[Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] 29 porelle, celui que j’entends prêter ne peut s’étendre aux objets qui concernent essentiellement la religion et l’autorité spirituelle que Dieu a confiée à son Eglise. Que cette explication, manifestée sans réclamation dans le sein même de l’Assemblée nationale, et autorisée par l'exemple des députés du clergé et de plusieurs autres représentants laïques, devient plus nécessaire encore par la publicité qui vient d’être donnée à un plan d’organisation ecclésiastique décrété par l’Assemblée nationale. Considérant ce que la religion, l’Eglise et le besoin des peuples exigent de mon ministère, à raison de cette publicité et du contenu dans la lettre et dans l’acte de délibération de Messieurs les officiers du département de l’Aisne, qui m’ont été par eux adressés, Je déclare que toute forme de gouvernement et toute organisation de pouvoirs ecclésiastiques, émanées de la seule puissance temporelle, ne peuvent faire partie intégrante d’une Constitution politique ; Que la constitution d’une Eglise fondée par un Dieu, ne peut avoir que Dieu même pour auteur; Que Jésus-Christ a donné à son Eglise le pouvoir de se gouverner par elle-même, et qu’il lui a même institué la forme de son gouvernement, ainsi que les lois fondamentales de la discipline ecclésiastique; Que changer la constitution de l’église catholique et la forme essentielle de son gouvernement, ou entreprendre de mettre ce gouvernement dans la dépendance de l’autorité civile, c’est changer la religion catholique elle-même ; Que l’autorité législative que Jésus-Christ a instituée pour tout ce qui concerne le gouvernement spirituel et l’organisation des pouvoirs ecclésiastiques, réside essentiellement dans le corps des premiers pasteurs, et que le Saint-Siège n’est pas moins le centre d’unité de cette autorité législative, qu’il est le centre de l’uuité de la foi et de la communion catholique ; Que ces principes sont tous également de foi, et que la doctrine et la pratique contraires seraient hérétiques et schismatiques. Considérant que je suis établi, par l’autorité de l’Eglise, juge dans toute l’étendue de mon diocèse non seulement de la foi, mais des mœurs, de la discipline et de l’exercice des pouvoirs hiérarchiques, je déclare, pour l’acquit de ma conscience et du ministère dont je suis responsable à Jésus-Christ et à l’Eglise, qu’après lecture réfléchie du plan de l'organisation ecclésiastique décrété par l’Assemblée nationale et l’avoir considéré, soit dans ses rapports avec l’incompétence de toute autorité temporelle en matière de religion et de principes hiérarchiques, soit dans plusieurs de ses dispositions considérées en elles-mêmes, elle m’a semblé porter atteinte aux principes que j’ai exposes dans mes deux réponses ci-dessus, comme étant la foi et la doctrine de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Considérant néanmoins que le sens privé est le caractère du schisme et de l’ Hérésie ; que la voie d’autorité établie dans l’Eglise catholique est la seule règle de foi et de conduite pour les pasteurs comme pour les simples fidèles, je soumets en tout mon jugement particulier au jugement définitif de l’Eglise et de mes supérieurs dans l’ordre hiérarchique. Considérant que les décrets de l’Assemblée nationale rendent hommage aux principes constitutifs de la foi catholique, qui reconnaît le pape comme centre d’unité et chef visible de l’Eglise universelle; Qu’il est notoire à toute la France, et à la connaissance de l’Assemblée nationale, que le Saint-Siège a été consulté par le roi ; qu'à la prière de notre auguste monarque, le souverain pontife a établi une congrégation de cardinaux, et que la réponse du vicaire de Jésus-Christ ne peut être encore longtemps différée : je proteste de me soumettre au jugement du Saint-Siège uni à l’épiscopat, et de rendre à l’autorité de mes supérieurs ecclésiastiques, dans l’ordre où Dieu les a établis, une obéissance aussi prompte et aussi entière que le sera, pendant toute ma vie, la soumission aux ordres de la puissance temporelle, en tout ce qui concerne le gouvernement civil et politique du royaume. Et attendu que les administrateurs du département de l’Aisne sont pour la plupart mes diocésains, et que mon ministère me rend comptable à Dieu du salut des magistrats comme de celui des simples fidèles, je m’empresse d’offrir à tous, et à chacun d’eux en particulier, les instructions qu’ils jugeraient à propos de me demander sur les principes et vérités consignés dans ma présente déclaration. Je dois me borner, dans ce moment, à leur mettre sous les yeux cette vérité fondamentale, qui sans doute vit dans leur cœur, qu’étant chrétiens et professant la foi catholique, apostolique et romaine, ils sont obligés, en tout ce qui concerne la religion et les lois de l’Eglise leur mère, d’obéir, ainsi que les évêques eux-mêmes, à ceux qui ont reçu la vraie doctrine avec la succession de i'épiscopat. (Saint-Iréuée). Telle est ma réponse, Messieurs, aux deux articles sur lesquels vous m’avez demandé une déclaration positive. Je l’ai faite comme je ferais mon testament de mort. Mon âge et mon état d’infirmité écartent tout soupçon que j’aie pu écouter une autre voix que celle de la conscience. Je crois pouvoir dire avec Saint-Paul : Je n'ai péché ni contre la loi, ni contre l'Eglise, ni contre César. (Acta Apostolorwn, chap. 25.) Je suis etc... Signé -j-H. J. G., évêque de Soissons. Villeneuve-lès-Soîssons , le 15 octobre 1790. SIXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ÂSSEMBLÉE NATIONALE DU 26 NOVEMBRE 1790. Lettre de M. l’évêque de Lisieux à MM. les officiers municipaux de Lisieux, en réponse à leur arrêté sur sa lettre pastorale. Messieurs, il me parvient un exemplaire de votre arrêté du 11 de ce mois, portant suppression d’un écrit que vous nommez libelle, et qui avait pour titre : Lettre pastorale de M. l'êoêque de Lisieux au clergé et aux fidèles de son diocèse, etc. Une supposition que je dois à votre honnêteté, à des ménagements auxquels la vérité ne permet point que je me prête, vous a portés de croire que cet écrit ne peut être parti de moi. Vous dirai-je, Messieurs, quelle douleur profonde a pénétré mon âme à la première inspection de cet 30 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]26 novembre 1790.] arrêté ! Je ne l’essaye point ; il faut avoir les entrailles d’un pasteur, il faut avoir senti avec saint Paul ce zèle du salut qui lui faisait souhaiter d’être anathème pour ses frères, pour concevoir combien j’ai été affecté d’une première idée de division entre vous et un évêque qui se réjouissait d’être le vôtre, qui vous regarde encore comme une partie précieuse de l’Eglise confiée à ses soins. Heureusement le poids de ma douleur a été bientôt soulagé. J’ai reconnu que si vous avez pu être induits en erreur sur ma lettre pastorale, et sur les intentions qui l’ont dictées, il ne m’est pas permis au moins de révoquer en doute vos sentiments sur cette religion sainte, dont le maintien sera toujours le premier de mes vœux. Je ’ai lu, ce serment sorti de votre bouche : Je suis chrétien, je suis Français; je jure à la face du ciel et de la terre que je suis prêt de verser la dernière goutte de mon sang pour la religion dans laquelle j’ai le bonheur d'être né. Votre digne orateur l’a prononcé, vous avez applaudi; vos cœurs l’ont tous prononcé avec lui. 'Une profession de foi si édifiante de votre part, me remplit de la joie la plus sensible; elle nie dédommage abondamment de cette première impression qu’avait faite sur moi votre arrêté, j’oublie, en vous voyant dans ces dispositions si dignes d’un chrétien, tout ce qu’il peut y avoir d’irrégulier et de précipité dans le jugement que vous avez porté d’une lettre sur laquelle j’aurais pu vous donner des explications satisfaisantes, si, la voyant publiée sous mon nom, vous eussiez commencé par vous informer de moi-même si j’en étais l’auteur. J’oublie jusqu’à ce reproche que vous semblez me faire d’une absence de mon diocèse, qu’il m’eût été facile de justifier, en vous rappelant les sollicitations qui rendaient cette absence nécessaire pour vos intérêts mêmes, et ceux de mon diocèse, en me livrant, bien malgré moi, aux affaires de l’administration provinciale. J’oublie ce reproche d’autant plus volontiers, que je vous dois au moins des remerciements pour les éloges que vous daignez donner à la conduite que j’ai tenue toutes les fois qu’il m’a été permis de suivre et le devoir et le sentiment qui me rappelaient au milieu de vous. J’oublie que vous avez pu condamner comme incendiaire un écrit de ma main, dont vous ne citez pas un seul mot qui tende à aigrir les esprits, et qui n’est en effet sorti de ma plume que pour maintenir les fidèles de mon diocèse dans celle unité de foi, le premier gage de l’union des cœurs et de la tranquillité des peuples. Oui, Messieurs, j’oublie tout ce qui pourrait n’affliger que moi; j’oublierai même, parce que je connais ses vertus, et que je sais qu’il verra dans votre profession de foi un dédommagement de son injure personnelle, tout ce qui pourrait affecter le prélat respectable, M. J’évêque de Soissons, dont vous avez enveloppé la déclaration dans la meme proscription que ma lettre pastorale. Mais en portant toute mon attention sur cette profession de foi si solennelle de votre part, et accompagnée d’un serment si authentique, je dois vous observer que s’il est dans notre religion sainte des vérités générales, qui vous sont habituellement connues comme au reste des fidèles, il est aussi des vérités particulières que des laïques peuvent n’avoir pas méditées, et que les circonstances m’obligent de vous développer, de peur qu’après avoir erré involontairement dans une première démarche, vous ne soyez entraînés dans des projets qui, insensiblement et malgré vous, finiraient par yous séparer de cette même Eglise à laquelle vous êtes encore si attachés. Votre cœur n’a point erré; mais votre esprit, livré à d’autres études et à d’autres soins, n’a point aperçu la liaison étroite qui se trouve entre les devoirs auxquels j’ai satisfait par la lettre que vous avez condamnée, et les premières vérités du salut. Je dois en ce moment, comme votre pasteur dans la foi, vous la rendre sensible, cette union de nos vérités saintes, et des obligations que j’avais à remplir. Je le dois, et votre zèle pour la religion me fait espérer que, mieux instruits, vous-mêmes vous serez les premiers à revenir de cette idée funeste que vous aviez conçue d’une lettre que le désir seul de maintenir les vérités évangéliques dans leur intégrité avait pu me dicter. Quel est en effet, Messieurs, l’objet de celle lettre? De vous faire sentir que, devenu évêque par la grâce de Jésus-Christ, par les voies canoniques, je ne pouvais me regarder comme privé de mon église par une autorité à laquelle il n’appartient jamais de donner ou d’ôter la mission apostolique; qu’ayant eu le bonheur d’être mis à la tète d’un diocèse qui mérite tous mes soins, toute ma vigilance comme toute mon affection et toute mon estime, je ne croyais pas pouvoir abandonner une partie si précieuse de l’Eglise de Jésus-Christ à des intrus qui, loin de vous conduire dans les voies du salut, par l’administration légitime et valide des sacrements, vous égareraient dans un schisme funeste. J’annonçais que jamais je ne renoncerais à un siège que je liens de l’Eglise, à moins que l’Eglise elle-même n’en disposât, pour votre sanctification, en faveur d’un pas leur qui pût légitimement tenir ma place auprès de vous. Tel est l’objet de la déclaration de M. i’évêque de Soissons, et de l’adhésion que j’y ai donnée par ma lettre pastorale. Vous avez vu, Messieurs, dans cette adhésion, la violation d’un serment que j’avais lait entre vos mains, de fidélité à la nation, à la loi, au roi et à la Constitution. Je vous prie de vouloir bien vous souvenir qu’au moment où je fis ce serment, le temporel seul était menacé; qu’il ne s’agissait point alors, et que je ne pouvais aucunement prévoir qu’il fut jamais mention parmi nous d’aucune entreprise sur l’autorité spirituelle. Je fis, je fais encore ce serment cher à mon cœur, d’être fidèle à la nation et à mon roi. Je prévoyais alors le sacrifice de mes biens; je l’ai fait. Je vous prie de me dire, Messieurs, si je me suis jamais permis sur cet objet la plus légère plainte. Au contraire, peut-être ai-je à me reprocher d’avoir trop exhorté, dans mon dernier synode, mes coopérateurs à étouffer des réclamations qui pouvaient devenir un devoir. Aujourd’hui, Messieurs, vous êtes étonnés que je me sois permis de traiter de doctrines nouvelles, de profanes nouveautés, divers articles de la Constitution que l’ou donne au clergé. Votre orateur s’écrie : « Quoi ! parce que l’Assemblée a « décrété qu’il n’y aura qu’un évêché par dôpar-« tement, on prétendra la religion attaquée dans « sa doctrine, comme si la pureté de la foi dé-« pendait du nombre des évêques! » Non, Messieurs, ce n’est point précisément parce que l’Assemblée a porté un décret sur le nombre des évêques, que la religion est attaquée dans sa doctrine; quoi qu’il soit tiès vrai que le nombre des évêques contribue au maintien de la foi, quoique cette raison ait multiplié les sièges dans les premiers siècles du christianisme, il pourrait n’y avoir qu’un évêque par département, la foi [26 novembre 1790.J [Assemblée nationnlo.] pourrait encore subsister dans sa pureté, si l’Assemblée nationale, composée de laïques dans sa grande majorité, avait mieux connu par quels moyens, par quelle autorité cette réduction des évêchés en France pourrait s’opérer légitimement et vaiidement; si elle n’avait pas agi, au nom des iiommes, dans une opération qui ne peut s’effectuer qu’au nom de Dieu, et par une autorité spirituelle. Mais, c'est ici, Messieurs, que je dois remonter à des principes dont la chaîne vous fera distinguer quelles sont ces vérités importantes dans la foi qui se trouvent essentiellement blessées par ces dispositions modernes auxquelles il était de mon devoir de m’opposer comme votre pasteur, et que nulcatholique ne peut seconder sans manquer à l’essence de sa religion. C’est un dogme fondamental dans le christianisme, qu’il n’y a point d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés que le nom de Jésus-Christ. « Nec enim aliud nomen est, sub coelo datum hominibus in quo oporteat nos salvos fieri. » (Act. Apost., cap. 4, v. 12). De cette vérité fondamentale, U suit évidemment que pour conduire les hommes dans les voies du salut, pour administrer les moyens de salut, il faut absolument se présenter à eux au nom de Jésus-Christ, être l’envoyé même et le ministre de Jésus-Christ et tenir de lui-même sa mission et son autorité dans l’Eglise. Que sont-ils donc ces hommes qui pourront nous parler au nom de Jésus-Christ, nous ouvrir en ce nom adorable les portes du ciel ? Ceux à qui il a dit lui-même : « Toute puissance m’a été « donnée dans le ciel et sur la terre... Comme « mon père m’a envoyé je vous envoie... Tout ce « que vous aurez lté ou délié sur la terre sera « lié ou délié dans les deux... Celui qui vous « écoute, m’écoute... Celui qui vous méprise, me « méprise... Que celui qui n’écoute pas l’Eglise, « soit pour vous comme un pharisien et un « publicain... Allez et enseignez les nations : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consom-« mation des siècles. » Ces paroles se pouvaient adresser aux grands du monde, à la même puissance qui domine sur les enfants du monde. Tout l’Evangile nous apprend qu’il les a réservées pour ses apôtres et pour ceux qui devaient partager dans la suite des siècles leurs fonctions dans son Eglise. Tout l’Evangile nous dit qu’il a fait de cette puissance sur les âmes, de cette autorité spirituelle, une puissance à part, une autorité absolument distincte de celle des rois et des Césars, des sénats, des peuples et des Assemblées nationales. C’est pour qu’elles ne fussent jamais confondues, qu’il a dit formellement : Mon royaume n’est pas de ce monde. De ces vérités saintes il suit évidemment que si la puissance spirituelle est nulle dans tout ce qui a rapport au gouvernement civil, la puis-sauce temporelle est également nulle dans tous les objets relatifs au salât ; que, s’il n’appartient pas à l’Eglise de vous dire : voilà le prince qui régnera sur vous, voilà les magistrats qui siégeront sur vos tribunaux, il n’appartient pas davantage aux princes et aux sénats du siècle de dire à l’Eglise : Voilà les pontifes qui vous gouverneront; et aux fidèles : Voilà les prêtres qui vous absoudront, qui vous instruiront, et qui feront auprès de vous toutes les fonctions du ministère spirituel. Si les princes et les sénats sont nuis dans la mission évangélique, ils ne peuvent ni la donner ni la détruire ; cette juridiction, ce titre sacré 31 qui constitue l’épiscopat, ils ne l’ont pas donné ils n’avaient pas reçu de Jésus-Christ le droit de le donner; ils ne pourront donc pas l’anéantir ; ils ne pourront donc pas statuer que celui qui l’avait reçu de Jésus-Christ par son Eglise ne l’exercera plus. Ils lui diront en vain : vous n’êtes plus pasteur de ce troupeau, vous n’êtes plus évêque de cette église. Ils pourront supprimer ce que Jésus-Christ n'avait pas promis à ses apôtres, ces revenus et ces traitements pécuniaires qu’il nous avait appris à mépriser; ils le pourront de cette puissance dont les actes ne sont pas toujours ceux de la justice : mais tout décret partant de la puissance temporelle, et statuant tantôt la création, tantôt la destruction d’une mission, d’une juridiction spirituelle, d’un évêché, d’une cure, ou d’un litre quelconque évangélique, renfermera essentiellement cette erreur, celte vraie hérésie contraire au dogme, que la mission évangélique dépend d’une puissance parement humaine; que l’on peut absoudre, lier et délier, prêcher, administrer et faire toutes les fonctions religieuses dans l’Eglise de Jésus-Christ, sans être l’envoyé de Jésus-Christ ou de son Eglise. Tous ces décrets, en dernière analyse, se réduiront à dire qu’il est un autre nom que celui de Jésus-Christ par lequel le salut a été donné aux hommes. Et voilà, Messieurs, comment cette suppression de mon siège par la puissance temporelle, comment cette réduction des évêchés de France au nombre des départements, comment ce mélange, ces créations, ces extensions de nouveaux et d’anciens titres ecclésiastiques, par les seuls décrets de l’Assemblée nationale, sont en opposition avec un des principaux dogmes de la religion catholique, apostolique et romaine, la renversent de fond en comble et détruisent l’empire de la foi. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Eglise a senti combien il importait à l’intégrité de la foi de s’opposer à ces prétentions du siècle. Nous voyons dans l’histoire ecclésiastique des empereurs tenter ce que l’Assemblée nationale essaye en ce moment. Us avaient érigé des métropoles ; l’ambition secondant ce projet, quelques évêques avaient osé penser que leur mission et leur autorité avaient aussi reçu un accroissement par les pragmatiques impériales. Le concile de Calcédoine sent toute l’importance cle cette entreprise; il rappelle aux évêques que leur autorité vient toute de Jésus-Christ, des canons etdes conciles ; que la puissauce civile ne peut ni l’accroître, ni la démembrer. Tous les pères s’écrient: les pragmatiques impériales nont ici aucune force ; qu’on garde les canons ; que les lois de l’Eglise soient suivies. (F. Labbe et Fleuri, sur le concile de Cal cedoine.) C’est encore pour taire sentir toute la nullité de cette autorité temporelle dans les objets ecclésiastiques, et bien spécialement dans ia juridiction épiscopale, que le concile de Trente a décidé que ceux des évêques, des prêtres ou autres ministres des autels qui n’ont reçu leur mission que du peuple ou du magistrat, sont, d’après l expression de Jésus-Christ meme, des voieurset des intrus. C’est encore pour faire sentir toute son horreur pour la fausse doctrine de Luther, que le même concile disait anathème à ceux qui se diraient légitimes ministres des sacrements, sans y être autorisés par ia puissance ecclésiastique. (F. concil. Trid. sess., 23, cap. 4, et can. 7.) On vous dira, Messieurs, que l’Assemblée nationale ne prétend point donner elle-même cette ARCHIVES [PARLEMENTAIRES 32 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.) juridiction ecclésiastique et cette autorité spirituelle à ceux entre lesquels elle partage mon diocèse. Mais au nom de qui tout autre évêque viendrait-il donc exercer sur mes ouailles les fonctions épiscopales ? S’il se présente au nom de l’Eglise, qu’il produise ses titres ; au nom de cette Eglise qui l’aura envoyé remplir auprès de vous mon ministère, il me verra aussi empressé à lui céder mon siège, que je serai constant à le défendre contre tout faux pasteur qui, ne se présentant qu’au nom du siècle, loin de sauver ce peuple confié à nos soins, ne pourrait que le perdre et l’entraîner dans un horrible schisme. Au lieu de ces titres vrais, je ne connais encore, depuis les canonsdesapôtres jusqu’aux lois formelles du concile de Trente, que les défenses les plus expresses faites à tout évêque d’étendre son ministère au delà des limites du diocèse qui lui fut assigné par l’Eglise ; je ne vois que des peines portées par l’Eglise, contre celui qui prétendrait, au nom de la puissance temporelle, s’ingérer dans l’administration de mon diocèse. Non, Messieurs, que nul ne se présente au nom de cette puissance temporelle, pour occuper la place que je tiens auprès de vous. Le salut de vos âmes m’est trop cher pour le lui confier. Je ne souffrirai pas qu’il vous porte les paroles d’un évangile qu’il n’annoncerait pas au nom de Jésus-Christ ; je ne souffrirai pas qu’il prononce sur mes ouailles pénitentes une absolution que le ciel ne ratifierait pas; qu’il vous donne des dispenses, et qu’il délie où l’Eglise ne délierait pas. Car telles sont, Messieurs, les tristes et terribles conséquences de cette mission, toute fondée sur une constitution décrétée par des laïques. Tout évêque étranger à mon diocèse n’a point autorité sur mon diocèse : il voudrait vous absoudre, il ne le pourra pas s’il n’est pas délégué par moi votre pasleur ou par l’Eglise. Il voudrait ordonner vos prêtres : ses ordinations sunt expressément proscrites par le concile de iNicée; elles ne sauraient être suivies d’aucun acte de juridiction valide; les curés et les vicaires qu’il vous donnerait, ne seraient ni vos curés ni vos vicaires ; vous seriez sans pasteur et les portes du ciel vous seraient fermées. Cette doctrine, Messieurs, n’est pas la mienne ; elle est celle de tous les docteurs de l’Eglise, elle est bien spécialement celle du concile de Trente, lorsqu’il nous déclare qu’une sentence d’absolution ne peut être portée validement sur vous par le prêtre qui n’a point de juridiction sur vous. (Sess. 14, c. 7.) Qu’on ne vous dise pas que ce que l’Assemblée n’a pu faire par elle-même, elle le fera au moins par les métropolitains ; car d’abord l’Assemblée n’a pas même recours aux métropolitains; elle prétend sans eux démembrer mon diocèse et en soumettre les diverses parties à la juridiction spirituelle de ceux qui vous entourent. Eh quel serait l’évêque dans l’Eglise de Jesus-Christ qui oserait, sur un pareil décret, se croire envoyé vers vous par Jésus-Christ ! Quel serait le pasteur qui, sur une entreprise inouïe dans les fastes de l’Eglise catholique, se croirait constitue votre évêque par une autorité toute temporelle! Quel métropolitain oserait, sur ces mêmes décrets, instituer des pasteurs hors de son diocèse ! Nos métropolitains, Messieurs, n’ont dans l’Eglise que la portion d’autorité que l’Eglise veut bien leur accorder pour le maintien de sa discipline : aussi cette portion de leur autorité a-t-elle varié comme la discipline même. L’autorité du pape seul a été et doit être constante sur tout l’empire chrétien, parce qu’il a été institué par Jésus-Christ même son vicaire sur toute la terre, et pour tous les temps ; tout évêque, recevant son institution du successeur de Saint-Pierre, aura dans tous les temps une vraie institution ; et c’est pour cela que la nôtre est légitime ; nous l’avons reçue de celui qui tenait de Saint-Pierre et de Jésus-Christ même le droit de la donner. L’Eglise autrefois, au nom de Jésus-Christ aussi, avait donné aux métropolitains ce droit d’instituer les évêques de leurs provinces, dans tous les temps maîtresse et seul juge de sa discipline, dans ces derniers siècles elle a réservé au Saint-Siège la confirmation de vos évêques. Si ce n’est ou par elle ou par le pape qu’elle en rend le droit aux métropolitains, nulle autorité sur la terre ne pourrait le leur rendre : car, Messieurs, ne vous y trompez pas, toute institution, toute confirmation dans l’Eglise suppose une vraie juridiction, un droit de conférer une autorité spirituelle. Ce droit de conlirmer d’instituer un évêque, ne peut donc être donné ou renouvelé que par l’Eglise ou par son chef. Celui que nos métropolitains prétendraient acquérir de nouveau sur les décrets d’une autorité laïque, serait donc encore un droit nul ; il ne pourrait pas être exercé au nom de Jésus-Christ, et dès lors tous les actes qui en dériveraient seraient des actes nuis pour votre salut, et criminels dans ceux qui prétendraient les exercer sur vous. Ne me reprochez pas, Messieurs, d’être entré dans ces détails pour une instruction que je vous dois comme votre premier pasteur. Vous pouvez à présent juger vous-mêmes combien les circonstances les ont rendues nécessaires : vous pouvez voir combien de dogmes, combien de vérités importantes j’avais à sacrifier pour reconnaître dans les décrets du siècle une autorité capable de me priver d’un siège, d’une juridiction que je ne tiens point d’elle. Avouer que l’Assemblée a droit d’anéantir mon siège épiscopal, c’était évidemment reconnaître que ce siège existait en vertu d’une autorité purement temporelle, quej'étais évêque au nom de l’Assemblée, quetoutejuridiction dérivait de cette même autorité purement temporelle, qui, maîtresse de m’en priver, serait aussi maîtresse de la conférer à tout autre évêque. Dès lors c’était encore me reconnaître votre pasteur an nom de l’Assemblée, et non plus au nom de Jésus-Christ; c’était absolument confondre ces puissances dont la distinction a été si bien marquée par Jésus-Christ; c’était sacrifier au siècle des droits que Jésus -Christ n’a conliés qu’à son Eglise ; c’était renouveler l’hérésie de Luther, qui, voyant sa mission condamnée par l’Eglise, transportait aux paissances du siècle le droit de donner des pasteurs à l’Eglise ; c’était confondre la foi catholique avec l’erreur de l’Eglise anglicane, de ce roi des Anglais, le fléau de leur foi, le chef de leur grand schisme, qui s’arrogea le droit de suppléer et l’Eglise et le pape en donnant à l’Angleterre des premiers pasteurs ; c’était enfin, Messieurs, reconnaître que mon autorité dérivant d’uue assemblée laïque, je venais vous prêcher le salut et vous absoudre, non plus au nom de Jésus-Christ, mais au nom des lois humaines. C’était donc me trouver en pleine opposition avec ce dogme fondamental du christianisme : II n'y a point d'autre nom sur la terre que le nom de Jésus-Christ par lequel nous puissions être sauvés. Apostat dans la foi, si par ma conduite ou par 33 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.1 mes paroles, et par une lâche condescendance, je n’avais pas la force de m’opposer à des principes et à des conséquences si contraires à la foi, ce n’est pas mon salut seul que je perdais, c’est le vôtre encore, c’est celui de tous mes diocésains que j’aurais exposé, puisque je les livrais à un premier pasteur qui ne serait qu’un pasteur schismatique, un pasteur sans mission canonique, et qui, n’étant lui-même qu’un intrus, ne pourrait leur donner pour pasteurs secondaires, pour curés ou recteurs et pour vicaires, que des pasteurs intrus et schismatiques comme lui, sans mission légitime, sans juridiction, sans droit de les absoudre de leurs péchés, de leur administrer, au nom de Jésus-Christ, les sacrements de son Eglise. Dans une circonstance si importante pour le salut de nos diocésains, pouvais-je donc, Messieurs, me contenter d’un lâche silence? N’était-ce pas plutôt un devoir pour moi de me rappeler la leçon qu’un grand pape donnait aux évêques de France? « Je crains que le silence, dans un « pareil sujet, ne soit une vraie connivence. « Dans ces occasions, le silence est justement <i suspect, parce que la vérité se présenterait si le « mensonge déplaisait. Nous sommes justement « regardés comme coupables, lorsque notre si-« lence favorise l’erreur. » Tïmeo ne connivere sit hoc tacere. Timeo ne magis ipsi loquantur, qui permittunt illis taliter loqui. In talibus causis non caret suspicione taciturnilas , quia occurreret veritas , si fatsitas discipliceret : mérita namque causa nos respicit , si silentio faveamus errori. (Cœlestinus I. Epist. ad episcopos Galliarum.) Je n’aurai point, Messieurs, à me le reprocher. ce silence coupable; ma lettre pastorale a prévenu mes diocésains de la ferme résolution où je suis de ne point les abandonner à des pasteurs intrus, qui les entraîneraient dans un malheureux schisme. Je vous ai adressé la déclaration deM. l’évêque de Soissons; je vous ai signifié mon adhésion à cette déclaration parce qu’elle me paraissait très propre à vous faire sentir les vérités les plus importantes dans les circonstances actuelles. Je viens de m’expliquer encore, de vous développer autant qu’il est en moi, ces mêmes vérités de manière à vous faire connaître toute leur importance. J’espère devant Dieu n’avoir aucun reproche à me faire. Je puis, dans ma conscience, vous dire avec Saint Paul, que je ne vous ai point caché ces vérités utiles , je les ai annoncées publiquement. Je suis bien disposé, pour le salut de nos diocésains, à les prêcher encore et à les maintenir. Vous avez cru, Messieurs, que votre patriotisme exigeait de votre part une délation de ma lettre pastorale à l’Assemblée nationale. Je n’accuserai point la rigueur de votre zèle; mais croyez qu’au milieu de cette Assemblée même, je saurais me souvenir du respect que je dois aux sénats de la terre, et de l’inviolable fermeté que je dois à la foi. En qualité d’évêques, nous avons spécialement appris de Jésus-Christ ce que nous devons à César, et nous saurons lui payer cette dette; nous saurons exhorter les peuples même à la soumission la plus entière aux puissances du siècle. Notre patrie nous est trop chère, le sang de nos concitoyens nous est trop précieux pour ne pas employer cette autorité que nous avons sur les âmes au maintien dê la paix et de la concorde. Si nous voyons jamais nos frères prêts à la troubler, nous serons les premiers à leur apprendre que l’Eglise et la foi ne se défendent iK Série. T. XXI. point par des armes de sang. Nous n’avons pas cessé, nous ne cesserons pas d’enseigner qu’il n’est jamais permis, pour une religion de paix, de charité, de s’élever les uns contre les autres; que la prière et la patience sont les véritables armes du chrétien; que s’il est des circonstances où nous devons nous souvenir qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, dans ces circonstances mêmes, celui-là seul est agréable à Dieu qui sait être victime, et non pas immoler ses concitoyens et ses frères. Oui, Messieurs, la religion nous a appris à concilier nos devoirs envers Dieu et nos devoirs envers les puissances du siècle. S’il fallait résister à l’oppression, nous ne saurions le faire qu’en offrant notre tête ; trop heureux de donner à ce Dieu qui nous a élevés au rang de ses pasteurs, cette preuve de fidélité à la doctrine sainte 1 Mais nous avons confiance en ce Dieu qui veille sur la France; nous osons espérer que cette même Assemblée, qui n’avait prétendu donner au clergé qu’une Constitution civile, n’exigera jamais de nous d’autre confession que celle de nos dogmes. En nous trouvant fidèles, soumis, et toujours prêts à exhorter les peuples à la soumission aux décrets de la puissance temporelle, elle saura un jour applaudir elle-même à notre zèle pour le maintien de la doctrine sainte dans son intégrité et dans sa pureté. Et vous-mêmes, Messieurs, j’espère, lorsque je reviendrai au milieu de vous, vous trouvant plus instruits et sur nos intentions et sur les divers objets de ma lettre pastorale, vous voir aussi plus intimement unis à un pasteur qui ne soupire qu’après l’heureux moment qui le rendra à son diocèse. Je le crois très prochain, ce moment; vous me verrez, Messieurs, dans ces dispositions de paix et d’union que m’inspirerait seul l’intérêt que je prends, au bonheur de mon diocèse. Non, je ne paraîtrai au milieu de mes diocésains que pour leur donner, autant qu’il est en moi, de nouvelles preuves de cette affection religieuse et inviolable qui doit m’unir à eux. Je ne puis, je ne dois paraître au milieu d’eux qu’en ministre d’un Deu de charité. Je saurais immoler tous les ressentiments, si mon cœur en était susceptible; mais je n’aurai pas même le mérite du sacrifice. Je reviendrai à vous comme un père au milieu de ses enfants, comme un pasteur au milieu de son troupeau. Mon retour sera celui d’un homme qui ne peut, qui ne veut vous parler que de paix et qui espère, de votre part, une partie au moins de l’affection et de tous les sentiments qu’il vous a voués. J’ai l’honneur d’être avec un respectueux attachement, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : f L'évêque de Lisieux. SEPTIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 26 NOVEMBRE 1790. Lettre PASTORALE de M. Jules de Clermont-Tonnerre, évêque de Châlons-sur-Marne , au clergé séculier et régulier et aux fidèles de son diocèse. Anne-Antoine-Jules de Clermont-Tonnerre, par la miséricorde divine et la grâce du saint-siège 3