoncer à faire usage de son jugement? que pour être électeur, il est nécessaire d’avoir une propriété, une immeuble réel qui paye une imposition fixée parla loi; car, c’est là la quantité nécessaire pour avoir un intérêt direct à l’administration de la chose publique, à la sagesse des lois qui doivent régler cette administration, et par conséquent a la bonté du choix de ceux qui doivent participer à l’un et à l’autre. Deux raisons politiques viennent à l’appui du raisonnement formé pour n’admettre pour électeur, non seulement aucun autre qu’un homme qui soit propriétaire d’immeubles, telle que terre ou maisons; mais même de n’admettre que celui qui, en raison de ses possessions, paye dans l’Etat une certaine quotité d’impositions. 1° Ce moyen est le plus sûr pour faire augmenter la valeur de ces immeubles, et il est essentiel de leur en donner une qui les fasse préférer aux capitaux, parce qu’en effet l’homme qui n’est que capitaliste, ne peut être regardé que comme un cosmopolite, qui n’a de patrie que celle où il fait valoir les fonds avec plus d’avantage, et que tout peut le décider d’un moment à l’autre à en changer. 2° Ce moyen est le plus assuré pour déterminer à ne pas cacher sa possession, dans la vue d’éviter le payement de l’impôt, et à donner au contraire le désir efficace d’en payer assez pour prendre part à l’élection des administrateurs de la chose publique. Yainemenl la philosophie moderne réclamerait-elle le droit de faire ce choix, pour celui qui n’a d’autres propriétés que celles si précieuses de l’honneur, de la liberté et de la vie : je demande aux défenseurs de ce système, s’ils croient que le propriétaire réel de fonds de terre et de maisons, a moins d’intérêt que l’homme sans propriété foncière, à la conservation de son honneur, de sa liberté et de sa vie, et si lorsque les mêmes lois doivent régir cette propriété pour tous les hommes, sans distinction de classes, de richesses, de places, de rangs même qu’il est le plus nécessaire de démarquer dans l’ordre social, pour y établir cette règle, l’âme de toute société; je demande, si dans un tel ordre de choses, il peut rester une crainte, un prétexte à réclamation, pour la liberté de l’homme qui n’a point de propriété. Cet homme n’est point exclu de remplir des places, de fixer le choix de ses concitoyens, mais il n’est point appelé à coopérer à ce choix, parce qu’en effet rien ne garantit à la société que son intérêt est réellement de faire ce choix le meilleur possible, que, par conséquent, cette société peut craindre qu’il ne mette point à cette mission l’attention, le désir que doit avoir le véritable intéressé à la bonne [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes .] 441 administration de la propriété; qu’elle peut craindre, au contraire, que ce défaut d’intérêt ne le rende plus accessible à la séduction. Cette disposition est la seule qui puisse garantir de l’aristocratie de la richesse, dont rien ne vous soustraira, si vous lui laissez le moyen de pouvoir exercer son empire sur les électeurs; ce qui sera nécessairement si ces électeurs ne sont pas au-dessus des premiers besoins et n’ont pas un grand intérêt à la conservation de la propriété. Je crois ces vérités incontestables; elles sont telles à mes yeux. Une dernière raison doit vous décider, Mes-sieur, à apporter à vos précédents décrets les changements que je vous proposerai, après en avoir développé la nécessité ; et cette raison est que vos décrets doivent être conformes aux droits des hommes, que vous avez vous-mêmes établis devoir être, dans tous les temps, les bases de la législation de cet Empire ; ces droits n’énoncent pas, que, pour occuper une place dans l’ordre social, il faudra avoir une propriété, mais ils articulent clairement qu’il suffit d’avoir le mérite nécessaire pour la remplir. Que doit-on conclure, Messieurs? Que vos précédents décrets étant sur ce point contraires aux véritables intérêts de la société, dont vous êtes appelés à faire les lois, non seulement vous pouvez, mais même vous devez abroger ces décrets. Qu’il me soit permis d’ajouter une réflexion qui porte sur les décrets qui fixent toutes les qualités exigées pour être électeur, même dans les assemblées primaires : vous avez arrêté, Messieurs, que, pour être électeur dans ces assemblées, il faudrait payer différentes sommes d’impositions, selon la gradation des assemblées. Quel sera le résultat de cette disposition? Que toute assemblée primaire qui voudra avoir des représentants tirés de son sein, soit dans les charges de judicature, soit dans l’Assemblée nationale, ne se choisira jamais d’électeurs que dans la classe de ceux qui, par la contribution qu’ils payeront, pourront être élus pour les Assemblées nationales, que dès lors le nombre des élus sera circonscrit dans un cercle très étroit. Je me résume. Il résulte de ces observations que, même pour étendre le plus possible le cercle dans lequel seront choisis les électeurs, il est nécessaire que pour toutes les assemblées ces électeurs payent la même quotité d’impositions; Qu’il est nécessaire de même, pour s’assurer de l’attention que ces électeurs mettront dans leurs choix, pour donner une valeur réelle à la propriété foncière, pour soustraire ces électeurs a la dépense de l’aristocratie de la richesse, que l’imposition qu’ils devront payer soit assez forte pour caractériser une propriété réelle, et par conséquent soit au moins de la valeur d’un demi-marc d’argent. Ges dispositions, conformes aux principes d’un gouvernement sage, sont liées au respect dû à la propriété et à l’intérêt des citoyens. Enfin, pour étendre davantage la classe des hommes sur lesquels le choix des électeurs peut porter, pour satisfaire aux droits de l’homme, qui assureut à tout citoyen capable d’une fonction publique, le droit de la pouvoir exercer, je demande que les talents qui fixeraient le choix des électeurs soient la seule qualité requise pour être élu. J'ai l’honneur de vous faire en conséquence, Messieurs, la proposition suivante : Déplacer à rarticle des qualités nécessaires aux électeurs, au lieu de : « Quatrièmement, de payer une contribution directe delà valeur de 3 jours de travail, » y substituer : « Quatrièmement, d’être propriétaire d’immeubles, et de payer, à raison de cette propriété, des impositions directes pour la valeur d’un demi-marc d’argent; » et que cet article désigne également les qualités nécessaires pour être électeur et éligible aux assemblées de communes et de départements; et qu’au lieu du payement de l’imposition égale à la valeur d’un marc d’argent, stipulé nécessaire pour être éligible à l’Assemblée nationale, il y soit substitué que la seule qualité nécessaire à cette éligibilité doit être le mérite, et de réunir les suffrages des électeurs. Au milieu de cette discussion, un membre du comité de Constitution interrompit mon opinion, en énonçant que la proposition que je faisais à l’Assemblée était contraire à ses précédents arrêtés, ce que je savais tout aussi bien que lui; mais l’Assemblée ayant consenti à entendre la discussion qui pouvait la mener à revenir sur ces décrets, en faveur des fils de famille, j’avais pensé, et je pense encore, que, pour que ce retour fût sagement prononcé, il était absolument nécessaire d’apporter un changement aux qualités exigées pour devenir électeur dans les assemblées primaires. L’Assemblée ayant désiré que la discussion sur cet objet fût fermée, elle a voulu prononcer, et en effet a décrété la confirmation de ses précédents arrêtés. Sur la division du royaume. Après ce décret s’est élevée la discussion relative à la division du royaume, soutenue par un des membres du comité avec le développement des motifs que j’ai énoncés dans mon troisième compte rendu. Un membre de l’Assemblée a fait connaître uq autre plan de division, en cent vingt administrations, qui, laissant les provinces dans leurs anciennes limites, ne réunirait que quelques parties enclavées, qui naturellement doivent appartenir à celles qui les renferment; au moyen de cette division , n’admettant plus que des assemblées municipales, il supprime celles des districts. Il ne sera possible de juger si la préférence doit être accordée à ce pian que lorsque imprimé, on pourra y réfléchir, et qu’appuyé d’une carte, on jugera de l’étendue des districts; car dans les parties du royaume où les biens communaux sont de quelque valeur les districts ne peuvent avoir une grande étendue. La partie des forêts des communautés doit surtout être surveillée, ce que peuvent faire seuls les administrations et bureaux intermédiaires de districts ou de communes ; leurs limites ne peuvent être à plus de dix lieues du point central de l’arrondissement, pour pouvoir être surveillées par l’administration; sans cela d’immenses abus pourraient naître. La confection des routes dans les pays un peu voyés exige la même surveillance locale, et tous doivent le devenir, avec l’ordre de choses qui va s’établir : d’ailleurs, un des plus grands vices de cotte nouvelle administration serait que le collecteur, pour porter les deniers de la collecte au lieu de la recette, aurait plusieurs jours de marche à faire , et qu’il faut au contraire qu’il puisse , 442 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] dans un seul jour, du point le plus éloigné de l’arrondissement, se rendre au lieu de la recette, pour y verser ses deniers dans la caisse, afin d’éviter le prétexte des vols qui pourraient se faire de ces deniers, et encore les frais qu’occasionneraient les déplacements de plusieurs jours. Si, dans le royaume, l’on multipliait assez les administrations indépendantes pour remédier à ces inconvénients, il en résulterait que ces petites divisions, trop multipliées, ne pouvant être surveillées, pourraient avoir une administration extrêmement oppressée. Ces réflexions me décident à adopter de préférence le plan du comité de Constitution, dont la division effectuée ne présente aucun des inconvénients que l’idée des carrés avait offerts à l’opinant qui avait objecté des raisonnements présentés avec tant d’éloquence ; les difficultés qu’il s’était faites à lui-même n’avaient d’objet réel que celui de déployer ce génie qui lui adonné tant de succès dans cette Assemblée. En réduisant les choses à leur simple exposé et à la division réelle résultant du plan du comité, l’on n’y trouve aucun carré occupé par des landes, et sacs habitants pour y former la représentation ; l’on trouve au contraire ces divisions circonscrites de manière que les pays habités, se partageant ces déserts, parviendront plus facilement à les cultiver, à les vivifier. Dans le nombre des réflexions présentées contre le plan du comité, deux, selon moi, sont cependant fondées : la première, que les différentes cascades que devraient éprouver les élections rendraient la représentation trop indirecte; que d’ailleurs la convocation ne serait pas constatée d’une manière assez légale. Je désirerais que l’élection de la représentation à l’Assemblée nationale fût faite dans une forme différente de celle observée pour les assemblées administratives, et en conséquence que les lettres de convocation en fussent adressées, non à l’assemblée du département, mais à la cour de justice du département, qui, chargée de faire assigner les différentes communautés, prononcerait défaut contre celles dont les électeurs ne se rendraient point au jour marqué pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Je voudrais aussi que les assemblées des différentes communes ne pussent jamais être de moins de cent et de plus de six cents pour nommer les électeurs qui se rendraient à la cour de justice du département ; qu’arrivés à cette cour de justice ils y nommassent les élus à l’Assemblée nationale. Le nombre de ces électeurs donnerait moins d’accès à l’intrigue; il deviendrait presque impossible d’acheter des suffrages, et cette forme de convocation ôterait aux assemblées de département une influence dans la nomination des députés, qu’il pourrait devenir dangereux de leur laisser prendre; car, enfin, un département mal administré, ne peut avoir qu’un seul moyen de réclamer contre une administration oppressive, de la mettre en évidence, et de faire parvenir ses réclamations à l’Assemblée nationale par ses députés : comment compter sur cette réclamation, lorsque ceux contre lesquels elle devra se diriger auront influé ou pu influer sur le choix de ses députés? La dernière observation, enfin, porte sur la faculté ôtée aux départements d’élire deux fois le même député à l’Assemblée nationale : leur ôter cette faculté est sans doute gêner la liberté des suffrages, sans que cette gêne assure une plus grande liberté à la nation. Cette disposition pourrait être de quelque utilité en réduisant le nombre des électeurs à 81, parce qu’en effet un homme opulent pourrait parvenir à capter les suffrages d’un petit nombre d’électeurs ; mais, lorsque ces électeurs seront aussi nombreux qu’ils le deviendront en réunissant tous ceux des différentes assemblées primaires, pour nommer directement les députés à l’Assemblée nationale, que ce nombre sera réglé à raison d’un électeur par 100 votants, cet inconvénient ne serait plus à redouter; et priver un canton de la faculté de réélire celui qui, par ses vertus, ses talents, se serait rendu digne de ce choix, serait mettre des entraves à la liberté, au lieu de former une disposition qui pût tendre à l’accroître. D’après ces réflexions, Messieurs, je vais résumer mes observations. J’adopte le plan du comité qui partage le royaume en 80 administrations subdivisées en districts et communes, partagés ainsi qu’ils l’ont réellement été, selon les convenances des provinces, la population et l’intérêt réel du royaume, Je demande que les différentes communautés qui composeront les districts aient chacune leur assemblée d’élection si elles peuvent réunir cent électeurs, mais que toutes les communautés au-dessous de ce nombre soient tenues de se réunir à la communauté la plus voisine pour se former une assemblée composée de cent électeurs ; que, jusqu’à 150 électeurs, deux communautés réunies n’aient qu’un seul représentant à l’assemblée de district; qu’à 151, elles en aient2; que tous ces électeurs se réunissent au jour assigné par le chef de justice à l’assemblée de la cour de justice du département, pour y nommer son représentant à l’Assemblée nationale. Cette représentation plus directe serait le seul moyen d’en donner une réelle, à laquelle l’intrigue pourrait difficilement participer ; car chaque département n’ayant que peu de députés à l’Assemblée nationale voudrait se les choisir capables de le bien représenter. La séance du 6 s’ouvrit par une motion faite par le comte de Mirabeau ; elle renfermait trois différents objets : le premier, relatif aux subsistances, le second à la caisse nationale, et le troisième, enfin, à l’admission des ministres dans l’Assemblée, avec voix consultative, en les invitant à s’y rendre. Ayant demandé la parole pour répondre à une partie de la motion, j’ai développé mon opinion de la manière suivante (1) : La proposition relative aux subsistances était un prétendu moyen donné par l’opinant pour se procurer des farines d’une manière économique et sans sortir de fonds du royaume, en tirant ces farine� des Etats-Unis de l’Amérique; l’opinant, attribuait en partie la rareté du numéraire qui se fait sentir dans ce moment au transport qui s’en faisait pour tirer des grains de l’étranger, articulant avoir connaissance de grandes sommes embarquées dans différents ports pour s’en procurer. Il énonçait, pour appuyer cette opinion, que les Etats-Unis, manquant de numéraire, n’avaient pu s’acquitter envers la France ni du principal ni des intérêts d’un emprunt fait pendant la dernière guerre en Hollande, pour le compte des Etats-Unis ; que la France, ayant, par cette raison, été forcée d’en payer les intérêts, ne trouverait jamais un moment plus favorable de donner un moyen à l’Amérique de s'acquitter envers elle; que ces Etats, ayant des grains en abon-(1) Je placerai mon développement après chaque partie de ma motion, pour plus grande clarté. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 413 dance, s’empresseraient de venir au secours de leurs fidèles alliés, et de s’acquitter en grains de ce qu’il ne pouvaient payer en numéraire. Il était facile, pour quiconque connaissait l’Amérique, de démontrer que ces raisonnements ne pouvaient être que spécieux, qu’ils ne pouvaient même avoir ce caractère que pour celui qui ne réfléchissait pas que les Etats-Unis d’Amérique, placés le long de l’Océan, sur un développement de 800 lieues d’étendue dans la direction du nord au sud, ne pouvaient pas tous être également propres à produire du blé; que la créance de ces Etats ne pouvait être acquittée que par les Etats collectivement pris, puisqu’elle avait été ainsi contractée à l’égard de la Hollande, et qu’il ne pourrait être juste ni raisonnable de demander le payement ou les avances de ce payement aux provinces les moins riches de l’Amérique, celles qui se livrent à la culture des blés. Aussi, à cette partie de la motion, ai-je répondu : Que 3 provinces d’Amérique seulement produisent des blés pour en faire le commerce (1); que ces provinces, si l’on en excepte la Pensylvanie, étant les moins riches des Etats-Unis, n’ayant au plus à supporter qu’un quart de la dette des Etats-Unis, il serait probablement difficile de les décider à acquitter la créance des autres Etats; que d’ailleurs cette créance était contractée par l’Etat de chaque province, n’importe quel soit le genre de sa culture; que la denrée que l’on désirait en acquittement de la créance des Etats-Unis envers la France n’appartenait point à l’Etat, mais à quelques individus dans l’Etat (2). On peut conclure d’une semblable disposition, assise sur des raisonnements si peu réfléchis, qu’en effet ce qu’il pourrait en résulter de moins fâcheux, si elle était faite, serait que, connue de l’Europe, elle lui donnerait une médiocre idée des connaissances géographiques et politiques des membres de l’Assemblée qui l’avaient proposée, et de ceux qui l’auraient appuyée; mais un résultat sinistre pourraient en être la suite; ce résultat serait : que le commerce, toujours circonspect dans ses spéculations, lorsqu’en effet il envisage une possibilité de les voir contrarier, possibilité qu’il redoutera toujours lorsque le gouvernement, en manière quelconque, se mêlera du commerce des grains, pourrait cesser dès cet instant toutes spéculations (3), qui cependant, dans ce moment, (1) Ces 3 provinces sont, le Connecticut le nouveau Jersey et celle de Pensylvanie. (2) Je n’ai vu encore dans aucun papier public qu’il y ait eu aucune déclaration faite par le Congrès, qui donne aucune propriété aux Etats de différentes provinces, ni même au Congrès, qui en est le pouvoir fédératif. (3) Pour se faire une idée du peu de justesse d’une disposition semblable, il ne faut que réfléchir à l’effet qu’out produit les efforts d’une surveillance surnaturelle de la part du ministre des finances, lorsque plus de 30 millions ont été prodigués pour les effectuer; leur résultat a été d’extraire des grains des pays étrangers pour nourrir le royaume moins de 3 jours. Quoi ! les erreurs passées ne serviront-elles jamais à en prévenir du même genre pour l’avenir? Quel moyen donc y substituer? Celui de rendre libre la circulation des grains. A Reims, ils sont à vil prix, lorsque l’on en sent la pénurie à Paris. Avec cette liberté de circulation, le blé, comme l’eau, prendra son niveau; les soins de l’administrateur doivent donc se borner à demander le résultat des moissons dans chaque province, à le faire imprimer et afficher dans les places do commerce maritime seulement, et, lorsque la pénurie est à craindre, faire connaître cet état d’anxiété aux administrations des provinces, afin qu’elles fassent surveiller pour empêcher l’exportation. ont lieu de l’aveu même de l’opinant, puisqu’il affirme être sûr de sommes embarquées sur des vaisseaux pour aller se livrer au commerce des grains. Le mal de l’extraction du numéraire est préférable à celui de la famine; il vaut mieux se soumettre à l’impérieuse nécessité du moment, et laisser un libre cours aux spéculations qui peuvent procurer l’abondance. Je concluais à demander qu’il ne fût point délibéré sur cette partie de la motion : l’ajournement en a été demandé; il a été fixé au vendredi de la semaine suivanie, époque à laquelle je ferai mes efforts pour demander que la motion ne soit point admise. A suivi le développement de la nécessité de former une caisse vraiment nationale, à une époque où l’opinant a énoncé qu’aucun moyen palliatif ne pouvait plus faire illusion; que" la franchise seule, le développement des vérités et des moyens fondés sur ces principes pouvaient être employés avec succès dans un siècle de lumières. 11 a fait ensuite le tableau effrayant de l’état de détresse dans lequel se trouvent la plupart des villes de commerce les plus riches du royaume ; il a attribué cet état de détresse, en grande partie, à la suspension des payements à la Caisse d’escompte, dont le contre-coup se fait ressentir par le discrédit dans lequel sont tombées les traites sur Paris, augmenté encore par la vente, faite par l’étranger, des effets publics qui étaient en leur possession, vendus à vil prix, pour sortir leurs fonds du royaume. Il concluait au décret de l’établissement d’une Caisse nationale, pour laquelle la division des fonds nécessaires à l’acquittement de la créance publique, leur indépendance de la puissance exécutrice, donnaient de grandes facilités. Mon opinion a été sur ce point trop développée pour la répéter ici. Passons à l’objet de la troisième motion, faite par l’opinant, d’inviter les ministres à se rendre à l’Assemblée nationale, où ils seraient déclarés devoir avoir séance avec voix consultative. Ce moyen, sans doute, donnait à la nation celui d’une responsabilité toujours présente et que l’on pouvait chaque jour exiger de ces premiers agents de la puissance exécutrice. Mon opinion fut, lors de la discussion, de borner ce droit de séance au premier ministre des finances, parce qu’en effet il est le seul dont le département doive, dans les sessions qui vont suivre, occuper journellement l’Assemblée nationale, et que d’appeler les autres dans cette session, comme dans toutes les autres, ne pourrait avoir d’autre objet que celui d’amener pour eux et pour l’Assemblée une grande perte de temps; pour eux, en les détournant du travail de leurs départements, pour les appliquer à des discussions qui sont étrangères à leurs fonctions, et pour l’Assemblée, en fournissant matière à quelques individus de déployer leurs grands talents et leur amour pour les motions incidentes, dont le résultat est de prolonger le travail et les séances de l’Assemblée. La discussion des deux premières parties de la motion a été remise à huitaine, et celle de la dernière partie au lendemain. Le 7, la discussion a commencé par la partie de la motion présentée la veille, tendant à appeler les ministres à l’Assemblée nationale. Non seulement l’Assemblée rejeta cette proposition, mais même elle accueillit la motion faite par un des membres de l’Assemblée, de décréter que, dans le cours de la session actuelle, aucun des membres qui la composent ne pourrait accepter une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. place au ministère. Le même opinant qui, la veille, avait fait la proposition d’inviter les ministres à prendre séance dans cette Assemblée, demanda la parole et développa des motifs assez solides, qui auraient pu décider (au moins dans mon opinion) à donner séance dans tous les temps au premier ministre des finances, et pour cette session, au garde des sceaux ; parce qu’en effet la présence de ce chef de la magistrature deviendrait utile dans l’Assemblée, à l’époque de la législation qui doit régler le régime de l’ordre judiciaire, des administrations et des municipalités. Il ajouta que le nouveau décret proposé ne pouvait tendre qu’à exclure des conseils quelques individus de l’Assembiée ; qu’il ne lui paraissait pas juste, pour un semblable motif, de priver le conseil du roi de la lumière, des connaissances, de l’expérience d’un grand nombre de membres qui se trouvaient dans cette Assemblée, dignes de recevoir cette marque de confiance du monarque; qu’il allait bientôt nommer les seuls qu’il fallait exclure, et qu’un bruit populaire semblait désigner. Et en effet il se nomma. Il ne dut pas être satisfait de la manière dont cet énoncé fut accueilli ; la division de la motion fut demandée ; on délibéra sur la partie de cette motion qui prononçait qu’aucun membre de l’Assemblée nationale, pendant la présente session, ne pourrait accepter de place au ministère ; et cette proposition a été admise à une grande majorité. L’on passa ensuite à une motion faite par l’évêque d’Autun, dont le développement finissait par cinq articles qu’il proposait de décréter ; le premier de ces articles qui réellement était une prise de possession des biens du clergé, a été rejeté ; pour les autres qui n’étaient que conservatoires de ces biens, et propres à en prévenir la dilapidation, ils ont été acceptés et décrétés dans la séance; et en effet le décret de l’Assemblée nationale qui autorise la disposition des biens du clergé, ne paraît pas pouvoir justifier une prise de possession. Il a été lu dans la même séance un plan relatif aux biens du clergé, présenté par un des membres du comité ecclésiastique. À l’abandon près des bénéfices de ceux qui en ont plusieurs, ce plan est entier dans mon dernier compte rendu; celui qui s’y trouve a même un plus grand développement. Dans la séance du 9, a été reprise la discussion de la division du royaume, qui a été ajournée au 10, ainsi que le prononcé à faire sur l’arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen, déjà cassé par le conseil du roi, et dénoncé par le garde des sceaux à l’Assemblée nationale. Dans la séance du 10, il a été décrété que cet arrêté serait envoyé au Châtelet de Paris pour en informer, et que le roi serait supplié de nommer une autre chambre des vacations, l’Assemblée interdisant de toutes fonctions celle qui s’était permis un arrêté aussi peu respectueux pour la personne du roi et l’Assemblée des représentants de la nation. Le comte de Mirabeau, qui avait demandé la parole pour soutenir son plan, n’a produit à l’appui que des motifs insidieux; dans la réalité, son plan était le même pour l’exécution et la désignation, que celui tracé sur la carte du comité de Constitution ; la seule différence qui existait entre la division et celle du comité, était qu’il morcelait un peu plus le royaume, et que chacune des portions qu’il faisait pouvait impunément devenir oppressive, laisser dissiper les biens des communautés, détruire les grandes routes, sans avoir d’autres surveillants dans l’intervalle des législatures, que le pouvoir exécutif. Les difficultés qu’aurait multipliées cette surveillance pour le pouvoir exécutif eussent été d’autant plus grandes, que ces administrations eussent été plus nombreuses et d’autant plus grandes encore, que, ces administrations auraient en même temps ordonné et fait exécuter les dépenses ; que par un ordre de choses aussi vicieux, les réclamations n’auraient pu être, de la part des communautés, que très fréquentes; que, dans celui au contraire que présente le comité de constitution, il se rencontre le grand avantage, que les assemblées de départements ne se trouvant qu’ordonnatrices des dépenses, elles seront naturellement intéressées à veiller à ce qu’elles s’exécutent avec économie ; aucune malversation ne pourra s’y introduire, parce que les assemblées des communes etcellesde départements, se surveillant sans cesse, tendront à l’envi à arriver à cette économie; que leurs administrations, s’éclairant mutuellement, seront sans cesse attentives à ne point donner prise à la censure l’une de l’autre; qu’enfin le résultat d’un tel ordre de choses fera l’économie dans l’administration de la chose publique et des biens communaux et par conséquent le bonheur des peuples. Je doute que l’ordre de choses que voulait établir le défenseur de l’opinion des 120 départements eût amené le même résultat, quelque homme d’Etat qu’il se dise, lui dont M. Thouret a mis en évidence toute la faiblesse en matière de calcul. Les observations qu’a adoptées M. Thouret, que l’on trouvera dans les articles que je lui ai remis, et qui seront avec le développement ci-après, ont achevé de me persuader que le comité de Constitution réunissait à l’amour du bien public dont on le sait animé, les vues plus saines, et le désir d’effectuer ce qui est réellement possible ; faire plier son plan à l’intérêt et aux convenances locales qu’exigeaient les différentes natures d’administrations des départements. Grande partie de l’Assemblée ayant désiré de prononcer sur la division, le président a posé la question : un membre de cette Assemblée ayant proposé un amendement, et cet amendement tendant à annuler un précédent décret de l’Assemblée, qui ordonnait une nouvelle division du royaume, j’ai prié M. le président de bien vouloir le rappeler à l’ordre, et faire décider sur le fond’ de la question de la division. Il a été décrété, à la plus grande majorité, que le royaume serait divisé en assemblées de départements de 80 divisions ou à peu près ; cette latitude a été fixée, par le décret même, de 75 à 85. La séance du 12 s’est ouverte par la discussion relative au décret proposé par le comité de Constitution, pour fixer la division des départements : plusieurs opinions se sont fait entendre, les unes tendant à demander qu’il n’y eût pas de subdivisions ; que les subdivisions ne fussent point aussi multipliées, qu’elles prissent le nom de districts au lieu de celui de communes, que l’on décrétât que chaque ville, paroisse ou communauté de village auraient leur municipalité. Ayant demandé la parole, j’ai énoncé, que, sans vouloir intervertir tout ordre, il était impossible de ne pas donner à chaque communauté ou paroisse de campagne, à chaque ville, sa municipalité pour l’administration de ses biens com- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [Annexes.] 445 ni un aux, même son juge de paix ; que sans cet ordre de choses, ce serait rendre chaque communauté, qui serait forcée d’aller chercher la justice dans uue autre avec laquelle elle n’aurait jamais eu de relations, dépendante des jugements souvent arbitraires qu’elle pourrait éprouver dans cette autre communauté, surtout lorsque son intérêt serait compromis avec un homme puissant de cette communauté. Que la position de la France est bien différente, sur ce point, de celle de l’Amérique et même de l’Angleterre, qui peut avoir servi de modèle au comité de Constitution ; qu’il est peu ou presque point de villages dans ces deux pays; que la population y est répandue dans des plantations ou fermes, semées dans l’intérieur des terres ; qu’au milieu de celles qu’elles cultivent, tout y est en effet divisé en cantons de forme et de proportion égales, au centre desquels sont placés l’église, la maison de justice, celle du pasteur et du juge, et une ou 2 tavernes qui servent de point de réunion les jours où l’on s'assemble, soit pour prier, soit pour les affaires du canton ; mais que, comme nous ne pouvons pas changer l’ordre établi en France, qui est loin d’être assimilée à ces établissements, il est nécessaire de nous restreindre à un établissement d’ordre de législation, qui puisse s’appliquer aux établissements du pays pour lequel il est destiné ; qu’il était impossible de se dispenser d’établir les districts; que des assemblées uniques de départements deviendraient bientôt oppressives, puisqu’elles seraient en même temps ordonnatrices et exécutrices d'une multitude de dépenses; qu’elies n’auraient qu’une surveillance trop éloignée et trop indirecte, pour en avoir rien à redouter; que, si elles n’étaient point oppressives, elles pourraient tomber dans un autre inconvénient, qui serait que, trop éloignées de la surveillance qui leur serait confiée, elles laisseraient dissiper les biens des communautés, dont l’administration a besoin d’une surveillance toujours active; qu’à la vérité, ces subdivisions paraissaient trop multipliées, que leur uniformité de nombre, dans tous les départements du royaume, semblait inutile; que telle partie qui avait beaucoup de travaux de route d établissements publics, beaucoup de biens communaux à administrer, exigeait une subdivision plus circonscrite; que d’autres qui n’avaient que des pays incultes, sans surveillance de biens de communautés avec peu d’établissements publics, peu de routes à surveiller, pouvaient avoir plus d’étendue; qu’enfin je croyais indispensable et faisais la motion expresse que l’Assemblée commençât à délibérer et à prononcer sur les bases qui fixeraient la représentation à. l’Assemblée nationale, avant de fixer les subdivisions ; que l’Assemblée décréterait probablement que la nomination à l’Assemblée nationale se ferait directement; car, en effet, on ne pourrait adopter un plus mauvais mode de représentation, que celui de faire passer les nominations des électeurs par deux degrés d’élections, avant que d’arriver à l’assemblée où seraient nommés les représentants du département à l’Assemblée nationale; que, d’ailleurs, le moyen d’élire tous les représentants d’un département dans la même assemblée, tenue dans le lieu même de l’assemblée du département, donnerait d’abord de i'infiuence aux commissions intermédiaires sur les nominations, tendrait ensuite à laisser des parties du département sans représentants, ou avec des représentants qu’elles n’auraient pas choisis, et, enfin, ouvrirait la porte à des coalitions dangereuses dans les élections. Je me suis résumé en faisant la motion que l’Assemblée commençât par décréter si, ou non, elle adoptait les trois bases de représentation proposées par son comité, en demandant que, dans le cas où elles seraient adoptées, elles fussent fixées par les membres des départements en nombre trinaire, de manière que chaque district pût avoir au moins un représentant direct. L’Assemblée nationale a décrété que les départements seraient divisés en districts, que ces districts ne seraient que trinaires, c’est-à-dire, 3, 6 ou 9 dans chaque département, et elle s’est refusée à décréter dans ce moment les bases de la représentation. Le 13, a été reprise la discussion relative aux biens du clergé, et tendant à acquérir uue connaissance exacte de leur valeur. J’aurais désiré que, par le décret rendu par l’Assemblée nationale, les peines portées contre les auteurs des fausses déclarations ne portassent pas le caractère d’une si grande sévérité. Il est une vérité que l’expérience démontre : c’est que les lois qui portent le caractère de la plus grande rigueur sont toujours moins respectées. La mort même serait une peine plus douce que celle portée contre les ecclésiastiques, possesseurs de bénéfices, qui feraient de fausses déclarations ; j'aurais voulu qu’ils fussent réduits au quart du revenu qu’ils auraient faussement déclaré. Le 14, la séance a commencé par le rapport de la demande formée parla province d’Anjou relative à la gabelle; fj’aurais demandé la parole relativement à cet objet, si je n’avais eu une connaissance positive de l’intention que la ferme générale avait de ne plus s’occuper du rétablissement de cette branche du revenu public, à laquelle elle a renoncé. Il forcera à un remplacement moins onéreux à l’indigent que grevait le plus cet impôt tyrannique. Je vais nroccuper de décider la ferme générale à mettre le prix du sel à un taux modique, afin d’éviter tout prétexte à des vexations partielles, auxquelles le prix où a été fixé le sel momentanément pourrait donner lieu. Ensuite le premier ministre des finances s’est rendu dans l’Assemblée nationale, où il a fait entendre sa proposition relative à la Caisse d’escompte. Mes réflexions sur cette proposition, que j'ai eu l’honneur de vous adresser, Messieurs, ont été formées sur les notes que j’avais pu prendre pendant la lecture qui avait été faite à l’Assemblée, du plan du premier ministre. Le 16, s’est reprise la discussion des objets relatifs à la Constitution; et celui qui était à la discussion du jom était relatif aux arrondissements des assemblées d’élections, formant les assemblées primaires. J’avais demandé que ces arrondissements fussent désignés de manière que la plus petite assemblée d’arrondissement ne pût contenir moins de 100 citoyens actifs, et la plus grande plus de 600; je pensais que cette désignation était infiniment préférable à l’énoncé des bases desquelles partait le comité : en effet, il est incontestable qu’il y aura beaucoup de ces assemblées désignées par quatre lieues carrées, qui ne contiendront que des communes, des forêts, des landes, des parties de côtes, et des pays peu habités, dans lesquels il se trouvera à peine 8 ou 10 citoyens actifs; que l’énonciation de cet article ainsi prononcé force à y ajouter un article interprétatif, qui réunisse les assemblées de ces 446 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. ] arrondissements à d’autres assemblées d’arrondissement, et que la proposition que j’avais faite obviait à cette multiplicité d’interprétations, qu’il faut, toujours chercher à éviter dans les lois. Elle était conçue en ces termes : « Les assemblées d’élection pour les assemblées primaires seront formées dans chaque communauté de ville ou de campagne, lorsqu’elles auront assez de citoyens actifs pour composer une assemblée de 100 électeurs. « Toutes les communautés ou paroisses de ville ou de campagne qui n’auront pas 100 citoyens actifs pour former l’assemblée d’élection dans ces assemblées primaires seront tenues de se réunir à la communauté, ou aux communautés les plus voisines, pour former ce nombre. « Cette réunion se fera alternativement dans le chef-lieu de chacune de ces communautés, à commencer par celui de la communauté la plus nombreuse. Lorsqu’il y aura 600 citoyens actifs dans une communauté, ils seront tenus de former deux assemblées primaires. » Les raisons qui avaient été données pour appuyer le plan du comité sont illusoires, à mon avis. Ces raisons sont d’obvier, par ces assemblées d’arrondissement, à l’influence que peut prendre l’homme riche et opulent dans ces assemblées d’élection. Je demande quelle influence peut avoir de plus l’homme riche et opulent dans les assemblées de paroisses, lorsque les élections devront toujours se faire au scrutin, et il me semble que si l’aristocratie des richesses doit acquérir de l’empire, elle aura une bien plus grande force, de bien plus grands moyens pour s’établir dans les assemblées d’arrondissement, formées de quatre lieues carrées, où ne se rendront jamais les hommes forcés de gagner leur vie par un travail journalier ; c’est alors que les élections qui seront faites dans ces assemblées, les instructions et les pouvoirs donnés à ces élus, pourront avoir pour objet de favoriser l’opulence, et que l’on pourra craindre les résultats de semblables assemblées. Dans la séance du 17, s’est reprise la discussion relative à la Constitution. Lorsqu’est arrivée la délibération tendant à faire prononcer sur le lieu où se ferait l’élection des députés à l’Assemblée nationale, j’ai demandé la parole pour combattre sur ce point l’avis du comité de Constitution, qui est que ces élections se fassent au lieu de l’assemblée du département; et je désirerais, au contraire, que ces élections fussent faites dans 3 assemblées d’arrondissement, qui devraient avoir lieu dans les districts et lieux d’élections choisis; laissant, dans mon opinion, une trop grande influence, pour le choix des députés à l’Assemblée nationale, aux commissions intermédiaires des assemblées de département, elles auront toujours de grandes facilités pour former des coalitions, pour influer sur ce choix, moyen qu’il est très dangereux de leur laisser, puisqu’il est possible un jour que des départements aient des réclamations à former contre l’administration de ces commissions intermédiaires, de ces assemblées de départements ; que de former des élections, des députations à l’Assemblée nationale dans le chef-lieu des départements, doit produire l’effet de laisser à ces commissions intermédiaires la possibilité de se choisir des défenseurs, au lieu d’accusateurs. Après avoir fait entendre ce motif de préférer de faire les élections dans les districts, j’ai proposé que, dans chaque département, il y ait toujours, en quelque nombre que soient les districts, trois lieux d’assemblée d’élections, désignés pour nommer des députés à l’Assemblée nationale, et jamais un plus grand nombre, parce qu’en effet, ayant adopté les trois bases proposées par le comité de Constitution pour fixer la représentation à l’Assemblée nationale, savoir, le territoire, la contribution et la population, l’inégalité que les deux dernières bases pouvaient apporter dans la représentation de chaque département demandait cette disposition, qui laissait la possibilité d’égaliser les députations dans chaque département, parce que la base du territoire, étant réputée égale dans tous, devait être réputée égale de même dans chacune des 3 divisions, dans lesquelles seraient partagés les départements pour former les élections des représentants à l’Assemblée nationale, ce qui donnerait pour chacune un représentant pour la base du territoire. Après cette disposition, le reste de la représentation du département se répartirait entre les trois divisions, en raison de leur population et de leur contribution; et si l’arrondissement d’une de ces assemblées d’élection payait plus d’impôts, ou renfermait une plus grande population que les autres, elle aurait, dans la même proportion, la nomination plus ou moins fréquente d’un septième, d’un huitième, d’un neuvième, d’un dixième député donné au département, au delà de 6, qu’il est sûr qu’aura chaque département. Cet ordre de choses obvierait à l’influence aristocratique que pourront prendre les grandes villes dans les élections; cette aristocratie ne serait pas moins dangereuse que toutes celles que l’on vient de détruire; elle ne pourrait qu’être nuisible à la véritable source des richesse; je veux parler de l’agriculture; le contre-coup s’en ferait sans doute sentir dans les villes, il retomberait sur l’industrie ; mais malheureusement l’effet de ce contre-coup ne s’opère que lentement; et un léger avantage présent décide l’homme qui cherche des succès momentanés, ou qui prend l’apparence du bien pour le bien réel, à adopter des opinions nuisibles aux véritables intérêts des propriétaires, qui en dernière analyse sont ceux de tous les citoyens, par l’influence que la fortune des uns a sur celle des autres. Dans la séance du 18, le décret qui assure à toutes les villes de district qu’elles verront élire, au milieu d’elles et chacune à leur tour, les représentants des départements à l’Assemblée nationale, a infiniment atténué les inconvénients qu’aurait occasionnés celui de faire toujours les élections au chef-lieu du département. Celui qui a arrêté que les élus à l’Assemblée nationale seraient toujours choisis parmi les propriétaires des départements dont ils seraient les représentants, pourvu qu’ils y payent les contributions prescrites par les décrets de l’Assemblée nationale, a été longtemps balancé par une opinion développée d’une manière très spécieuse par un opinant, sur lequel l’énergie de son style, la facilité de son génie, ont fixé les regards de l’Europe : ses motifs étaient, en laissant une plus grande latitude aux choix des électeurs, latitude telle qu’ils puissent élire dans tous les éligibles du royaume, de rendre la composition de l’Assemblée nationale plus parfaite; d’en former un aréopage composé de l’élite de la nation. L’idée sans doute est grande : il ne s’agit que d’examiner quel eût été l’effet d’un semblable décret parmi nous. 11 me semble que cet effet était marqué d’avance par ce qui s’est passé dans les dernières élections; que les hommes intrigants, les uns avec de grands [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [Annexes.] 447 moyens, mais des idées mal ordonnées; les autres avec du génie et une morale impure; les autres poussés par cette inquiétude si naturelle au génie bouillant de la nation ; les autres enfin, voyant dans leurs élections des moyens d’intrigue ou de fortune, auraient parcouru les assemblées aux instants des élections, pour obtenir des suffrages; que c’eût été enfin une route tracée à l’intrigue, à l’instant de chaque élection, et un moyen de jeter le royaume entier dans un état de convulsion. L’homme d’une vertu pure, qui a de grands talents, des connaissances qu’il peut diriger vers un but utile au service de son pays, aurait dédaigné de se mêler à celte cohorte, qui n’eût obtenu que le mépris du sage : qu’en serait-il résulté? Que les qualités d’un tel homme auraient été éclipsées par cet essaim de présomptueux et d’effervescents, qu’elles auraient été perdues pour son pays, ensevelies dans l’oubli, d’ou le décret rendu par l’Assemblée les tirera, pour les placer dans les assemblées où elles ne pourront être qu’utiles. Peut-on douter qu’avec une représentation nationale, il ne se répande dans tous les départements une instruction telle, qu’elle laissera toujours une grande latitude au choix des électeurs? D’ailleurs, il est une vérité certaine : la réunion d’un trop grand faisceau de lumière dans une assemblée politique, est quelquefois capable de tout embraser, tandis que quelques génies lumineux, dont les opinions seront jugées par des hommes modéiés sages et réfléchis, feront éclore du sein de l’Assemblée nationale des décrets qui assureront la stabilité de la Constitution, et par consécsuent le bonheur de cet empire. Je ne dissimule pas que ces réflexions m’ont fait éprouver une sensation douce en voyant la sagesse du décret que portait l’Assemblée. Le rapport fait par le comité des finances, méritera sûrement votre suffrage, quoique plusieurs parties de dépenses soient encore susceptibles de grandes économies, et de ce nombre il ne vous sera pas échappé que se trouvent les articles des pensions, des frères du roi, et leur dotation sur le Trésor royal; cependant ce rapport présente un aperçu mieux développé, plus satisfaisant que celui du premier ministre des finances, le jour de l’ouverture des Etats généraux. Je l’avouerai, une des choses qui m’ont le plus frappé dans tous les temps, celle qui m’a persuadé, même dans un temps où l’on réfléchissait peu à ce qui intéressait la fortune publique, a été l’impossibilité que l’ancien ordre de choses pût durer, et que le royaume de France renfermât et soudoyât, dans son sein, les maisons de huit potentats, indépendamment de celle du roi : quelque haute que soit l’idée que l’on puisse se faire de la richesse de la France, je n’ai jamais pu croire qu’un tel ordre de choses pût se perpétuer. L’instant est arrivé, où toutes les vérités doivent être dites; un ordre s’établit, dans lequel un seul souverain doit rester à la France, et les attributs de la royauté ne doivent plus appartenir qu’à lui; les princes ses frères, j’ose le dire, doivent voir, dans cette session, s’évanouir leur maison militaire, voir diminuer au moins de moitié l’essaim de nobles qui les entourent, réunir leurs maisons à celles de leurs femmes : une séparation d’intérêts aussi immorale ne peut exister dans un instant de régénération : le roi lui-même leur a donné un grand exemple en ce genre. Je conclus de vérités aussi frappantes, aussi incontestables, que 1,600,000 francs doivent suffire à la dépense à laquelle ont avait attribué 4,700,000 francs; en même temps que j’annonce avoir le projet de faire à l’Assemblée nationale, cette proposition lorsqu’il en sera temps, je crois de la dignité de la nation d’acquitter les dettes des deux frères du roi, contractées sous un régime qui leur avait laissé l’espoir de remplir leurs engagements. Plus une grande nation doit se montrer ferme à poursuivre tous les abus, à extirper jusqu’au dernier de ceux qui existent, plus aussi elle doit être attentive à n’établir l’ordre que sur les bases de la morale; et sans doute de toutes les immoralités, la plus grande serait de laisser les frères du chef suprême de la nation, destinés par la naissance à voir leur postérité régner sur les Français, dans un état de banqueroute, résultant de dettes contractées sous un régime erroné, mais qui existait depuis tant d’années, qu’il avait pu faire concevoir l’espoir à ceux qui le trouvaient si parfait, qu’en effet il était impossible d’en inventer un meilleur, sans réfléchir qu’il n’était établi que sur la misère de millions d’hommes, vivant loin de la cour, arrosant de leurs sueurs et de leurs larmes le pain qui les substentait. Réellement il avait atteint le plus haut degré de la perfection pour ceux dont les administrateurs redoutaient Je crédit et l’influence. Le roi, réfléchissant seul à ces vérités terribles, les a souvent rappelées à ses ministres; et ses vertus, sans doute, sont dignes d’un ordre de choses qui, assurant le bonheur de ses peuples, répandra dans son âme cette félicité douce qu’il est si digne d’apprécier. Sur la discussion du plan du premier ministre , relatif à la caisse d’escompte. Cette discussion, Messieurs, est la seule, dans ce moment, sur laquelle je veuille fixer votre attention, tous les articles qui ont été traités dans l’Assemblée depuis quelque temps, n’exigeant aucun détail de ma part qui puisse vous intéresser. Vous avez sous les yeux mes derniers résumés sur cet objet intéressant, terminés par la proposition que j’ai faite à l’Assemblée. Sur le régime des gabelles remis au comité des finances. Messieurs, J’ai l’honneur de mettre sous vos yeux la situation dans laquelle se trouve la province des Evêchés et celle de Lorraine, relativement à la vente et aux prix des sels; ces provinces dans lesquelles le sel reste au même prix où il était avant l’allégement décrété par l’Assemblée nationale pour les provinces de grandes gabelles, payent réellement une contribution indirecte par la valeur des bois, augmentée par la consommation de celui employé à la cuisson du sel. Indépendamment de cet impôt, ces provinces ne reçoivent pour le même prix décrété pour le reste du royaume, qu’un sel inférieur d’un tiers en qualité à celui que l’on donne dans toutes les provinces de l’intérieur. Le décret de l’Assemblée nationale n’a donc pu que produire une grande fermentation dans ces 448 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. provinces, et je suis forcé d’en convenir devant l’Assemblée, un mécontentement général sur les peuples de la frontière, dm voient sans cesse une exportation de sel à l’étranger, qui lui est livré à vil prix, quoiqu’il soit d’une qualité supérieure à celui qu’on leur fait consommer, et qui forme une partie du revenu public; les peuples, en effet, payent doublement l’impôt; ils n’ont qu’une qualité de sel inférieur à celui que consomme le reste du royaume, et le payent au même prix. J’avais prévu ce mécontentement, la crise qui en serait la suite, et cette prévoyance m’avait décidé à proposer à mes collègues et de concert avec eux, à l’Assemblée, un moyen de satisfaire les peuples en ordonnant que le sel en neige serait donné aux habitants de ces provinces à 4 sous. Cette modération dans le prix du sel eût satisfait les peuples à cette époque; mais aujourd’hui que plusieurs sources salées ont été découvertes, il n’est plus temps d’avoir recours à ce moyen, et il devient indispensable de convertir cet impôt indirect en une contribution indirecte ; ce nouveau subside pourra être fixé sur le pied de 4 sous par livre de sel qui se consommait dans des bureaux des deux provinces de Lorraine et des Evêchés. Alors l’Assemblée nationale décréterait que le sel serait marchand dans les deux provinces. Cette disposition serait d’autant plus juste, que le prix auquel se vendra le sel, ajouté à cette contribution et au prix des bois que le domaine livrait gratuitement pour la cuisson des sels, à la ferme générale, surpassera le prix auquelse payait cet objet de consommation de nécessité première, et par conséquent ne formera aucun déficit dans cette partie du revenu public, dans l’étendue de ces deux provinces. Dans le nouveau bail qui serait fait des salines, il ne serait fourni aux fermiers aucun bois, et ils devraient s’en pourvoir aux adjudications ou par des marchés faits de gré à gré avec des propriétaires. Les administrations des départements seraient chargées de faire diviser par les districts dans l’arrondissement desquels seraient situées ces forêts, chaque canton qui se trouverait sur les bans des différentes communautés de leur ressort en coupe réglée, fixée à 30 années de révolution; elles seraient, par leur vente, une augmentation réelle aux revenus publics, et fourniraient aux peuples riverains des forêts du domaine, des moyens de se procurer des bois dont ils ne peuvent se pourvoir, qu’en les lirant de parties très éloignées, ce qui en augmente le prix, détruit les routes par le transport de ces bois, et fait le plus grand tort à l’agriculture, en détournant les cultivateurs de leurs travaux de labourage, pour les employer à des charrois de bois qui n’auraient plus lieu que de proche en proche. Il est peu de parties dans l’administration qui ne soient susceptibles de quelques changements de ce genre, et aucune dont il soit plus instant de s’occuper. Le régime nouveau que j’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée nationale de décréter pour les provinces de salines, n’aura pas seulement Davantage de produire un revenu public, égal à celui qui existait dans l’ancien régime des salines, et sans être à charge aux provinces qui ci-devant étaient soumises à ce régime odieux, mais il réunira à cet objet d’utilité générale, celui qui porte sur la destruction d’un régime qui, laissant nombre de communautés sans possibilité de se procurer des bois, force les pauvres et les indigents de ces communautés à courir les risques de s’exposer à des reprises multipliées pour se. procurer les moyens de se mettre à l’abri de l’intempérie des saisons, tous les bois de leurs environs étant consommés par les salines. L’impôt réel qui servirait de remplacement à cet impôt indirect, serait réparti par les assemblées de département et de district sur tous les contribuables, au marc la livre de leurs autres contributions directes. L’on ne peut, sans exposer ces deux provinces aux plus grands maux, penser à y rétablir les employés ; elles touchent à un pays qui ne paye le sel que deux sous ; la contrebande s’y fera à main armée, et les plus grands malheurs en seront la suite. Ce régime odieux ne peut exister avec la liberté ; et les provinces qui y sont soumises doivent attendre de la justice de l’Assemblée nationale, qu’elle décrétera ainsi que j’ai l’honueur de lui proposer. Art. !«.* A dater du 1er janvier 1790, le sel sera marchand dans la province de Lorraine et celle des Evêchés; en conséquence nul ne pourra être repris pour puiser dans les puits et sources salées qui pourraient se trouver dans les campagnes et en plein air, non plus que pour la consommation du sel qu’ils voudraient préférer ; réservant expressément les sources recueillies dans l’intérieur des salines, de même que les canaux qui portent les eaux de ces sources dans les lieux où elles peuvent être converties en sel ; cette propriété, devant être, ainsi que toutes les autres, sous la protection de la loi. Défense en conséquence est faite expressément par l’Assemblée nationale de donner à ces propriétés aucune atteinte. Art. 2. Il sera incessamment procédé à l’adjudication par bail emphytéotique, qui devra durer l’espace de 25 années, de la ferme des salines situées dans la province de Lorraine ; cette adjudication se fera à la charge de l’entretien des bâtiments desdites salines et sans aucune fourniture de bois et encore à celle de tenir les marchés faits par la ferme générale, pour la livraison du sel aux Suisses et aux étrangers. Art. 3. Il sera procédé, d’après les instructions des assemblées de départements, sous la surveillance des assemblées de districts [et par les préposés à l’administration des forêts, à la division des forêts du domaine, qui ci-devant étaient affectées aux salines ; chaque canton ou partie de ces forêts sera divisée en 30 révolutions. Art. 4. 11 sera, tous les ans, mis en adjudication dans chaque canton, une des 30 parties dans lesquelles les forêts du domaine seront divisées pour la vente en être faite de la manière et aux conditions prescrites par les règlements. Dans ces ventes, les adjudicataires des salines ne pourront avoir aucune préférence. 449 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] Sur l'organisation du tribunal judiciaire de l'Assemblée nationale. Je regarde l’organisation de ce tribunal, destiné à juger les crimes de lèse-nation et à remplir quelques autres fonctions dont je parlerai dans le développement de mon opinion sur ce tribunal, comme une des bases les plus essentielles de notre Constitution. Ce tribunal, auquel n’est attribué aucun pouvoir qui puisse se perpétuer, qui même ne pourrait devenir dangereux, serait dans tous les temps le sûr défenseur de la liberté publique, de la stabilité des lois. Persistant dans vos précédents arrêts, vous avez décrété que l'Assemblée nationale serait une; vous n’avez voulu admettre aucun Sénat ; il conduisait à des distinctions qui auraient pu ramener une aristocratie, toujours dangereuse. Vous n’aviez détruit le régime féodal et les privilèges qui y étaient attachés, que par ce sentiment intime, que toute prééminence héréditaire dans une administration politique ne pouvait être que destructive de tout esprit public ; que toute dignité, de même, qui donnait des droits trop longs à l'administration de la chose publique, ne pouvait être qu’un stimulant pour l’orgut il, et faisait naître le désir de ces prééminences auxquelles si longtemps l’ambition, cette passion funeste, semblait donner seule tous les droits. Mais ce désir d’étouffer tous les germes destructeurs des vertus, et qui corrompent les gouvernements, m’a persuadé que vous seriez plus disposés à admettre une forme de répartition de l’Assemblée nationale qui, toujours une, sans donner essor à l’ambition, prouverait à l’univers de quelles vues de sagesse vos décrets émanent. L’Assemblée nationale doit s’organiser de manière à trouver dans son sein le tribunal qui appliquera la loi aux crimes d’Etat, sur les procédures faites par les jurés. Elle doit trouver de même dans ce tribunal le calme, la sagesse, la longue expérience, qui seules peuvent donner de la stabilité aux grands Empires. L’organisation que je vais avoir l’honneur de soumettre à votre jugement, a l’avantage de remplir le premier objet, et d’y joindre l’utilité du second. Le plus âgé des membres de l’Assemblée des deux départements ressortissant à la même cour supérieure de justice, formerait dans cette organisation un bureau de révision des lois, et en même temps le bureau judiciaire, qui appliquerait la loi aux procédures des jurés. Ce moyen de s’organiser ne donnerait naissance ni à l’intrigue, ni à l’ambition. L’âge qu’auraient atteint ceux qui composeraient ce bureau assurerait le calme de ses délibérations et l’application juste qu’il ferait des lois : le reste des membres qui composeraient chaque députation formerait le second bureau de l’Assemblée nationale : ce second bureau, composé des membres de l’Assemblée les plus actifs, les plus propres par leur âge à se livrer au travail, aux recherches, serait chargé de s’occuper de la formation des lois, de faire faire les poursuites des attentats commis contre la nation. ire Série. T. XXXII. Lorsqu’une loi aurait été proposée et votée dans ce second bureau de l’Assemblée nationale, que ce bureau aurait prononcé pour son admission, celui qui aurait fait la proposition de la loi irait la porter au premier bureau, où il en ferait le développement, puis la remettrait sur le bureau. Après qu’il se serait retiré, la loi ou la proposition serait soumise à la discussion du bureau, puis l’on irait aux voix, dans ce bureau, pour son admission ou sa réjection; s’il se rencon trait des inconvénients dans cette loi, ils seraient développés et renvoyés avec les observations, à la discussion du second bureau, si les amendements proposés n’étaient point admis, ou si la loi n’était point rejetée après cette seconde discussion ; enfin, dans une dernière séance , les deux bureaux réunis prononceraient sur la loi à la pluralité. Ces bureaux ne siégeraient que le même temps; et après deux sessions, ainsi que vous l’avez prononcé, Messieurs, pour la durée des législatures, l’élection se recommencerait dans les mêmes formes, pour nommer de nouvelles députations. Ce moyen réunit le double avantage d’appeler les hommes aux différents travaux auxquels l’âge et l’expérience semblent les destiner : en effet, la jeunesse doit être l’époque de la vie marquée pour le travail, la conception des plans, le développement des grandes idées, la recherche des abus; l’âge le plus avancé, au contraire, semble être celui d’un examen guidé par l’expérience et une maturité toujours opposée aux grandes secousses; cet âge, enfin, est celui du calme, qui préserve des effets des passions violentes. Cette organisation ne change rien à l’unité de l’Assemblée que vous avez décrétée, puisque les élections de tous les députés indistinctement se feront sans formes différentes dans les départements, et que les voix seront comptées dans les délibérations de l’Assemblée nationale. Elle peut encore s’allier avec votre décret, qui prononce que l'Assemblée n’a point la puissance judiciaire, puisque, dans le cas où le second bureau dénoncera, pour fait de crime de lèse-nation, un agent quelconque du pouvoir exécutif, alors ce ne sera pas l’Assemblée nationale, mais un tribunal que vous aurez décrété légalement d’avance, et pris dans votre sein, qui deviendra celui qui appliquera la loi. J’avais proposé à l’Assemblée qu’il fût nommé un grand juge par grande division du royaume, ou par cour supérieure de justice : cette proposition, qui n’a point été acceptée, m’a fait naître cette nouvelle idée que j’ai l’honneur de vous soumettre. Je regarde cette organisation intérieure de l’Assemblée, Messieurs, comme étant la plus propre à donner de la stabilité à vos travaux, à éviter ces secousses multipliées, qui, presque toujours, commencent la chute des Empires, comme ce moyen est le plus propre à prouver à l’Europe que cette Assemblée n’a jamais perdu de vue cet objet vraiment digne d’elle, d’assurer le bonheur des races futures, en élevant par les lois un monument de sagesse indestructible, objet de tous vos travaux : sans doute celui de mes vœux est que les nations qui liront vos lois, y reconnaissent l’empreinte de ce génie nerveux, mais calme, qui doit caractériser la première nation du monde; enfin, que tous les sages puissent s’enorgueillir de porter le nom de citoyen français. D’après ces principes, Messieurs, j’ai rédigé les articles que j’ai soumis à votre comité. 29 450 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] PROPOSITION. Art. 1er. Lorsque les représentants de l’Assemblée nationale seront réunis, le roi, chef suprême de la nation, fixera le jour de la première assemblée présidée par Sa Majesté. Art. 2. Après la retraite du roi, un député par département remettra sur un bureau placé au milieu de la salle, trois listes : sur la première, sera le nom du plus âgé de chacune des députations du département; sur la seconde, le nom du reste des députés de chaque département placés en ordre de députation; une troisième, enfin, contenant le nom du plus âgé et du plus jeune député de chaque département. Ces listes seront réunies par les cinq plus âgés de l’Assemblée. La première formera le premier grand bureau; La seconde, le second grand bureau ; La troisième, le comité chargé de la vérification des pouvoirs : ce comité se partagera en quatre sections pour vérifier les pouvoirs de tous les députés. Art. 3. Le plus âgé de l’Assemblée indiquera le jour de la réunion, qui sera constatée d’après le temps nécessaire à la vérification des pouvoirs. Art. 4. Au jour indiqué, tous les députés se réuniront sans autres distinctions de place, sinon qu’une portion de la salle sera dirigée dans la proportion où se trouveront ces députés, pour les plus âgés de chaque députation. Art. 5. Immédiatement après cette réunion , les deux grands bureaux se sépareront pour aller procéder à l’élection de leurs officiers; et après s’être organisés, les deux bureaux procéderont de suite à la distribution de leur travail, à la nomination de leurs bureaux secondaires , et de leur comité. Art. 6. Le second bureau sera chargé de rédiger les lois, de l’examen des comptes de l’administration, et déformer le résultat qu’il fera remettre, à mesure qu’ils seront terminés, au premier bureau pour y être délibéré. Le travail sera toujours porté au premier bureau, par le membre du second qui aura formé la proposition qui aura fait la base de la loi, ou par le rapporteur du comité qui aura été chargé de présenter le travail sur lequel on aura opiné. Art. 7. Dans le cas où le travail du second bureau ne serait point adopté par le premier, ce bureau motiverait les amendements qu’il demanderait, ou le refus qu’il ferait de la proposition; il déduirait les raisons sur lesquelles il appuie ses opinions. Art. 8. Dans le cas où, après discussion faite, ses motifs ne changeraient point l’opinion du second bureau, il serait convoqué une assemblée générale, où, après une nouvelle discussion, la loi ou la proposition serait admise ou rejetée à la pluralité. Art. 9. Dans ces assemblées, le président du premier bureau la présiderait, celui du second le suppléerait, et présiderait en second. Art. 10. Dans le cas où viendrait à être portée l’accusation d’un crime d’Etat devant l’Assemblée natio-tionale, il serait procédé à son instruction et à la procédure, à la réquisition du second bureau, et devant le tribunal du premier, seul apte à appliquer la loi à la procédure faite par les jurés. Il eu serait de même pour l’examen des comptes des agents de l’administration et du pouvoir exécutif ; les comptes seraient examinés par le second bureau, et jugés par le premier. Sur l'exception faite des employés du fisc, à la perception des impôts indirects , et des citoyens occupant des places de judicature, pour V élection aux offices municipaux. Ce n’est qu’avec regret que j’ai vu décréter un article qui met des bornes à la confiance des électeurs, dans les élections des membres des corps municipaux, parce que, en effet, dans un gouvernement où tout est électif, ce ne doit être que le mérite et la vertu qui doivent dicter les choix, et que limiter sur ce point les pouvoirs des électeurs, est à mes yeux circonscrire une liberté qui devrait n’avoir d’autres bornes que le vœu des administrés. La raison qui semble avoir décidé, est qu’un juge aurait pu abuser de l’influence naturelle, que lui aurait donnée ce titre sur les justiciables, pour diriger leurs opinions dans les délibérations des municipalités; mais indépendamment de ce qu’un citoyen, capable d’abuser à ce point de son influence, n’aurait probablement obtenu aucun suffrage, surtout lorsqu’il se donne au scrutin; on doit penser qu’un juge non comptable au tribunal dont il fait partie, mais à celui de la nation, de son administration municipale, n’aurait jamais voulu, par un conduite répréhensible, se mettre dans le cas d’être cité à ce tribunal respectable, et qui, sûrement, sera toujours sévère. Lorsque cet article eut été mis en délibération, il y fut proposé nombre d’amendements, tendant à limiter encore plus les pouvoirs des électeurs, ce qui me décida, d’après les raisons que jeviens de déduire, qui me faisaient désirer même que cet article fût rejeté, à demander la question préalable sur tous les amendements qui ont été tous supprimés. Sur les peines des délits criminels. J’ai voté avec transport l’adoucissement et l’égalité des peines criminelles, et les moyens d'arriver à la destruction d’un préjugé injuste, on 451 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] peut même dire barbare, qui faisait rejaillir sur ' une famille entière le déshonneur delà peine que devait porter un seul individu coupable. Mes principes, conformes à mes cachiers, ne m’ont pas mis dans la nécessité de réfléchir longtemps sur la justice de semblables lois; et, en effet, je pense, ainsi que je l’ai consigné dans le cahier que j’ai fait imprimer, et mis sous les veux de l’assemblée convoquée à Nancy au mois de janvier dernier, qu’un individu coupable d’un crime, n’appartient plus à aucune famille; il n’est plus qu’à la loi, qui prononce sur sa peine; cette loi le sépare de l’ordre social jusqu’à l’expiation de son crime. Si une opinion erronée, contraire à ces principes de justice, a jamais pu prévaloir, ce n’est sans doute que par les préjugés d’une classe d’hommes dont le reste de la nation suivait l’impulsion, et qui, par leur crédit, sachant se soustraire à l’effet des lois, se croyaient si supérieurs au reste des citoyens, qu’ils s’étaient accoutumés à penser que le déshonneur, qui ne pouvait les atteindre, n’était que le partage d’une classe d’hommes qu’ils ne savaient point apprécier. Aujourd’hui que le prestige de semblables erreurs s’évanouit, qu’un esprit de justice remplace de faux préjugés, il ne peut plus être douteux qu’on ne voie accréditer avec facilité une loi faite par l’Assemblée natiouale, dans sa sagesse, et fondée sur les bases de la saine raison. Sur les articles ajoutés par le comité de Constitution, relatifs aux élections. Celui de ces articles proposés, qui attribuait le droit d’éligibilité à celui qui, après avoir payé pendant deux années une contribution civique, égale à celle voulue, portant sur une propriété foncière, exigée pour être élu, a fait élever la plus forte discussion, et j’avais demandé la parole pour être entendu sur cet article et y proposer deux amendements dont la justesse avait assez frappé le membre du comité de Constitution qui portait la parole, pour qu’il se soit chargé lui-même de les proposer. Le premier de ces amendements portait sur des expressions qui, dérogeant aux articles précédemment votés par l’Assemblée nationale, laissaient subsister dans leur intégrité toutes les qualités voulues pour être éligible, auxquelles il n’est pas nominativement dérogé par l’article, tandis que, sans l’énoncer précisément, l’article proposé parle comité dé Constitution pouvait donner lieu à décliner, par une interprétation, les articles déjà précédemment adoptés par l’Assemblée. Le second amendement portait sur la demande de restreindre l’effet attribué à la contribution civique, à la seule éligibilité, parce qu’en effet, de l’étendre à la qualité d’électeur, eut été poser, pour base de la Constitution, un moyen de vénalité, qui, tôt ou tard, aurait conduit la nation à la corruption, et, par conséquent, à l’anéantissement de l’esprit public et de la liberté. En � effet, quels moyens n’eussent point été donnés par cette contribution à l’homme riche et opulent, pour se former des électeurs à gages, qui, n’ayant aucune propriété à garantir, fussent devenus les instruments aveugles des choix qu’auraient voulu faire les hommes riches qui les auraient soudoyés. Un législateur doit être en garde contre l’adoption de moyens qui peuvent conduire à des effets aussi funestes que ceux dont ces dispositions fussent devenues la suite inévitable. Restreindre au contraire l’effet de la contribution civique à la qualité d éligible, c’est donner plus de latitude aux électeurs pour faire de bons choix, surtout en ne dérogeant pas à la qualité de domicile qui, comme je l’ai déjàdit, exclut l’inquiétude et l’intrigue des élections; c’est ajouter à la sagesse des décrets précédemment portés, puisqu’un canton pourra toujours se charger d’acquitter la contribution civique d’un citoyen qui, par son mérite et ses talents, réunira les qualités nécessaires pour le représenter, et cela sans avoir besoin de recourir à des faux, ainsi que cela se pratique en Angleterre. Ces moyens destructeurs de la morale ne produisent jamais que des maux réels dans les Empires où ils sont adoptés. L’Angleterre aurait-elle perdu l'Amérique à l’époque de la dernière révolution, si l’amour de l’argent (1), l’indifférence sur les moyens de l’acquérir n’étaient devenus inhérents au caractère de cette nation par les vices de la Constitution? Sur la discussion établie dans les comités des provinces de Lorraine et des Evêchés , relative à la division de ces provinces en quatre départements. La seule inspection de la carte, qui présente l’entrelacement des différents bailliages et prévôtés des provinces de Lorraine et des Evêchés, annonce assez la nécessité indispensable de former de nouveaux arrondissements, dans lesquels on n’ait aucun égard aux anciennes limites de ces provinces, pour en former les nouvelles administrations de départements ; car quel peut être l’objet de cette nouvelle répartition ? Sans doute de rapprocher les administrés des administrants, de rendre la perception de deniers publics plus facile, la surveillance des administrations plus directe, enfin de mettre les administrateurs en mesure de surveiller la conservation, l’amélioration même des biens communaux, des possessions des biens, et l’entretien, les réparations des édifices charges publiques ; tel est sans doute le but que l’on s’est proposé et qu’il faut s’efforcer de remplir par cette nouvelle division. Ces vérités une fois établies et senties par les différents députés des bailliages des deux provinces, il a fallu procéder à assigner quelles seraient les limites de chaque département ; quels en seraient les chefs-lieux; et pour déterminer ces divers objets, il a été nécessaire de les discuter en se séparant de tout esprit d’intérêt particulier, toujours destructeur du bien général, et (1) Au début de la guerre d’Amérique, les Anglais employèrent assez de vaisseaux contre les Américains pour en placer un en station de trois en trois lieues de côte, depuis la pointe de l’Accadie jusqu’à l’ouverture du canal de Bahama ; mais dans cette guerre il s’est constamment pratiqué de laisser toujours une année au tiers de cette étendue de côte, pour relever son commerce, sans placer vis-à-vis d’elle aucun croiseur, afin de fournir les moyens de régénérer la richesse qui devait devenir la roie de la marine royale. Sur le continent, il est connu e l’Amérique entière que le commissariat de l’armée anglaise y mettait en usage des moyens propres à aliéner tous les esprits, et dont le seul résultat produit par des manœuvres trop longues à détailler ici, tendait à enrichir les parties prenantes, que tout le monde sait être nombreuses dans les armées anglaises. Je demande si une nation qui ne serait point arrivée à ce degré de corruption par les principes de son gouvernement, se serait jamais portée à un tel oubli d’elle-même. 452 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. J de cet esprit public qui seul peut le produire ; aussi, dans cette circonstance, me suis-je encore efforcé de faire entendre que le même esprit qui avait dirigé l’Assemblée en décrétant la division du royaume en départements, l’amalgame des parties enclavées des provinces dans cette nouvelle division, devait encore diriger nos délibérations pour circonscrire nos départements de manière à rendre les élections qui devaient se renouveler tous les deux ans, et se faire alternativement dans les chefs-lieux des différents districts, plus faciles, en rapprochant le plus possible, par cette division, les points où devaient se faire les élections. Or, il était clair que dans plusieurs plans de division données (que l’intérêt personnel de quelques villes semblait avoir seul tracés), on avait absolument perdu de vue ces grands objets, qui seuls doivent animer les représentants de la nation. Je n’ai cessé de réclamer l’exécution de ces principes, et une décision qui pût permettre, lorsque les élections se feraient dans les districts des deux extrémités du département, de ne transporter les électeurs les plus éloignés qu’à 20 lieues de leur domicile, au lieu de 30 et 36 que leur faisait faire tout autre division. Cette raison du bien public m’a paru d’un assez grand poids pour insister vivement et décider à adopter cette division ; je l’ai fait avec d’autant plus de force, que les raisons données pour s’y opposer m’ont paru dépourvues de bases solides. La seule qui ait pu mériter quelque considération, était, sans doute, que cette répartition qui donnait un département à la Lorraine allemande, laissait ce département sans évêchés; mais indépendamment de ce que l’évêché de Metz, qui voit, quelle que soit la nouvelle répartition, tous les biens qui forment sa dotation, sortir de son ressort, peut rester l’évéché de ce département, dans lequel seraient englobés les biens de sa dotation ; qu’alors cet évêché, au lieu de 9 districts en aurait 10, ayant de plus celui de Metz et les 9 de la Lorraine allemande; et que Verdun, au lieu de 9 districts, en aurait 8, ayant de moins celui de Metz, et cela dans la supposition où, en effet, l’Assemblée nationale décréterait que chaque département doit avoir un évêché, mais cette supposition n’étant que purement hypothétique, et des motifs d’économie pouvant s’allier à ceux de politique et de saine raison, pour déterminer l’Assemblée nationale à ne décréter qu’un évêché par deux départements; alors s’évanouirait incontestablement et sans retour, l’objection faite contre cette division qui, d’ailleurs, présente en sa faveur une considération particulière à la Lorraine allemande, qui peut avoir force d’utilité publique, puisqu’elle présente un objet d’utilité générale, pour la totalité du département ; et ce motif est la différence de la langue allemande, parlée généralement dans cette partie, à la langue française, parlée généralement dans les autres départements. Donner un département à la Lorraine, donne donc aux administrés une plus grande facilité de se faire entendre à leurs administrants, et obvie à nombre de réclamations qu’une autre répartition aurait pu amener, dont il y a même des exemples dans l’ordre de choses actuel, qui serait plus fâcheux dans celui qui s’établirait. Sur le décret relatif au recrutement de l’armée. D’après la discussion établie sur cet objet, qui avait fait le sujet du rapport du comité de la guerre, j’avais demandé la parole pour énoncer la nécessité que je crois indispensable d’établir, pour avoir une armée toujours complète en paix, même à 150,000 hommes; en cas d’insuffisance des recrues, d’achever le complet de l’armée par les milices : mais, ayant énoncé quel serait le résultat de mon opinion, et un membre du comité de la guerre ayant pris la parole pour dire que le comité, pénétré de cette nécessité, comptait proposer ce moyen à l’Assemblée dans son plan; je me suis abstenu de faire entendre mon opinion déjà suffisamment connue et énoncée dans mes réflexions sur les milices des municipalités, et me suis contenté d’une observation sur la manière de poser la question. Il m’en eût cependant coûté de garder le silence sur une allégation faite par un opinant, qui ne voulait admettre aucun autre mode de recrutement que celui de la conscription militaire ; cette allégation est trop pénible pour un vieux soldat, ainsi que l’on me nomme, titre dont je m’honore, pour avoir pu me décider à garder le silence à la tribune, si je n’avais pas voulu la réfuter dans mes écrits. Cette allégation était que si la conscription militaire n’était établie comme seul moyen de recrutement, l’état militaire retomberait bientôt dans l’avilissement. Pour retomber dans un état, il faut y avoir été; or, je le lui demande, un état avili peut-il être composé d’individus assez supérieurs à l’humanité, pour se livrer, manquant de subsistance, dans des expéditions vives et multipliées, à ces travaux qui semblent au-dessus des forces de l’humanité, et cela au milieu des dangers, des hasards de la guerre, qui présentaient sans cesse l'image de la mort ? Ces mêmes hommes exposés aux craintes des horreur de la famine, à des fatigues incompréhensibles, dans cet état, conservaient dans les dangers cette gaieté qui n’appartient qu’à la nation. C’était là le caractère qui le distinguait, c’étaient là les exemples que donnaient les Français sous le soleil brûlant de l’Inde, dans les expéditions des Antilles, dans les champs de l’Amérique; lorsque soumis à une discipline exacte, dirigée par cet esprit d’impartialité sévère, qui caractérise celui du militaire expérimenté, par cette sensibilité touchante, qui dirige les soins que lui dicte son humanité; ce sera dans tous les temps ce caractère et cet esprit qui distingueront des chefs instruits par une longue expérience qui leur apprend à estimer, dans les hommes qu’ils commandent, les compagnons de leurs travaux, les coopérateurs de leurs succès. Les chefs dont je viens de peindre le caractère, les hommes qui leur obéissaient, purent-ils jamais être avilis? et l’état qu’ils professaient peut-il porter un caractère qui ait une telle empreinte? Je ne pourrais assez m’étonner qu’une telle pensée ait pu prendre naissance dans l’âme d'un citoyen ; il l’emprunta sans doute de quelque esprit faussé, et son énonciation est le résultat de sa profonde inexpérience. J’ai dit, j’ai été juste, et mon âme est en paix. Sur le rapport du travail des 10 commissaires de l’Assemblée nationale , fait de concert avec le premier ministre des finances. J’avais désiré avoir la parole sur cet objet, mais appelé à la tribune par l’ordre de la liste, quoique ayant annoncé que je n’avais à faire que de courtes réflexions, qui décideraient peut-être [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. j 453 à des amendements et à des additions qui pourraient rendre plus facile le succès du plan, et son exécution moins dangereuse ; M. le président a cependant fait prononcer à l’Assemblée un décret qui m’a ôté la liberté de me faire entendre. Cette faculté n’a pu être accordée à personne; car après la discussion du premier article, M. le président a fait décider sur la totalité du décret pris en masse. Ce que j’avais à dire à l’Assemblée était conçu en ces termes : Lorsque le premier ministre des finances, 10 commissaires nommés par TAssemblée nationale ont prononcé conjointement, que le seul parti pour se procurer des fonds était de recourir à la caisse d’escompte; quelque difficile qu’il paraisse de concevoir que ce moyen soit le seul qui nous reste, et quelque fâcheuses que me soient démontrées les conséquences de ce moyen, je n’entreprendrai pas de lutter contre le crédit d’une autorité dont j’ai développé les moyens dans mes écrits faits pour dévoiler l’ancien système des finances aux yeux des représentants de la nation. Il ne me reste plus qu’un devoir à remplir, celui de rendre (par quelques amendements que j’aurai l’honneur de vous soumettre), ce moyen que l’on vous propose, Messieurs, moins destructeur pour votre crédit, moins propre enfin à aviver cet agiotage qui vous a conduits dans la crise affreuse où se trouvent les finances du royaume. L’on vous offre, Messieurs, de sanctionner la création de 25,000 nouvelles actions de la caisse d’escompte, qui seront levées, partie en effets ou en remplacement d’effets négociables en suspen-pension de payement, et partie en argent ou en billets de la caisse d’escompte. Que va-t-il résulter de cette disposition? Que le commerce de papier entre les banquiers des différentes places de commerce de l’Europe, et ceux de la capitale, va s’aviver, pour former les fonds nécessaires à l’acquisition des nouvelles actions ; qu’elles seront acquises par les banquiers de Genève, d’Amsterdam, etc., coalitionnés avec les négociations qui auront lieu à la caisse d’escompte des lettres de change qui produira ce commerce, sans faire entrer un écu de fonds dans le royaume ; la différence du prix des escomptes au taux du dividende, sera partagée comme profit entre les banquiers de la capitale et ceux des places de commerce étrangères. Il ne reste qu’un moyen pour obvier à cet inconvénient, dont le résultat final serait l’avilissement de votre change : c’est d’ajouter à votre décret, les deux amendements que j’aurai l’honneur de vous proposer : L’un, qui établira 6 commissaires chargés d’inspecter le portefeuille de la caisse d’escompte pour prendre connaissance des effets qui seront en négociation. L’autre, qui ordonnera que toute lettrede change venant de l’étranger, escomptée à la caisse d’escompte, sera marquée d’un timbre pour lequel il sera payé 1/4 0/0 par usance. Le résultat de cet établissement sera au moins de transporter le commerce de papier fait avec les banques étrangères, aux banques des différentes places de commerce du royaume, et en accréditant une caisse d’agiotage, au lieu d’accréditer une caisse de secours pour le commerce et l’agriculture; au moins cette manière de l’accréditer fera-t-elle rester les profits (du commerce de papier) qui en résulteront, dans le royaume, au lien d’en faire passer la moitié à l’étranger. L’on vous propose, Messieurs, de décréter dès ce moment la vente de domaines et de biens du clergé, pour une valeur de 400 millions, dont la première ad jud ication aurait lieu au 1er j uillet 1 790. Gomment présumer trouver des acquéreurs de ces biens, qui veuillent en payer la valeur, jusqu’à l’époque où le calme rétabli aura fait renaître et assurer la confiance? Non, aucune vente ne peuts’effectueravec succès avantle l6rjuillet 1792. Ce n’est qu’après que les municipalités auront rendu hommage àlasagessedes décretsde l’Assemblée par l’obéissance la plus passive, qu’il deviendra possible de croire qu’avec confiance l’on pourra acquérir les fonds dont vous aurez décrété la vente. Vainement vous espéreriez le succès d’une opération dirigée d’après d’autres principes. Je voudrais que les représentants de la nation se décidassent à ajouter à ce moyen, de ne point sanctionner par un décret d’établissement des actions nouvelles, se contentant de garantir à la caisse d’escompte les engagements pris envers elle, et laissant à faire décréter cette augmentation d’actions de la caisse, aux actionnaires eux-mêmes. J’avouerai que ce ne sera qu’avec regret que je verrai porter par l’Assemblée nationale le décret de cette augmentation, que je prédis à regret ne pouvoir être effectuée. Je crains qu’après avoir longtemps erré dans le vague de moyens sans bases solides, l’Assemblée ne finisse par être forcée de recourir aux moyens indiqués par M. le marquis de Montesquiou ; ils sont à peu près les mêmes que ceux imprimés par moi, et remis à tous messieurs les députés depuis environ 10 jours. Il sera nécessaire que les commissaires que nommera l’Assemblée nationale, pour inspecter les opérations de la caisse d’escompte, veillent à empêcher une opération aussi fâcheuse que celle d’acquisition de numéraire par des lettres de change, le numéraire ne devant entrer dans un royaume que par le résultat favorable de son commerce ; toute autre opération pour attirer le numéraire étranger, tend évidemment à en faire plus sortir qu’il n’en entre ; d’où l’on doit conclure que le plus sûr moyen pour se procurer du numéraire, est d’avoir un tarif à sa frontière extrême, dont le résultat soit de protéger le commerce, et non une opération bursale, ainsi que celui proposé à l’Assemblée des notables. (1). (1) Jamais le système des finances ne sera complet, leur régénération parfaite, que la combinaison de c < système de finance no soit lice à un tarif placé à la frontière extrême et fait d’après de saines bases, qu’une constitution maritime ne soit formée de manière à protéger le commerce contre les attaques des enne» mis extérieurs, et encore tellement, qu’elle puisse, en fournissant des matelots au commerce des pêcheries et de la traite des nègres, remplacer d’une manière avantageuse pour les armateurs qui se livreront à ces commerces, les primes qui leur sont données et qui ne servent qu’abusivemeut au succès de ce commerce. Qu’enfin, que des droits sagement dirigés sur le commerce des Antilles, vous attachent les planteurs de ces riches possessions. Depuis longtemps persuadé de vérités que je regarde comme incontestables, je me suis livré aux recherches nécessaires, pour connaître les saines bases d’un tarif : d’après ces recherches et les matériaux qu’elles m’ont fournis, j’ai fait un mémoire en forme do commentaire sur le tarif proposé à l’Assemblée des notables. Mes longs loisirs dans les séjours que j’ai faits sur les vaisseaux du roi ; mes voyages et les connaissances que j’ai acquises pendant leur durée sur toutes las 454 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Annexes.} D’après ces réflexions, j’ai l’honneur de faire à l’Assemblée la proposition des amendements suivants au plan proposé par les commissaires nommés par l’Assemblée nationale pour la formation de ce plan, de concert avec le premier ministres des finances. proposition. Art. 1er-Que la vente de fonds du domaine et de biens ecclésiastiques, demandée pour le 1er juillet 1790, ne sera effectuée qu’au 1er juillet de 1792. Art. 2. Qu’il sera nommé par l’Assemblée nationale 6 commissaires chargés dans tous les temps de l’inspection du portefeuille des effets en négociation, et généralement de toutes les opérations de la caisse, dont ils rendront compte à l’Assemblée nationale; que ces commissaires ne pourront être composés par aucun individu connu pour prendre part à des opérations de banque. Art. 3. Que toute lettre de change venant de l’étranger, escomptée à la Caisse d’escompte, devra être marquée d’un timbre, pour lequel il sera payé, au trésor de la nation, un droit d’un quart pour cent par usance, à peine de confiscation de la valeur de l’effet, au profit du Trésor public, en cas de contravention. Art. 4. Je demande que l’Assemblée nationale décrète la quantité de billets de la Caisse d’escompte qui seront en circulation, jusqu’à l’époque où la Caisse d’escompte sera tenue de payer ses billets à présentation et à caisse ouverte. SUR LE DÉCRET RELATIF AUX PENSIONS. Dans la séance du 4 s’est ouverte la discussion relative au payement des pensions. Le décret de l’Assemblée qui est intervenu sur cet objet, et qui a fixé ce qui serait payé sur les pensions, d’ici au premier juillet, époque à laquelle serait arrêté définitivement létat des pensions conservées, ne peut être regardé que comme un décret provisoire; il ne doit causer aucune alarme, ni aux pensionnaires de l’Etat, ni aux hommes pourvus d’emplois publics. En effet, quoi de plus simple qu’à l’instant où s’établit un nouvel marines existant en Europe, m’ont fourni les matériaux d’un mémoire sur une constitution maritime, dont je me suis occupé; la rédaction peut en être terminée en peu de jours, de même que celle du tarif, et qu’un mémoire formé sur le commerce et l’administration des colonies françaises, fait d’après des connaissances prises sur les lieux, les besoins et les relations de commer e de ces colonies, soit avec les Américains, soit avec le commerce de la métropole; j’ai cherché à balancer la justice que les colonies ont à réclamer, avec la protection due au commerce de la métropole : je m’estimerais heureux de faire hommage à l’Assemblée de ces 3 mémoires, si les représentants do la nation voulaient en ordonner l’impression. ordre de choses substitué à un ancien, dont on ne pent nier les grands inconvénients, une assemblée chargée de détruire les abus ne veuille laisser aucun prétexte, aucun moyen au retour vers les anciennes déprédations? Üne multitude d’hommes, qui ne peuvent concevoir la destruction des déprédations passées, cherche sans cesse à insinuer que l’ancien ordre établi ne peut manquer de reprendre vigueur; quoi de plus simple qu’avec de semblables bruits, qu’ou ne cesse de semer, de chercher à accréditer que les représentants de la nation ne veuillent contraindre par leurs décrets tous les hommes chargés de fonctions publiques, tous ceux qui ont des grâces pour en avoir rempli, de venir par leur préférence rendre hommage à une Constitution, qui, quoi qu’en disent les hommes enivrés de la perfection de l’ancien ordre établi, fera certainement un jour le bonheur de cet Empire, établira sur la base la plus solide la vraie puissance de ses souverains? Celui qui nous gouverne verra sans doute cet ordre de choses; ses ministres seront enfin persuadés que, la puissance la plus solide des rois étant celle qui n’agit qu’au nom de la loi, la faire exécuter dans sa plénitude est le moyen le plus sûr d’asseoir la puissance de celui qui gouverne; et quand on pourrait supposer, ce que je suis loin de penser, que quelques esprits inquiets ou malintentionnés aient pu former le projet, aient pu même réussir à entraîner l’Assemblée à décréter quelques articles des lois qui puissent embarrasser la marche des administrateurs, je demande à ces hommes, frappés de terreur sur l’effet fâcheux que pourraient produire ces lois, si en effet il ne sera pas facile à une administration qui se sera montrée sans cesse armée contre les abus, toujours occupée de déployer sa vigueur pour maintenir l’ordre public, de faire réformer les lois par les législations suivantes; (les peuples de ce grand Empire sont trop habitués à l’ordre général, pour se refuser à des décrets demandés par une administration qui ne sera occupée qu’à laisser une marche assurée et tranquille à un ordre de choses heureux et calme) ; je demande à ces hommes frappés de terreur, s’ils pensent qu’une telle administration, qui se montrera à découvert avec cette franchise, aura rien à redouter de cette responsabilité à laquelle on l’a assujettie, et si celle qui ne sera pas conduite d’après de semblables principes peut s’en prendre à la législature, de la pusillanimité qui ne lui aura pas permis d’employer le levier de la loi, le plus puissant de tous, lorsque dans des mains nu res l’on ne peut soupçonner les intentions de celui qui est chargé de la faire observer. La justice du roi qui nous gouverne doit donner une grande confiance aux ministres qui parlent en son nom, mais cette confiance ne peut exister que chez des hommes qui, sévèrement attachés à des principes, ne savent les faire plier sous aucune considération humaine; tant que ce caractère ne sera pas celui auquel on reconnaîtra l’homme public, que l’on ne soit point étonné de ne pas voir l’ordre renaître, ou de ne trouver aucune force dans les agents d’un pouvoir qui ne peut avoir pour base que la plus sévère justice. Cette épithète effrayera sans doute les hommes persuadés qu’une nation douce ne doit jamais prononcer que les mots de clémence, de douceur, de grâce ; mon âme n’est point celle d’un barbare, mais l’expérience m’apprit que nul [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] homme ne peut être doux, clément, même faire des grâces avec ces formes qu'exige la nation, que celui sévèrement attache à des principes ; sans cea sa douceur est pusillanimité, sa clémence est faiblesse, et le charme de son caractère, qui fait mettre de la grâce à tout, porte l’empreinte d’une banalité qui lui fait perdre tout son prix. À la discussion qui s’éleva dans la séance du 5, lors de la motion faite par un opinant de priver du revenu de leurs bénéfices tous ecclésiastiques absents du royaume (cette motion n’était autre chose qu’une modification de celle faite par moi il y a quelques mois) ; j’y proposai l’amendement de donner 4 mois aux ecclésias-ques sortis du royaume pour-y rentrer; faute de se conformer au décret, leurs bénéfices seraient déclarés vacants; cette demande, conforme aux anciennes lois du royaume, ai-je ajouté, l’est encore à la déclaration faite par l’Assemblée nationale dans les droits de l’homme, lorsqu’elle dit que tout emploi public est une charge, un devoir; nul ne peut s’acquitter d’une charge, remplir un devoir qu’au lieu où il lui est imposé; s’il n’y réside, il ne peut en recevoir les émoluments; le priver de la place qu’il ne remplit pas est donc conforme à vos principes, à vos lois. Dans la séance du 7 furent proposés par le comité de Constitution 3 nouveaux articles relatifs à la formation des municipalités des campagnes ; ces articles, sur tous les points, étaient vicieux, peu clairs, susceptibles de grandes interprétations et devaient ramener tout naturellement au premier plan du comité de Constitution, de n’avoir qu’une seule municipalité par 4 lieues carrées, puisqu’en les fixant à raison des paroisses dans les communautés de campagne, et étant au moins très probable qu’un jour les paroisses seront réduites à une par 4 lieues carrées, si les 3 articles eussent été adoptés, il en serait résulté que l’Assemblée aurait involontairement prononcé le contraire de ce qu’elle avait décrété par cette excellente raison, que les communautés de campagne, ayant presque toutes des biens communaux, l’on ne peut réunir des communautés, dont les intérêts sont souvent très différents, dans une seule administration, qui presque toujours n’aurait aucun motif pour la décider à s’occuper de régler des intérêts qui lui seraient étrangers. 455 D’après ces motifs que j’ai fait entendre, j’ai demandé que les réunions jugées nécessaires fussent prononcées par les assemblées administratives de chaque departement, et qu’il ne soit point délibéré sur les articles proposés par le comité. L’Assemblée a décrété qu'il n’y avait point lieu à délibérer quant à présent (1). À suivi la discussion relative au serment des milices et des volontaires actuellement existant dans les municipalités; l’article, tel qu’il avait été rédigé par le comité de Constitution, était susceptible des interprétations les plus dangereuses et les plus contraires à la tra quiilité publique; les amendements, ou, pour mieux m’exprimer, le changement de cet article qui avait été proposé par un opinant devait encore augmenter les craintes de tous les citoyens amis de la paix; puisque dans cette nouvelle formule de serment, sans parler ni de la loi, ni du roi (2), on énonçait vaguement l’obligation de ces milices, d’être fidèles à la Constitution ; ce qui aurait laissé tous moyens d’interprétation aux chefs des milices nationales, pour refuser, selon leurs fantaisies ou leurs intérêts, ou déterminer à leur volonté la protection qu’ils auraient pu donner à la Constitution. Plusieurs opinants s’étant empressés de faire d’aussi sages observations, elles ont déterminé le comité de Constitution à changer son article, en le finissant par ce qui en faisait le commencement, et le commençant de manière à énoncer la nécessité de la réquisition de l’officier public, pour employer la force des milices municipales. (1) Cette proposition du comité de Constitution a pu donner lieu d’admirer une persévérance opiniâtre qui s’est fait remarquer dans plus d’une circonstance. (2) L’opinant s’était porté à cette suppression à l’imitation d’une nation voisine qui, par respect pour la personne du roi, ne mentionne jamais le nom du monarque dans les actes du pouvoir législatif ; eu effet, les Anglais, peu connus pour aimer les rois, flegmatiques d’ailleurs, peuvent adopter sans danger la formule reçue au parlement d’Angleterre; la nation française, au contraire, facile à émouvoir, aimant ses rois, doit attendre de ses législateurs qu’ils lui rappelleront jusque dans leurs décrets le sentiment si nécessaire à conserver au chef suprême de la nation, puisque lui seul peut en effet assurer la liberté publique.